CA Paris, 13e ch. B, 22 mars 2000, n° 99-0266
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Conseillers :
M. Ancel, Mme Marie
Avocat :
Me Lequillerier.
Rappel de la procédure:
La prévention:
X est poursuivi pour avoir:
- à Paris, le 29 août 1996 et à Saint-Rémy-de-Provence, le 30 octobre 1996 fait souscrire à M. Voiffray et à Mme Blanc un engagement, en l'espèce un achat d'une ménagère et service à vaisselle par le moyen de réunions, de transactions effectuées dans un lieu non destiné à commercialisation, abusant ainsi de leur faiblesse ou de leur ignorance,
- à Paris de juillet 1995 à décembre 1997, après avoir démarché les victimes
Bourguignon, Elbeze, Vivier-Gérard, Neyron, Massart, Lemeur, Robin, Loreaux, Leunis, Lainez, Comte, Perosa, Gomes, Ravelli, Beaute, Dos Santos, Ferraz, Navacovicl, Maillet à leur domicile, exigé ou obtenu d'elles, directement ou indirectement, une contrepartie ou un engagement, en l'espèce le paiement d'un acompte
- à Paris de juillet 1995 à décembre 1997, après avoir démarché les victimes
Bourguignon, Elbeze, Vivier-Gérard, Neyron, Massart, Lemeur, Robin, Loreaux, Leunis, Lainez, Comte, Perosa, Gomes, Ravelli, Beaute, Dos Santos, Ferraz, Novacovici, Maillet, à leur domicile, appel téléphonique, remis un contrat ne comportant pas:
* la mention du nom du démarcheur, les modalités de livraison, la description
précise des biens offerts, les modalités de paiement
* la formule détachable destinée à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation
- à Paris de juillet 1995 à décembre 1997, effectué des ventes au déballage sans
autorisation
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire,
- a relaxé X des fins de la poursuite pour les faits qualifiés d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée, faits commis du 2 au 9 août 1996 au 30 octobre 1996 à Paris et à Saint-Rémy-de-Provence
- l'a déclaré
coupable de demande ou obtention de paiement ou d'accord avant la fin du délai de réflexion, faits commis de juillet 1995 à décembre 1997, à Paris, TN, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-26 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation
coupable de démarchage, sans contrat, à domicile ou dans un lieu non destiné au commerce du bien ou service proposé, faits commis de juillet 1995 à décembre 1997, à Paris, TN, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation
coupable de vente au déballage non autorisée, faits commis de juillet 1995 à décembre 1997, à Paris, TN, infraction prévue par les articles 31 §1 al. 1 2°, 27 de la Loi 96-603 du 05/07/1996, les articles 7, 8 du Décret 96-1097 du 16/12/1996 et réprimée par l'article 31 § 1 al. 1, al. 2 de la Loi 96-603 du 05/07/1996
et, en application de ces articles,
l'a condamné à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende délictuelle de 50 000 F
la condamné à payer les sommes de:
- 5 000 F à M. Bernard Bourguignon
- 16 800 F à M. Albino Dos Santos
- 16 800 F à M. Lemeur
- 5 000 F aux époux Leunis
- 3 800 F à M. Nicolas Massart
- 3 800 F à M. André Neyron
- 16 800 F à Mme Marie Françoise Ravelli
a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
- Monsieur X, le 2 décembre 1998 contre Monsieur Dos Santos Albino, Monsieur Bourguignon Bernard, Monsieur Neyron André, Monsieur Le Meur Hervé, Monsieur Leunis Georges, Madame Ravelli Marie-Françoise, Monsieur Massart Nicolas, décédé
- M. le Procureur de la République, le 2 décembre 1998 contre Monsieur X
Décision:
Rendue contradictoirement à l'égard de X, prévenu, de MM. Dos Santos, Le Meur, Leunis, Neyron, de Mme Ravelli, parties civiles - par défaut à l'égard de M. Bourguignon, partie civile
et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels du prévenu et du ministère public interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention;
X expose à la cour qu'il a pris ses fonctions non rémunérées dans l'entreprise familiale Y, pour apprendre le métier, qu'il était à peu près ignorant des méthodes de vente sur les marchés ainsi que dans les hôtels, qu'il n'était pas au courant des délais imposés pour la vente à domicile ou celles qui y sont assimilées, qu'il ne sait pas que le "phoning", l'appel fait aux clients par voie téléphonique est assimilé au démarchage, qu'il sollicite en conséquence l'indulgence de la cour en s'engageant à indemniser les victimes;
Le ministère public requiert de la cour une sanction énergique. Il expose que durant deux ans, il y a eu de nombreuses victimes à Paris et en province, que M ne semble pas s'être rendu compte de la gravité des faits qu'il laissait commettre;
Dos Santos Albino, Le Meur Hervé, Leunis Georges, Neyron André et Marie-Françoise Ravelli exposent à la cour dans quelles conditions ils ont été contactés par téléphone, rabattus dans des hôtels périphériques, mis en condition par de longues séances guidées par un meneur de jeu et des complices, se faisant passer pour le directeur d'une entreprise de Limoges ou le directeur d'une cristallerie;
A partir du mois d'octobre 1996, l'attention des services de la DGCCRF était attirée par de nombreuses plaintes dénonçant les pratiques commerciales de la SARL C située <adresse>à Paris et gérée par X, ses vendeurs proposant des articles de la table (cristal et porcelaine) et d'aménagement de la maison sur les marchés et les foires ou dans des salons loués dans des hôtels;
Seize plaignants expliquaient qu'ils avaient été appelés au téléphone par une hôtesse de la société Y qui leur avait annoncé qu'ils avaient gagné une montre et une assiette en porcelaine de Limoges de collection et que ces cadeaux leur seraient remis lors d'une exposition exceptionnelle de vaisselle en porcelaine de Limoges effectuée dans un salon d'hôtel;
Ayant accepté de s'y rendre, ils recevaient un carton d'invitation sur le verso duquel figuraient les photographies desdits cadeaux et une lettre leur indiquant la date, l'heure et le lieu précis de l'exposition où ils devaient venir en couple pour retirer les cadeaux;
Les couples étaient accueillis dans le hall de l'hôtel par une hôtesse à laquelle ils devaient remettre obligatoirement leur carte d'invitation, ils recevaient les deux cadeaux précités et des rafraîchissements leur étaient distribués;
Ils étaient alors introduits dans un salon où de la vaisselle était exposée sur une grande table centrale. Les femmes étaient invitées à être devant, leur mari étant placé derrière elles. Le représentant de la société Y vantait l'origine, la notoriété et le procédé de fabrication et précisait que le directeur de l'usine de Limoges avait fait exprès le voyage pour être présent à l'exposition;
La présentation de la vaisselle se faisait sous forme de jeu de questions/réponses sur la valeur des objets exposés ou sous forme de tirage au sort, le numéro de l'assiette offerte au début étant reporté sur un carton de jeu. A chaque réponse, bonne ou mauvaise, il était offert des cadeaux en cristal (un seau à champagne, six verres à vin, six verres à eau et un coffret à whisky);
Dans une ambiance euphorique, l'animateur annonçait que l'ensemble de la verrerie valait 44 680 F. Il attirait ensuite l'attention de son public sur un service en porcelaine de 72 pièces d'une valeur de 28 200 F. Ce service devait impérativement être personnalisé par le marquage des initiales de chacun en or 18 carats, les initiales coûtant sur chaque pièce 250 F. La valeur totale était de 90 880 F. Les couples présents étaient alors impressionnés de recevoir en cadeau la totalité de la verrerie et de ce service et de ne payer que la gravure de leurs initiales. Ils acceptaient alors de signer un bon de commande de 16 800 F et de payer immédiatement un acompte de 3 800 F et ce d'autant qu'ils étaient restés debout pendant la présentation qui durait en moyenne 2 heures;
Tous les plaignants indiquaient qu'ils avaient compris qu'ils avaient gagné les services de 72 pièces et qu'ils n'avaient à payer que la personnalisation du service;
Hervé Le Meur précisait: " le responsable de la réunion nous comblait d'une avalanche de cadeaux destinés à faire connaître la cristallerie Z ... ";
Albino Dos Santos expliquait qu'ayant répondu à plusieurs questions, on lui avait dit qu'il avait gagné des cadeaux à emporter le jour même (seau à champagne, verres ...);
Georges Leunis et André Neyron parlaient de tirage au sort et de sélection de gagnants dans l'assistance: "le bonimenteur posait comme question "qui est prêt à faire graver ses initiales si nous lui faisons cadeau de tout ?" " Nous avons pratiquement tous levé la main d'autant qu'il avait indiqué que la valeur globale du cadeau était de 100 000 F;
Marie-Françoise Ravelli indiquait "la lumière était vive, la chaleur était étouffante et l'animateur s'agitait sans cesse, posant des questions sur la "table" et remettant des cadeaux à chaque réponse";
Lorsqu'ils avaient réalisé qu'ils étaient "tombés dans un piège" et qu'ils demandaient l'annulation du contrat, la société Y répondait que la vente devait être considérée comme ferme et définitive en application des conditions de vente portées sur le bon de commande; qu'ils ne pouvaient revenir sur cette commande, la fabrication du service avec leurs initiales étant en cours;
X déclarait qu'il ignorait que le "phoning" pouvait être assimilé à du démarchage puisqu'il louait des salons pour faire une démonstration de vente des produits exposés; que tous les clients qui s'étaient plaints avait été remboursés;
Or, l'opération qui consiste à inviter une personne par téléphone à venir retirer un lot dans un salon d'hôtel loué pour réaliser des ventes est soumise aux dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation relatifs au démarchage à domicile, dès lors que venu dans ce lieu, le client y a été l'objet d'offres de ventes;
En l'espèce, MM. Bourguignon, Dos Santos, Le Meur, Leunis, Massart, Neyron et Madame Ravelli, démarchés par téléphone, se sont rendus dans les différents salons d'hôtel loués par la société Y pour retirer les cadeaux qu'ils avaient gagnés et assister à une présentation "exceptionnelle" de porcelaine de Limoges et se sont vu offrir à la vente des services de porcelaine gravés à leurs initiales;
Ils ont tous signé des bons de commande ne comportant pas le nom du démarcheur, les modalités de livraison, la désignation précise de la vaisselle vendue, les modalités de paiement et la faculté de renonciation ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté (bordereau détachable de rétractation);
En outre, ils ont payé immédiatement un acompte;
Les infractions aux dispositions relatives au démarchage à domicile sont donc constituées;
Les opérations commerciales d'exposition vente d'articles de vaisselle en porcelaine constituent des opérations de vente au déballage;
Ainsi, en réalisant des opérations commerciales de vente au déballage sans avoir obtenu les autorisations requises, M a commis l'infraction reprochée de ce chef;
Sur l'action civile,
Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier la décision attaquée qui a fait une exacte appréciation du préjudice subi par les parties civiles et découlant directement de l'infraction;
Par ces motifs, LA COUR: Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de X prévenu, de MM. Dos Santos, Le Meur, Leunis, Neyron, de Madame Ravelli, parties civiles, par défaut à l'égard de M. Bourguignon, partie civile; Reçoit les appels du prévenu et de la partie civile; Confirme le jugement déféré sur la culpabilité de X; Infirmant sur la peine; Le condamne à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans avec obligation de respecter les dispositions de l'article 132-45 5° du Code pénal; Confirme le jugement déféré en ses dispositions civiles; Y ajoutant; Condamne X à payer à MM. Dos Santos, Le Meur, Leunis, Neyron, à Madame Ravelli la somme de 1 000 F en application de l'article 475-l du CPP; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.