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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 5 juin 2002, n° 2000-15952

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kimail (SARL)

Défendeur :

Cerruti 1881 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mme Magueur, M. Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Bommart Forster, SCP Narrat Peytavi

Avocats :

SCP Bensimhon Maury, Me Bessis

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 21 juin…

21 juin 2000

La société Cerruti 1881 est propriétaire :

- de la marque internationale Cerruti 1881 n° R 356.141, déposée à l'OMPI, le 16 avril 1989, pour désigner les tissus, couvertures de lit et de table, articles textiles non compris dans d'autres classes, les vêtements, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles, relevant des classes 24 et 25,

- de la marque semi-figurative Lanificio Flli Cerruti n° 92.437.031, déposée le 12 octobre 1992, pour désigner les tissus et produits textiles non compris dans d'autres classes, couvertures et lits de tables relevant de la classe 24.

Constatant que la société Kimail, avait apposé sur la vitrine du magasin qu'elle exploite, rue Saint-Placide à Paris, sous l'enseigne Evolutif, la mention "cloth By Cerruti 1881" alors qu'elle n'avait pas été autorisée à le faire et qu'elle n'offrait à la vente aucun vêtement revêtu de la marque Cerruti, la société Cerruti 1881 a fait pratiquer une saisie contrefaçon, le 9 juillet 1999.

Par acte du 13 juillet 1999, elle a assigné la société Kimail devant le Tribunal de grande instance de Paris, qui, par jugement du 21 juin 2000, a :

- dit que la société Kimail, en apposant sur la vitrine de son magasin de vêtement la mention "cloth By Cerruti 1881 ", sans l'autorisation de la société Cerruti 1881, a commis des actes de contrefaçon de la marque Cerruti 1881 n° R.356.141 dont la société Cerruti 1881 est propriétaire,

- dit qu'en apposant une telle inscription, alors qu'aucun article revêtu de la marque appartenant à la société Cerruti 1881 n'était offert en vente, porté atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de cette dernière, et commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de celle-ci,

- en conséquence, interdit à la société Kimail de poursuivre ces agissements, dès la signification du jugement, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,

- condamné la société Kimail à payer à la société Cerruti 1881 la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon et la somme de 100 000 F au titre de la concurrence déloyale,

- autorisé la société Cerruti 1881 à faire publier le dispositif du jugement, par extraits ou en entier, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Kimail, le coût total de ces insertions ne pouvant excéder à sa charge la somme globale HT de 60 000 F,

- condamné la société Kimail à payer à la société Cerruti 1881 la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Kimail a interjeté appel de cette décision le 7 août 2000.

LA COUR :

Vu les conclusions du 18 avril 2002 aux termes desquelles la société Kimail prétendant qu'elle vendait des costumes en tissus " Cerruti 1881 " et que la mention " cloth by Cerruti " avait été apposée sur sa vitrine conformément aux instruction du fabricant de tissus Lanificio Flli Cerruti ,conteste avoir commis une quelconque faute, reprochant à la société Cerruti 1881 d'entretenir volontairement la confusion entre les marques dont elle est titulaire, soutient avoir utilisé la marque pour désigner des produits authentiques, oppose à la société Cerruti 1881 l'absence de réseau de distribution sélective, soulignant qu'elle ne peut empêcher quiconque d'apposer la marque sur les vêtements réalisés à partir de tissus Cerruti, fait subsidiairement valoir que l'action en concurrence déloyale ne peut se cumuler avec celle en contrefaçon, s'agissant des mêmes faits, et demande en conséquence à la cour d'infirmer la décision entreprise, de débouter la société Cerruti 1881 de l'intégralité de ses prétentions et demandes et de lui allouer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 26 avril 2002 aux termes desquelles la société Cerruti 1881, réfutant point par point l'argumentation de la société Kimail et dénonçant sa mauvaise foi alors qu'elle a déjà été condamnée pour des faits identiques commis dans d'autres magasins à l'enseigne Evolutif, poursuit la confirmation de la décision entreprise sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la cour de porter à la somme de 152 450 euros, du fait de la contrefaçon de marque et à celle de 152 450 euros du fait de la concurrence déloyale et parasitaire, sollicitant au surplus la saisie et la destruction de tous documents et supports portant la marque contrefaisante en tous lieux où ils se trouveraient ainsi que le paiement d'une somme de 12 196 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

SUR QUOI,

Sur la contrefaçon :

Considérant que l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec adjonction de mots tels que " formule, façon, système, imitation, genre, méthode " ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ;

Considérant, en l'espèce, qu'il résulte des énonciations du procès-verbal de saisie contrefaçon établi, le 9 juillet 1999, et des photographies qui s'y trouvent annexées, que la société Kimail a apposé, en gros caractères, sur la vitrine gauche du magasin qu'elle exploite 7, ter rue Saint Placide, à Paris, sous l'enseigne Evolutif, la mention " cloth By Cerruti 1881 ", sans y avoir été autorisée par la société Cerruti 1881 ;

Que la société Kimail soutient en vain, pour échapper au grief de contrefaçon, que cette mention serait celle des tissus dans lesquels elle fait fabriquer les costumes qu'elle commercialise, alors d'une part, que la marque des tissus Cerruti est une marque complexe qui comporte dans la quasi totalité des cas le terme Lanificio Flli Cerruti, et dans tous les cas la mention 1881 Cerruti insérés dans un carré comportant un graphisme en forme d'armoiries, que le terme " cloth " ne sera pas perçu immédiatement par le consommateur d'attention moyenne, dont il n'est pas contesté qu'il ne possède que des rudiments de langue anglaise, dans la signification précise qui est la sienne d'étoffe ou de tissus mais dans celle qui lui est proche de vêtements, que cette perception se trouvera nécessairement renforcée par la mention symétrique de la marque Yves Saint Laurent laissant accroire au chaland que l'exploitant de la boutique a inscrit sur sa vitrine le nom des marques des vêtements de renommé qu'il commercialise, que, d'autre part, l'huissier instrumentaire a constaté, lors des opérations de saisie-contrefaçon auxquelles il a procédé, qu'aucun vêtement Cerruti ou Lanificio Flli Cerruti n'était offert à la vente ce 9 juillet 1999 et que le gérant, contacté téléphoniquement par la vendeuse présente sur les lieux, a répondu qu'il ne vendait plus de tels vêtements depuis au moins un an ;

Que la société Kimail ne peut, sans mauvaise foi, prétendre, manifestement pour les besoins de la cause, qu'elle n'aurait jamais cessé de vendre dans ce magasin des costumes en tissus Cerruti, lesquels étaient stockés rue de Rivoli, ce qu'elle ne démontre pas ;

Que ce fait, à le supposer même établi, serait sans effet sur la contrefaçon dénoncée, comme est aussi sans influence l'absence de démonstration de l'existence d'un réseau de distributeurs agréés ;

Que la société Kimail invoque en vain le fait que son fournisseur lui ait demandé d'inscrire un telle mention sur sa vitrine, celui-ci n'étant pas titulaire des marques en cause et ne justifiant pas avoir été régulièrement habilité par le propriétaire à délivrer les autorisations requises pour l'usage de celles-ci ;

Qu'en retenant les faits de contrefaçon, le tribunal a fait une exacte appréciation des données de la cause ; que le jugement doit sur ce point être confirmé :

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire :

Considérant que la société Kimail soutient que les faits qui lui sont reprochés au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ne sont pas distincts de ceux de contrefaçon ;

Mais considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a justement relevé qu'en apposant sur sa vitrine la mention critiquée, la société Kimail a manifestement cherché à attirer l'attention de sa clientèle sur une marque dont le caractère attractif et la notoriété n'est pas contestée, que cette mention est d'autant plus trompeuse qu'elle n'offrait en vente aucun produit Cerruti, et traduit l'intention délibérée de tirer illicitement profit de la notoriété de la société Cerruti et de détourner vers les articles qu'elle commercialise partie de la clientèle de cette dernière;

Qu'il a exactement relevé que l'usage de la dénomination Cerruti 1881 portait également atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de la société Cerruti et retenu, à juste titre, que les faits de concurrence déloyale et parasitaire étaient de ce fait caractérisés ;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que la société Cerruti 1881 fait pertinemment valoir qu'au jour de la saisie contrefaçon par elle opérée, la société Kimail, qui a déjà été condamnée à deux reprises pour des faits similaires commis dans d'autres magasins, était parfaitement informée du comportement illicite qui était le sien ;

Qu'elle ne peut donc, sans mauvaise foi, exciper du fait qu'elle aurait mis fin aux faits dénoncés dès que la société Cerruti 1881 s'est manifestée ;

Que l'atteinte portée à la société Cerruti sur ses droits de marque est réel et d'autant plus grave que la société Kimail était tenue parfaitement informée en raison des précédentes condamnations de première instance ; qu'une telle atteinte justifie l'allocation d'une somme de 30 489,80 euros (200 000 F) de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque ;

Que s'agissant du préjudice s'induisant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, celui-ci est tout aussi réel, en raison du caractère attractif de la mention illicitement et trompeusement utilisée, et justifie l'octroi à ce titre de la somme de 30 489,80 euros (200 000 F) ;

Que les mesures d'interdiction et de publication doivent être confirmées, sauf pour cette dernière à faire mention du présent arrêt ;

Que la mesure de remise aux fins de destruction des documents et supports comportant la marque contrefaisante doit également être ordonnée selon les modalités énoncées ci-après ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Cerruti 1881; que la somme de 12 196 euros doit lui être allouée à ce titre en cause d'appel, en complément de celle qui lui a été octroyée par les premiers juges pour ceux de première instance ;

Que la société Kimail qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formulée de ce chef ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués ; Le réformant sur ce point, condamne la société Kimail à payer à la société Cerruti 1881 la somme de 30 489,80 euros (200 000 F) à titre de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque et celle de 30 489,80 euros (200 000 F) à titre de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; Y ajoutant, Ordonne la remise aux fins de destruction à la société Cerruti 1881 de tout document ou support comportant la marque contrefaisante ; Dit que la mesure de publication devra faire mention du présent arrêt, Condamne la société Kimail à payer à la société Cerruti 1881 la somme de 12 196 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, Rejette toute autre demande, Met les entiers dépens, en ce compris les frais de saisie contrefaçon du 9 juillet 1999, à la charge de la société Kimail et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.