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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 10 février 2000, n° 1998-04888

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Store Circelli (EURL)

Défendeur :

Mariotti (ès qual.), Anaconba France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Coleno, Vergne

Avoués :

SCP Nidecker-Prieu, SCP Sorel-Dessart-Sorel

Avocats :

SCP Larroque, Rey, Mellorat Birkhol, SCP Lassus, Ndome-Manga-Lassus.

T. com. Montauban, du 9 sept. 1998

9 septembre 1998

FAITS ET PROCEDURE

Suivant bon de commande en date du 21 novembre 1996, l'EURL Le Store Circelli a souscrit auprès de la SARL Anaconba à une double insertion publicitaire dans l'" annuaire bleu " du Tarn et Garonne de mars 1997, annuaire téléphonique distribué gratuitement à domicile et dans les entreprises par La Poste, pour le prix de 63 893,88 F TTC.

En paiement, elle a remis un chèque de 13 893,88 F, une lettre de change de 17 500 F au 20.03.97, et deux lettres de change de 16 250 F chacune aux 20.04 et 20.05.97.

Constatant que la parution n'était pas faite au mois de mars 1997, l'EURL Le Store Circelli a bloqué le paiement des deux derniers effets.

Suivant acte d'huissier en date du 12 juin 1997, l'EURL Le Store Circelli a fait citer la SARL Anaconba France devant le Tribunal de commerce de Montauban en résolution du contrat et dommages-intérêts.

L'annuaire a été reçu par le centre de diffusion de La Poste le 3 juillet 1997 et distribué entre le 11 et le 18 juillet 1997 sur le département.

Par le jugement déféré en date du 9 septembre 1998 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a débouté l'EURL Le Store Circelli de ses demandes et l'a condamnée à payer à la SARL Anaconba France les sommes de 32 697,78 F outre intérêts, 5 000 F à titre de dommages-intérêts et 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pendant le cours de l'instance en appel, le 2 février 1999, la SARL Anaconba France a fait l'objet d'un jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, ensuite convertie en liquidation judiciaire le 23 mars 1999. Me Mariotti, représentant des créanciers, Me Savenier, administrateur judiciaire, puis Me Mariotti en qualité de mandataire liquidateur, sont successivement intervenus volontairement à l'instance.

DEMANDES DES PARTIES

PRETENTIONS DE L'EURL LE STORE CIRCELLI

Aux termes de conclusions signifiées le 24 décembre 1998, l'EURL Le Store Circelli conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la cour :

- de prononcer la résolution du contrat pour inexécution par la SARL Anaconba France de ses obligations, et d'ordonner la restitution des sommes de 13 893,88 F et 17 500 F, outre intérêts de droit à compter de l'assignation,

- de condamner la SARL Anaconba à lui verser la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causé l'inexécution.

Elle réclame une somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient que:

- s'agissant de l'annuaire " MARS 1997 ", il n'était pas besoin de stipuler un délai de livraison qui allait de soi, d'autant plus que l'annuaire jaune des PTT ne paraît qu'en septembre, ce qui, eu égard à son activité et sa composante saisonnière, constituait un avantage qui a été déterminant de la souscription du contrat, et dont la perte constitue le préjudice ;

- qu'en outre, la parution publicitaire commandée n'a pas même été faite en rubrique " stores " mais en rubrique " transfusion sanguine ".

PRETENTIONS DE LA SARL ANACONBA FRANCE

Aux termes de conclusions signifiées le 2 novembre 1999, la SARL Anaconba France représentée par son mandataire liquidateur a conclu à la confirmation de la décision entreprise et, par voie d'appel incident, à l'allocation d'une somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice occasionné par la résistance abusive de l'EURL Le Store Circelli.

Elle réclame une somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient que seul un retard de deux mois peut lui être reproché, qui, en l'absence de la stipulation d'un délai de rigueur, ne justifie pas la résolution du contrat. Plus, elle considère que l'assignation, délivrée au moment même où l'annuaire paraissait, début juin 1997, est manifestement abusive.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu qu'aux termes de l'article 1184 du Code civil, c'est aux tribunaux qu'il appartient d'apprécier si l'inexécution partielle des obligations est suffisamment grave pour que la résolution soit prononcée, ou si elle ne sera pas suffisamment réparée par une condamnation à dommages-intérêts ;

Attendu qu'il est vrai que le bon de commande ne fait apparaître rigoureusement aucune stipulation afférente aux délais d'exécution ;

Que les conditions générales de vente n'en font pas non plus état ;

Attendu que toutefois, il faut admettre, compte tenu de la nature même de son objet, désigné par l'intitulé l'" Annuaire Bleu, Tarn et Garonne Mars 1997 ", et non pas simplement " 1997 ", que la parution devait intervenir au mois de mars, a priori même début mars ;

Que la publicité versée aux débats, intitulée " Enfin l'autre annuaire! " annonce du reste en gros caractères " SORTIE MARS 1997 " ;

Que ces éléments imposent de considérer que cette date est bien entrée dans le champ contractuel, et que la SARL Anaconba ne peut, de bonne foi, se prévaloir du silence sur ce point des documents contractuels qu'elle a elle-même élaborés ;

Attendu que c'est par une série de glissements successifs que la SARL Anaconba, qui prétend avoir averti verbalement le client dès l'origine que l'annuaire ne serait vraisemblablement diffusé qu'" aux environs du mois d'avril ", se prévaut d'un retard limité à deux mois en affirmant que la distribution a été faite début juin 1997, et en se contentant de produire à cet égard un " document justificatif de la réalisation des droits de douane et de la TVA " sur lequel apparaît une date d'entrée en France au 7 juin 1997 ;

Que la SARL Anaconba, qui, pour démontrer la mauvaise foi qu'elle impute à l'EURL Le Store Circelli, prétend dans ses conclusions avoir informé ses clients de la parution imminente de l'annuaire au mois de mai 1997, n'en apporte pas la preuve ;

Qu'elle produit seulement une lettre (un " mailing ") en date du 11 juin remerciant ses clients de l'accueil qu'il réserveront à la réception de l'annuaire, s'excusant du retard apporté à la distribution ;

Qu'en réalité, il résulte du compte-rendu de distribution de l'annuaire bleu versé aux débats par l'EURL Le Store Circelli, émanant du centre de diffusion postale de Montauban, non discuté par l'intimée, que les 88 488 exemplaires de l'annuaire n'ont été reçus que le 3 juillet, et ont été diffusés sur le département entre le 11 et le 18 juillet 1997 ;

Qu'il en résulte en réalité un retard de 4 mois,du double donc de celui reconnu ;

Attendu que la mauvaise exécution du contrat est ainsi certainement établie, et que c'est à tort que la SARL Anaconba tente de se prévaloir du concept mou de délai raisonnable ;

Que la société actuelle de communication se contente mal de retards aussi importants sur des produits de communication expressément et précisément datés, comme c'est le cas d'espèce ;

Que l'EURL Le Store Circelli était fondée à refuser le retard constaté à la fin du mois d'avril, qui peut être valablement considéré comme la fin du délai raisonnable dans le cas d'espèce, et qu'il n'y a eu nul abus de sa part à délivrer une assignation le 12 juin, alors qu'elle n'avait probablement pas même reçu le mailing daté du 11 juin, lequel anticipait d'ailleurs d'un mois entier la distribution effective de l'annuaire;

Attendu que l'EURL Le Store Circelli n'est ni précisément ni utilement critiquée lorsqu'elle soutient que cette exécution tardive lui est préjudiciable dans la mesure où son activité revêt bien par nature un certain caractère saisonnier;

Attendu qu'il n'est pas sérieux, de la part de la SARL Anaconba, qui se pose expressément dans sa publicité en concurrent des Pages Jaunes de La Poste, de faire grief à l'EURL Le Store Circelli de n'avoir pas pris la précaution de doubler sa commande d'une insertion dans cet annuaire de La Poste ;

Qu'elle n'est pas non plus recevable à se prévaloir des choix économiques qui la poussent à faire imprimer son annuaire au Canada plutôt qu'en France, et des délais supplémentaires qui en résultent ;

Attendu que l'EURL Le Store Circelli, à laquelle est opposée l'exécution néanmoins faite de la convention, est également fondée à se plaindre par surcroît de la mauvaise exécution de sa commande pour ce qui concerne l'encart cartonné qui lui a coûté la somme considérable de 50 000 F HT, dont la SARL Anaconba a omis de s'expliquer ;

Que, suivant en cela une logique pour le moins élémentaire, le bon de commande stipulait l'insertion de cet encart en rubrique store ;

Que l'examen de l'annuaire litigieux fait apparaître que ledit encart se trouve en réalité inséré trois feuillets au-delà du commencement de la rubrique STORE et deux feuillets au-delà de la rubrique Store, parmi les toilettage de chien, traiteurs, transfusion sanguine et divers transports;

Attendu que les conditions générales de vente stipulent, sur la mise en page des annonces, que " les annonces hors colonne sont entièrement soumises aux nécessités de la mise en page. En fonction de leur format, ces annonces seront placées le plus près possible de leur classement d'origine qui sera matérialisé par une ligne de renvoi mentionnant la page de parution de l'annonce " ;

Attendu que l'examen de l'annuaire fait apparaître qu'en rubrique Stores en colonnes, l'EURL Le Store Circelli se trouve insérée, en lettres de couleur noire, entre " Montauban décors services " et " Style Décor ", toutes deux en couleur rouge et suivies de la mention " voir annonce page de droite " et " voir annonce ci-dessous " ;

Que ces deux concurrents disposent dans les deux pages ouvertes, d'annonces hors colonne remplissant pour l'une une page entière, pour l'autre un tiers de page ;

Qqu'il faut donc quitter la rubrique Stores et aller chercher trois feuillets plus loin, ce que l'annonce en colonnes ne mentionne pas et n'invite donc pas à faire, pour trouver l'encart cartonné de l'EURL Store Circelli ;

Attendu qu'il en résulte une violation caractérisée des conventions, et un net désavantage publicitaire pour l'EURL Le Store Circelli;

Attendu que la parution effectivement opérée ne rattrape donc pas le retard, et l'accumulation de ces deux mauvaises exécution justifie pleinement l'action en résolution intentée par l'EURL Le Store Circelli;

Que, par voie de réformation, il y sera fait droit ;

Attendu, sur le préjudice, que l'EURL Le Store Circelli ne produit pas d'éléments d'appréciation précis à l'appui de sa demande de dommages-intérêts ;

Que, compte tenu des éléments de la cause, son préjudice sera exactement réparé par une indemnité de 10 000 F ;

Attendu que, eu égard à la procédure collective ouverte pendant le cours de l'instance, la cour ne peut que fixer les créances qui résultent de la présente instance au profit de l'EURL Le Store Circelli, dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture ;

Attendu enfin que l'EURL Le Store Circelli ne justifie pas avoir dû payer les condamnations prononcées par le premier juge, de sorte qu'il ne peut être prononcé " en tant que de besoin " sur ce point ;

Attendu, sur les demandes accessoires, qu'il suit nécessairement de la décision qui précède que celles de la SARL Anaconba qui succombe et sera tenue des dépens doivent être rejetées ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge la totalité des frais non inclus dans les dépens que l'EURL Le Store Circelli a dû exposer pour faire reconnaître son droit;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel recevable en la forme, Le dit bien fondé, infirme la décision déférée en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, Prononce la résolution, sur le fondement des dispositions de l'article 1184 du Code civil, du contrat d'insertion publicitaire du 21 novembre 1996 (et non 1997) souscrit par l'EURL Le Store Circelli auprès de la SARL Anaconba France ; Fixe en conséquence la créance de l'EURL Le Store Circelli au passif de la SARL Anaconba France aux sommes suivantes : - 13 893,88 F et 17 500 F, avec intérêts de droit à compter du 12 juin 1997 à titre de restitution ; 10 000 F à titre de dommages-intérêts ; - 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ; Condamne la SARL Anaconba France aux entiers dépens de l'instance, en ce compris ceux exposés tant devant la Cour d'appel de Toulouse qu'en première instance et reconnaît, pour ceux d'appel, à la SCP Nidecker & Prieu-Philippot, avoué qui en a fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.