CA Paris, 5e ch. B, 31 octobre 2002, n° 2001-08782
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AGE-Antoine Belverger (Sté)
Défendeur :
Pages Jaunes (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseiller :
M. faucher
Avoués :
Mes Olivier, Huygue
Avocats :
SCP de Marande-Gavaudan-Perrault, Quenet.
La cour est saisie d'un appel interjeté par la société AGE-Antoine Belverger d'un jugement rendu le 25 janvier 2001 par le Tribunal de commerce de Paris qui :
- a condamné la société ODA, nouvellement dénommée Pages Jaunes, à lui payer la somme de 80 000 F ou sa contre-valeur en euros, à titre de dommages et intérêts,
- l'a condamnée à payer à la société ODA la somme de 166 015,80 F ou sa contre-valeur en euros, avec intérêts au taux de une fois et demie le taux de l'intérêt légal et ce, à compter du 16 mars 2000,
- a ordonné la compensation entre ces deux sommes et a débouté les parties de leurs demandes respectives formées au litre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Appelante, la société AGE-Antoine Belverger (ci-après la société AGE) demande, par ses uniques conclusions signifiées le 24 juillet 2001, à la cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société ODA à lui payer la somme de 1 020 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 1999, date de la mise en demeure et jusqu'à parfait paiement, et celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
La société Pages Jaunes, anciennement ODA, intimée, aux termes de ses dernières conclusions en date du 21 juin 2002, prie la cour de :
- réformer le jugement critiqué en ce qu'il a alloué une somme de 12 195,92 euros à la société AGE à titre de dommages et intérêts,
- débouter cette dernière de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamnée la société AGE au paiement de :
* en principal : 22 007,70 euros (144 361,03 F),
* au titre de la clause pénale (15 %) prévue aux contrats :
3 301,13 euros (21 654,15 F), et au versement d'un intérêt conventionnel égal à une fois et demi le taux d'intérêt légal et ce à compter du 16 mars 2000, et, y ajoutant,
* condamner la société AGE au paiement de la somme de 3 050 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en tous les dépens ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que la société AGE, entreprise spécialisée dans la vente aux particuliers de systèmes de portes automatiques, a, le 13 novembre 1998, commandé à la société ODA, chargée de la commercialisation des annonces dans l'annuaire, deux annonces à paraître dans les deux volumes Nord et Sud du département du Val-de-Marne, pour les localités de Ormesson et Chennevrières-sur-Marne, à la rubrique " Portes automatiques, portes de garage " ; qu'elle a versé un acompte de 17 000 F à valoir sur un montant total de commande de 176 912,96 F (TTC), le solde étant, suivant avenant en date du 7 décembre 1998, payable en 10 prélèvements de 17 691,35 F, échelonnés de janvier à octobre 1999 ; que, par courrier en date du 18 janvier 1999, la société ODA confirmait à la société AGE qu'elle avait pris la décision d'annuler les annonces à paraître ;
Considérant qu'il est établi que, le 21 décembre 1998, la société ODA a adressé à la société AGE un bon à tirer relatif aux annonces litigieuses qui comportait la mention suivante " Merci de nous renvoyer pour accord ou notification, votre bon à tirer dans l'enveloppe ci-jointe, impérativement sous 48 H. Tout bon à tirer non renvoyé sera considéré comme accepté " ; que, par courrier en date du 18 janvier 1999, le directeur de l'agence Paris-est de la société ODA a confirmé à la société AGE " je vous ai appris au cours de notre entretien téléphonique du 6 janvier que le 4 janvier dernier, j'ai pris la décision d'annuler purement et simplement l'annonce à paraître sur les deux volumes Nord et Sud du Val-de-Marne au motif que l'annonce avait été composée à partir d'une préconisation de la marque Came ". Il existe deux préconisations : celle du concessionnaire Came, et celle de l'installateur conseil Came. C'est la première qui avait été reproduite, alors que nous aurions dû, comme l'a demandé notre commercial, composer la seconde " ;que, consciente de l'erreur par elle commise, la société ODA écrivait, en outre, à la société AGE, " Nous sommes absolument désolés de cette décision " et, après lui avoir offert, à titre gracieux, une parution sur la deuxième de couverture du volume Pages Blanches, reconnaissait que cette parution " ne compense pas, j'en conviens, le fait que vous n'aurez pas d'annonce en rubrique portes automatiques sur cet annuaire, mais atténue très sensiblement les effets d'une non-parution " ; qu'en outre l'intimée proposait à la société AGE " de déduire du total de votre commande la somme de 50 000 F à titre commercial " ;
Considérant qu'il n'est pas sans intérêt de relever que la même erreur avait déjà été commise à l'occasion de la diffusion de l'annuaire de l'année précédente ainsi qu'en atteste la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée le 23 octobre 1998 par la société AGE à la société ODA :
" Je viens par cette lettre vous dire mon très vif mécontentement des annonces parues dans les annuaires de la Seine-et-Marne et du Val-d'Oise; ces annonces concernant les parutions " portes automatiques " ne sont pas celles que nous avions commandées " ;
Considérant que la société ODA, après avoir reconnu dans ses écritures d'appel, la matérialité des griefs articulés à son égard par la société AGE, estime cependant que celle-ci est à l'origine du préjudice dont elle se plaint dès lors qu'elle s'est abstenue de toute réaction à la réception du bon à tirer ;
Mais considérant qu'il résulte clairement des termes, tels qu'ils ont été rappelés, de la lettre du 18 janvier 1999 qu'à cette date la société ODA n'entendait pas contester sa pleine et entière responsabilité et n'imputait à la société AGE aucun comportement fautif;qu'au surplus, il appartenait à la société ODA, compte tenu du précédent incident et de la période à laquelle le bon à tirer a été envoyé, de prendre contact, en l'absence du retour de ce document, avec la société AGE pour s'assurer, avant de prendre la décision unilatérale d'annuler la parution de l'annonce litigieuse, qu'il lui était bien parvenu;que, dans sa lettre du 18 janvier 1999, la société ODA reconnaît son manque de diligence lorsqu'elle écrit " Je vous ai appris au cours de notre entretien téléphonique du 6 janvier, que le 4 janvier dernier, j'ai pris la décision d'annuler "; que l'appelante a donc été mise devant le fait accompli sans qu'il soit démontré, à son égard, l'existence d'une faute de nature à exonérer la société ODA de sa responsabilité;que c'est donc par une juste appréciation que les premiers juges ont retenu la responsabilité de l'intimée dans la non-parution des annonces commandées par la société AGE ;
* sur le préjudice :
Considérant que la société AGE soutient, à l'appui de ses prétentions, qu'il résulte du relevé exhaustif de la facturation des clients qui ont été démarchés par l'intermédiaire de l'annuaire Val-de-Marne du 1er mars 2000 au 28 février 2001, qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires de 1 794 346 F que, opérant, à partir de cette constatation, une projection du chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé au cours de la période - mars 1999 à février 2000 - couverte par la parution des annonces litigieuses et en lui appliquant une marge brute de 56,88 %, elle fixe son préjudice à 1 020 000 F (1 794 346 x 56,88 %) ;
Mais considérant que la société ODA soutient, à juste titre, que les pièces produites, pour la première fois en cause d'appel, le 7 juin 2002, soit trois ans après son exploit introductif d'instance, par la société AGE ne sont pas de nature à justifier de ses prétentions ; qu'aucun document ne permet, en effet, à la cour d'apprécier si les factures produites aux débats concernent, comme la société AGE l'allègue, des clients qui auraient été démarchés en raison d'encarts publicitaires insérés dans l'annuaire du Val-de-Marne de l'année 2000; que, tout au contraire, l'examen de ces factures révèle que nombre des prestations facturées n'ont pas été réalisés dans la zone géographique des deux communes concernées par les annonces en cause;
Considérant, toutefois, que, sauf à la société ODA à dénier tout effet pratique, au regard du démarchage de clientèle, aux encarts publicitaires dont elle assure la publication, la société AGE a incontestablement été privée d'une chance de développer son activité du fait de la non-parution des annonces litigieuses ; que, compte tenu des éléments pertinents du dossier, c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont, sur ce fondement, estimé à 80 000 F le préjudice de la société AGE; que le jugement critiqué sera donc confirmé ;
* Sur la demande de la société ODA :
Considérant que la société AGE ne conteste pas s'être abstenue, depuis le 25 novembre 1999, de régler le montant des factures relatives à d'autres insertions commandées et ayant effectivement fait l'objet d'une publication ; que c'est donc à bon droit que le tribunal l'a condamnée au paiement desdites factures ; qu'il convient en conséquence de confirmer sur ce point également le jugement dont appel ;
Considérant que la compensation judiciaire opérée par les premiers juges mérite également confirmation ;
* sur l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens ;
Considérant que l'appelante, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'il est équitable, en application de ce texte, de la condamner à payer à la société ODA la somme de 2 000 euros ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré avec la précision que la société ODA est devenue la société Pages Jaunes ; Et, y ajoutant, Condamne la société AGE-Antoine Belverger à payer à la société Pages Jaunes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne en outre aux entiers dépens d'appel, Admet Me Huyghe, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.