CA Versailles, 3e ch., 5 avril 2002, n° 98-04339
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Team Georges Groine (SARL), Marques Eléonore, Gueguen et autres
Défendeur :
TSO (SA), Groupe Azur (Sté), CPAM du Puy-de-Dôme, Team Georges Groine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guirimand
Conseillers :
Mme Le Boursicot, M. Grandpierre
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Merle & Carena-Doron
Avocats :
Me Portejoie, SCP Elkaim.
Le 3 janvier 1996, lors du rallye Grenade-Dakar, le camion d'assistance piloté par Laurent Gueguen a pris feu après être parti en tonneaux, lors de l'étape Foum el Hassan/Smara au Maroc, au kilomètre 157. Laurent Gueguen a trouvé la mort dans cet accident, alors que les deux passagers, Vincent Baldin et Pascal Loudenot, ont réussi à sortir du véhicule en flammes, lequel a été entièrement détruit.
Le 5 septembre 1996, les ayants droit de M. Laurent Gueguen, aux motifs qu'il résultait des circonstances de l'accident, des constatations matérielles faites sur le camion et de l'étude des lieux, que le véhicule avait explosé sous l'effet d'une munition ou d'un arme enfouie à l'endroit de son passage, que les risques encourus par les concurrents étaient anormaux et qu'il y avait eu faute de l'organisateur de l'épreuve, la société TSO SA, ont fait assigner cette dernière, ainsi que son assureur, la compagnie d'assurances Groupe Azur, devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, afin de la voir déclarer seule et entièrement responsable de l'accident mortel dont avait été victime Laurent Gueguen et condamner en conséquence, sous la garantie de son assureur, à leur payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices, moral et économique, subis par chacun d'entre eux.
Le 28 novembre 1996, les ayants droit de Laurent Gueguen ont appelé en la cause la CPAM du Puy-de-Dôme pour que le jugement lui soit déclaré commun.
Le 25 février 1997, la SARL Team Groine et M. Pasca Loudenot ont à leur tour fait assigner la société TSO SA et la compagnie d'assurances Groupe Azur devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, pour que la SA TSO soit condamnée in solidum avec son assureur à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices matériel et économique.
Par jugement en date du 27 avril 1998, le Tribunal de grande instance de Nanterre a débouté les consorts Gueguen, la SARL Team Groine et Monsieur Pascal Loudenot de toutes leurs prétentions, a débouté la société TSO SA de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge des demandeurs.
Le 11 mai 1998, les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine et Monsieur Loudenot ont interjeté appel.
Par ordonnance d'incident provoqué par les appelants, en date du 8 octobre 1998, le conseiller de la mise en état a désigné Monsieur Viellard et Monsieur Hazan en qualité d'experts, avec pour mission notamment de donner leur avis sur les causes de l'éclatement du pneu du camion et, de manière générale, sur les causes de l'accident.
Les experts ont déposé leur rapport daté du 27 mars 2000.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 23 mars 2001, les appelants font valoir que le rapport d'expertise conclut clairement que la cause de l'accident est l'explosion d'une mine militaire, d'une munition piégée ou d'un engin explosif improvisé; que la responsabilité de la SA TSO est totale; qu'en effet, celle-ci ne peut invoquer la théorie de l'acceptation des risques à l'encontre de Laurent Gueguen que si elle constitue une faute de sa part; qu'en l'espèce, ce dernier n'a pris aucun risque anormal ou déraisonnable et n'a commis aucune faute; que la présence d'explosifs constitue un risque anormal; que la SA TSO ne cherche même pas à démontrer qu'elle aurait procédé à des vérifications quant à la présence d'explosifs; que la clause par laquelle la SA TSO se dégage de toute responsabilité pénale ou civile en cas d'accident matériel ou corporel est nulle comme contraire à l'ordre public: que la SA TSO a manqué de prudence et de diligence dans son organisation.
Les appelants soulignent les différents aspects des préjudices respectivement subis.
Ils demandent à la cour de:
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- déclarer nulle la clause exonératoire de responsabilité incluse dans le règlement du rallye,
- condamner la société TSO, sous la garantie de sa compagnie d'assurances groupe Azur à payer à:
1°) Monsieur et madame Roger Gueguen, la somme de 22 867,35 euros (150 000 F) chacun au titre de leur préjudice moral,
2°) Messieurs Bruno, Philippe, Yannick Gueguen, et Stéphanie Gueguen, la somme de 7 622,45 euros (50 000 F) chacun au titre de leur préjudice moral.
3°) Mesdames Gueguen et Gauttier, la somme de 6 097,96 euros (40 000 F) chacune au titre de leur préjudice moral,
4°) Madame Marques, la somme de 30 489,80 euros (200 000 F) au titre de son préjudice moral et celle de 152 449,02 euros (1 000 000 F) au titre de son préjudice économique,
5°) Madame Marques, ès qualités de représentant légal de sa fille mineure, Lisa, la somme de 30 489,80 euros (200 000 F) au titre de son préjudice moral et celle de 91 469,41 euros (600 000 F) au titre de son préjudice économique;
- et à leur payer la somme de 7 622,45 euros (50 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner la société TSO et la compagnie d'assurances Groupe Azur in solidum à payer à la SARL Team Georges Groine;
- la somme de 91 467,41 euros (599 986,85 F) HT en réparation de son préjudice matériel,
- la somme de 335 006,72 euros (2 197 500 F) en réparation de son préjudice commercial et économique,
- la somme de 303 043,19 euros (1 987 833 F) en réparation du préjudice subi du fait de la destruction du matériel transporté;
- condamner la société TSO et la compagnie "assurances Groupe Azur in solidum à payer à Monsieur Loudenot la somme de 2 943,94 euros (19 311 F) en réparation de son préjudice matériel,
- et ce, avec intérêts de droit,
- condamner in solidum la société TSO et le Groupe Azur à payer à la société Team Groine et Monsieur Loudenot la somme de 3 811 23 euros (25 000,30 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- les condamner in solidum en tous les dépens de première instance et d'appel.
La société TSO SA et la société Groupe Azur répondent que le rallye Grenade-Dakar est une épreuve sportive automobile à hauts risques, relevant d'un cadre juridique très particulier; que ces risques sont évidents et connus de tous les participants; que certes, les experts ont retenu que le retournement du camion était dû au fonctionnement d'un engin explosif, que néanmoins, même à supposer hautement probable hypothèse de l'explosion d'une mine, la présence fortuite et isolée d'un engin explosif ne pourrait engager la responsabilité de la SA TSO, qui n'avait qu'une obligation de moyens; qu'étant donné le contexte spécifique de l'épreuve sportive du Dakar, la clause d'exonération de responsabilité doit s'appliquer; qu'en effet, le risque généré par cette spécificité est impossible à éviter tant d'un point de vue matériel qu'organisationnel.
Subsidiairement, les intimées font valoir leurs observations quant au quantum des sommes réclamées par les appelants.
La société TSO SA et la société Groupe Azur demandent à la cour de:
- dire les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine Monsieur Loudenot mal fondés en leurs demandes,
- les en débouter,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine et Monsieur Loudenot à leur payer la somme de 7 622,45 euros (50 000 F) en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.
La CPAM du Puy-de-Dôme n'est pas représentée en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture a été signée le 7 février 2002, l'affaire plaidée à l'audience du 4 mars 2002.
Sur ce, LA COUR
Considérant que le rapport d'expertise de messieurs Hazan et Viellard, très documenté, précis et rigoureux présente toutes garanties de compétence et d'impartialité; que la cour fait siennes les conclusions de ce rapport;
Considérant que les experts concluent, en premier lieu, que le retournement et l'incendie du véhicule Mercedes, survenus le 3 janvier 1996 au cours du rallye Grenade-Dakar lors de l'étape Foum el Hassan/Smara au Maroc ne peuvent être dus à l'éclatement d'un pneu qui aurait été causé par un échauffement anormal ou au passage dans un trou; en deuxième lieu, que l'accident ne peut avoir été provoqué que par l'explosion d'un engin explosif: mine militaire, munition piégée ou engin explosif improvisé; en troisième lieu, enfin, que l'équipage de ce véhicule ne se trouvait pas à une distance anormale de la piste compte tenu du règlement et des pratiques de cette épreuve;
Considérant que, par conséquent, la cour retient que la cause de l'accident est l'explosion d'une mine militaire, d'une munition piégée ou d'un engin explosif improvisé, qui s'est produite lors du passage d'une des roues du camion piloté par Laurent Gueguen;
Considérant qu'il est de droit constant que l'organisateur d'activités sportives souscrit une obligation de sécurité envers les participants qui ont contracté avec lui, laquelle s'analyse en une obligation de moyens: que, des lors sa responsabilité ne peut être mise en cause que s'il est démontré qu'une faute lui est imputable dans la mise en œuvre de la sécurité due aux participants; que dans cette hypothèse, la clause contractuelle exonérant l'organisateur de toute responsabilité en cas d'accident corporel ou matériel ne pourrait donc être valablement opposée aux participants comme contraire à l'ordre public;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas discutable que l'épreuve automobile et motocycliste Grenade Dakar de janvier" 996 était un rallye raid, épreuve de vitesse, d'endurance et d'orientation, présentant de hauts risques connus de tous les participants, même s'il incombait à son organisateur de prévenir ces risques dans toute la mesure nu possible;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats par la SA TSO et jointes au rapport n'expertise que le parcours au rail e raid a fait l'objet d'une reconnaissance en octobre 1995 par l'organisateur e l'équipe permanente des officiels, accompagnés par les autorités marocaines, avant que le tracé de l'épreuve n'ait été rendu public en novembre 1995; que selon le descriptif produit, l'étape du 3 janvier 1996 reliant Foum el Hassan à Smara, se déroulait sur un terrain très difficile, caillouteux, abrupt et traversé par des oueds et des chotts, (affaissements de terrains résultant de la présence de nappes d'eau souterraines); que la piste avait été balisée par les militaires marocains au moyen de monticules de terre et de pierres dénommés "cairns"; que l'étape a été parcourue la vieille de l'épreuve, le 2 janvier 1996, par l'équipe dite d'ouverture, qui a signalé la présence d'un chott, à contourner par la gauche;
Considérant que c'est précisément en contournant ce chott, à 300 mètres de l'axe de la piste principale, que le camion est sorti de la piste;
Considérant que la société TSO justifie donc avoir fait procéder à la reconnaissance de l'étape de façon à assurer la sécurité des participants au rallye raid; que, par ailleurs, il n'est pas démontré par les appelants que la présence de mines sur le parcours choisi pour cette étape était sinon connue, du moins prévisible, en raison notamment d'incidents ou accidents antérieurs - de sorte que la SA TSO aurait dû alors se livrer à une recherche systématique d'engins explosifs. y compris à proximité de la piste; que la présence de la mine qui a probablement causé l'accident ayant provoqué la mort de Laurent Gueguen était fortuite et non prévisible; que dans ces conditions, la preuve d'un manquement de la SA TSO à son obligation de sécurité n'est pas rapportée; que par conséquent, les appelants ne sont pas fondés à invoquer sa responsabilité pour l'accident du 3 janvier 1996 et ses conséquences dommageables; que le jugement déféré qui a débouté les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine et Monsieur Loudenot de toutes leurs demandes sera donc confirmé;
Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à la société TSO SA et à la société Groupe Azur la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs: LA COUR statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Et y ajoutant: Déboute les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine et Monsieur Loudenot des fins de toutes leurs demandes; Condamne les consorts Gueguen, la SARL Team Georges Groine et M. Loudenot à payer à la société TSO SA et à la société Groupe Azur la somme globale de 1 500 euros sur le fondements de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne à tous les dépens d'appel, y compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés directement contre eux par la SCP Merle Carena Doron, société titulaire d'un office d'avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.