CA Rouen, 2e ch., 7 décembre 2000, n° 99-00924
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
KBC Lease France (Sté)
Défendeur :
Femel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bignon
Conseillers :
M. Perignon, Mme Brumeau
Avoués :
SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, Me Couppey
Avocat :
Me Velly.
Faits et procédure:
Par contrat en date du 6 février 1997, la société Cofigest a mis à la disposition de la "Cafétéria la colombe", exploitée par Mme Femel, un matériel téléphonique "publiphone à pièces" de marque Pegasus, loué auprès le société KBC Lease France, exerçant sous l'enseigne "Socréa KBC Lease" (ci-après société Socréa).
Après livraison du matériel le 17 février 1997, Mme Femel a cessé de régler les loyers à compter du mois de juin 1997.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la société Socréa a notifié la résiliation du contrat à Mme Femel.
Par acte du 27 mars 1998, la société Socréa a assigné Mme Femel en paiement et en restitution du matériel. Invoquant l'inobservation des dispositions du Code de la consommation, Mme Femel a demandé le prononcé de la nullité du contrat et la restitution des sommes versées.
Par jugement rendu le 27 mars 1998, le Tribunal de commerce de Rouen, après avoir retenu que la société Socréa avait volontairement rendu contractuels les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation, a:
- prononcé la nullité du contrat pour inobservation de l'article L. 121-23 du Code de la consommation,
- condamné la société Socréa à rembourser à Mme Femel la somme de 1 881,36 F,
- dit que Mme Femel devra tenir à disposition le matériel,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté Mme Femel de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné la société Socréa à payer à Mme Femel la somme de 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Socréa a interjeté appel de cette décision.
Prétentions et moyens des parties:
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 4 septembre 2000, la société Socréa, qui expose que le contrat de location litigieux avait un rapport direct avec l'activité de Mme Femel, soutient que cette dernière ne peut invoquer la méconnaissance des dispositions du Code de la consommation. Elle prétend que la seule référence aux articles L. 121-23 à L. 121- 26 du Code de la consommation portée dans les conditions générales de location n'indique pas sa volonté de lui soumettre le contrat en contradiction avec la loi et fait valoir que le contrat litigieux est un contrat type pré-imprimé, présenté tant à des consommateurs qu'à des professionnels et que dans le cas où, comme en l'espèce, le signataire du contrat est un professionnel, les dispositions précitées sont sans objet.
Elle conclut donc à l'infirmation du jugement entrepris, et à la condamnation de Mme Femel à lui payer la somme de 22 475,23 F, avec les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 mars 1998, celle de 8 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, celle de 7 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à lui restituer le matériel sous astreinte de 2 000 F par jour de retard à compter du second jour suivant la signification de l'arrêt.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 8 août 2000, Mme Femel invoque les motifs du jugement ayant retenu qu'en les reproduisant au contrat de location, la société Socréa a volontairement rendu contractuels les articles L. 121-3 à L. 121-26 du Code de la consommation. Elle fait valoir en outre qu'en l'espèce, commerçante en restauration, elle se trouve vis-à-vis d'un matériel téléphonique, dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur. Elle conteste l'existence d'un rapport direct entre son activité de restauration et le contrat concernant un appareil téléphonique pouvant être mis en place dans tout lieu ouvert au public.
Elle conclut donc à la confirmation du jugement. Invoquant la faute commise par la société Socréa en la poursuivant en justice et le préjudice en résultant, elle demande la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts.
Sur ce, LA COUR:
Attendu que, selon l'article L. 122-22 du Code de la consommation, les contrats de ventes, de locations ou locations ventes de biens qui ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation commerciale ne sont pas soumis aux dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-29 du même Code;
Attendu, en l'espèce, que le contrat de location litigieux a été souscrit par Mme Femel sous son enseigne commerciale "Cafétéria la colombe"; que l'usage de ce matériel téléphonique devant être utilisé avec des pièces est manifestement réservé aux clients de l'exploitation; que le contrat est donc en rapport direct avec l'activité exercée par Mme Femel, peu important qu'elle ait ultérieurement précisé que le matériel ne lui était d'aucune utilité, faute de clientèle suffisante;
Qu'en principe, le contrat signé par un commerçant pour les besoins de son commerce et qui un rapport a direct avec son activité ne relève pas de la législation sur le démarchage;
Attendu, cependant, qu'aucune disposition légale n'interdit à un professionnel de soumettre à cette législation les contrats qu'il conclut avec d'autres professionnels;
Attendu, en l'espèce, que les parties ont conclu le contrat litigieux "aux conditions générales et particulières suivantes, definies sur le présent contrat qui comporte quatre pages";
Que, selon l'article 1er, "les clauses, conditions et obligations définies dans le présent contrat sont indivisibles";
Qu'après l'énonciation de 18 clauses, ce contrat reproduit, sous l'intitulé "Code de la consommation", les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 de ce Code;
Qu'en revanche, le texte de l'article L. 121-22 du même Code, qui fait échapper à la législation protectrice des consommateurs les contrats conclus avec des professionnels, n'est pas reproduit;
Que les premiers juges ont exactement déduit de l'ensemble de ces clauses claires et précises que la société Socréa a expressément soumis le contrat litigieux à la législation sur le démarchage applicable aux consommateurs; qu'il n'est pas démontré que Mme Femel a expressément renoncé à s'en prévaloir;
Attendu qu'il résulte de l'article L. 121-23 du Code précité que le contrat doit, notamment, comporter, à peine de nullité, le prix global et les modalités de paiement;
Que le contrat litigieux, produit par Mme Femel, ne comporte pas le prix global de l'opération;
Que le tribunal en a exactement déduit que ce contrat était nul; Attendu que la société Socréa a produit aux débats un exemplaire du contrat qu'elle a complété postérieurement à sa conclusion afin de le rendre conforme aux dispositions de l'article L. 121-23, 6°, du Code de la consommation et le faire échapper à la nullité encourue;
Qu'en poursuivant ainsi une procédure dans des conditions blâmables, la société Socréa a commis une faute et causé un préjudice à Mme Femel que la cour a les éléments pour évaluer à la somme de 10 000 F;
Par ces motifs: LA COUR Confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rouen le 27 mars 1998, sauf en celle de ses dispositions ayant débouté Mme Femel de sa demande de dommages-intérêts; Et statuant à nouveau sur ce point: Condamne la société Socréa KBC Lease à payer à Mme Femel la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts; Laisse les dépens de l'instance d'appel à la charge de la société Socréa avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.