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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 18 février 1994, n° 91-15007

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autre Chose Communication (SARL)

Défendeur :

Sepam (SA), Moore-Paragon (SA), Pierrel (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Lefèvre

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Valdelièvre-Garnier, Me Lecharny, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Martin, Feder.

T. com. Paris, 5e ch., du 24 mai 1991; T…

24 mai 1991

La société anonyme Sepam - Groupe Solvay - fabrique entre autres produits un traitement " Xyladecor " protégeant les bois et assurant leur coloration.

En 1988, la société Sepam a décidé de consacrer cinq millions de francs à une opération publicitaire ayant pour objet de stimuler la vente d'un stock ancien et en fin de campagne, de présenter les bidons " nouvel habillage " du produit Xyladecor. Elle s'est adressée pour la conception et la réalisation à la société " Autre Chose Communication " dite ACC ; celle-ci a proposé un " grand jeu " d'un coût de 1 500 000 F environ. Cette opération devait s'étendre du 13 mars au 31 août 1988.

Pour exécuter les prestations, la société de publicité devait notamment éditer 1 200 000 bulletins contenant une grille de grattage et de pochettes adhésives dont elle sous-traite en février 1988 la fabrication à la société Moore-Paragon, imprimeur spécialisé.

Ces bulletins de participation au " grand jeu " ont été diffusés auprès d'un million de revendeurs, placés sur les conditionnements du produit, ou sur simple demande écrite adressée à la société Sepam. Le règlement du jeu a été déposé chez Maître Avalle, huissier de justice.

La société Sepam a rapidement constaté que les gagnants de lots cadeaux étaient plus nombreux que prévu et, recherchant la cause de cette augmentation considérable du nombre des gagnants, a constaté qu'il était d'autant plus facile de choisir parmi les 18 cases proposées les 9 correspondant aux lettres du mot Xyladecor ou les jokers de substitution dont le grattage sélectif désignait un gagnant ; que la présence des lettres ou jokers recherchés était détectable avant tout grattage par simple transparence face à une lumière forte. La société Moore-Paragon est intervenue pour corriger à ses frais exclusifs ces malfaçons sur les 713 600 bulletins qui n'avaient pas encore été livrés ou diffusés.

Estimant que le remède apporté manquait d'efficacité et qu'il était porté atteinte à sa réputation, la société ACC a obtenu en référé, le 16 juin 1988 la nomination d'un expert, Monsieur Cossard, afin de vérifier si les modalités du marché avaient été respectées et dans la négative de définir les responsabilités encourues et les préjudices subis.

De son côté, la société Sepam a saisi le 27 janvier 1989 le juge des référés pour faire rechercher par expert les responsabilités des erreurs de la campagne publicitaire et pour évaluer son propre préjudice, et a obtenu le 10 février suivant la nomination conjointe de Messieurs Dubreuil et Cossard.

Monsieur Cossard a déposé son premier rapport le 13 mars 1989 bien que la société ACC lui ait demandé de surseoir à ce dépôt tant que le préjudice de la société Sepam ne serait pas chiffré ; sur demande de la société ACC, cet expert a été remplacé le 17 avril suivant par Monsieur de Gavelle de Roany pour la seconde mission collégiale qui lui avait été confiée.

Dès le 17 février 1989, et sans attendre le dépôt du premier rapport, la société Moore-Paragon qui avait appris par l'expert que la société ACC aurait été payée par la société Sepam de la plus grande partie du marché, a assigné sa co-contractante en paiement de ses propres factures pour un montant total de 701 877,99 F.

Par jugement contradictoire du 31 janvier 1990, le Tribunal de commerce de Paris a intégralement fait droit à cette demande et a ajouté des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1988 une somme de 25 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive et 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société ACC est appelante de cette décision dont la condamnation principale a été assortie de l'exécution provisoire. Cet appel fait l'objet au greffe du numéro d'enregistrement 90 7132. Par ordonnance du premier Président de la cour d'appel datée du 5 octobre 1990, l'exécution provisoire a été suspendue pour moitié de la condamnation ; par ordonnance du 12 décembre 1990, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé la société ACC à régler cette somme de 336 337 F en 12 mensualités dont la première n'a pas même pas été payée ;

Messieurs de Roany et Dubreuil ont déposé leur rapport sur la seconde mission le 28 février 1990 ; ils concluent qu'ACC doit 495 270,82 F à la société Moore-Paragon et 70 871,73 à la société Sepam.

Cependant, dès les 6 et 7 avril 1989, la société Sepam avait assigné au fond ses deux partenaires dans l'attente du rapport des deux experts nommés en février.

La société ACC, dans le cadre de cette même procédure a assigné la société Sepam et la société Moore-Paragon les 10 et 15 mai 1990 au vu des conclusions de Messieurs de Roany et Dubreuil, afin d'être entièrement indemnisée de son préjudice par le fabricant des bulletins défectueux.

Par jugement contradictoire du 24 mai 1991, le Tribunal de commerce de Paris :

- a condamné la société ACC à payer 70 871,73 F à la société Sepam, et 495 270,82 F à la société Moore-Paragon et a partagé par tiers entre les parties la charge des dépens.

La société ACC, puis la Sepam ont relevé appel de ce jugement dont l'exécution provisoire a été exclue. Leurs recours ont été enregistrés au greffe de la cour sous deux numéros différents et ont fait l'objet d'une jonction par le conseiller de la mise en état le 22 novembre 1991 sous le numéro 91-15 007.

Par jugement du 17 octobre 1991, la société ACC a été déclarée en liquidation judiciaire et Maître Pierrel a été nommé liquidateur ; en application de l'article 369 du nouveau Code de procédure civile, un arrêt de la présente cour du 26 mars 1992 a constaté l'interruption de l'instance d'appel du jugement du 31 janvier 1990 et a ordonné son retrait du rôle de la cour.

Sur réinscription par la société Moore-paragon, le 9 septembre 1993, sous le numéro 93-20061 du rôle avec assignation le 2 septembre précédent de Maître Pierrel ès qualités, celui-ci est intervenu en constituant un avoué différent de celui de la société ACC.

Maître Pierrel est également intervenu dans la procédure d'appel du deuxième jugement représenté par le même avoué.

Les deux dossiers concernent l'exécution d'un seul et même marché partiellement sous-traité. La société Moore-Paragon a obtenu par chacun des jugements déférés la condamnation de sa partenaire ACC ;

Maître Pierrel a conclu le 19 janvier 1994 dans le cadre de l'appel du second jugement au bénéfice de ses conclusions signifiées dans le cadre de l'appel du premier jugement. La société Moore-Paragon, bien que bénéficiant aux termes des deux jugements d'une double condamnation, a demandé elle aussi la jonction des appels le novembre 1993.

La connexité des procédures et l'intérêt d'une bonne administration de la justice exigent qu'il soit statué sur les appels des deux décisions par un seul et même arrêt.

Prétentions des parties

Maître Pierrel, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société ACC, appelante des deux jugements, soutient principalement que doit être retenue la responsabilité exclusive dans l'échec de la campagne de promotion du Xyladecor de la société Moore-Paragon (dite Moore), qui l'aurait admise dans des télex et courrier des 25 mars et 8 avril 1988. Il réclame en conséquence en l'état de ses dernières écritures à titre principal à la société Moore 659 128,25 F en réparation du préjudice de la société ACC et 50 000 F de dommages-intêrêts, et à la société Sepam 226 773,28 F pour solde de ses factures restées impayées.

Subsidiairement, au cas où la cour retiendrait une responsabilité partielle de la société ACC, son mandataire-liquidateur demande que soit fixée la créance éventuelle de la société Moore déclarée régulièrement au passif de la liquidation judiciaire début 1992 à hauteur de 516 019,05 F et qu'il soit affirmé que cette détermination de créance fait en toute hypothèse novation au jugement du 31 janvier 1990. Enfin, Maître Pierrel demande aux deux autres parties 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Sepam se fonde sur la compétence et la spécialisation de la société ACC dans la conception de jeux publicitaires pour dénoncer la fantaisie de ses prévisions quant au nombre des gagnants du grand jeu et demande que lui soit imposée la prise en charge du coût des lots supplémentaires générés par les malfaçons des bulletins. Elle demande ainsi que la société ACC soit condamnée à lui verser 258 800 F de ce chef, outre 1 200 000 F au titre du préjudice commercial et 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile somme portée à 50 000 F dans ses écritures au 17 décembre 1993. Suite à la procédure collective de la société de publicité, la société Sepam a produit le 14 janvier 1992 sa créance entre les mains de Maître Pierrel à hauteur de 1 458 000 F.

Elle conclut par écritures rectificatives du 4 novembre 1993 à la fixation de sa créance dans cette limite.

A l'égard de la société Moore-Paragon, la société Sepam conclut en plusieurs étapes à sa condamnation directe au paiement de 1 200 000 F, solidairement avec ACC, au titre de son préjudice commercial de 500 000 F pour son préjudice " moral ", et de 638 000 F pour remboursement des bulletins impropres et pour frais de " restrickage " consécutifs aux " vols " de bulletins commis par les consommateurs. Elle réclame enfin 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Moore-Paragon, se fondant sur l'avis de l'expert Monsieur Cossard, prétend que la transparence relative de la grille des bulletins, à laquelle elle a remédié à ses frais des qu'elle lui a été signalée, n'a joué qu'un rôle secondaire dans le surcoût des dépenses de promotion par rapport aux prévisions de la société ACC. Rejetant sur cette dernière la responsabilité de l'échec de la campagne, elle conclut que la société Sepam n'est pas fondée en son action contre elle, et trouve dans le second rapport d'expertise la confirmation d'une erreur de conception du jeu concours imputable à la société ACC. Elle soutient par ailleurs que la société Sepam ne ferait pas la preuve d'un préjudice imputable aux défauts d'impréssion des bulletins. La société Moore conclut donc au rejet des demandes de la société Sepam et à sa condamnation au paiement de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ayant par ailleurs produit à la procédure collective de la société ACC à hauteur de 516 019,05 F, chiffre proposé par les experts, elle demande la fixation de sa créance à ce montant y ajoutant 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Sa créance correspond exactement au montant de la condamnation prononcée à son profit par le jugement du 24 mai 1991 soit 495 270,82 F somme augmentée des intérêts au taux légal du jour de ce jugement au 17 octobre 1991, date d'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société ACC arrêtant le cours des intérêts en application de l'article 55 de la loi de 1985 ;

Le 3 juillet 1990 et par écritures resignifiées le 7 janvier 1994, elle demande la capitalisation des intérêts dus sur la somme principale de 701 877,99 F.

Le même jour 7 janvier 1994, elle signifie à nouveau les précédentes conclusions où il n'est question que de la somme de 516 019 105 F, et sans qu'il soit fait état de capitalisation.

Motifs de la cour :

Sur les causes de l'échec de la campagne publicitaire :

Considérant que la société Autre Chose Communication est à l'origine de la première procédure initiée en réplique aux demandes de paiement de ses factures présentées par l'imprimeur Moore-Paragon ; qu'elle a toujours soutenu que l'échec de l'ensemble de l'opération promotionnelle qui sera arrêtée dès juin 1989 par la société Sepam, était exclusivement imputable aux défauts de fabrication d'une partie des 1 200 000 bulletins de souscription grattables commandés le 15 février.

Que l'expert Monsieur Cossard a constaté, ce que la société Moore-Paragon ne conteste pas, que les lettres des grilles apparaissaient en relief ou par transparence, ce qui facilitait le choix des cases gagnantes et ne pouvait qu'inciter les consommateurs à participer à un jeu aussi facile, quitte même à voler les grilles par simple arrachage des pochettes les contenant collées sur les bidons de Xyladecor exposés à la vente ;

Que la société Moore-Paragon, en réponse à un télex du 25 février 1989 et par deux fois, a essayé de porter remède à cette erreur de fabrication, d'abord par un vernissage dit " scotchage " sur les 450 000 premiers bulletins pour " éliminer le relief " puis, la transparence subsistant, par la pose au verso des 800 000 bulletins restant à livrer d'une étiquette adhésive imprimée ; que ces modifications réalisées aux frais de la société Moore-Paragon ont eu pour effet que les livraisons n'ont pu être achevées le 1er mars 1988, comme cela était spécifié sur la commande, mais ont été échelonnées sur le mois ; que dès le 21 mars, la société ACC, surprise de constater un afflux de grilles gagnantes supérieur aux prévisions, a fait dresser un constat par un huissier de justice confirmant que la lecture des grilles était possible avant grattage grâce à leur transparence ;

Que l'insuffisance des justifications du préjudice allégué, le fait que l'imprimeur ait gratuitement remédié aux défauts constatés et les conditions générales de vente des Industries Graphiques limitant la responsabilité de ce dernier à la valeur de la fourniture contestée sans prise en considération des préjudices indirects ont conduit l'expert Cossard et à sa suite le tribunal, dans son premier jugement, à allouer à la société Moore-Paragon l'intégralité du solde de sa facture, soit 701 877,99 F.

Considérant que seule une seconde expertise cette fois tripartite puisque la société Sepam en a pris l'initiative, a permis de replacer les difficultés rencontrées pendant le déroulement du jeu-concours dans le contexte de la campagne publicitaire commandée à la société ACC.

Qu'ainsi, de multiples facteurs sont apparus, certains imputables à l'une des parties, d'autres non quantifiables imputables à la conjoncture économique et climatique, pour expliquer l'échec apparent de la promotion du produit Xyladecor ;

Considérant que le choix le 8 novembre 1987 par la société Sepam de la proposition de la société ACC, de préférence à celles d'autres publicistes consultés reposait sur l'idée, qualifiée par cette dernière d'originale, d'un concours à " double détente " où tous les concurrents allaient gagner un prix en franchissant deux étapes sans obligation d'achat :

- dévoiler par grattage les 9 lettres du mot Xyladecor, quitte à utiliser des jokers en achetant un bidon,

- participer au tirage au sort, après élimination des doublons et autres irrégularités, qui déterminerait si le porteur d'une grille convenablement grattée avait gagné l'un des prix allant d'un voyage à Hollywood, un caméscope ou d'autres prix de valeur à de simples porte-clefs.

Que dès ce stade de la conception du projet de la société à responsabilité limitée ACC, la cour ne peut que retenir l'absence de prudence des contractants qui n'ont même pas formalisé leurs accords en un contrat écrit alors qu'ils convenaient d'une action promotionnelle assortie de la diffusion de spots télévisés d'un prix considérable ; que la société Sepam ne paraît même pas s'être enquise de la compétence de la société ACC qui s'est bornée, alors que les experts l'interrogeaient sur sa spécificité et sur l'étendue de son expérience professionnelle, à exposer succinctement sa constitution en 1987, son objet d'Agence de promotion et l'expérience qu'auraient acquise ses membres au cours des dix années antérieures ;

Que la société ACC a entièrement conçu le jeu-concours et forte de ses calculs de probabilité a convaincu sa partenaire de ce que le nombre des gagnants ne dépasserait pas 6 637 dans l'hypothèse initiale dont 30 % seulement feraient l'effort de renvoyer leur bulletin de participation au tirage soit 1 991 gagnants en fin de ce concours à " double détente " ;

Que la société Sepam a alors négocié une modification de la répartition entre les bulletins sous sachets collés sur les bidons, et les bulletins disponibles mis à la disposition des consommateurs sans obligation d'achat, de façon à porter les " remontées " à 40 % ; qu'un nouveau calcul de la société ACC, portait le nombre maximum de gagnants à 4 784 sur 1 200 000 bulletins en circulation.

Qu'en fait, lors de l'arrêt anticipé en juin 1988 de l'action promotionnelle à l'initiative de la société Sepam, 22 914 bulletins avaient été renvoyés aux organisateurs portant, après élimination des bulletins nuls et des doublons le nombre des gagnants à 13 940; que ces retours d'une ampleur inattendue se sont cependant produits en dépit des efforts des trois intervenants pour tenter de réparer les défauts relevés sur les bulletins, incontestablement imputables à la société Moore-Paragon sous-traitante, et pour minimiser les conséquences économiques de ce " loupé d'imprimerie ".

Qu'il convient dès lors de rechercher si le dépassement peut être attribué exclusivement aux défauts des bulletins, à une erreur d'estimation que la société ACC aurait commise, ou à une erreur de conception, imputable à la société ACC, de l'ensemble de la promotion acceptée par la société Sepam.

Considérant que la société ACC s'est lourdement trompée dans ses estimations du nombre des gagnants puisqu'il y en a eu trois fois plus pour seulement 750 000 bulletins distribués ;qu'aucune des parties n'apporte cependant la preuve que cette différence entre les prévisions et le résultat réel ne serait due qu'à la transparence des seuls premiers 384 100 bulletins ;

Que la conception même du jeu défini en ces termes : " Tous les bulletins sont gagnants, grattez et gagnez, pas d'obligation d'achat " n'est certainement pas étrangère à l'échec financier de la campagne, qui n'a pas permis à la société Sepam d'écouler tout son stock d'emballages anciens et qui l'a, semble-t-il, contrainte à cesser la promotion bien avant son terme ;que la société ACC n'a pas su mesurer en effet à l'avance les remontées qui découleraient d'une offre trop attrayante portée en gros " strikers " sur les bidons de Xyladecor, dans des pochettes qui pouvaient aisément être détachées ;

Que la société ACC a de plus manqué de vigilance, tout comme secondairement la société Sepam en n'exigeant pas la transmission par l'imprimeur de " bonnes feuilles " après travail terminé et en l'invitant le 26 février 1988 à livrer directement sans son contrôle les bulletins aux grossistes, au motif d'un retard de quelques jours dans leur production ;

Que cette faute doit cependant être partagée avec la société Moore-Paragon elle-même, spécialiste des encres grattables et de l'exécution de qualité de commandes sophistiquées, à laquelle incombait l'obligation de contrôler sa production avant toute livraison ;

Que la société Moore-Paragon est d'ailleurs à l'origine du premier retard dans la livraison des 400 000 bulletins ; qu'ayant en effet constaté l'apparition dans les cases grattables d'un relief des lettres apposées par le lasériste, elle en a avisé la société ACC le 25 février 1988, en a corrigé la malfaçon et a retardé cette livraison sans contrôle de bonnes feuilles entre le 3 et le 8 mars ;

Que la société ACC reporte à tort l'échec de la promotion du Xyladecor sur la faute de compétence technique de l'imprimeur ;que celui-ci ne saurait cependant être responsable de l'arrachage des pochettes sur les bidons ;qu'il n'avait pas la charge de leur fixation ;qu'il apparaît qu'en fait les consommateurs ont été incités à la tricherie par la découverte de la transparence des bulletins en les prenant le plus souvent sur les consoles dans les magasins où ils étaient mis à leur disposition sans obligation d'achat ;que la conception même du jeu n'a pu qu'aggraver considérablement le nombre artificiel de gagnants ;

Que dès le 21 mars 1988, enfin, soit une semaine après le lancement de la campagne, la société Moore-Paragon a été avisée par la société ACC de la malfaçon et a procédé à la pose gratuite d'une étiquette adhésive au verso des 800 000 bulletins restant à livrer entre le 5 avril et le 1er juin ;

Considérant, en conséquence, que les experts ont justement proposé un partage des responsabilités par moitié pour les deux postes d'achat supplémentaire de porte-clefs et de frais de restrickage exposés par la société Sepam ;

Sur les préjudices :

Préjudice de la société Sepam :

Considérant que cette société a exposé les frais sus-évoqués pour répondre aux demandes supplémentaires des gagnants imprévus et pour " restriker " les bulletins défaillants en envoyant son personnel dans un millier de magasins des détaillants, ce qui a coûté 283 000 F en salaires, charges sociales et frais de déplacement ; que, cependant, le supplément de porte-clefs, d'un prix de 258 000 F, a servi à d'autres actions commerciales, ce qui a permis à juste titre aux experts de limiter les frais concernant la seule campagne litigieuse à 158 000 F, coût d'une des deux commandes.

Qu'ainsi, la société Moore-Paragon et la société ACC la première dans le cadre d'une responsabilité quasi-délictuelle prévue par l'article 1382 du Code civil doivent rembourser chacune à la société Sepam :

- 79 000 F pour achat supplémentaire de porte-clefs,

- 141 500 F pour frais de restickage ;

Considérant, par ailleurs, que la société ACC n'a jamais payé certains bulletins et pochettes à la société Moore-paragon en raison notamment de la cessation anticipée de la campagne, que la société Sepam en ayant intégré le prix dans le budget de l'opération confiée à la société ACC doit le lui restituer soit, selon estimation des experts, 283 233,96 F, portant sa dette totale à l'égard de la société Sepam à : 141 500 + 79 000 + 283 233,96 = 503 733,96 F ;

Considérant que la société Sepam estime qu'un préjudice commercial de 1 200 000 F, imputable aux deux autres parties, et un préjudice " moral ", imputable à la société Moore-Paragon, ont été générés par l'échec de la campagne publicitaire ; qu'elle a refusé cependant d'en donner les éléments d'appréciation afin à ses dires, d'éviter la concurrence et de conserver la confidentialité de sa gestion ;

Qu'en réalité, la légèreté du choix de son partenaire publiciste avec lequel elle n'avait conclu aucun contrat écrit, et l'arrêt anticipé de la campagne à une époque où les bulletins en circulation n'étaient plus atteints de défauts et avaient été reconditionnés sur les bidons de Xyladecor, ont contribué au manque à gagner dont elle se plaint ; qu'en outre, s'agissant d'une personne morale, l'existence alléguée d'un préjudice " moral " dissociable du préjudice commercial demeure à démontrer ;

Qu'il n'en demeure pas moins que la campagne publicitaire a été perturbée dès l'origine par les défauts retenus pour fautes contractuelle pour l'une quasi-délictuelle pour l'autre, à l'encontre des sociétés ACC et Moore-Paragon, que la cour, eu égard au coût de cette campagne mais aussi à son interruption prématurée, est à même d'évaluer le préjudice commercial dont les sociétés ACC et Moore-Paragon doivent réparation, par moitié pour chacune, à 200 000 F ;

Préjudice de la société ACC :

Considérant qu'outre le solde impayé par la société Sepam de sa prestation, à hauteur incontestée de 226 673,28 F, la société ACC réclame à la société Moore-Paragon 659 218,25 F pour son préjudice en raison de la faute de son sous-traitant ;

Considérant cependant que les experts et le tribunal à leur suite, ont justement écarté la somme de 300 000 F inclus dans ce préjudice pour perte de la clientèle de la société Sepam ; que celle-ci n'était en effet pas sa cliente habituelle, et ne s'était jamais engagée à poursuivre une relation commerciale ; qu'enfin, aucun contrat-cadre ne liait les parties, au point que la conception du jeu n'avait pas fait l'objet de facturation ;

Qu'une étude des frais dont la société Sepam reste redevable (factures d'un informaticien et d'ASMD Conseil en informatique, frais d'huissiers, fournitures de bureau...) a permis aux experts d'ajouter à la facture de 226 673,28 F une somme complémentaire portant l'ensemble de la dette de la société Sepam à 432 362,23 F ;

Préjudice de la société Moore-Paragon :

Considérant qu'il s'agit moins d'un préjudice, que de sommes lui étant dues au titre des commandes reçues de la société ACC ; que celle-ci, en effet, tout en étant presque intégralement payée par la société Sepam, n'a pas versé un seul acompte à l'imprimeur, avant la mise en place d'une saisie-arrêt à hauteur de la moitié de la somme de 701 877,99 F allouée par le premier jugement déféré ;

Considérant que le second jugement, entérinant le décompte que les experts ont établi à partir des justificatifs de frais supplémentaires exposés par la société ACC du fait de la faute de la société Moore-Paragon, a justement défalqué sa créance de 206 607,17 F en lui imputant la charge d'un constat d'huissier dressé à la requête d'ACC (1 018,80 F), d'une facture Manpower de main d'œuvre supplémentaire (1 645,69 F) et d'une pénalité modérée de 5 % pour l'ensemble de sa prestation pour ce retard de livraison sans conséquence notable sur le déroulement de la campagne (35 093,90 F) ; que doit s'y ajouter le coût de 381 400 bulletins sous étiquettes à défalquer ;

Que la société Moore-Paragon n'est pas fondée à limiter sa responsabilité sur le fondement des conditions générales de vente des Industries Graphiques qui n'ont aucune valeur légale, n'ont jamais été portées à la connaissance de la société ACC au moment de sa commande et ne sont donc pas intégrées dans l'accord des parties ;

Qu'ainsi, la dette de ACC a exactement été réduite par le jugement du 24 mai 1991 à 495 270,82 F ;

Considérant en conséquence que les comptes des parties s'établissent en définitive de la manière suivante

- dette d'ACC à l'égard de Moore-Paragon : 495 270,32 F.

- dette d'ACC à l'égard de Sepam : 603 233,96 F.

- dette de Sepam à l'égard de ACC : 432 362,23 F.

- dette de Moore à l'égard de Sepam : 100 000 F.

Qu'après compensation entre la créance et la dette connexes de la société ACC à l'égard de la société Sepam, cette dernière reste créancière de 170 871,73 F,

Considérant que l'équité ne justifie pas l'indemnisation par l'un ou l'autre des intervenants dans la campagne publicitaire des frais irrépétibles de défense exposés par la société Sepam ; qu'en revanche, la double responsabilité majeure de ces intervenants et leurs dettes à l'égard de la société Sepam permettent de mettre à leur charge les dépens du jugement du 24 mai 1991 et du présent arrêt ; que l'absence de tout paiement avant le jugement du 31 janvier 1990 conduit en revanche la cour à en imputer la charge exclusive expertise de Monsieur Cossard comprise à la société ACC même si la condamnation alors prononcée a été réduite par la seconde décision ;

Considérant enfin que la société Moore-Paragon n'est pas fondée à réclamer le 7 janvier 1994 des intérêts sur la somme de 701 877,99 F qui a fait l'objet d'une réduction par le second jugement, et alors que par conclusions du même jour, elle limite sa propre réclamation à 516 019,05 F ;

Que la complexité des responsabilités et des comptes et les compensations ordonnées obligent à considérer que toutes les dettes et créances portent valeur au jour du présent arrêt, et que de ce fait les intérêts ne partiront que de sa signification ; que la demande de capitalisation formulée le 7 janvier 1994 par la société Moore-Paragon ne remplit donc pas encore les conditions requises par l'article 1154 du Code civil ;

Par ces motifs, LA COUR, Ordonne la jonction des appels des jugements du 31 janvier 1990 et du 24 mai 1991 ; Réformant partiellement ces deux décisions et statuant à nouveau sur l'ensemble des demandes - Condamne la société Moore-Paragon à payer à la société Sepam 100 000 F de dommages-intérêts ; Vu le jugement du 17 octobre 1991 prononçant la liquidation judiciaire de la société Autre Chose Communication (ACC)et après compensation entre sa créance et sa dette à l'égard de la société Sepam, Fixe la créance définitive de la société Sepam sur la liquidation judiciaire de la société ACC à 170 871,73 F - Fixe la créance définitive de la société Moore-Paragon sur la liquidation judiciaire de la société ACC à 495 270,32 F ; Déboute les parties de toutes leurs autres prétentions complémentaires ou contraires ; Condamne Maître Pierrel ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ACC aux dépens du jugement du 31 janvier 1990, comprenant le frais du rapport d'expertise de Monsieur Cossard ; Fait masse des dépens du jugement du 24 mai 1991 comprenant les frais du rapport d'expertise de Messieurs Dubronic et de Roany, et des dépens du présent arrêt, et dit que Maître Pierrel ès qualité d'une part, et la société Moore-Paragon d'autre part en supporteront chacun la moitié de la charge ; Reconnaît dans ces limites aux avoués de la cause et pour le tout à la société civile professionnelle d'avoués Valdelièvre-Garnier le droit de recouvrement direct prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.