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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 5 juillet 2001, n° 1999-12129

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Century 21 France (SA)

Défendeur :

Agence Pyramide Vecteur Investissement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Briottet

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Narrat Peytavi

Avocats :

Mes Helwaser, Sadkowski Ramo.

CA Paris n° 1999-12129

5 juillet 2001

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la SA Century 21 France du jugement contradictoirement rendu le 25 mars 1999 par le Tribunal de commerce d'Evry qui, dans le litige l'opposant à son ancienne franchisée, la SARL Pyramide Vecteur Investissement, ci-après PVI, a constaté que celle-ci avait réglé le montant des factures réclamées par l'appelante, a débouté celle-ci de ses demandes et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer à l'intimée 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de son recours l'appelante fait valoir dans ses dernières écritures du 11 septembre 2000:

- que si le règlement des redevances de franchise et la communication du chiffre d'affaires réalisé depuis le 30 juin 1997 ont eu lieu, c'est en raison de l'assignation délivrée à la société PVI, de sorte que sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles supportés par l'intimée est abusive,

- que son ancienne franchisée s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme dans la mesure où elle a sciemment conservé l'apparence d'une agence Century 21 avec l'utilisation de panneaux noirs ou bleus foncés, d'affichettes de vitrine et de caissons avec enseigne,

- elle utilise tant les couleurs du réseau de l'appelante que, à titre d'enseigne, un logo qui est l'imitation quasi-servile du logo Century 21 représentant le dessin d'un toit d'une maison et sa structure, ce pour créer une confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne,

* elle imite de manière illicite le certificat d'évaluation créé par la société Century 21 et reproduit dans son " Manuel des Procédures et Politiques ",

* elle dénigre le réseau Century 21 en tentant de faire croire que son agence changeait d'enseigne pour offrir un meilleur service,

- que les agissements de l'intimée lui causent un préjudice certain,

- que c'est à tort que la société PVI d'une part prétend que l'insertion de la formule " Cessation de l'agence de la société Pyramide " dans son bulletin interne a eu des conséquences néfastes pour son activité, d'autre part sollicite le remboursement des sommes par elle versées à l'association CNA, personne morale distincte qui, créée entre les franchisés, n'est pas dans la cause.

En conséquence, la société Century 21 France prie la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, d'ordonner la cessation, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter de la décision à intervenir, de l'utilisation des couleurs, du logo dans tout document publicitaire ou commercial, notamment dans le certificat d'évaluation, d'ordonner la modification, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, de l'aspect de l'agence immobilière, de manière à faire cesser tout risque de confusion et un trouble manifestement illicite, de condamner la société PVI à lui payer 250 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme, de débouter l'intimée de ses demandes et de la condamner, outre aux dépens, à lui verser 50 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

La société PVI réplique:

- qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté qu'elle s'était acquittée du paiement des sommes réclamées par son ancien franchiseur et qu'elle avait communiqué à celui-ci son chiffre d'affaires,

- que, comme en attestent deux procès-verbaux dressés par des huissiers de justice, l'un le 1er décembre 1997, l'autre le 30 mars 2000, elle a pris toutes précautions utiles pour éviter une quelconque similitude avec les sigles distinctifs du réseau Century 21 (vitrine et affichettes modifiées ...),

- que c'est à tort que l'appelante soutient qu'elle utilise un logo quasi-identique au sien, de nombreuses différences existant entre eux,

- que le certificat d'évaluation, modifié ultérieurement en certificat d'estimation, est, lui aussi, différent de celui utilisé par la société Century 21 France,

- que ses publications ne dénigrent pas son ancien franchiseur en mentionnant: " Nous avons changé d'enseigne pour mieux vous servir ",

- que l'annonce de la cessation de son agence par l'appelante dans son journal "Le Bulletin" lui a causé un préjudice incontestable,

- qu'elle est fondée à réclamer la restitution de la somme par elle versée au CNA (Centre National des Agences).

Dès lors, l'intimée conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Century 21 France de ses demandes, à son infirmation pour le surplus et à la condamnation de son ancien franchiseur:

* à rectifier, à ses frais, le journal " Le Bulletin " annonçant la cessation de l'agence Pyrénées Ménilmontant et à lui payer, de ce chef, 150 000 F de dommages-intérêts,

* à ordonner " la restitution de la somme due à la société PVI au titre du Conseil National des Agences ",

* à lui payer 30 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Sur ce:

Considérant que la société PVI, qui exploite une agence immobilière sise 87 rue de Ménilmontant à Paris 20e, a, pour une durée de cinq ans, conclu le 1er décembre 1992 avec la société Century 21 France un contrat de franchise stipulant en particulier:

- au dernier alinéa de l'article 3: " En cas de résiliation du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, le Franchisé s'engage à déposer l'enseigne Century 21 et à retirer tous les éléments d'identification de l'agence dans les quarante-huit (48) heures de la cessation sous peine du paiement de l'astreinte prévue à l'article 16 ",

- dans cet article 16: " A la fin du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé devra déposer à ses frais, sans délai, l'ensemble des éléments d'identification et d'appartenance de son agence au réseau Century 21 de même qu'il devra immédiatement cesser d'utiliser la marque, le système Century 21 et tout le matériel s'y rapportant. Il cessera immédiatement de se prévaloir sous quelque forme que ce soit de son appartenance au réseau, même en indiquant seulement sa qualité d'ancien Franchisé.

" Toute infraction aux dispositions susvisées sera sanctionnée par une astreinte de deux mille (2 000 F) par jour de retard, sans préjudice de tous autres dommages et intérêts, s'il y a lieu ";

Considérant que, venant à échéance le 30 novembre 1997, ce contrat n'a pas été renouvelé et que l'appelante a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 décembre 1997, demandé à son ancien franchiseur de lui fournir toutes informations sur son activité pour établir un décompte définitif et de déposer dans les dix jours " l'ensemble des éléments d'identification et d'appartenance " au réseau Century 21;

Considérant que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 janvier 1998 le conseil de la société Century 21 France a mis en demeure l'intimée de régler à sa cliente la somme de 12 931,56 F, de déclarer son chiffre d'affaires " notaire " depuis le 30 juin 1997 et " d'avoir à cesser, dès réception de la présente, toutes publicités avec les couleurs et un logo similaire à celui de Century 21 ainsi que l'utilisation de la marque Century 21 sur les panneaux que vous avez pu poser sur des biens à vendre ";

Considérant que dans ses conclusions l'appelante reproche à la société PVI le maintien de ses signe distinctifs, l'imitation illicite de son logo et de son certificat d'évaluation et le dénigrement de son réseau par l'emploi du slogan: " Nous avons changé d'enseigne pour mieux vous servir ":

Considérant tout d'abord que la société Century 21 France verse aux débats des extraits de son " Manuel de Politique et Procédures ", lequel est entré dans le champ contractuel, faisant apparaître une " façade standard " comportant:

- d'une part, constitués de " panneaux " éclairés en " aluminium laqué au four " " de couleur noire avec un liseré jaune ", un " module central ", où figurent le logo Century 21 avec le nom de l'agence en lettres blanches et une " maison stylisée " en traits jaunes, ainsi que des " modules d'accompagnement " répartis symétriquement de part et d'autre de l'enseigne ",

- d'autre part, des " équipements complémentaires " composés en particulier de " stores vénitiens dorés pour équiper la totalité de la vitrine " et de panneaux d'affichage;

Considérant qu'il est établi par les photographies annexées aux procès-verbaux d'huissiers de justice dressés à la requête de la société PVI le 1er décembre 1997, de l'appelante les 20 février 1998 et 6 mai 1999 puis encore de l'intimée le 30 mars 2000 que jusqu'à cette dernière date, hormis les affichettes dont rien ne permet d'affirmer leur ressemblance avec celles utilisées par le réseau Century 21, la société PVI a utilisé pour sa façade, outre des " stores vénitiens dorés ", un " module central ", où figurent en blanc le mot " Odysée " et une maison stylisée, ainsi que des "modules d'accompagnement" constitués, comme pour le réseau Century 21, de " panneaux " ou de " caissons " de couleur noire avec un liseré jaune répartis symétriquement de part et d'autre de l'enseigne;

Considérant que, même si ces " panneaux " ou " caissons " ne figurent pas sur toutes les façades des agences du réseau appartenant à l'appelante, il n'en demeure pas moins qu'ils constituent, avec les stores dorés, des " éléments d'identification et d'appartenance " à ce réseau, de sorte que, conformément aux stipulations contractuelles, la société PVI se devait de les retirer lors de la cessation du contrat de franchise pour éviter tous risques de confusion pour un consommateur d'attention moyenne;

Considérant qu'à compter du 30 mars 2000 l'intimée a, sauf pour les stores, modifié la présentation de sa façade qui depuis lors comporte, au lieu de caissons, un bandeau métallique bleu foncé avec un liseré jaune sur lequel figurent, étalés, en lettres et traits jaunes, " Odysée " avec, au-dessous, une maison stylisée dont il sera question plus tard;

Que force est de constater que ces nouveaux éléments, distincts, sauf les stores, de ceux figurant dans le " Manuel de Politique et Procédures ", ne permettent pas pour un consommateur d'attention moyenne de confondre l'agence de la société PVI avec une agence Century 21;

Considérant que, ceci étant, le logo Odysée, qui comporte, au-dessous de ce nom, une maison stylisée, n'est pas, contrairement à ce que soutient l'appelante, une " imitation quasi-servile " de son logo dans la mesure où les différences sont importantes et ne peuvent être source de confusion;

Qu'à cet égard, en effet, outre que bon nombre d'agences immobilières utilisent comme logo, ainsi qu'il en est justifié, un toit de maison plus ou moins stylisé avec des flèches ou des boussoles pour indiquer leur secteur d'activité, il y a lieu d'observer en l'espèce que le toit d'Odysée est plus grand avec un mur symbolisé par un trait vertical à l'extrême gauche et, à partir du milieu de celui-ci, une longue flèche horizontale orientée vers l'Est parisien, secteur d'activité de la société PVI, alors que le logo Century 21, plus épais et dépourvu de flèche, comporte un mur stylisé moins grand à l'extrême droite avec, à la base de celui-ci et bien en retrait, un trait horizontal;

Considérant par ailleurs que, comme l'ont relevé les premiers juges, le " certificat d'évaluation ", devenu d'ailleurs ultérieurement " certificat d'estimation ", de la société intimée diffère, lui aussi avec netteté, de celui utilisé par la société Century 21; qu'en effet, si les mentions " offert par " et " donnent droit à une évaluation... " sont identiques, les autres, fort nombreuses, sont distinctes;

Considérant enfin que la phrase: " Nous avons changé d'enseigne pour mieux vous servir " qui figure dans des journaux gratuits destinés au public ne constitue pas à elle seule la manifestation d'une volonté de dénigrer l'appelante;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société PVI a utilisé du 30 novembre 1997 au 30 mars 2000 et utilise encore, avec un store vénitien doré, des éléments d'identification et d'appartenance au réseau Century 21;

Que dès lors elle sera condamnée à retirer ce store sous astreinte provisoire de 2 000 F par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du présent jugement à la société PVI;

Que, par ailleurs, ces fautes n'ont pas manqué de créer une confusion dans l'esprit du consommateur moyen et d'occasionner ainsi à l'appelante, qui a de la sorte perdu en l'espèce une chance de voir des clients s'adresser chez ses franchisés, un préjudice que les éléments versés aux débats permettent d'évaluer, compte tenu en particulier de la durée des infractions, à la somme de 95 000 F;

Considérant que, en ce qui concerne les griefs formés par la société PVI à l'encontre de la société Century 21 France, c'est par des motifs pertinents que le tribunal a débouté l'intimée de ses demandes;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Century 21 France une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que la société PVI, partie perdante, ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs: Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société PVI de ses demandes reconventionnelles, l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau; Condamne la société PVI, d'une part à retirer le store vénitien doré sous astreinte provisoire de 2 000 F par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, d'autre part à payer à la société Century 21 France 95 000 F de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute la société PVI de sa demande tendant au remboursement de ses frais irrépétibles; Condamne la société PVI aux dépens de première instance et d'appel; admet la SCP Fisselier, Chiloux & Boulay, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.