CA Paris, 4e ch. B, 15 mai 1998, n° 95-12718
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Virbac (SA)
Défendeur :
Mérial (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Forestier, Antoine.
La société Virbac SA a interjeté appel d'un jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 11 avril 1995 rendu dans un litige l'opposant à la société Rhône Mérieux, SA (actuellement dénommée Merial).
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants.
Virbac, société spécialisée dans la fabrication de produits vétérinaires, commercialisait un produit antiparasitaire aérosol dénommé Defendog. Lors du Congrès National Annuel des Vétérinaires qui s'est tenu à Paris en novembre 1993, des chercheurs salariés de la société Rhône Mérieux ont donné connaissance des recherches portant sur un produit parasitaire Fipronil (nom de la molécule de ce produit) en le comparant aux produits existants, essentiellement celui de Virbac, désigné à plusieurs reprises sous le nom de son composant (perméthrine) et une fois sous son nom commercial Defendog, et en affirmant la supériorité du Fipronil.
Estimant que par cette communication, publiée dans les comptes rendus du congrès, Rhône Mérieux avait eu un comportement déloyal, Virbac l'a fait assigner par acte de 22 décembre 1993 devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir, outre des mesures de publication, paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts et de celle de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Rhône Mérieux avait conclu au rejet de cette demande et sollicité paiement de dommages intérêts.
En cours de procédure, Rhône Mérieux a obtenu l'AMM pour son produit qu'elle a commercialisé en juin 1994 sous le nom de Frontline. Elle a repris dans des documents publicitaires certaines des analyses comparatives exposées lors du congrès des vétérinaires.
Le tribunal, par le jugement déféré, a rejeté l'ensemble des demandes et a condamné la société Virbac à payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Virbac, appelante, poursuit la réformation du jugement. Elle expose que son adversaire a commis des actes de concurrence déloyale en critiquant de manière fautive son produit dans la communication (à objet essentiellement commercial selon elle) faite au congrès des vétérinaires, et reprise dans un article distribué à tous les participants. Elle lui fait également grief de s'être livrée à une publicité comparative illicite lors du lancement du produit :
- dans une brochure commerciale où Rhône Mérieux reprenait la comparaison entre les deux produits pour conclure à la supériorité du sien, sans, certes, désigner Defendog mais celui-ci étant immédiatement identifiable puisqu'il était le seul sur le marché,
- à l'occasion d'une conférence de presse tenue le 10 juin 1994 au cours de laquelle il était renvoyé aux communications de " M. Jeannin et autres de novembre 1993 ".
Elle relève en outre qu'une lettre du 30 mai 1994 que lui a adressée Rhône Mérieux en se référant à " la législation sur la publicité comparative " constituerait l'aveu par cette société de la faute commise ;
Elle demande à la cour que Rhône Mérieux soit condamnée pour ces agissements fautifs à lui payer à titre de dommages intérêts provisionnels à compléter après l'expertise la somme de 300 000 F, que l'arrêt soit diffusé dans dix publications aux frais de la société Rhône Mérieux.
Rhône Mérieux conclut à l'irrecevabilité de la demande fondée sur la publicité comparative, qu'elle estime avoir été formulée pour la première fois en appel. Sur le fond, elle conclut à son mal fondé et à la confirmation du jugement pour le surplus, sauf sur les dommages intérêts. Formant appel incident de ce chef, elle sollicite de la cour la condamnation de Virbac au paiement de la somme de 300 000 F pour procédure abusive.
Chacune des parties revendique le bénéfice à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'il ne saurait être fait droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée par Merial dès lors que, par écritures du 7 janvier 1995, Virbac avait déjà saisi les premiers juges d'une demande fondée sur la publicité comparative illicite en raison de la diffusion d'une brochure en 1994 lors du lancement du produit Rhône Mérieux, en invoquant les dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;
Considérant que pour soutenir que Rhône Mérieux a eu un comportement déloyal, dans l'article critiqué intitulé " Efficacité d'une formulation " Pump Spray " d'un nouvel insecticide, le Fipronil, contre la puce (ctenocephalides felis) chez le chien ", Virbac incrimine essentiellement les passages suivants :
" Essai clinique terrain.
L'objectif de cet essai était de comparer l'efficacité de la formulation " Pump Spray " de Fipronil (0,25) à la posologie de 3 ml/kg par rapport à celle d'un produit de référence Defendog, déjà commercialisé et revendiquant deux mois d'activité résiduelle contre les puces " (p. 132) ;
" Sur le critère pourcentage des chiens sans puce, l'excellente activité du produit expérimental a été confirmée par rapport au produit de référence dans l'essai clinique terrain. Ainsi 93 % de chiens traités avec le produit expérimental étaient sans puce 30 jours après traitement contre 73 % pour les chiens traités avec le produit de référence. Vers la fin du 2e mois, ces pourcentages étaient de 61 % et de 21 % respectivement pour le produit expérimental et le produit de référence. " (p. 137) ;
" Nous avons mis en évidence l'excellente activité curative et résiduelle de la formulation " Pump Spray " de Fipronil (0,25) à la posologie de 3 ml/kg et sa nette supériorité par rapport au produit de référence (permethrine 2 %) utilisé à la posologie de 5 ml/kg et revendiquant deux mois d'activité résiduelle " ;
Considérant que l'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir estimé que " les publications faites au congrès vétérinaire de novembre 1993 ont un caractère scientifique qui l'emporte sur le caractère publicitaire, les publications litigieuses étant principalement distribuées aux participants et non diffusées largement dans la profession " alors que, selon elle, les " participants de ce congrès sont des vétérinaires praticiens client des deux laboratoires " ;
Considérant cependant que si toute communication faite lors d'un congrès de professionnels s'adresse à des clients potentiels, il ne résulte pas de l'examen du texte litigieux que celui-ci (antérieur de huit mois à la mise du produit sur le marché) ait eu des fins essentiellement commerciales, et n'ait pas au contraire constitué au premier chef, comme l'ont justement retenu les premiers juges, une communication scientifique, destinée à faire connaître au public concerné des progrès réalisés dans le domaine de la santé animale ;qu'il est constant que Defendog ayant été jusque-là, pratiquement le seul antiparasitaire sous forme d'aérosol, il était l'élément de référence évident et même nécessaire pour les professionnels qui l'identifieraient pareillement par la désignation de son nom commercial ou de son composant, la permethrine 2% ;
Considérant qu'il est en outre important de relever que l'exactitude des informations communiquées, qui est affirmée par Rhône Mérieux n'est nullement contestée par Virbac qui ne prétend ni ne démontre que ces informations auraient été présentées de manière tendancieuse, incomplète ou non objective ;
Que dans ces conditions et étant noté que la présentation de toute innovation implique qu'il soit fait référence à l'état de la technique et aux solutions connues pour décrire les progrès recherchés et réalisés, le grief de concurrence déloyale formé par Virbac à l'encontre de Rhône Mérieux a été très juste titre repoussé par les premiers juges ;
Considérant que, sur le terrain de la " concurrence illicite ", Virbac reproche à Merial d'avoir diffusé une brochure commerciale qui aurait repris la comparaison du produit Frontline et d'un produit de référence à 5 ml/kg, en affirmant que Frontline avait une supériorité clinique, alors que le produit de référence était immédiatement identifiable comme étant Defendog ;
Qu'elle lui fait encore grief d'avoir diffusé cette brochure publicitaire sans l'avoir avisée préalablement, contrairement aux dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, une lettre ne lui ayant été envoyée que le 30 mai 1994 ;
Considérant que selon les dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, la publicité comparative est licite si, lorsqu'elle met en comparaison des biens ou services en utilisant soit la citation ou la représentation de la marque de fabrique, de commerce et de service d'autrui, soit la citation ou la représentation de la raison sociale ou de la dénomination sociale, du nom commercial, ou de l'enseigne d'autrui, elle est " loyale, véridique " et si elle n'est pas " de nature à induire en erreur le consommateur " ;
Mais considérant que si, dans la brochure incriminée, Defendog, quoique non cité était identifiable par les professionnels, la publicité concernée reposait comme il a été vu, sur des données dont la valeur scientifique et l'objectivité de l'exposé ne sont pas discutées par Virbac ;qu'il s'ensuit que les résultats des analyses des produits ayant été présentés de manière objective, la publicité faite par la brochure ci-dessus mentionnée est licite ;que les griefs se rapportant à la conférence de presse au cours de laquelle les mêmes données ont été citées doivent pareillement être rejetés ;
Considérant qu'il convient encore de relever que si l'article L. 121-12 du Code de la consommation impose à l'annonceur, avant toute diffusion, de communiquer la publicité comparative aux professionnels visés, " dans un délai au moins égal à celui exigé, selon le type de support retenu, pour l'annulation d'un ordre de publicité ", il ne peut utilement être fait reproche à Rhône Mérieux d'avoir méconnu ce texte ; que Virbac n'établit pas en effet avoir subi un préjudice spécifique résultant du défaut de cette formalité (la publicité étant reconnue licite sur le fond) alors que le texte précité ne prévoit pas de sanction civile propre au défaut d'accomplissement de ladite formalité et que l'appelante ne démontre pas au surplus que la brochure publicitaire litigieuse aurait été diffusée antérieurement à l'envoi de la lettre du 30 mai 1994 ;
Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande de dommages intérêts formée par Merial pour procédure abusive, n'étant pas démontré que Virbac aurait agi de mauvaise foi ou avec la volonté de nuire ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Merial la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR Confirme le jugement entrepris.