Cass. crim., 24 juin 2003, n° 02-85.541
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Gailly
Avocat général :
M. Davenas
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Vincent, Ohl.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par N Jean, N Joseph, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre correctionnelle, en date du 2 juillet 2002, qui, pour tromperie, les a condamnés, chacun, à 8 000 euros d'amende et qui a prononcé sur les intérêts civils; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal, 459, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré N Joseph et N Jean coupables du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise et son identité par la livraison d'une marchandise autre que celle qui a fait l'objet du contrat, et les a condamnés de ce chef;
"aux motifs que la matérialité des faits, objet de la prévention pour le délit de tromperie, qui consistent en la livraison d'un téléviseur MX 6000 au lieu d'un téléviseur MX 7000, aux époux Schmit, Terrier, Irani et Boizeau ainsi qu'à Mme Lassere, est établie et reconnue par N Joseph et N Jean; que l'organisation spécifique par les deux prévenus, de leurs sociétés distinctes, mais regroupant des services communs, a constitué un obstacle à une gestion claire des commandes et des livraisons, et ne permettait pas de mettre en relation directe les modèles de téléviseurs commandés et ceux qui devaient être livrés; que cette organisation volontairement confuse, qualifiée de familiale par les prévenus, a empêché des contrôles de la part de la société Bang & Olufsen et a été la source des erreurs constatées au cours de l'instruction; que dès, lors l'élément intentionnel du délit de tromperie procède directement du fait personnel de chacun des dirigeants N Joseph et N Jean, dont la défaillance volontaire caractérise l'intention frauduleuse du délit de tromperie;
"alors, d'une part, que l'élément matériel de l'infraction de tromperie suppose un mensonge exprès ou tacite ayant pour objet de tromper le contractant acquéreur sur les qualités substantielles de la marchandise, objet du contrat, ou son identité; que, la seule erreur de livraison en l'absence de toute dissimulation, altération, soustraction ou substitution ayant pour objet de tromper le contractant ne saurait suffire à caractériser le délit de tromperie; qu'en l'espèce, en se fondant, pour caractériser l'élément matériel de l'infraction, sur le seul fait que les sociétés des prévenus avaient livré à cinq de leurs clients des téléviseurs MX 7000 aux lieu et place des MX 6000 achetés, alors pourtant que ces clients avaient les moyens de se rendre compte de l'erreur commise à la seule lecture du carton de garantie et du carnet d'utilisation des téléviseurs portant clairement l'indication du type de matériel livré, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision;
"alors, d'autre part, que le délit de tromperie doit, pour être punissable, résulter d'une intention de l'auteur de tromper le contractant acquéreur sur les qualités substantielles de la marchandise et son identité; qu'en l'espèce, les conventions en cause étaient des contrats de vente portant sur l'achat de téléviseurs MX 7000; que seuls les clients des sociétés de N Joseph et N Jean, s'étant fait livrer un téléviseur MX 6000 aux lieu et place du MX 7000 qu'ils avaient acheté, avaient la qualité de contractant susceptible d'avoir été trompé; qu'ainsi, le seul fait que l'organisation confuse du mode de livraison des sociétés des prévenus n'ait pas permis à la société Bang & Olufsen, distributeur des produits vendus par les sociétés des prévenus, d'exercer un contrôle approprié sur ces livraisons qui ne lui étaient pas destinées ne saurait suffire à caractériser l'intention des prévenus de tromper les clients ayant acheté les téléviseurs et qui avaient parfaitement les moyens de se rendre compte de l'erreur commise; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision;
"alors, enfin, que, N Joseph et N Jean, dans leurs conclusions régulièrement déposées, ont fait valoir l'absence de toute volonté frauduleuse de leur part, dès lors, qu'à chacune des livraisons en cause, les téléviseurs n'ont pas été d'une quelconque façon modifiés et qu'ont été remis au contractant le livret et le bon de garantie conformes à l'objet livré par erreur; que l'arrêt attaqué, en ne répondant pas à ce moyen péremptoire des conclusions des prévenus, mettant pourtant sérieusement en cause la moindre intention de leur part de tromper leurs clients, n'a donc pas donné de base légale à sa décision";
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article L. 213-1 du Code de la consommation; - Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les sociétés X et Y, distributeurs de matériel audiovisuel, ont livré, à cinq de leurs clients, des téléviseurs de qualité et de prix inférieurs à ceux qu'ils avaient commandés; que N Joseph et N Jean, dirigeants de ces sociétés, sont poursuivis pour tromperie sur les qualités substantielles des marchandises vendues;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de tromperie, l'arrêt attaqué retient que le seul fait d'avoir procédé à la livraison d'appareils différents de ceux qui avaient été achetés constitue l'élément matériel de l'infraction;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, qui ne caractérisent pas le procédé utilisé par les prévenus pour tromper ou tenter de tromper leurs cocontractants, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision; d'où il suit que la cassation est encourue;
Par ces motifs: casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 2 juillet 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.