CA Paris, 5e ch. A, 5 avril 1995, n° 10175-93
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DBF Intermedia (Sté)
Défendeur :
Les Echos (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mme Jaubert, M. Potocki
Avoués :
SCP Gibou Pignot Grapotte Benetreau, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Messager, Viguier.
Par déclaration remise au secrétariat-greffe le 25 mars 1993, la société DBF Intermedia a interjeté appel du jugement du 2 février 1993, par lequel le Tribunal de commerce de Paris l'a condamnée à payer à la société Les Echos 279 553 F avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 1990, ainsi que 50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et l'a déboutée de sa demande reconventionnelle.
La société DBF Intermédia expose que :
- par convention du 26 mars 1985, la société Les Echos a confié à la société DBF Intermedia la régie exclusive de l'exploitation de la publicité dans le quotidien " Les Echos " pour la Grande-Bretagne ;
- ce contrat prévoyait une rémunération de 30 % du chiffre d'affaires DBF Intermedia, comprenant une commission d'agence de 15 % perçue directement par la société DBF Intermedia sur les montants facturés auprès des annonceurs, avant de régler le solde à la société Les Echos ;
- le 31 mai 1990, la société Les Echos a mis un terme à la convention de régie publicitaire la liant à la société DBF Intermedia, avec effet au 6 septembre 1990 ;
- en l'espace de six ans, la société DBF International a plus que décuplé le chiffre d'affaires initial ;
- la somme de 279 553 F représente une commission réduite de moitié, soit 7 % sur des commandes passées par des annonceurs démarchés en Grande-Bretagne mais transmises directement en France à la société Interdeco, liée à la société Les Echos ;
- le système de partage de commissions entre agences situées dans deux pays différents est une pratique habituelle de la profession ;
- cette somme est due par la société Les Echos et non par la société Interdéco qu'aucun lien de droit en rattache à la société DBF Intermédia ;
- une compensation doit être opérée entre cette somme et la créance de la société Les Echos ;
- la société DBF Intermédia et la société Les Echos étaient liées par un contrat de régie exclusive de publicité conférant la qualité de mandataire du journal à la société DBF Intermédia ;
- ce mandat s'analyse en un mandat d'intérêt commun dont la résiliation ouvre droit, pour la société DBF Intermedia, à une indemnité de 1 613 096 F ;
- au surplus, la dénonciation brutale de la convention, sans le moindre avertissement, rendait impossible à la société DBF Intermedia de reconstituer sa clientèle dans un délai de trois mois, ce qui justifie l'allocation d'une indemnité de 576 504 F.
En conséquence, la société DBF Intermedia demande à la cour de :
- réformer le jugement ;
- débouter la société Les Echos de sa demande en paiement de 279 553 F ;
- condamner la société Les Echos à payer à la société DBF Intermedia la somme de 2 289 600 F représentant :
* 1 613 096 F, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1990, pour perte de clientèle,
* 576 504 F au titre de la rupture abusive,
* 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
* 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial ;
- condamner la société Les Echos à payer à la société DBF Intermedia la somme de 25 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Les Echos fait valoir que :
- la société DBF Intermedia n'a jamais contesté devoir la somme de 279 553 F ;
- la société DBF Intermedia tire argument de ce que certains clients anglais ont passé leurs commandes par l'intermédiaire de la société Interdéco, qui a perçu sa commission, pour demander un partage de cette commission, alors qu'aucune convention n'existe sur ce point ;
- il ne peut pas y avoir de compensation, la société DBF Intermedia détenant peut être une créance contre la société Interdéco, mais n'en possédant pas contre la société Les Echos ;
- la société Les Echos et la société DBF Intermédia étaient liées par un contrat de commission, qui ne donne pas droit au paiement d'une indemnité de clientèle et qui est exclusif d'un mandat d'intérêt commun ;
- la société Les Echos a respecté la convention qui prévoyait la possibilité de résiliation unilatérale, sous réserve d'un préavis de trois mois ;
- aucune indemnité ne peut être accordée pour préjudice commercial et procédure abusive, alors que la société Les Echos a présenté une demande en paiement d'une créance certaine, liquide et exigible.
La société Les Echos demande donc à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
La société DBF Intermedia rétorque qu'elle conteste devoir la somme de 279 553 F et que, à titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas la qualification de mandat d'intérêt commun, elle devrait dire que les relations entre les parties s'analysent en un contrat d'intérêt commun.
Sur quoi :
Considérant que la société de presse Les Echos a conclu avec la société DRF Intermedia une convention par laquelle elle confiait à cette dernière la régie exclusive de l'exploitation de la publicité dans le quotidien " Les Echos " pour la Grande-Bretagne,
Que bien que ce contrat ne porte pas de date, les parties conviennent qu'il a été établi le 26 mars 1985,
Que sa prise d'effet était fixé au 6 septembre 1985,
Qu'il était conclu pour une durée d'une année, renouvelable par tacite reconduction, et pouvait être dénoncé à tout moment sous réserve d'un préavis de trois mois ;
Considérant que, par lettre du 31 mai 1990, la société Les Echos a mis fin à ce contrat ;
Sur le compte de commissions
Considérant que le contrat liant les parties prévoyait que, sur le chiffre d'affaires brut hors taxe, la société DBF Intermédia percevait une commission de 30 % qui incluait la commission d'agence s'élevant à 15 %,
Que chaque mois, la société Les Echos adressait à la société DBF Intermédia une facture émise en règlement des ordres passés le mois précédent, déduction faite des commissions revenant à la société DBF Intermédia ;
Considérant que, à l'issue de leurs relations contractuelles, la société DBF Intermédia entend conserver une somme de 279 553 F qui, selon elle, lui serait due par la société Les Echos comme représentant une commission réduite sur des ordres de publicité passés par des clients britanniques qui seraient adressés à elle, non par le truchement de la société DBF Intermedia, mais par celui de la société Interdéco, régisseur des Echos pour la France ;
Considérant cependant, que si la pratique d'une commission partagée entre agences dans une telle circonstance est répandue, la société DBF International n'apporte pas la preuve que l'obligation de cette répartition pèse sur l'organe de presse recevant ces ordres de publicité ;
Qu'en effet, cette obligation ne figure pas dans le contrat ;
Que, de plus, dans une lettre adressée le 26 juin 1987 à la société Les Echos, la société DBF Intermédia plaide pour la mise en œuvre de ce système et se plaint de ne pas obtenir le paiement des sommes qui lui auraient été dues à ce titre, ce qui établit qu'aucun accord n'existait entre les parties ;
Que dans un courrier du 7 octobre 1990, la société Les Echos indique à la société DBF Intermédia que la société Les Echos et la société Interdéco sont deux sociétés différentes et qu'en aucun cas elle n'est autorisée à détruire des sommes que la société Interdéco ne lui a pas encore payées de celles qu'elle doit à la société Les Echos ;
Que pour établir que le système des commissions partagées était couramment pratiqué avec la société Les Echos, la société DBF Intermédia produit un document se rapportant aux relations entretenues avec une agence espagnole ;
Qu'il résulte toutefois de cette pièce que la société DBF Intermédia a donné ordre à son propre banquier de reverser à celui de l'agence Tectonica SA une somme constituant une rétrocession de commission, excutant ainsi elle-même une obligation qu'elle oppose dans le présent litige à la société Les Echos ;
Que ce point est encore conforté par le fait que la société DBF Intermédia envoyait directement ses factures à la société Interdéco ainsi qu'en attestent plusieurs pièces versées aux débats ;
Considérant que ces éléments établissent que la société Les Echos n'est pas débitrice de la somme de 279 553 F que la société DBF Intermédia refuse de lui verser ;
Sur les conséquences de la résiliation,
Considérant que les parties ont expressément stipulé dans la convention qui les liait que la société DBF Intermédia agissait " en qualité de commissaire exclusif " ;
Que dans ce même contrat, elles ont précisé que la société DBF Intermédia agissait " en son propre nom mais pour le compte des Echos ", reprenant ainsi les termes mêmes de la définition du commissionnaire contenue dans l'article 94 du Code de commerce ;
Considérant que la commune intention des parties était donc de réaliser un contrat de commission prévoyant que la société DBF Intermédia vendait et facturait en son nom, pour le compte de la société Les Echos, des espaces publicitaires ;
Qu'en conséquence, les règles spéciales du mandat d'intérêt commun ne sont pas applicables, notamment celle selon laquelle un tel mandat ne peut être résilié unilatéralement sans motif légitime ;
Considérant que le contrat litigieux a été établi avant le 31 décembre 1989 ;
Considérant en outre que la société DBF Intermédia ne se voyait imposer aucune obligation d'exclusivité ;
Qu'ainsi qu'elle l'admet, elle a même travaillé pour d'autres organes de presse ;
Qu'elle ne rentre donc pas dans le champ d'application de la loi du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement économique, juridique et social, et notamment de l'article 1 de ce texte ;
Considérant que la société Les Echos a respecté le préavis de trois mois prévu par le contrat ;
Considérant que, dans une lettre du 22 juin 1990, la société DBF Intermédia indiquait à la société Les Echos que, dès le rachat du journal " Les Echos " par le groupe Pearson, propriétaire du " Financial Times ", en 1988, elle envisageait que la société Les Echos ouvrirait une agence de publicité à Londres ;
Que la réalisation du contrat ne présentait donc pas pour la société DBF Intermédia un caractère imprévisible ou brutal ;
Que toutes les demandes d'indemnisation présentées par la société DBF intermédia doivent donc être rejetées ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par la société Les Echos en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement prononcé le 2 février 1993 par le Tribunal de commerce de Paris ; Rejette la demande présentée par la société Les Echos en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel ; Condamne la société DBF Intermédia civile aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.