Livv
Décisions

CA Rennes, 4e ch., 30 mars 2000, n° 99-01649

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Perronnelle, Prunier

Défendeur :

Plessis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thierry

Conseillers :

Mme Letourneur-Baffert, M. Christien

Avoués :

SCP Castres Colleu & Perot, SCP Leroyer B Gauvain & Demidoff

Avocats :

SCP Proust Hardouin Pages André, Me Laurent.

TI Saint-Malo, du 22 déc. 1998

22 décembre 1998

Exposé du litige

Par acte sous seing privé en date du 28 mai 1996, Noël Prunier et Florence Perronnelle ont confié à Bernard Plessis une mission de maîtrise d'œuvre portant sur une opération de rénovation d'un immeuble leur appartenant à Tinteniac.

Se plaignant d'un dépassement du coût du projet constaté au vu du résultat des appels d'offre des entreprises, les consorts Prunier-Perronnelle informaient par courrier du 4 octobre 1996 Monsieur Plessis de leur intention de mettre un terme à leur relations contractuelles.

Le maître d'œuvre, dont les honoraires avaient été laissés partiellement impayés, assigna alors les maîtres de l'ouvrage devant le Tribunal d'instance de Saint-Malo qui, par un premier jugement en date du 17 mars 1998, ordonna une mesure d'expertise confiée à Monsieur Gravier.

Après le dépôt du rapport de l'expert, le premier juge statua, par un second jugement rendu le 22 décembre 1998, en ces termes:

"Homologue le rapport d'expertise de Monsieur Gravier;

Condamne solidairement Monsieur Prunier et Mademoiselle Perronnelle à payer à Monsieur Plessis:

- à titre principal, la somme de 18 583,58 F toutes taxes comprises augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 1997, date de l'assignation,

- la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Condamne solidairement Monsieur Prunier et Mademoiselle Perronnelle aux dépens, y compris le coût de l'expertise judiciaire".

Les consorts Prunier-Perronnelle ont relevé appel de cette décision en faisant valoir d'une part que le contrat de maîtrise d'œuvre, conclu dans le cadre d'un démarchage à domicile, ne respecterait pas les règles de forme édictées par l'article L. 121-23 du Code de la consommation et d'autre part que Monsieur Plessis serait, en raison de l'erreur commise dans l'estimation du coût de l'opération de construction, responsable de la rupture des relations contractuelles.

Ils demandent en conséquence à la cour de réformer le jugement attaqué et de:

" A titre principal,

Prononcer la nullité du contrat de maîtrise d'œuvre signé entre les parties le 28 mai 1996 et en conséquence condamner Monsieur Plessis à restituer à Mademoiselle Perronnelle et Monsieur Prunier la somme de 18 090 F correspondant au montant des honoraires versés avec intérêts de droit à compter du paiement;

Condamner Monsieur Plessis au paiement d'une somme de 10 886,15 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la non-réalisation des travaux dans les délais prescrits;

A titre subsidiaire,

Constater que la résolution du contrat incombe à Monsieur Plessis et en conséquence condamner ce dernier au paiement des mêmes sommes que ci-dessus à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi;

Condamner Monsieur Plessis au paiement d'une somme de 8 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Monsieur Plessis a conclu à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et réclame en outre une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées pour les consorts Prunier-Perronnelle 8 février 2000 et pour Monsieur Plessis le 26 janvier 2000.

Exposé des motifs:

Sur la validité de la convention:

Aux termes de l'article L. 121-21 du Code de la consommation, toute personne pratiquant le démarchage au domicile d'une personne physique, même à sa demande, à l'effet de lui proposer la fourniture d'un service est soumise aux dispositions légales d'ordre public relatives à la régularité des opérations de démarchage.

Or, le contrat de maîtrise d'œuvre est une convention de louage d'ouvrage et d'industrie qui a pour objet de confier au professionnel intéressé une mission de conception et de suivi d'un projet architectural constitutif d'une prestation de services et qui ne fait l'objet d'aucune réglementation particulière au sens des dispositions de l'article L. 121-22 du Code de la consommation, de sorte qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application des dispositions légales précitées si leurs conditions de mise en œuvre sont réunies.

A cet égard, le premier juge a ajouté à la loi une disposition qu'elle ne comporte pas en écartant l'application de l'article L. 121-21 du Code de la consommation au seul motif que le contrat de louage d'ouvrage est un contrat consensuel qui se forme par le simple échange de consentements des parties sur le travail à exécuter et qu'il n'est donc soumis à aucune condition de forme imposant de faire application des dispositions sur le démarchage à domicile.

Les contrats de nature consensuelle ne sont en effet nullement exclus du domaine d'application de la réglementation afférente au démarchage à domicile.

En l'espèce, le contrat de maîtrise d'œuvre litigieux a été signé le 28 mai 1996 au domicile de Mademoiselle Perronnelle et de Monsieur Prunier ainsi que cela résulte des énonciations de l'acte lui-même, la mention "fait en 2 originaux à Tinteniac " précédant les signatures, et des constatations explicites de l'expert consignées en page 6 du rapport.

Pour échapper à la réglementation relative au démarchage à domicile, Monsieur Plessis fait cependant valoir qu'il avait en réalité été sollicité par les consorts Prunier-Perronnelle, lesquels l'auraient eux-mêmes invité à visiter les lieux dès le 23 mai 1996 afin d'évaluer la faisabilité de l'opération et de lever un métré, de telle sorte que la convention du 28 mai 1996 se bornait à réitérer un accord déjà verbalement arrêté entre les parties.

Il sera cependant en premier lieu observé que l'accord verbal dont le maître d'œuvre se prévaut s'est lui aussi concrétisé au domicile des consorts Prunier-Perronnelle.

Il est en outre de principe que le dispositif légal de protection des personnes démarchées trouve à s'appliquer même si le but de la visite du prestataire de service au cours de laquelle le contrat a été signé était seulement de formaliser un engagement déjà pris à l'occasion de pourparler antérieurs.

Monsieur Plessis soutient par ailleurs à tort que les appelants auraient expressément reconnu lors des opérations d'expertise qu'il ne pouvait être fait état d'un démarchage, alors que l'expert Gravier indique au contraire que le contrat a été signé au domicile des maîtres de l'ouvrage, même s'il a également souligné que Mademoiselle Perronnelle et Monsieur Prunier n'ont pas utilisé leur droit de renonciation dans les sept jours à compter de la commande.

Le maître d'œuvre fait aussi vainement valoir que Mademoiselle Perronnelle serait, en sa qualité de clerc d'avocat, particulièrement rompue à la pratique des affaires et que c'est en toute connaissance de cause et sans la moindre réserve que le contrat a été signé entre les parties.

Toute personne physique, quelque fût sa compétence juridique, bénéficie en effet de la protection légale relatives aux opérations de démarchage dès lors que celles-ci n'ont pas de rapport direct avec son activité professionnelle, ce qui n'est, en l'espèce, pas allégué.

Aux termes de l'article L. 121-23 du Code de la consommation, les opérations entrant dans le champ d'application de l'article L. 121-21 du même Code doivent impérativement comporter, à peine de nullité du contrat, la désignation précise de la nature et des caractéristiques des services proposés, le prix global à payer et ses modalités de paiement, ainsi que la faculté de renonciation prévue à l'article L. 121-25 et les conditions d'exercice de cette faculté.

Or, en l'espèce, la convention de maîtrise d'œuvre du 28 mai 1996 ne renseigne pas suffisamment les maîtres de l'ouvrage sur le prix de la prestation de Monsieur Plessis, la clause de rémunération ne faisant référence qu'à un pourcentage du montant du marché sans préciser, fût-ce par aperçu, celui-ci.

En outre, elle n'informe pas les co-contractants de l'existence de leur faculté de renonciation et ne reproduit pas les dispositions des articles L. 123-23 à L. 123-26 du Code de la consommation.

Mademoiselle Perronnelle et Monsieur Prunier sont donc fondés à solliciter par voie d'exception la nullité du contrat du 28 mai 1996, dès lors qu'il a été constaté que les mentions obligatoires prévues par la loi n'y ont pas été portées.

Sur les conséquences de l'annulation:

Dès lors que la convention de maîtrise d'œuvre a été annulée, Monsieur Plessis n'est plus fondé à en poursuivre l'exécution et à réclamer à ce titre paiement d'un solde d'honoraires et d'une indemnité contractuelle de résiliation.

Le jugement attaqué, qui faisait droit à ces prétentions, ne pourra donc qu'être entièrement réformé.

Par ailleurs, l'annulation du contrat implique que les parties soient remises dans leur état antérieur.

A ce titre, les consorts Prunier-Perronnelle sont fondés à obtenir remboursement des honoraires précédemment versés au maître d'œuvre à concurrence de 18 090 F toutes taxes comprises.

Mais ils doivent aussi indemniser le maître d'œuvre du service fourni à due concurrence de la valeur économique hors marge bénéficiaire de sa prestation dès lors qu'ils en ont utilisé les fruits pour mener leur opération de construction à son terme et qu'ils se sont en conséquence placés dans l'incapacité de restituer.

A cet égard, Mademoiselle Perronnelle et Monsieur Prunier prétendent n'avoir tiré aucun bénéfice du travail de Monsieur Plessis dans la mesure où, du fait du dépassement du coût d'objectif imputable à celui-ci, ils ont été contraints de procéder à de nouveaux appels d'offres et de passer plusieurs marchés de travaux postérieurement au 14 octobre 1996, puis qu'ils ont dû assumer eux-mêmes la direction du chantier.

La cour observe cependant que Monsieur Plessis a constitué le dossier de demande de permis de construire sur la base duquel l'autorisation administrative a été donnée, qu'il a établi le descriptif au vu duquel les marchés ont, au moins pour partie, été passés, et que les travaux de rénovation ont été réalisés selon ses plans.

L'expert Gravet indique qu'après la phase de consultation des entreprises, époque de la rupture des relations contractuelles, Monsieur Plessis était en droit de réclamer, selon les usages de la profession, 30 561,32 F toutes taxes comprises à titre d'honoraires.

La cour estime que, compte tenu de la réitération des appels d'offres par les maîtres de l'ouvrage sur la base d'un descriptif de travaux repris partiellement, et après déduction de la marge bénéficiaire du maître d'œuvre, la somme de 18 090 F déjà versée à Monsieur Plessis constitue une indemnisation adéquate de la prestation effectivement fournie et utilisée.

Il s'en déduit que, par l'effet de la compensation, l'appelant n'aura pas à restituer les honoraires perçus qui lui resteront acquis à titre de dommages-intérêts.

Les consorts Prunier-Perronnelle ne démontrent par ailleurs nullement que le retard de travaux de 5 mois dont ils sollicitent l'indemnisation ait un lien de causalité certain avec l'irrégularité du contrat de maîtrise d'œuvre ayant entraîné son annulation, ou même avec le dépassement de coût d'objectif reproché à Monsieur Plessis.

Il sera en effet observé qu'aucun délai d'exécution n'avait à l'origine été convenu entre les parties, qu'après la rupture des relations contractuelles les maîtres de l'ouvrage ont poursuivi l'opération de construction sans désemparer en assumant eux-mêmes la direction des travaux, et que le retard d'achèvement de l'ouvrage résulte en réalité d'un effondrement postérieur à la résiliation du contrat de maîtrise d'œuvre que les éléments soumis à la cour ne permettent pas d'imputer à faute à Monsieur Plessis.

Sur les frais irrépétibles:

Aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait droit aux demandes formulées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR: Réforme le jugement rendu le 22 décembre 1998 par le Tribunal d'instance de Saint-Malo en toutes ses dispositions; Prononce l'annulation du contrat de maîtrise d'œuvre en date du 28 mai 1996 liant les consorts Prunier-Perronnelle à Monsieur Plessis; Dit que la somme de 18 090 F versée par les consorts Prunier-Perronnelle à titre d'honoraires demeurera, par l'effet de la compensation, acquise à Bernard Plessis à titre de dommages-intérêts; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples; Condamne Monsieur Plessis aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.