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Décisions

Cass. crim., 21 septembre 1994, n° 93-83.218

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Souppe (faisant fonction)

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, SCP Le Bret, Laugier, Me Hémery.

TGI Douai, ch. corr., du 28 févr. 1992

28 février 1992

LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1, 4 et 10 de la loi du 24 janvier 1984 :

" en ce que l'arrêt a décidé que le délit d'exercice à titre de profession habituelle des opérations de banque est établi à l'encontre des époux L ;

" aux motifs qu'effectivement, les époux L n'ont pas procédé à des opérations de crédits dans leurs relations avec les marchands forains qui négociaient les meubles provenant de la société D, mais que la prévention est plus large puisqu'il leur est reproché par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction d'avoir "illicitement effectué à titre de profession habituelle des opérations de banque, notamment des opérations de crédit" ; or, il résulte de l'information et notamment de leurs aveux, des charges suffisantes d'avoir effectué à titre de profession habituelle la gestion à titre onéreux de moyens de paiement, c'est-à-dire des chèques qui leur étaient remis par les marchands forains ; qu'en effet ils leur en remettaient la contrepartie en argent liquide sous la condition mentionnée ci-dessus et moyennant une commission et les encaissaient pour le compte de leur société ; que ce premier délit est donc établi à leur encontre ;

" alors qu'en vertu des articles 1 et 10 de la loi du 24 janvier 1984, la gestion à titre habituel des moyens de paiement est interdite à toute personne autre qu'un établissement de crédit ; qu'il s'agit aux termes de l'article 4 de la même loi de la gestion de tout instrument qui, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé, permet à toute personne de transférer des fonds ; que n'entre pas dans cette qualification, la cession d'une créance échue ; que dès lors, en l'espèce, ayant constaté que les forains remettaient aux époux L des chèques sans indications de bénéficiaire perçus auprès de leurs propres clients, afin qu'ils soient encaissés par la société D et que les forains recevaient en contrepartie de l'argent liquide, ce dont il résultait que l'opération consistait simplement en une cession échue faite par les forains de la société D, la cour d'appel ne pouvait décider que les époux L étaient coupables d'avoir effectué des opérations de banque ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que Nicole P et son mari Pierre L, respectivement président et directeur commercial de la société D, négociant en produits d'ameublement, sont poursuivis pour avoir illégalement effectué des opérations de banque, délit prévu et réprimé par l'article 75 de la loi du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des opérations de crédit ;

Attendu que pour les déclarer coupables de ce délit, la cour d'appel énonce que les prévenus, moyennant une commission, ont versé en espèces aux marchands forains, vendeurs à domicile de la marchandise fournie par la société D, le montant de chèques tirés par des acheteurs sans indication de bénéficiaire, contre remise de ces chèques ; que les juges relèvent en outre que les prévenus exigeaient des vendeurs un billet d'engagement de remboursement dans le cas où l'effet serait impayé ; qu'ils en déduisent que les époux L, qui encaissaient les chèques, ont procédé à titre habituel à la gestion de moyens de paiement, opération de banque interdite à toute autre personne qu'un établissement de crédit ;

Attendu qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;

Qu'en effet, la pratique du versement d'espèces contre la remise de chèques au porteur caractérise la gestion de moyens de paiement, opération de banque visée à l'article 1er de la loi du 24 janvier 1984 ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 1er de la loi du 22 décembre 1972, devenu article L. 121-21 du Code de la consommation, 485 et 567 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt a décidé que les époux L étaient coupables d'infractions à la loi du 22 décembre 1972 sur le démarchage à domicile ;

" aux motifs qu'il n'est pas contesté que les marchands forains qui vendaient à des particuliers les meubles de la société D n'ont pas respecté la loi sur le démarchage à domicile ; que le Tribunal de Douai a relevé plusieurs éléments concordants qui lui ont permis de conclure à bon droit qu'il existait entre les prévenus et les marchands forains un lien de subordination et de dépendance et que les prévenus avaient donc fait pratiquer le démarchage à domicile dans des conditions réprimées par l'article 5 de la loi du 22 septembre 1972 ; que ce lien de dépendance est confirmé par le comportement des prévenus lorsque des incidents de paiement se produisaient avec les acheteurs de meubles de leur société ; qu'en effet, les marchands forains, qui auraient dû intervenir s'ils avaient agi à titre indépendant, ne le faisaient pas et que c'était les époux L eux-mêmes qui, soit déposaient plainte contre les acheteurs, soit les menaçaient de poursuites correctionnelles ;

" alors qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 22 décembre 1972 (devenu L. 121-21 du Code de la consommation), est soumis aux dispositions de ladite loi quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage à domicile ; qu'en vertu de ce texte, le fournisseur est responsable pénalement du démarchage effectué irrégulièrement par ses salariés ou ses représentants ; qu'en revanche, un grossiste ne peut être responsable pénalement des irrégularités commises par ses clients quand ils revendent les produits ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que la remise des chèques en blanc à la société D était seulement une facilité accordée aux forains qui en usaient à leur seule discrétion, que les forains disposaient d'une totale indépendance pour revendre les marchandises achetées à la société D, que celle-ci ne donnait aucune directive ni n'exerçait aucun contrôle sur les modes de prospection de la clientèle (à domicile ou sur les marchés), sur les conditions financières de la revente et les modalités de paiement, sur les zones et catégories de clientèles prospectées ; que par ailleurs il n'était pas davantage contesté que les forains n'avaient aucune obligation d'achat et que si la société D écoulait la plus grande partie de sa production à des forains, elle ne bénéficiait d'aucune exclusivité d'approvisionnement susceptible de les placer dans un état de dépendance à son égard ; qu'il en résultait que les forains n'étaient ni les salariés ni les mandataires de la société D ; que dès lors en statuant par les motifs précités qui n'établissaient pas que la société D pratiquait ou faisait pratiquer le démarchage à domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que des marchands forains ont, sans établir de contrat ni accorder de délai de réflexion, vendu du mobilier à divers acquéreurs au domicile desquels ils s'étaient présentés ; que les époux L, dirigeants de la société D, fournisseur de la marchandise vendue, sont poursuivis pour infractions à la loi sur le démarchage à domicile ;

Attendu que pour rejeter les conclusions des prévenus qui soutenaient n'avoir aucun lien contractuel avec les acquéreurs démarchés par des commerçants de détail indépendants, et les déclarer coupables du délit, la cour d'appel énonce que les marchands forains commercialisaient la marchandise pour le compte de la société D à l'égard de laquelle ils se trouvaient en situation de subordination et de dépendance ;

Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs procédant d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.