CA Versailles, 13e ch., 30 mars 2000, n° 96-07334
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Delaunay & Gendre (SA) ; Segui (ès qual.) ; Le Taillenter (ès qual.)
Défendeur :
Mercedes Benz France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besse
Avoués :
Mes Bommart-Minault, SCP Jupin-Algrin
Avocats :
Mes Bourgeon, Vogel.
La SA Delaunay et Gendre qui était agent Ford depuis 1968 est devenue également agent Mercedes à partir de 1976.
Elle a été liée à la succursale de Paris-Longchamp de la SA Mercedes Benz France par un contrat d'agent pour le secteur d'Ivry-sur-Seine, conclu le 19 mars 1990, pour une durée indéterminée.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 17 décembre 1992, la succursale de Paris-Longchamp a mis fin au contrat d'agent, moyennant un préavis d'un an.
Début 1993 le secteur d'Ivry-sur-Seine a été rattaché à la succursale Mercedes de Paris Montrouge, ce dont la SA Delaunay et Gendre a été informée par courrier du 19 janvier 1993.
Début 1994, des pourparlers ont eu lieu entre la SA Mercedes Benz France et la SA Delaunay et Gendre qui a refusé un "protocole transactionnel" de résiliation amiable prévoyant le maintien des relations contractuelles pendant trois mois supplémentaires ainsi qu'un autre contrat "d'agent réparateur" qui lui a été proposé le 21 avril 1994 ;
La SA Mercedes Benz France en a pris acte par courrier du 29 juin 1994 informant la SA Delaunay et Gendre de sa décision de procéder à la dépose des enseignes de sa marque.
Le 8 juin 1995 la SA Delaunay et Gendre a fait assigner la SA Mercedes Benz France devant le Tribunal de commerce de Versailles lequel, par jugement du 21 juin 1996, a dit que le contrat d'agent conclu le 19 mars 1990 avait été régulièrement résilié le 17 décembre 1992 à effet au 31 décembre 1993, que la SA Mercedes Benz France n'avait pas abusé de son droit de résilier ledit contrat et a débouté la SA Delaunay et Gendre de sa demande de dommages-intérêts.
La SA Delaunay et Gendre a interjeté appel de cette décision et demande à la cour de l'infirmer, de juger que la société Mercedes Benz France a abusivement rompu les relations contractuelles et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 2 400 000 F à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que plutôt que de notifier clairement son intention de mettre un terme définitif aux relations commerciales, la société Mercedes Benz France, au motif de modifier la formulation juridique des liens contractuels, a fait courir le délai de préavis tout en l'assurant de son maintien dans le réseau en annonçant la proposition d'un nouveau contrat.
Elle ajoute que la société Mercedes Benz France qui avait exigé d'elle en 1990 et 1992 la réalisation d'importants investissements a entravé son fonctionnement pendant l'année 1993 en le privant des moyens commerciaux qu'elle lui accordait jusque-là.
Selon elle, la rupture a été brutale, par l'annonce verbale en janvier 1994 de la fin des relations contractuelles et présente un caractère déloyal dès lors que l'intimée a dissimulé à son partenaire une décision prise de longue date.
Elle précise que tout au long de l'exercice 1993, elle a été laissée dans la croyance de ce que, comme les autres agents, le texte du nouveau contrat serait soumis à sa signature dès qu'il serait finalisé,
Elle conteste avoir exprimé la volonté de ne pas poursuivre les relations contractuelles et s'être désintéressée de la représentation de la marque.
Elle soutient que l'intimée avait conscience de la brutalité de son comportement, ce qui l'a amenée à proposer un "protocole transactionnel" accordant un nouveau préavis de trois mois, qui a été refusé et qu'il ne lui a été proposé la signature d'un nouveau contrat que le 21 avril 1994, lequel différait de ceux proposés à tous les agents du réseau Mercedes, dès lors qu'il s'agissait d'un contrat d'agent réparateur et non d'un contrat d'agent revendeur et n'était pas acceptable.
Elle évalue son préjudice à deux années de marge brute.
La société Mercedes Benz France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de débouter la société Delaunay et Gendre de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire, elle sollicite qu'il soit jugé qu'elle ne saurait en tout état de cause être condamnée à payer une somme d'un montant supérieur à 310 269 F.
Elle demande, par ailleurs, la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle fait valoir que sa décision du 17 décembre 1992 de mettre fin au contrat d'agent moyennant un préavis d'un an expirant le 31 décembre 1993 est exempte d'une quelconque brutalité.
Elle ajoute que le fait qu'elle ait simplement précisé dans ledit courrier qu'elle reprendrait contact avec la société Delaunay et Gendre au cours du premier semestre pour lui proposer un nouveau contrat ne remet pas en cause la décision de résilier le contrat d'agent mais témoigne de sa bonne foi dès lors qu'elle n'excluait pas l'éventualité d'un nouveau contrat dans l'hypothèse où les conditions requises pour la conclusion d'un nouveau contrat étaient réunies.
Elle soutient qu'à aucun moment l'appelante n'invoque ni encore moins ne justifie de circonstances antérieures au 17 décembre 1992, date de la résiliation, de nature à rendre abusive ladite résiliation. Selon elle, l'exécution du préavis, au cours duquel elle a respecté l'ensemble des ses obligations contractuelles, n'est en aucun cas de nature à conférer un caractère abusif à une mesure de résiliation intervenue antérieurement.
Elle prétend qu'à aucun moment au cours de l'exécution du préavis elle n'a été sollicitée par la société Delaunay et Gendre, que cette dernière a obtenu de mauvais résultats commerciaux en 1993 qui témoignent du désintérêt total de l'appelante pour la marque Mercedes, ce qui fait que les conditions pour la proposition d'un nouveau contrat n'étaient pas réunies.
Elle précise que postérieurement à la contestation de la résiliation par l'appelante pour la première fois en février 1994, elle a proposé à celle-ci, qui l'a refusé, un contrat d'agent réparateur identique à celui proposé à tous les agents du réseau se trouvant dans une situation similaire et qui permettait la vente de pièces détachées et de véhicules neufs au même titre que l'ancien contrat d'agent.
Elle estime avoir tout mis en œuvre afin de trouver un terrain d'entente, par la proposition d'un protocole et celle d'un nouveau contrat avec la société Delaunay et Gendre, dans le souci de réintégrer cette dernière au sein du réseau.
Elle conteste le préjudice invoqué par l'appelante.
Par conclusions du 17 novembre 1997 Maître Le Taillenter et Maître Segui, respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers du redressement judiciaire de la société Delaunay et Gendre prononcé le 27 juin 1997, se sont associés aux écritures de leur administrée.
Par conclusions du 18 janvier 1999 Maître Le Taillenter a sollicité sa mise hors de cause en sa qualité d'administrateur judiciaire au motif que le 25 janvier 1998 le plan de continuation de la société Delaunay et Gendre avait été arrêté et qu'il avait mis fin à ses fonctions d'administrateur judiciaire, Maître Segui restant représentant des créanciers et étant désigné commissaire à l'exécution du plan.
Sur ce,
Considérant que le contrat d'agent du 19 mars 1990 ayant pour objet la fourniture des services et pièces de rechange d'origine pour les matériels de la marque Mercedes Benz ainsi, que la vente des matériels neufs achetés par le concessionnaire à Mercedes Benz France, conclu pour une durée indéterminée prévoit en son article 16-l la faculté pour les parties contractantes de le dénoncer par écrit sans indemnité, moyennant un préavis d'un an à échéance de la fin d'un trimestre;
Considérant que par courrier recommandé avec accusé de réception du 17 décembre 1992 la société Mercedes Benz France a mis fin sans aucune ambiguïté au contrat liant les parties à effet au 31 décembre1993 ;
Considérant que le fait qu'il soit indiqué dans ledit courrier que des modifications législatives ont conduit Mercedes Benz France à rectifier les rapports existant entre son réseau de concessionnaires et d'agents, de même le fait que soit mentionné qu'une reprise de contrat interviendrait au cours du premier trimestre 1993, afin de proposer un nouveau contrat, sont sans incidence quant à la date de la résiliation qui est intervenue par écrit le 17 décembre 1992 et non verbalement en janvier 1994 comme le prétend l'appelante ;
Considérant que la signature d'un nouveau contrat n'était nullement acquise aux termes du courrier du 17 décembre 1992, laquelle nécessitait de nouvelles négociations et que les conditions de la signature se trouvent réunies ;
Considérant que de façon tout à fait claire le courrier du 17 décembre 1992 constitue un courrier de résiliation ;
Considérant que la société Mercedes Benz France pouvait, selon les dispositions contractuelles, résilier le contrat du 19 mars 1990, même sans motiver sa décision, dès lors que le préavis de rupture était respecté, sous réserve de l'abus de droit;
Considérant que c'est à tort que la société Delaunay et Gendre invoque le non-respect par la société Mercedes Benz France de ses obligations contractuelles pendant la période du préavis, la succursale de Montrouge l'ayant selon elle dès le mois de janvier 1993 immédiatement privée de véhicules de démonstration et de véhicules en dépôt vente, ce dont il n'est d'ailleurs pas justifié, dès lors que seules des circonstances antérieures en concomitantes à la rupture peuvent être retenues pour caractériser un éventuel caractère abusif de celle-ci ;
Considérant qu'au demeurant au cours de l'exécution du préavis la société Delaunay et Gendre ne s'est pas plainte des conditions d'exécution de celui-ci, lesquelles n'auraient pu avoir d'incidence que sur cette exécution et non sur la résiliation du contrat ;
Considérant que dans un courrier du 11 février 1994 la société Delaunay et Gendre reconnaît que " tout au long de l'année 1993, notre collaboration s'est poursuivie dans les termes très exacts du contrat d'agence qui nous liait " sans formuler à ce sujet le moindre grief ;
Considérant que les seuls éléments antérieurs à la résiliation dont fait état l'appelante sont la durée des relations unissant les parties, de l'ordre de dix-huit années, ainsi que les investissements réalisés entre 1990 et 1992;
Considérant que l'ancienneté des relations n'est pas un obstacle à la résiliation d'un contrat à durée indéterminée;
Considérant qu'il n'est pas justifié que les investissements réalisés entre 1990 et 1992 que l'appelante évalue à la somme de 675 000 F hors taxes soient intervenus à la demande expresse de la société Mercedes Benz France ni qu'ils aient profité à cette marque dès lors qu'il sera relevé que la société Delaunay et Gendre était également agent Ford, ce qu'elle est d'ailleurs resté ;
Considérant qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'intimée ait exécuté le contrat du 29 mars 1990 tant en cours d'exécution de celui-ci qu'au demeurant lors du préavis de mauvaise foi ;
Considérant que la baisse soudaine et importante de l'activité commerciale de la société Delaunay et Gendre en ce qui concerne la marque Mercedes Benz, au cours du préavis, non imputable au comportement de ladite marque, justifie qu'aucun nouveau contrat n'ait été proposé à l'appelante, laquelle n'a pris tout au long de l'année 1993 aucune initiative en ce qui concerne la conclusion d'un nouveau contrat, ni même interrogé l'intimée à ce sujet ;
Considérant que ce n'est que le 11 février 1994 que la société Delaunay et Gendre a critiqué pour la première fois les conditions de la résiliation ;
Considérant que la proposition à une date non précisée d'un " protocole d'accord " prolongeant le préavis de trois mois et celle, le 21 avril 1994, d'un nouveau contrat d'agent réparateur ayant pour objet non seulement la fourniture des services et la vente des pièces de rechange d'origine pour les matériels de la marque Mercedes Benz mais également la vente de matériels neufs achetés auprès du concessionnaire, cette dernière activité étant à titre accessoire, contrat de même nature que ceux proposés aux agents dans une situation similaire à celle de l'appelante, confortent la bonne foi de la société Mercedes Benz France qui a fait des propositions sérieuses, après que la société Delaunay et Gendre se soit manifestée, pour tenir compte de l'ancienneté des relations existant entre les parties ; que la proposition d'un nouveau contrat, en date du 21 avril 1994, lequel est produit, a été confirmé par courriers des 16 mai et 26 mai 1994 précisant bien qu'il était satisfait à la demande de l'appelante, ne peut être qualifiée de "destinée à sauver les apparences" comme le prétend la société Delaunay et Gendre ;
Considérant que le fait que le 6 janvier 1994 la société Mercedes Benz France ait circularisé dans le réseau la résiliation de la société Delaunay et Gendre, laquelle n'était pas mentionnée sur la carte du réseau éditée en avril 1994, n'apparaît en rien critiquable ; qu'une telle suppression du réseau, consécutive à l'expiration du préavis en décembre 1993, ne présentait aucun caractère irréversible contrairement à ce qu'affirme la société Delaunay et Gendre; que dans l'hypothèse d'un aboutissement des négociations de début 1994 entre les parties, cette dernière aurait, à nouveau, fait partie du réseau et une nouvelle lettre circulaire interne en aurait informé les membres de celui-ci ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la résiliation par la société Mercedes Benz France du contrat d'agent du 19 mars 1990, est intervenue régulièrement le 17 décembre 1992, à effet au 31 décembre 1993 et ne présente aucun caractère abusif;
Considérant qu'il s'ensuit que l'appelante doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
Considérant que Maître Le Taillenter doit être mis hors de cause dès lors qu'il a été mis fin à ses fonctions d'administrateur judiciaire de la société Delaunay et Gendre ;
Considérant que l'équité ne commande pas, en l'espèce, l'application des dispositions de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Met Maître Le Taillenter hors de cause, Confirme le jugement entrepris, Déboute les parties de toute autre demande ; Condamne la société Delaunay et Gendre aux dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Jupin & Algrin, avoués conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.