Cass. com., 21 mars 1995, n° 92-21.477
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Menson
Défendeur :
Galerie Charles André Bailly (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Lacan
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
Me Foussard, SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 1992) que M. Menson, conseil en publicité, a conclu une convention d'achat d'espaces, pour une durée d'un an à compter du 1er octobre 1988, avec la société Galerie Charles et André Bailly (la société Bailly) ; qu'une nouvelle convention a été signée le 6 octobre 1989, pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 1990, renouvelable par tacite reconduction ; que, le 5 janvier 1990, la société Bailly a informé M. Menson qu'elle entendait rompre le contrat si les frais techniques mis à sa charge, estimés par elle exorbitants, n'étaient pas alignés sur la moyenne des frais usuellement pratiqués ; qu'à la suite de la rupture du contrat, le 30 janvier 1990, par la société Bailly, M. Menson a assigné cette dernière en paiement ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches : - Attendu que M. Menson reproche à l'arrêt d'avoir refusé de lui allouer une quelconque indemnité à raison de la brusque rupture du contrat, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en cas de contrat à durée indéterminée l'auteur de la rupture doit respecter un délai de préavis fixé à défaut de convention, par les usages ; qu'à supposer même que le contrat type invoqué par M. Menson n'ait pas été applicable, de toute façon les juges du fond devaient rechercher si un délai de préavis ne devait pas être respecté par la société Bailly en vertu des usages et si cette société, faute d'avoir respecté le préavis, n'était pas redevable de dommage et intérêts à l'égard de M. Menson ; d'où il suit que l'arrêt attaqué est privé de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du Code civil ainsi que des règles régissant les contrats à durée indéterminée ; et alors d'autre part, qu'indépendamment des stipulations du contrat type ou même des usages, les juges du fond ne pouvaient statuer comme ils l'ont fait sans rechercher si, du point de vue de la bonne foi qui doit présider aux relations contractuelles, la brusque rupture de la convention ne pouvait être considérée comme procédant d'un abus de droit et si, à ce titre, M. Menson ne pouvait obtenir des dommages et intérêts ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué est privé de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du Code civil ainsi que des règles régissant les contrats à durée indéterminée ;
Mais attendu que l'arrêt a condamné la société Bailly à verser une indemnité à M. Menson en réparation du préjudice qu'avait occasionné à ce dernier " la brusque rupture du contrat " ;que le moyen est donc inopérant en chacune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Menson reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, qu'en dehors même du manque à gagner qu'ils ont entendu réparer par l'allocation d'une indemnité de 700 000 F, les juges du fond auraient dû rechercher si la rupture de la convention n'était pas à l'origine de pertes et de l'obligation où M. Menson s'est trouvé de fermer son agence à la suite de la rupture du contrat et si, de ce chef, M. Menson ne pouvait prétendre à une réparation complémentaire ; d'où il suit qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1137, 1147 et 1187 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas limité au manque à gagner sur les commissions le principe d'indemnisation de M. Menson, a souverainement apprécié l'étendue de son préjudice par l'évaluation qu'elle en a faite ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Bailly reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Menson une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans les contrats à durée indéterminée, chacune des parties peut résilier unilatéralement le contrat sans avoir à justifier d'un motif légitime, mais simplement en respectant un préavis raisonnable ; que dès lors, en estimant que la rupture du contrat serait fautive en raison de l'absence de " motif légitime ", l'arrêt a violé l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à qualifier la rupture du contrat de " brusque rupture ", sans caractériser cette brusquerie, et sans rechercher si l'avertissement donné à M. Menson le 5 janvier 1990, avant la résiliation du contrat le 30 janvier suivant, et l'absence de réponse de M. Menson à cet avertissement n'étaient pas exclusifs de toute brusquerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, que n'est pas constitutif d'une faute, mais relève d'une exception d'inexécution, le fait pour un annonceur d'avoir mis un terme à un contrat d'achat d'espaces publicitaires le liant à un publicitaire qui lui facturait des frais techniques dont le montant n'était pas déterminé par le contrat, sans apporter le moindre justificatif sur leur montant, laissant sans réponse la demande de justification de l'annonceur ; qu'il en va ainsi, nonobstant l'absence de demande de justification de ces frais par l'annonceur, dans le cadre du contrat précédemment conclu entre les parties ; qu'en décidant le contraire, l'arrêt a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que, par une appréciation souveraine, la cour d'appel a décidé que la société Bailly ne rapportait pas la preuve du caractère excessif des frais techniques facturés par M. Menson ; qu'elle a pu en déduire que, l'exigence formulée dans la lettre du 5 janvier 1990 étant injustifiée, la résiliation opérée par la lettre du 30 janvier 1990 avait constitué une brusque rupture du contrat, peu important le délai écoulé entre ces deux correspondances ; qu'elle a ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant relatif à l'absence de motif légitime, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.