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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 2 mai 1996, n° 11314-93

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carat MCI (SA)

Défendeur :

Monroe France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Frank, Boilevin

Avoués :

SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Keime & Guttin

Avocats :

SCP Flambard, Me Meunier.

T. com. Pontoise, du 30 sept. 1993

30 septembre 1993

I - RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROÇEDURE

Depuis 1988, la société Monroe France a confié à l'agence Poilpre & Associés la charge d'exécuter ses campagnes de promotion et de publicité ainsi que de procéder à l'achat d'espaces publicitaires audiovisuels.

Le 5 août 1991, Monroe a conclu un contrat avec Poilpre, pour une durée de 17 mois, commençant le 1er août 1991, au terme duquel l'agent de publicité avait pour mission de fournir les prestations suivantes :

" conseil, recommandations média, simulation de campagne TV, média planning, achats et bilans de campagne grand média : TV, presse, radio ".

Dans ce cadre, Poilpre a demandé à Monroe d'établir des lettres accréditives du 22 Novembre 1991, du 16 janvier et 14 février 1992, au bénéfice de la société Grands Espaces Conseils (désignée ci-après GEC), pour l'achat d'espaces publicitaires audiovisuels.

Après déduction de deux avoirs d'un montant de 93 758,99 F, le volume des insertions publicitaires acquises par GE Conseils s'est élevé à 6 087 549,60 F TTC.

Il n'est pas contesté que la GEC a effectivement réglé aux régies des chaînes audiovisuelles :

- la facture n° 1030 du 31 mars 1992 pour un montant de 5 129 950,79 F venant à échéance le 10 mai 1992,

- la facture n° 1108 du 30 avril 1992 pour un montant de 1051 357,80 F arrivant à échéance le 10 juin 1992.

Lorsque GEC a voulu à son tour, se faire régler par l'agence Poilpre, elle s'est heurtée à la procédure de liquidation judiciaire frappant cette dernière depuis le 20/07/1992.

A la suite de l'assignation formée par GEC devant le Tribunal de commerce de Pontoise, celui-ci, le 30 septembre 1993, a déclaré que la subrogation, prévue par l'article 1251-2 du Code civil n'était pas applicable en l'espèce aux motifs :

- que la centrale d'achats GEC a toujours reconnu avoir facturé à la société Poilpre la somme de 6 087 549,60 F et qu'elle n'a pas fait valoir cette créance sur Monroe ;

- que de plus, il n'existait pas de mandat, en sens de l'article 1999 du Code civil, entre Monroe et GEC Conseils.

En conséquence, le tribunal de commerce a débouté la société Carat Grands Espaces, qui est venue aux droits de la société Grands Espaces Conseils (GEC), de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à Monroe la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Le 22 octobre 1993, la société Carat Grands Espaces a interjeté appel de la décision entreprise.

II - THESES EN PRESENCE

En premier lieu, l'appelante soutient que le paiement de 6 087 547,60 F opéré par Monroe entre les mains de la société Poilpre, ne revêt pas un caractère libératoire, vis-à-vis de l'appelante.

En second lieu, l'appelante affirme que les lettres accréditives du 22 novembre 1991, du 16 janvier et du 14 février 1992, signées par Monroe, qui fondent l'existence d'un lien contractuel direct, l'ont mandaté directement auprès de plusieurs chaînes de télévision pour l'achat d'espaces publicitaires;

En troisième lieu, l'appelante a été subrogée dans les obligations de la société Monroe, dès lors que, conformément à l'article 1251 du Code civil, la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt à l'acquitter.

En quatrième lieu, pour répondre à l'augmentation adverse, l'appelante expose que, suivant une ordonnance du 5 avril 1995, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société Poilpre, rectifiant une erreur matérielle, indique que la créance de l'appelante est admise pour 5 714 212,30 F à titre chirographaire, au passif de la société Poilpre. Quant à la Compagnie d'assurance Namur, ayant un contrat avec l'appelante pour couvrir les défaillances de ses clients, elle est admise au passif de la société Poilpre en sa qualité de subrogée dans les droits et actions de l'appelante.

En conséquence, l'appelante demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de condamner l"intimée à lui verser 6 087 549,60 F TTC avec les intérêts légaux à compter du 25 août 1992 ainsi que 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

L'intimée s'attache à réfuter l'argumentation de son adversaire en soutenant :

1 - que les lettres accréditives n'ont pas pour effet de créer un lien de droit entre l'annonceur et la centrale d'achat, et qu'en conséquence il ne peut y avoir de mandat entre l'intimée et l'appelante.

2 - L'intimée soutient à titre subsidiaire que l'extinction par paiement de la créance revendiquée interdit à GEC de se prévaloir d'une subrogation en application de l'article 1251 du Code civil, disposition qui ne pouvait jouer qu'entre l'agence de publicité Poilpre et son mandataire direct GEC.

En conséquence SA Monroe rejette le principe de solidarité entre les débiteurs découlant des lettres accréditives invoqué par l'appelante, lequel ne pourrait jouer qu'en faveur du seul créancier - les régies publicitaires des chaînes de télévision - ; l'intimée déduit également que l'engagement de Monroe serait éteint en tout état de cause du fait de l'extinction de la créance elle-même.

En conséquence, l'intimée sollicite de la cour la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à verser une amende civile de 10 000 F.

En outre, l'intimée demande la condamnation de l'appelante à lui payer 300 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 1996 et l'affaire a été examinée le 19 mars 1996.

III - SUR CE, LA COUR :

A°) SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR

Considérant que la SA Monroe France entend renoncer à ce moyen soulevé le 28/10/1994, dès lors que par conclusions signifiées le 3 janvier 1995, l'appelante a justifié de la garantie partielle exécutée par son assureur Namur et, en conséquence, a réduit sa demande principale à hauteur de 5 662 549,60 F TTC;

Qu'il y a lieu de lui donner acte ;

B°) SUR L'OBLIGATION PRINCIPALE DE MONROE FRANCE

Considérant que Monroe France a conclu le 05/08/1991 un contrat synallagmatique en contre-partie des prestations d'ingénierie publicitaire mis à la charge de l'agence Poilpre; elle devait en régler le prix.

Qu'il n'est pas contesté que Monroea eu satisfaction et qu'en conséquence elle a régulièrement procédé au paiement des factures suivantes émises par Poilpre & Associés, y compris pour ce qui est des achats d'espaces :

- facture du 31 Octobre 1991 (n° 8920) pour un montent brut de 5 978 190 F HT, ramenée à 5 081 461,50 F HT, compte tenu de l'abattement de 15 % consenti par les régies publicitaires, soit 6 026 613,33 F TTC, réglée par chèque le 10 janvier 1992.

- facture du 23 mars 1992 (n° 8996) pour un montant de 18 720,40 F HT et de 22 202,39 F TTC, réglée par chèque le 8 mai 1992.

Considérant qu'il convient de constater que dans ses rapports avec Poilpre, l'intimée a exécuté ses obligations, de bonne foi, alors même que l'agence créancière qui devait par la suite régler les régies publicitaires des chaînes audiovisuelles, par l'intermédiaire de GEC (Grands Espaces Conseils devenu Carat MCI), ne l'a pas fait suite au jugement de liquidation le 20/07/1992, qui l'a frappée ;

Que sauf à prétendre, comme le fait GEC dans le cadre de la présente instance, que les lettres accréditives signées par Monroe France en sa faveur constitueraient un mandat direct et exclusif ou qu'à la suite du règlement des factures émises par les régies, GEC se trouverait subrogée dans les droits de ces dernières, l'obligation primordiale de Monroe est éteinte par son paiement ;

Que le premier juge doit être confirmé sur ce point ;

C°) SUR LA NATURE DES RELATIONS ENTRE GRANDS ESPACES CONSEILS ET MONROE FRANCE

C.1. La portée des lettres accréditives

Considérant que la lettre accréditive, pratique courante dans les relations avec les supports publicitaires, a pour seul objet de garantir à ceux-ci le paiement des espaces achetés par les agences ou les centrales d'achat accréditées;

Que Grands Espaces Conseils n'en disconvient d'ailleurs pas dès ses conclusions de première instance :

" Attendu qu'en signant les lettres accréditives dont s'agit, l'annonceur ne pouvait ignorer qu'il donnait sa garantie personnelle au paiement de l'espace publicitaire acheté sur les chaînes de télévision destinataires de la lettre accréditive. " (page 3)

Et encore :

" Qu'en réalité, ce sont les supports qui exigent des agences de publicité de tels engagements afin de pouvoir, en tant que de besoin, recourir à l'encontre des annonceurs, en cas de défaillance des intermédiaires ". (page 4)

Considérant que la lecture des lettres accréditives signées entre le 22/11/1991 et 14/02/1992, lesquelles font renvoi aux " conditions générales de ventes et techniques " des chaînes audiovisuelles, connues et acceptées par l'annonceur, ne créent à la charge de ce dernier qu'une obligation subsidiaire de paiement direct dans le seul cas où la régie du support audiovisuel n'est, elle, pas payée;

Que cela résulte clairement de la condition n° 3 du cahier des charges de TF1 versé au dossier qui stipule que l'annonceur ... demeure " en tout état de cause solidairement responsable envers TF1 Publicité du paiement des ordres de publicité " ;

Que les conditions générales de vente de FR3 - Antenne 2 sont tout aussi explicites; qu'elles stipulent, d'ailleurs sous la rubrique " conditions techniques de paiement ", que le paiement effectué à l'intermédiaire (en l'occurence GEC) " ne libère pas l'annonceur vis-à-vis du régisseur " ;

Qu'il s'agit de clauses imposées uniquement en faveur de la chaîne audiovisuelle ou de son émanation, la régie, stipulation qui, à défaut d'accord exprès et préalable, ne peuvent, par simple analogie, être étendues aux rapports établis entre l'annonceur et ses intermédiaires ;

Considérant enfin que les lettres accréditives litigieuses qui ne précisent aucune condition de rémunération au profit de GEC, ne peuvent être qualifiées de contrat passé directement entre cette centrale et l'annonceur, Monroe France ;

Que les lettres accréditives n'ont pour seul but que d'autoriser la Centrale d'achat d'espaces à se prévaloir d'un droit de présentation et de faire connaître le nom de l'annonceur aux chaînes audiovisuelles, conformément aux conditions générales de ventes de celles-ci, lesquelles sont incluses dans un contrat d'adhésion dans le cadre duquel la garantie de paiement n'a été stipulée qu'à leur seul profit ;

Que sur ce premier moyen le tribunal doit être confirmé ;

C.2. Sur la nature du contrat de Grands Espaces Conseil (GEC)

Considérant que dans ses conclusions d'appel, Grands Espaces Conseils fait encore valoir que :

" les lettres accréditives ont eu pour effet unique de mandater spécifiquement la centrale d'achat d'espaces aux fins d'acheter au nom et pour le compte de Monroe France auprès des chaînes de télévision précisément dénommées dans chacune desdites lettres, l'espace défini par la campagne publicitaire imaginée par l'agence de publicité ".

Que cette affirmation est, tout d'abord, contredite par les stipulations du contrat conclu le 5 août 1991 entre Monroe France et Poilpre & Associés, qui à l'article I A et III A met à la charge de l'agence de publicité, exclusivement, l'achat d'espace audiovisuel ;

Considérant en outre que les achats d'espace ont été facturés à Monroe France par Poilpre & Associés en son nom et pour son compte (pièces cotées FM 4, FM 5 et FM 6) ;

Que l'article VI du contrat, prévoit non seulement une rémunération spécifique au profit de Poilpre, mais réserve également au bénéfice de Monroe France la " rétrocession de la totalité des conditions commerciales obtenues, hors commission centrale de 596 sur le net ", que cette stipulation expresse exclut l'existence d'un quelconque mandat dès lors que dans ce cas, le mandat aurait bénéficié de plein droit des conditions commerciales obtenues par le mandataire ;

Que les juges consulaires ont pu à bon droit relever :

" Qu'il est donc ainsi établi qu'un lien contractuel existait entre la société Monroe France et la société Poilpre & Associés;qu'au terme de ce lien contractuel, la société Poilpre & Associés faisait son affaire de l'achat d'espace pour le compte de la société Monroe France ".

Qu'en effet, en contractant avec les régies publicitaires des chaînes de télévision, en son nom et pour le compte de son commettant, la centrale d'achat s'est comportée elle-même comme un commissionnaire de l'agence de publicité Poilpre, à qui elle a facturé;

Que d'ailleurs le directeur financier de Carat TV, par une attestation du 26/06/1992 certifie que GEC a procédé à des achats d'espaces audiovisuels sur " La 5 ", pour l'insertion des messages publicitaires Monroe ;

Qu'en conséquence, GEC s'est exactement conformée à la définition du commissionnaire prévue à l'article 94 du Code de commerce, en réglant personnellement les chaînes audiovisuelles ou leurs régies, tiers-vendeurs d'espaces ;

Qu'au contraire, si l'appelante, comme elle le prétend à tort, avait été un simple mandataire elle n'aurait pas mené les négociations d'un bout à l'autre jusqu'au règlement sur ses propres deniers, mais serait seulement intervenue pour faire prendre cet engagement par son mandataire ;

D°) SUR LA SUBROGATION INVOQUEE

Considérant qu'à titre subsidiaire, Grands Espaces Conseils fait valoir qu'elle serait subrogée dans les droits de créance des supports au titre des lettres accréditives ;

Que d'une part, l'appelante ne démontre pas au dossier qu'elle entre dans les prévisions des articles 1249 et suivants du Code civil ;

Que d'ailleurs l'extinction de la créance desdits supports audiovisuels ou des régisseurs, payés par Grands Espaces Conseils interdit à celle-ci de se prévaloir d'une subrogation dans leurs droits ;

Considérant d'autre part qu'aux termes des lettres accréditives, l'engagement de Monroe France à l'égard des régies publicitaires, n'était qu'accessoire à celui de Grands Espaces Conseils ;

Qu'ainsi, comme toute obligation accessoire ou solidaire, les lettres accréditives signées par Monroe France se sont trouvées sans objet du fait de l'extinction de l'obligation principale qu'elles avaient pour seul objet de garantir en faveur des chaînes audiovisuelles ou de leurs régies ;

Qu'en conséquence, Grands Espaces Conseils ne peut, à aucun titre, bénéficier d'une subrogation dans les droits des supports pour exercer un recours contre Monroe France et obtenir le remboursement du prix des espaces télévisés qu'elle a réglés, en sa qualité de commissionnaire ;

Que la seule créance dont Grands Espaces Conseils puisse se prévaloir est celle dont elle est titulaire à l'égard de Poilpre & Associés, agence de publicité avec laquelle elle avait contracté et dont elle ne peut que subir la défaillance ;

Que dans ces conditions, il échet de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

E°) SUR LES AUTRES DEMANDES

Considérant que l'appelante qui succombe au principal sera déboutée de toutes ses demandes accessoires ;

Qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée, les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour faire valoir ses intérêts en appel;

Qu'il échet en conséquence d'octroyer à la société Monroe France la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit la SA Carat MCI - venant aux droits de la société Grands Espaces Conseils - en son appel, régulier en la forme, Le dit mal fondé, Confirme le jugement entrepris (92 F 04772) en toutes ses dispositions ; Condamne la SA Carat MCI à verser à la SA Monroe France la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires, comme irrecevables ou mal fondées ; Condamne la SA Carat MCI aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par la SCP Keime et Guttin, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.