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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 18 novembre 1993, n° 90-24544

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bourse de l'immobilier (SA)

Défendeur :

Office d'annonces (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

Me Huyghe, SCP d'Auriac Guizard

Avocats :

Mes Magret, Quenet.

T. com. Paris, du 19 juin 1990

19 juin 1990

Considérant que la société anonyme Bourse de l'Immobilier, regroupant dix agences immobilières de Bordeaux et de la région bordelaise utilisant cette enseigne, a fait appel d'un jugement contradictoire du 19 juin 1990 du Tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société Office d'annonces ODA, intermédiaire obligé de toute annonce publicitaire à paraître dans les annuaires officiels du téléphone, à réparer le préjudice engendré par une parution défectueuse de l'annonce souscrite dans l'annuaire des abonnés de Gironde de l'année 1987 en accordant la gratuité d'annonces similaires à paraître dans les annuaires de 1991 et 1992 ou à défaut en payant à l'appelante le coût de ces deux annonces, a accordé à la société Bourse de l'Immobilier 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a débouté l'appelante du surplus de ses demandes la privant ainsi de l'essentiel des 1 500 000 F auxquels elle évaluait son préjudice ;

Qu'elle demande à la cour de lui accorder 1 500 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F de participation à ses frais irrépétibles d'action ;

Considérant que la société ODA ne conteste pas que l'annonce publicitaire de l'année 1987 ne tenait pas compte des modifications apportées par la société Bourse de l'Immobilier à l'épreuve qui lui avait été soumise pour approbation, et qu'elle doit réparation du préjudice engendré par l'erreur qu'elle a commise mais dans les limites de la clause insérée au contrat du 30 janvier 1987 faisant du prix de l'annonce le montant maximum de l'indemnité proportionnelle due ;

Qu'elle soutient ainsi que cette réparation relève des régies de la responsabilité contractuelle et ajoute que les modifications demandées étaient de peu d'intérêt ; qu'elle prétend par ailleurs que la société Bourse de l'Immobilier a pris elle même la décision de ne commander aucune publicité dans les annuaires de 1988 et 1989 et ne peut en conséquence se plaindre d'une absence de publicité ; qu'elle conteste subsidiairement l'évaluation proposée du préjudice allégué ;

Qu'elle sollicite de la cour que celle-ci donne acte à la société Bourse de l'Immobilier de ce que cette appelante demanderait la confirmation d'un jugement écartant toute faute de la société ODA en 1989 et 1989 de constater en conséquence que la société Bourse de l'Immobilier aurait renoncé à demander réparation du préjudice résultant d'une absence de publicité en 1988 et 1989, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a omis d'appliquer la clause contractuelle de limitation de réparation, et de condamner la société Bourse de l'Immobilier à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant que la société Bourse de l'Immobilier réplique que si elle avait fondé son action initiale sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, elle entend se placer également sur le terrain de la responsabilité contractuelle, qu'elle soutient que la société ODA a commis une faute gravissime assimilable à un dol suivi de deux refus de vente, l'intimée abusant de sa position de monopole pour tenter d'imposer le paiement de la facture indue émise pour l'édition de 1987 en contrepartie de l'acceptation par elle des commandes des publicités des éditions de 1988 et 1989 ;

Qu'elle ajoute que la clause limitative de responsabilité lui est inopposable parce qu'illisible et abusivement imposée ; qu'elle maintient l'évaluation proposée de son préjudice ;

SUR CE, LA COUR

Considérant que les premiers juges ont convenablement exposé dans leur chronologie les relations contractuelles liant les parties jusqu'à la parution de l'édition de l'année 1987 de l'annuaire des abonnés au téléphone de Gironde ainsi que les discussions au terme desquelles la commande d'insertion publicitaire n'a pas été renouvelée pour les éditions des années 1988 et 1989 ;

Que la cour adopte sur ce point les motifs du jugement et se borne à rappeler pour la compréhension de son arrêt la chronologie suivante :

- 30.01.1987 ordre de publicité soucrit pour l'annuaire 1987,

- 11.04.1987 demande par la Bourse de l'Immobilier à la société ODA de l'envoi d'un " bon à tirer ",

- 24.04.1987 retour à la société ODA de l'épreuve avec demande de 8 corrections, le " bon à tirer " demeurant vierge de toute mention,

- 01.06.1987 demande par la Bourse de l'Immobilier à la société ODA de l'envoi du " bon à tirer " rectifié,

- 11.06.1987 envoi par la société ODA d'une simple photocopie de l'annonce rectifiée à paraître sans " bon à tirer ",

- 02.07.1987 facturation par la société ODA de 25 854,80 F toutes taxes comprises,

- 25 et 26.07.1987 envoi de deux rappels de demande de paiement,

- 04.08.1987 contestation pour défaut de conformité,

- 12.08.1987 renvoi par la société ODA à un éventuel accord de dédommagement à convenir lors de la commande de la publicité de 1988,

- 15.08.1987 troisième rappel de demande de paiement,

- 17.02.1988 signature d'un document valant commande au titre de 1988 selon l'appelante qui sera barré des mots " annulation de l'ordre, client à transmettre au contentieux ",

- 25.11.1988 proposition par la société ODA d'un avoir de 25 % avec demande de paiement du solde soit 19 391,10 F,

- 06.12.1988 refus de cette proposition.

Sur la demande préliminaire de la société ODA :

Considérant que la société ODA n'a pas qualité pour demander acte de quoi que ce soit pour le compte de la société Bourse de l'Immobilier ; qu'elle prétend en réalité inviter la cour par sa demande préliminaire à constater que la société Bourse de l'Immobilier aurait demandé que le jugement soit confirmé et en conséquence que l'appelante renoncerait à toute demande concernant les éditions des années 1988 et 1989 pour lesquels aucune responsabilité n'aurait été retenue ; que la cour ne peut que constater que c'est par une interprétation contraire au texte même des conclusions concernées que la société ODA fait d'une demande de "confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la société ODA responsable du préjudice subi par la société Bourse de l'Immobilier" un acquiescement de l'appelante au jugement et une renonciation à demander réparation de l'entier préjudice allégué qui n'ont jamais existé; que la demande préliminaire de la société ODA sera déclarée irrecevable et dénuée de surcroît de tout fondement ;

Sur la responsabilité pour erreur de parution :

Considérant que la société ODA reconnaît que l'annonce publiée dans l'édition de l'annuaire des abonnés au téléphone de Gironde de l'année 1987 reproduisait le texte initial dont la société Bourse de l'Immobilier avait demandé et obtenu la modification dans des délais qui ne sont pas contestés ;

Considérant que par lettre du 24 avril 1987 la société Bourse de l'Immobilier avait demandé huit modifications de l'épreuve initialeet prié la société ODA de " lui retourner une seconde épreuve " comportant les corrections imposées, la formule finale de politesse étant précédée des mots " dans l'attente de cette nouvelle épreuve " ;

Que la société ODA ne conteste pas que si elle a accepté de procéder à ces modifications au point d'envoyer à sa cliente le 11 juin 1987 la photocopie d'une nouvelle épreuve conforme, l'annonce parue correspondait à l'épreuve initiale, celle-là même qui avait fait l'objet de corrections et avait donc été refusée ;que l'erreur commise au détriment du donneur d'ordre engageait la responsabilité contractuelle de la société ODA et justifiait réparationainsi que l'intimée l'a d'ailleurs laissé entendre dans sa lettre du 12 août 1987 et l'a proposé par sa lettre du 25 novembre 1988 ;

Considérant que les deux annonces, celle initiale qui a paru alors qu'elle était refusée et celle corrigée qui n'a pas paru, différentes par l'absence sur la première des codes postaux des localités ou se trouvaient implantées 6 des 10 agences du groupe Bourse de l'Immobilier, et par un graphisme mettant plus en valeur sur la seconde l'intitulé " Bourse de l'Immobilier - L'allié des grandes décisions ", le nombre des agences du réseau, la qualité de " numéro 1 en Gironde " revendiquée par le groupe et l'affiliation à la caisse de garantie FNAIM ; que les corrections demandées n'étaient pas mineures même s'il ne peut être exclu que l'annonce parue ait pu avoir sur la clientèle potentielle un impact assez similaire à celui de l'annonce qui n'a pas paru ;

Que la faute existe mais ne saurait être qualifiée de " lourde " ;

Considérant que les conditions générales figurant au verso de l'ordre d'insertion du 30 janvier 1987 dont la société Bourse de l'Immobilier a reconnu par écrit avoir pris connaissance, comportent une clause de limitation de la responsabilité de la société ODA à une simple réduction du prix de l'annonce proportionnelle aux erreurs ou omissions constatées,seule une absence de parution pouvant justifier un avoir égal au montant de la facture ;

Considérant que la gratuité d'insertion dans deux éditions ultérieures accordée par le Tribunal de commerce de Paris est séduisante ; qu'elle n'est toutefois pas demandée par la société Bourse de l'Immobilier et excède très largement le montant de la réparation tel que le limite la clause susvisée ;

Que cette clause imprimée en caractère gras était parfaitement lisible ;que la société Bourse de l'Immobilier n'est pas fondée à soutenir qu'elle serait nulle parce qu'imposée par une société disposant d'une exclusivité de prospection lui permettant d'abuser de sa position dominante ;

Que la société Bourse de l'Immobilier n'était nullement contrainte de commander l'insertion publicitaire incriminée ; que les modifications demandées n'étaientpar ailleurs pas telles que leur oubli ait dénaturé l'annonce ou en ait compromis l'efficacité au point de constituer une faute lourde justifiant que la clause litigieuse soit écartée parce que réellement abusive ;que la jurisprudence produite par la société Bourse de l'Immobilier concerne l'absence totale de parution ou des fautes gravissimes telles que la substitution du numéro d'appel d'un concurrent à celui du client, dont il ne pouvait être admis du fait même du caractère total de l'inexécution du contrat et de l'ampleur du préjudice engendré, qu'elle donne lieu à une simple résolution du contrat à l'exclusion de tous dommages-intérêts ; que l'oubli incriminé en l'espèce n'avait pas la gravité qui aurait permis de l'assimiler à une inexécution totale des engagements souscrits ;

Considérant que la réfaction de prix proposée par la société ODA était cependant insuffisante ainsi que l'ont à juste titre implicitement décidé les premiers juges ; qu'elle aurait du être de la moitié du coût de l'annonce ; qu'il convient dès lors de fixer à 12 927,40 F la réparation due par la société ODA au titre de l'année 1987 et de constater que l'intimée ne demandant pas de condamnation de l'appelante à lui verser le montant de la facture du 2 juillet 1987 la cour ne saurait procéder à la compensation qui se serait imposée à elle ;

Sur l'absence d'insertion en 1988 et 1989 :

Considérant que la société Bourse de l'Immobilier prétend qu'elle a signé le 17 février 1988 une commande d'insertion dans l'annuaire de l'année 1988 et qu'elle a eu la surprise de voir cette commande unilatéralement annulée par la société ODA ;

Qu'elle n'en justifie cependant qu'en versant aux débats la photocopie du " dernier feuillet " d'un ordre d'insertion établi le 17 février 1988 sur l'imprimé utilisé par la société OBA et revêtu de la signature non contestée d'un mandataire de l'appelante ; que ce document ne comporte cependant aucune mention concernant les caractéristiques et le prix de l'annonce ce qui interdit à la cour de constater l'existence d'un quelconque accord au titre de l'année 1988 dont la société ODA conteste qu'il ait été conclu ;

Que l'absence d'insertion dans les annuaires 1988 et 1989 relève en conséquence d'une éventuelle responsabilité quasi-délictuelle puisqu'il n'existe pas d'engagement contractuel correspondant ;

Considérant que la société ODA a écrit à la société Bourse de l'Immobilier,

- le 12 août 1987 pour accuser réception de la contestation et informer l'appelante de ce qu'après étude, son conseiller commercial " réglera la question de façon définitive lors de sa visite à l'occasion de la préparation de l'édition 1988 ",

- le 25 novembre 1988 pour proposer " après examen du dossier " de consentir un avoir de 25 % et annoncer la visite prochaine du conseiller commercial " à l'occasion de la préparation de l'édition 1989 ",

- le 14 mars 1989 pour regretter qu'aucun accord n'ait pu être trouvé et informer l'appelante que le chef de vente se tenait à sa disposition pour le renouvellement du bon de commande au titre de l'année 1989 sous réserve d'un paiement des trois quarts du montant de la facture de 1987 ;

Que la société ODA impute par ailleurs, dans ses conclusions l'absence des insertions aux refus de l'appelante d'une solution amiable au litige de 1987 et du paiement de la facture de 1987 ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que la société Bourse de l'Immobilier aurait souscrit, ainsi qu'elle le faisait jusqu'en 1987 et le fera à nouveau en 1990, des commandes de publicité au titre des années 1988 et 1989 si la société ODA n'avait pas exigé que soit réglé au préalable le litige né de la faute commise en 1987 ;que la mention qui barre le document daté du 17 février 1988 " Annulation de l'ordre-client à transmettre au contentieux " qui peut n'émaner que de l'intimée, le confirme ;

Considérant que la société ODA ne justifie d'aucune offre d'indemnisation antérieure à celle du 25 novembre 1988 ; que le texte de la lettre contenant cette offre implique qu'elle n'avait apparemment pas d'antécédent et sans doute même qu'aucune décision concernant le principe même d'une indemnisation n'avait été prise antérieurement ; qu'à cette date il était trop tard pour qu'une publicité puisse encore paraître dans l'annuaire de l'année 1988 déjà édité ; qu'il s'ensuit qu'en mettant quinze mois pour se prononcer sur l'indemnisation des conséquences d'une faute qui n'était pas contestable, et en imposant un paiement préalable d'une facture partiellement indue avant toute acceptation d'une nouvelle commande, la société ODA a compromis abusivement les chances que la société Bourse de l'Immobilier pouvait avoir de bénéficier de sa publicité habituelle dans l'édition de 1988 ;

Considérant que la publicité dont la société Bourse de l'Immobilier déplore l'absence, ne devait cependant pas avoir l'intérêt que lui porte désormais l'appelante pour justifier sa demande d'1 500 000 F de dommages-intérêts ; qu'il lui était possible d'opérer en 1988 sous réserve d'assignation en dommages-intérêts un paiement du montant de la facture litigieuse, en 1989 de ce même montant diminué de l'avoir proposé ;

Qu'en 1989 la société Bourse de l'Immobilier disposait d'une proposition d'indemnisation et d'un rappel de la clause contractuelle de limitation de responsabilité à laquelle elle ne pouvait se soustraire ;qu'elle n'a offert aucun paiement alors pourtant qu'elle ne pouvait ignorer que si son refus de paiement de 1988 pouvait se justifier en 1988 du fait du silence de son co-contractant, son obstination en 1989 alors que le litige ne pouvait plus être que de 6 463,70 F, lui faisait porter la responsabilité intégrale de l'absence de publicité dans l'annuaire de 1989 ;

Considérant que l'évaluation d'un chiffre d'affaires annuel dépend de trop d'éléments et de circonstances pour que les chiffres cités par la société Bourse de l'Immobilier servent de seule base au calcul de l'indemnisation due ; que le tribunal tenant compte certes de ces chiffres mais aussi du prix des insertions et du peu d'empressement mis par l'appelante à trouver une solution raisonnable à un litige dont dépendait la poursuite de ses efforts de publicité fixera à 200 000 F le montant de l'indemnisation due en réparation de la faute quasi-délictuelle commise par la société ODA en 1988 ;

Considérant qu'il est équitable que la société ODA supporte à concurrence de 10 000 F au total la charge des frais irrépétibles exposés par la société Bourse de l'Immobilier en première instance et en appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision déférée ; déclare irrecevable et au surplus mal fondée la demande de donné acte de la société ODA, Condamne la société ODA à verser à la société Bourse de l'Immobilier la somme de 12 927,40 F en réparation de la faute contractuelle commise par celle-ci en 1987 ; Condamne la société ODA à payer à la société Bourse de l'Immobilier deux cent mille francs de dommages-intérêts pour la faute quasi-délictuelle commise par elle en 1988; Déboute la société Bourse de l'Immobilier de toutes autres demandes principales ; Condamne la société ODA à payer à la société Bourse de l'Immobilier dix mille francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société ODA en tous les dépens de première instance et d'appel ; Admet la société civile professionnelle d'Auriac Guizard, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.