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Décisions

Conseil Conc., 5 décembre 1995, n° 95-D-78

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de l'expédition des huîtres dans le bassin de Marennes-Oléron

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Carole Champalaune, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, Mme Hagelsteen, MM. Callu, Marleix, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 95-D-78

5 décembre 1995

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 19 octobre 1992 sous le numéro F 546, par laquelle le ministre de l'Economie et des Finances a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier relatif à des pratiques anti-concurrentielles constatées dans le secteur de l'expédition des huîtres dans le bassin de Marennes-Oléron lors de la campagne 1991-1992 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifié, relative à la liberté des prix et à la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la section régionale de conchyliculture du bassin de Marennes-Oléron et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus, le représentant de la section régionale de conchyliculture du bassin de Marennes-Oléron régulièrement convoqué, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Le secteur

1. Caractéristiques générales de l'activité d'élevage et d'expédition

La France est le premier producteur européen d'huîtres avec un volume annuel d'environ 140 000 tonnes et se situe parmi les cinq premiers producteurs mondiaux.

L'élevage de l'huître en France couvre 20 000 hectares répartis sur six bassins ostréicoles dont celui de Marennes-Oléron. IL se réalise sur un cycle de trois à quatre années, l'année ostréicole allant de juin-juillet à fin mai de l'année suivante. Il comporte trois phases dont seules les deux premières sont communes à tous les bassins, la troisième étape se pratiquant selon des techniques différentes en fonction des bassins.

En outre, un complément d'élevage spécifique aux bassins Ré-Centre-Ouest et Marennes-Oléron, et pratiqué essentiellement dans ce dernier, consiste à affiner les huîtes, une fois celles-ci parvenues à leur taille marchande, dans des claires, bassins creusés dans des sols perméables résultant de marais naturels ou d'anciennes salines d'une profondeur maximum de 50 centimètres, alimentés en eau de mer par un réseau de chenaux. L'affinage tend à poursuivre l'engraissement des huîtres et leur verdissement éventuel, grâce à la présence dans les claires d'une algue, la navicule bleue, également appelée la marennine, les huîtres vertes étant les plus rémunératrices pour l'affineur. Ces bassins représentent une superficie d'environ 3 000 hectares. La distinction entre fines de claires et spéciales de claires provient de la densité des huîtres au mètre carré dans les claires et de la durée de leur immersion dans celles-ci. Cette distinction fait l'objet d'une nonne Afnor NF V 45056 depuis 1985, rendue obligatoire par arrêté interministériel du 25 mai 1987.

Les huîtres élevées, affinées et conditionnées à Marennes-Oléron ou élevées dans d'autres bassins français puis affinées et conditionnées dans le bassin de Marennes-Oléron bénéficient de la marque collective " Huîtres de Marennes-Oléron" déposée à l'INPI, dont est propriétaire la section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron, organisme interprofessionnel.

L'existence d'une technique d'élevage spécifique, normalisée et ouvrant droit à l'attribution d'une marque collective différencie donc l'huître de Marennes-Oléron des huîtres produites par les autres bassins français. Par ailleurs, une catégorie d'huîtres élevées dans ce bassin bénéficie d'un label rouge, sous la dénomination " Huîtres vertes, fines de claires de Marennes-Oléron ", institué par un arrêté du 3 octobre 1989. Les huîtres se prévalant de ce label doivent répondre à certains critères relatifs aux qualités de l'huître proprement dite mais tenant également aux établissements d'élevage ou d'expédition, ainsi qu'au conditionnement, à l'étiquetage et à la mise sur le marché.

L'élevage des huîtres est fortement dépendant des facteurs naturels. Des fluctuations de la production sont donc inévitables, comme en témoignent les variations enregistrées pour les années 1990, 1991 et 1992.

EMPLACEMENT TABLEAU

Ce secteur a connu et continue à connaître de profondes mutations se traduisant notamment par la baisse importante du nombre d'éleveurs passés de 4 500 en 1975 à 2400 en 1994.

L'expédition, qui consiste pour l'essentiel à commercialiser les huîtres, comporte un certain nombre de tâches, avant la mise sur le marché. Il s'agit d'une activité d'intermédiaire commercial qui s'insère dans un circuit qui n'est pas uniforme. En effet, il existe des expéditeurs qui se livrent à la seule commercialisation des huîtres, sans les élever ni les affiner, et des expéditeurs qui achètent les huîtres et en achèvent l'élevage (affinage) avant de les distribuer. Par ailleurs, on trouve des éleveurs procédant à la vente directe de leur production avant ou après affinage, sans avoir recours aux expéditeurs. Entre éleveurs et expéditeurs interviennent parfois des courtiers qui les rapprochent, ainsi que des grossistes mareyeurs.

L'expéditeur, dans sa fonction de commercialisation, effectue des anticipations de prix d'achat et de vente, en juillet/août, à partir des prix annoncés par les éleveurs, pour des achats ayant lieu en septembre/octobre et des ventes qui commencent en octobre/novembre. Des contrats d'approvisionnement, en général fixés en octobre et souvent verbaux, sont passés entre les expéditeurs et leurs clients pour un tonnage donné à des prix déterminés en fonction des qualités d'huîtres. Pour la grande distribution, ces contrats sont souvent écrits. Ces contrats peuvent comporter des clauses prévoyant l'évolution des prix à l'élevage pendant la saison.

Sur 3 250 établissements agréés pour l'expédition des coquillages en France, environ 800, soit près de 25 p. 100, exercent leur activité dans le bassin de Marennes-Oléron. Les expéditeurs marennais commercialisent près d'un tiers de la production nationale, soit, sous la marque collective " Marennes-Oléron" entre 50 000 et 60 000 tonnes d'huîtres par an dont 25 000 à 30 000 tonnes seulement fournies par des éleveurs implantés dans le bassin de Marennes-Oléron (chiffres 1991- 1992), le reste provenant du commerce inter-bassins (vente d'huîtres bretonnes ou normandes aux expéditeurs marennais). Le chiffre d'affaires de cette activité était estimé à 764 MF en 1991 par la Chambre de commerce et d'industrie de Rochefort et de Saintonge.

Les halles et marchés sont les principaux lieux de vente des huîtres (29 p. 100 des ventes en volume en 1991), devant les poissonneries (20 p. 100, les hypermarchés (18 p. 100), les supermarchés (12 p. 100), la vente directe (12 p. 100) et les supérettes et mini-libres-services (2 p. 100). La tendance observée en volume ces dernières années est à la baisse des ventes réalisées sur les marchés et dans les poissonneries au profit des hypermarchés, qui font de l'huître un produit d'appel.

Si le caractère saisonnier de la consommation des huîtres (essentiellement d'octobre à fin décembre) tend à être moins marqué, notamment sous l'effet des promotions effectuées par les grandes surfaces, les ventes de fin d'année continuent néanmoins à revêtir une importance fondamentale pour les producteurs et les expéditeurs. Ainsi, en 1991, si 51 p. 100 des ventes avaient été réalisées entre janvier et novembre, 49 p. 100 l'avaient été en décembre. Ces ventes du mois de décembre sont, en outre, essentiellement le fait d'un nombre réduit d'acheteurs de gros tonnages qui distribuent pendant la période des fêtes de fin d'année près de 65 p. 100 des tonnages commercialisés. Ces acheteurs s'adressent à des offreurs pour leur part atomisés.

2. L'organisation de la profession (élevage et expédition)

En vertu de dispositions législatives et réglementaires nationales prises pour l'application du règlement (CEE) n° 3796-81 du Conseil du 29 décembre 1981 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche, l'association " Organisation des producteurs d'huîtres de Marennes-Oléron" (ci-après dénommée " OP ") a été reconnue en qualité d'organisation de producteurs par arrêté du ministère de l'Agriculture du 27 septembre 1990 à compter de cette même date. Elle comptait alors, selon les pièces du dossier, 143 membres.

Aux termes de l'article 9 dudit règlement, " les organisations de producteurs peuvent fixer un prix de retrait au-dessous duquel elles ne vendent pas les produits apportés par leurs adhérents ". Il n'existe pas en revanche de prix d'orientation pour les mollusques.

Selon l'article 2 de son statut, l'organisation des producteurs de Marennes-Oléron "a pour but de prendre les mesures propres à assurer l'exercice rationnel de la conchyliculture et l'amélioration des conditions de vente à la production et à l'expédition des huîtres creuses, ce qui comporte notamment pour les adhérents l'obligation:

- d'écouler, par l'intermédiaire de l'organisation ou selon des règles communes préalablement établies par cette dernière, l'ensemble des produits pour lesquels ils ont adhéré;

- d'adapter le volume de l'offre aux exigences du marché, sa compétence s'étend à toutes les huîtres creuses produites sur le bassin de Marennes-Oléron ".

En pratique, l'intervention de l'OP de Marennes-Oléron en matière de prix se limite à l'établissement de propositions de prix à l'élevage, par type d'huîtres.

Par ailleurs, la loi n° 91-411 relative à l'organisation interprofessionnelle des pêches maritimes et d'élevages marins et à l'organisation de la conchyliculture, prévoit dans son article 7 la création d'une organisation interprofessionnelle de la conchyliculture à laquelle adhèrent obligatoirement les membres des professions qui, quel que soit leur statut, se livrent aux activités de production, de distribution et de transformation des produits de la conchyliculture. Cette organisation comprend un Comité national et des comités régionaux, dénommés sections régionales, dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière et a notamment pour mission la représentation et la promotion des intérêts généraux des activités conchylicoles et la participation à l'amélioration des conditions de production.

Aux termes de l'article 15 du décret n° 91-1276 du 19 décembre 1991 pris pour l'application de la loi précitée, et qui précise les attributions du comité national ainsi que des sections régionales, ces dernières sont notamment chargées de " formuler des recommandations en vue d'une bonne gestion des intérêts conchylicoles et d'une meilleure adaptation de la production aux besoins du marché, de réaliser des actions de promotion en faveur des produits conchylicoles, de créer ou de provoquer la création de services collectifs de nature à favoriser l'exercice de la conchyliculture ". La section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron (ci-après SRC) est régie par ces dispositions.

Outre ces organismes réglementés, il existe dans le bassin de Marennes-Oléron neuf syndicats locaux constitués en une fédération, la fédération des syndicats de Marennes-Oléron, ainsi que des associations professionnelles, dont l'influence est réputée faible.

B. - Les pratiques constatées

1. L'action menée par la SRC de Marennes-Oléron pendant la campagne 1991-1992

Au début de la campagne 1991, une baisse sensible de la production dans l'ensemble des bassins, et particulièrement dans celui de Marennes-Oléron, était annoncée, la production attendue étant de 110 000 tonnes contre plus de 140 000 en 1990, soit une diminution de plus de 20 p. 100. En réalité, la baisse a été inférieure à ces prévisions (8,75 p. 100 au plan national et 14,28 p. 100 pour le seul bassin de Marennes Oléron pour l'année 1991 comparée à l'année 1990).

Aux termes du procès-verbal de son assemblée générale ordinaire du 7 juin 1991, l'OP de Marennes-Oléron a, conformément à sa mission, à cette date, établi des propositions de prix pour la campagne 1991-1992, lesquelles ont été diffusées dans la presse professionnelle et locale sur son initiative, entre juillet et septembre 1991, les différents communiqués justifiant les prix proposés par l'absence de pousse au printemps, la faiblesse des stocks de " grosses " et la réduction prévisible du tonnage.

La SRC, à la suite des propositions de prix émises par l'OP, après avoir réuni les expéditeurs, a par trois fois émis des recommandations sur le niveau des prix des huîtres devant être pratiqués à l'expédition.

La première action en ce sens a fait suite à la réunion, le 9 août 1991, des expéditeurs agréés pour commercialiser les huîtres bénéficiant du label rouge. Elle a pris la forme d'une lettre circulaire daté du 19 septembre 1991 à l'en-tête de la SRC, signée par son président et dans laquelle un prix minimum de vente des huîtres vendues sous label est fixé, assorti d'une menace de retrait de l'agrément en cas de prix inférieurs, en ces termes: " Le prix minimum des huîtres vendues sous label rouge passe à 24 F (HT) le kilo net, prix départ ; des prix supérieurs peuvent évidemment être pratiqués en fonction notamment du type de conditionnement. Par contre des prix inférieurs ne sauraient être admis, sous peine de retrait de l'agrément label rouge. "

La seconde recommandation de prix a été effectuée sous la même forme de lettre-circulaire. Datée du 19 septembre 1991, toujours signée par le président de la SRC, elle annonçait une baisse de la production locale et nationale, le lancement de la campagne publicitaire de promotion de l'huître de Marennes-Oléron pour soutenir la demande ainsi que la tension sur les prix qui devait résulter de ces deux facteurs. Ce document se concluait en ces termes: " Il me paraît donc souhaitable que tous les expéditeurs de ce bassin présentent des tarifs en nette progression, au moins sur les calibres grosses et moyennes. Le maintien du tarif de l'an passé serait une profonde erreur de gestion. " Cette action a été approuvée par le bureau de la SRC réuni, ainsi qu'en témoigne le procès-verbal, le 30 septembre 1991 : " Le bureau approuve les termes du courrier adressé par le président à tous les expéditeurs pour leur faire part de l'état des stocks et de l'évolution probable du marché et des cours. " La lettre précitée a fait l'objet d'une nouvelle approbation " à l'unanimité " aux termes du procès-verbal de la réunion conjointe du bureau de la section régionale et de la commission de commercialisation tenue le 1er octobre 1991 figurant au dossier.

Enfin, une autre lettre-circulaire du président de la SRC, publiée dans Le Littoral de la Charente-Maritime n° 4277 du 8 au 13 novembre 1991, a préconisé une nouvelle fois la hausse des cours dans les termes suivants : " L'augmentation des cours est donc une nécessité à la fois pour la production et pour le commerce. Cette augmentation doit se faire dans l'ensemble des réseaux de distribution (centrales d'achats, grossistes, vente directe). Elle doit être rapide et suffisante pour nous permettre de conserver les stocks nécessaires pour les fêtes et après. Je vous demande une nouvelle fois d'adapter votre politique commerciale à cette situation tout à fait exceptionnelle. Vos prix doivent impérativement être majorés de 15 à 30 p. 100 suivant votre tarif initial, faute de quoi nous irions à la catastrophe. "

Par ailleurs, la SRC a organisé l'arrêt des promotions habituellement consenties aux grandes surfaces dans la période précédant les fêtes de fin d'année, comme en témoigne le communiqué publié dans l'édition du 8 novembre 1991 du Littoral de la Charente-Maritime sous le titre " Arrêt de la promotion dans les grandes surfaces ". La SRC y exposait le risque d'une rupture des stocks d'huîtres commercialisables au moment des fêtes de fin d'année et faisait connaître les mesures prises en ces termes: " A l'unanimité, les expéditeurs de Marennes-Oléron ont donc décidé l'arrêt total de toutes les opérations de promotion sur les huîtres à partir du 8 novembre 1991. " Il y était également fait mention d'une réunion tenue le 31 octobre 1991 entre les expéditeurs.

Ce communiqué ou l'information qu'il contient ont été reproduits et commentés dans différents journaux régionaux, notamment Ouest-France et Sud-Ouest, sous la forme de différents articles qui mettent en évidence le rôle moteur, dans la concertation mise en œuvre par les expéditeurs, de la SRC comme il ressort de la phrase suivante imputée à son président: " Nous avons provoqué une assemblée générale des expéditeurs et ils ont pris la décision qui s'imposait " (Ouest-France du 12 novembre 1991). La SRC a repris d'ailleurs clairement à son compte cette décision dans la lettre-circulaire signée par son président et publiée dans Le Littoral de la Charente-Maritime n° 4277 du 8 au 13 novembre 1991. En effet, cette lettre se conclut ainsi : " Evidemment, comme cela a été décidé lors d'une récente réunion professionnelle, toute forme de promotion avec les grandes surfaces doit être immédiatement arrêtée. "

Enfin, on peut lire dans un document à l'en-tête de la SRC de Marennes-Oléron en date du lundi 4 novembre 1991 versé au dossier: " Compte tenu de l'état des stocks de tous les bassins à l'élevage et des conditions d'approvisionnement, la section régionale conchylicole de Marennes-Oléron communique : pour éviter la rupture des stocks au moment des fêtes, les expéditeurs du bassin ont décidé à l'unanimité l'arrêt des promotions à partir du 8 novembre. "

Les entreprises présentes lors des réunions organisées par la SRC n'ont pas été identifiées.

Si d'autres réunions ont été tenues, notamment à l'initiative d'associations ou de syndicats professionnels, l'enquête n'a pas permis d'identifier les entreprises présentes, faute de déclarations précises ou de procès-verbaux exhaustifs, lorsqu'il en existe. Au cours de deux d'entre elles, les expéditeurs présents se seraient mis d'accord sur " une tendance de prix départ à 16 F " selon les déclarations d'un participant recueillies lors de l'enquête.

2. Les pratiques constatées au stade de la commercialisation

En général, les centrales d'achat de la grande distribution négocient pour leurs achats d'huîtres deux tarifs :

- un tarif annuel qui couvre la période allant de novembre à novembre;

- un tarif spécifique pour les fêtes de fin d'année dont les prix sont généralement moins élevés.

Les magasins de grande surface sensibilisent le consommateur à l'achat d'huîtres en programmant au début de l'automne des promotions sur ces produits, ce qui contribue à un certain étalement de la consommation.

Quatre acheteurs appartenant aux enseignes Auchan, Continent, Intermarché et Carrefour ont fait des constats identiques sur la difficulté des négociations, la tendance à la hausse des prix, l'homogénéité des tarifs constatés pour la campagne 1991-1992 et le refus des promotions opposé par les expéditeurs du bassin de Marennes-Oléron.

En ce qui concerne la hausse des prix, l'acheteur de la société Auchan a précisé aux enquêteurs: " Les prix proposés les années précédentes étaient caractérisés tant pour le tarif général que pour le tarif Noël par des différences de prix laissant la possibilité de négocier; or, force est de constater que cette année toutes les propostions étaient en hausse et d'une homogénéité remarquable. " Il ressort de ses déclarations qu'en 1990 le tarif général avait été fixé à 14,20 F-14,50 F pour des propositions faites entre 14 et 15 F et pour le tarif de Noël à 12,75 F, les propositions se situant entre 13 et 13,50 F le kilogramme. Pour l'année 1991, il souligne: " Les propositions de début octobre ont été faites à 16 F le kilogramme pour l'ensemble des fournisseurs de Marennes avec un écart de 0,50 F... Les propositions pour le tarif général ont été modifiées vers le 8-10 novembre à 16 F le kilogramme prix départ puis 16,50 F avec un écart de 1 F par conditionnement... Le prix définitif pour le tarif général 1991-1992 est donc de 16,50 F le kilogramme, prix départ. En ce qui concerne le tarif de Noël et contrairement aux années précédentes, il n'y a pas eu de propositions en baisse par rapport au prix du tarif général. " Les pièces remises par cet acheteur font apparaître une hausse des tarifs de quatre de ses fournisseurs à partir des 11 et 12 novembre 1991 et l'annonce de l'arrêt des promotions à compter du l1 novembre 1991 par l'un d'entre eux.

Ces déclarations et pièces mettent en évidence une modification des tarifs entre le 8 et le 12 novembre 1991. Cette date correspond à celle de la publication de la lettre-circulaire signée par le président de la SRC appelant à la majoration des tarifs ainsi qu'à celle fixée pour l'arrêt des promotions aux termes du communiqué de la SRC précité.

L'acheteur de la société Continent entendu le 11 décembre 1991 a également relevé la tendance à la hausse en cours de campagne:

" De plus nous vous signalons que la tendance des prix est orientée à la hausse. En effet, malgré des accords négociés de prix d'achat, nous recevons des modifications de prix à la hausse. "

En ce qui concerne l'existence d'une concertation et la mise en œuvre de l'action sur l'arrêt des promotions, l'acheteur de la société Auchan a déclaré aux enquêteurs : " Il est évident que la baisse de la production est une explication à la hausse des cours enregistrée cette année. Toutefois, cette baisse de production n'est pas la seule explication aux constats opérés sur les prix en 1991... Des informations circulent sur la tenue de nombreuses réunions pour l'établissement et la diffusion de barèmes de prix minimums... Selon mes informations, des expéditeurs ont subi les années précédentes et subiront encore probablement cette année des pressions, exemple, mazoutage des bassins pour empêcher des baisses de prix... En ce qui concerne les réunions évoquées plus haut, il est certain que les fournisseurs que j'ai eus au téléphone et que j'ai interrogés ont clairement reconnu la tenue de réunions qui avaient effectivement pour objet la mise en place d'une politique commune. "

L'acheteur de la société Carrefour a mis en évidence le rôle joué par la SRC : " Les acheteurs Carrefour ont eu le sentiment que les ostréiculteurs marennais étaient solidaires pour ne pas baisser leur prix; certains ostréiculteurs nous ont présenté comme argumentaire justifiant le fait qu'il n'y avait pas beaucoup d'huîtres, un document reprenant un communiqué de la SRC de Marennes-Oléron qui demandait aux ostréiculteurs d'arrêter les promotions à partir du 8 novembre 1991."

L'acheteur de l'enseigne Intermarché a indiqué aux enquêteurs le 13 décembre 1991 : " Début novembre, j'ai convoqué des ostréiculteurs de Marennes-Oléron... pour une prise de contact, pour les fêtes de fin d'année... Certains ostréiculteurs venus à notre convocation nous ont déclaré que durant le mois de novembre, il ne pouvait être envisagé d'opérations promotionnelles, du fait d'un manque possible de stocks pour les fêtes; cette décision d'augmentation des prix et donc d'arrêt des promotions faisait suite à une réunion des ostréiculteurs du bassin de Marennes-Oléron. "

L'acheteur de la société Continent a été également très précis sur l'effet des consignes données par la SRC : " Souhaitant obtenir des prix promotionnels d'achat pour des huîtres de Marennes dans le cadre d'une semaine spéciale coquillages, nous avons demandé à MC, pour cette période du 13 au 16 novembre, de nous faire des prix promotionnels d'achats sur des fines de claire en vrac... MC nous a indiqué qu'il baisserait ses prix pour cette promotion mais qu'il prenait des risques; en effet la section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron avait donné des instructions pour demander à tous les expéditeurs d'arrêter les promotions à partir du 8 novembre 1991. "

3. Les informations résultant des relevés de prix

Des relevés de facturation couvrant la période allant du mois de septembre 1991 au mois de mars 1992 ont été effectués dans dix entreprises d'expédition qui fournissent les enseignes précitées, le 11 mars 1992.

Les volumes commercialisés par cinq des dix établissements contrôlés représentaient entre 8 et 9 p. 100 de l'activité d'expédition assurée sur le bassin en volume.

Les constatations résultant des relevés de prix sont les suivantes :

- en septembre 1991, les prix sont encore relativement dispersés, et, si certains sont conformes à ceux définis lors des réunions d'expéditeurs selon les déclarations évoquées plus haut (facturations entre 16 et 18 F), d'autres correspondent à des promotions (facturations entre 13 et 15 F)

- en octobre 1991, une remontée générale des prix est constatée, aucun prix n'étant inférieur à 15 F et les facturations se situant le plus souvent entre 16 et 18 F;

- en novembre 1991, la quasi-totalité des facturations (71 sur 74) s'établit au-dessus de 16 F;

- en décembre 1991, sur 107 facturations, 103 sont au-dessus de 16 F, dont 49 à 17 F et 40 à 18 F.

Ces facturations portent sur des produits différents (spéciales ou fines de claires), de taille variable (grosses ou moyennes), conditionnées sous différents formats.

La tendance à la hausse, pour le consommateur final, ressort également des données issues du bilan 1991 établi par la Secodip pour le Fiom sur le marché de la conchyliculture, aux termes duquel il apparaît que le prix moyenn (PVC) de la douzaine d'huîtres (toutes catégories d'huîtres et tous bassins confondus) s'est élevé à 17,05 F (ce qui représente une progression de 8 p. 100 par rapport à l'année 1990).

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil

Considérant que la SRC de Marennes-Oléron a, à la suite de plusieurs réunions entre expéditeurs qu'elle a suscitées et par voie de lettres-circulaires adressées à l'ensemble des expéditeurs du bassin et de communiqués auxquels une large audience a été donnée puisque la plupart de ces documents ont été reproduits dans la presse locale ou spécialisée, fixé un prix-plancher des huîtres bénéficiant du label rouge, adressé des recommandations sur le niveau des prix des huîtres de Marennes Oléron devant être pratiqués à l'expédition, incité les expéditeurs à augmenter leurs tarifs en préconisant une fourchette d'augmentation des prix et organisé l'arrêt des opérations de promotion consenties aux grandes surfaces;

Considérant que l'action menée par la SRC visait à favoriser artificiellement la hausse des prix des huîtres à l'expédition pratiqués par l'ensemble des entreprises du bassin de Marennes-Oléron et à uniformiser leur politique commerciale; qu'en réunissant les expéditeurs pour leur faire mettre en œuvre des pratiques commerciales identiques et en leur diffusant des consignes de hausse de prix ou de prix minimum, la SRC avait pour objectif l'adoption par tous les expéditeurs du bassin d'une politique tarifaire commune; que cette action visait à faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu du marché et avait donc un objet anti-concurrentiel; qu'elle pouvait avoir pour effet de dissuader les expéditeurs de déterminer leurs tarifs en fonction de considérations propres à leur entreprise;

Considérant que la SRC de Marennes Oléron fait valoir que les pratiques qui lui sont reprochées ont eu pour seul objet la gestion des stocks; qu'elle indique également avoir voulu empêcher " le jeu de puissances d'achat qui obtiennent des conditions et des prix discriminatoires " ; qu'elle soutient que l'effet anticoncurrentiel des recommandations qu'elle a formulées n'est pas établi, compte tenu de la structure du marché, qui place les expéditeurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des acheteurs importants;

Mais considérant que la SRC de Marennes-Oléron s'est ainsi immiscée dans la politique tarifaire des entreprises sans que sa mission et son statut ne l'y autorisent; qu'en effet, la faculté de " formuler des recommandations en vue d'une bonne gestion des intérêts conchylicoles " reconnue aux sections régionales de conchyliculture ne peut être assimilée à un pouvoir d'intervention dans la fixation des prix des produits conchylicoles qui s'imposeraient alors aux entreprises; que sa mission ne peut la conduire à exercer une influence directe ou indirecte sur le jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession; que la pression sur les prix qui serait mise en œuvre par la grande distribution, à la supposer établie, n'autorisait pas la SRC à y répondre en mettant en œuvre une pratique concertée contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant qu'il ressort des relevés de prix opérés par les enquêteurs chez les expéditeurs que cette action a contribué à une uniformisation des prix en niveau et en évolution à la hausse; que ces relevés font ainsi apparaître à partir du mois d'octobre 1991 une dispersion des prix moins importante et une augmentation de leur moyenne; que les documents communiqués par la société Auchan démontrent une concomitance entre la date des actions menées par la SRC et celle des modifications tarifaires, notifiées par certains fournisseurs à cette enseigne; qu'en outre l'action de la SRC tendant à l'arrêt des promotions a conduit certains expéditeurs à se prévaloir explicitement de la décision prise par la SRC auprès de leurs clients pour modifier leurs pratiques commerciales habituelles et refuser effectivement les promotions en usage à cette période de l'année; que l'action de la SRC a contribué à accentuer artificiellement la hausse des prix, qui pouvait résulter de la baisse de production;

Sur l'application du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986

Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986: " Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques... dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ";

Considérant que si la SRC de Marennes-Oléron invoque le souci de protéger le consommateur en évitant la pénurie et en garantissant la qualité des huîtres, notamment " labellisées ", objectif qui serait contrarié par la pression à la baisse des prix exercée par la grande distribution, il n'est pas établi que les actions qu'elles a menées lors de la campagne 1991-1992 étaient indispensables pour atteindre l'objectif de progrès économique recherché, alors que d'une part, le risque de pénurie annoncé a été largement surestimé et que, d'autre part, la SRC dispose d'autres possibilités d'action telles que la réalisation de campagnes de promotions pour sensibiliser le consommateur aux spécificités gustatives présentées par l'huître de claire de Marennes-Oléron;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les pratiques mises en œuvre par la SRC de Marennes-Oléron constituent une action concertée tendant à faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu du marché, qui est donc prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sans qu'elles puissent bénéficier des dispositions de l'article 10 de ce même texte;

Sur les sanctions

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986: " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anti-concurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée "

Considérant que la gravité des faits imputables à la SRC de Marennes-Oléron résulte des actions qu'elle a menées à l'égard de l'ensemble des entreprises d'expédition du bassin dans le but de faire obstacle au libre fonctionnement du marché et à la libre détermination de leurs prix et de leur politique commerciale par les entreprises, y compris par la voie de menace de retrait de l'agrément du label rouge; que pour apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de tenir compte du fait que l'effet de ces actions a principalement consisté dans l'arrêt des promotions dans certaines grandes surfaces par quelques expéditeurs, l'élévation du prix moyen de l'huître constaté lors de cette saison ne pouvant être que partiellement imputé à l'action de la SRC; que ces pratiques n'ont été établies que pour la seule campagne 1991-1992;

Considérant que les cotisations professionnelles recouvrées par la SRC de Marennes-Oloron en 1994, dernier exercice connu, se sont élevées à 3 461 622 F; qu'eu égard à l'ensemble des éléments d'appréciation ci-dessus mentionnés il y a lieu d'infliger à la SRC de Marennes-Oléron une sanction pécuniaire de 25 000 F;

Considérant qu'il convient en outre d'empêcher, par voie d'injonction, le renouvellement de ces pratiques,

Décide:

Art. 1er. - Il est infligé à la section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron une sanction pécuniaire de 25 000 F.

Art. 2. - Il est enjoint à la section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron de s'abstenir de toute intervention dans la détermination du prix de vente de l'huître et dans la politique commerciale des entreprises d'expédition du bassin de Marennes-Oléron.

Art. 3. - Il est enjoint à la section régionale de conchyliculture de Marennes-Oléron d'adresser copie de la présente décision à ses membres dans un délai de deux mois à compter de sa notification.