Conseil Conc., 30 juillet 2003, n° 03-D-38
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine et demande de mesures conservatoires présentées par Mme X, en sa qualité d'exploitante à titre individuel du commerce de fleurs Le Lys d'Albret, contre la société Pompes funèbres rurales des 3B
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Pélégry, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mme Behar-Touchais, M. Flichy, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 17 février 2003, sous les numéros 03-0012 F et 03-0013 M, par laquelle Mme X, exploitante à titre individuel du commerce de fleurs Le Lys d'Albret, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Pompes funèbres rurales des 3B et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ;
Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ;
Vu les observations présentées par Mme X, par la société Pompes funèbres rurales des 3B et par le commissaire du gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement et la représentante de la société Pompes funèbres rurales des 3B, entendus lors de la séance du 4 juin 2003, Mme X ayant été régulièrement convoquée ;
I - Constatations
Mme X, exploitante d'un commerce de fleurs à l'enseigne Le Lys d'Albret, situé à Orthez, soutient dans sa saisine que la société Pompes funèbres rurales des 3B abuserait de sa position dominante dans le secteur des convois funéraires de la région d'Orthez, en n'informant pas les familles de leur liberté de choix concernant les commandes de fleurs funéraires de "dessus de cercueil" et en ne confiant la réalisation des commandes des familles qu'à deux fleuristes locaux, qui sont ses concurrents, l'un, Sarrouilhe, étant situé à Orthez, et l'autre, Manuflor, étant situé à Lescar où la société mise en cause possède un second établissement. La saisissante ajoute que cette société aurait conclu une entente anticoncurrentielle avec les fleuristes précités qui, tous deux, auraient accepté de lui verser une commission occulte, en contrepartie des commandes.
La saisissante considère que la société Pompes funèbres rurales des 3B l'a évincée du marché des fleurs funéraires de la commune d'Orthez et de la douzaine de communes environnantes, au seul bénéfice des fleuristes Sarrouilhe et Manuflor qui, dès lors, détiennent un monopole de fait sur la fourniture "des dessus de cercueil dans la commune d'Orthez" et estime que ces pratiques discriminatoires, mises en œuvre depuis 1997, sont la cause de la baisse importante de son chiffre d'affaires.
Accessoirement à sa saisine, Mme X demande au Conseil, à titre de mesure conservatoire, d'enjoindre, à la société Pompes funèbres rurales des 3B de cesser ses pratiques.
Le secteur
Le service des pompes funèbres comprend le service intérieur, le service extérieur dont les prestations sont limitativement énumérées par l'article L. 2233-19 du Code général des collectivités territoriales et le service des prestations libres, qui correspond aux différentes prestations annexes (marbreries, fleurs, travaux divers d'imprimerie, etc.) fournies par des professions dites "tierces".
Les conditions dans lesquelles les opérateurs de pompes funèbres doivent assurer l'information des familles résultent des dispositions du décret n° 95-653 du 9 mai 1995 et de l'arrêté du 11 janvier 1999, qui imposent :
- une documentation générale constamment présentée à la vue de la clientèle et consultable par elle, indiquant, notamment, les caractéristiques de l'opérateur de pompes funèbres et faisant apparaître les prestations rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire, les prix et conditions de vente des prestations et fournitures ;
- avant toute opération funéraire, la remise à la clientèle d'un devis écrit, gratuit, détaillé et chiffré, faisant apparaître, de manière distincte, les prestations obligatoires et, pour chaque prestation ou fourniture, la nature et le prix TTC, ainsi que le montant total du devis TTC ;
- à l'issue de l'acceptation du devis, un bon de commande comportant l'accord et la signature de la personne qui a passé commande, lequel doit comporter un certain nombre d'informations précises.
Aux termes de l'article 4, alinéas 3 et 5, de l'arrêté du 11 janvier 1999 : "Lorsque l'opérateur de pompes funèbres mandaté par le client fait appel à des entreprises tierces désignées par le client lui même, le devis précise de plus les noms et qualités de ces entreprises ainsi que le prix des prestations et fournitures assurées par ces dernières (...) et le cas échéant, le montant des honoraires correspondant à la représentation du client auprès de ces entreprises. (...) Les honoraires de représentation auprès des tiers peuvent toutefois faire l'objet d'un montant forfaitaire unique dans le devis. (...)"
L'entreprise saisissante
Mme X exploite à titre individuel un commerce de fleurs depuis 1988. Elle explique qu'elle se trouve en concurrence à Orthez avec le fleuriste Sarrouilhe, ainsi qu'avec le fleuriste Manuflor situé dans la ville de Lescar, éloignée de 38 km. De son côté, la société Pompes funèbres rurales des 3B a précisé, dans un courrier du 2 mai 2003, que la saisissante était également confrontée à la concurrence de deux grandes surfaces, Intermarché et les établissements Leclerc, implantées à Orthez et qui vendent aussi des gerbes de fleurs funéraires.
Selon la saisine, la société Pompes funèbres rurales des 3B n'a commandé à Mme X que 3 dessus de cercueil en 1998, 4 en 1999, 3 en 2000, 5 en 2001 et 4 en 2002, alors qu'il ressort du bulletin municipal de la commune d'Orthez que, du mois de juin 2001 au mois d'août 2002, 338 décès ont été enregistrés dans cette commune.
Les éléments produits par la saisissante font apparaître que le chiffre d'affaires de son commerce est passé de 419 061 F (63 885 euros) en 1997, à 301 493 F (45 962 euros) en 1999, 283 884 F (43 277 euros) en 2000 et 42 545 euros (279 079 F) en 2001. Lors de son audition par le rapporteur, le 24 avril 2002, la saisissante a toutefois indiqué que la baisse de son chiffre d'affaires était aussi due à la concurrence du distributeur Intermarché "(...) qui fait maintenant des fleurs et des plantes(...)" et au fait que depuis 4 ans, elle ferme son magasin pendant tout le mois de juin.
La société en cause
La société Pompes funèbres rurales des 3B est installée à Orthez depuis 1977. Jusqu'à la réforme réalisée par la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, elle assurait en monopole le service extérieur des pompes funèbres de la ville. Depuis lors, elle continue à gérer le seul funérarium de la circonscription. Selon sa représentante, entendue par le rapporteur le 25 avril 2003, la société assure, à l'heure actuelle, environ 70 % des obsèques des personnes décédées à Orthez ou dans les communes environnantes.
Les pratiques reprochées
L'absence d'information des familles
Dans sa saisine, la plaignante expose que la société Pompes funèbres rurales des 3B n'informe pas sa clientèle de la possibilité de s'adresser à l'entreprise de son choix pour la fourniture des fleurs et que ce n'est qu'à la suite d'un courrier de son avocat que l'opérateur de pompes funèbres a affiché dans ses locaux, au mois de décembre 2002, une note rappelant le principe du libre choix des prestataires qui interviennent à l'occasion des obsèques et la possibilité pour les clients de mandater les pompes funèbres pour effectuer ce choix.
Elle a produit à l'appui de ses affirmations deux attestations de clients, M. Y et Mme Z, qui ont indiqué, le premier, qu'à l'occasion d'obsèques organisées en novembre 2002 : "(...) les pompes funèbres ne m'ont pas signalé que j'avais le libre choix d'aucun tiers (fleuriste)(...)" et la seconde que, lors de funérailles organisées en mars 2002, "(...) les pompes funèbres ne m'ont pas informée que j'étais libre de choisir les tiers (marbrier) car ne voulions ni fleurs, ni plaques(...) les pompes funèbres ne m'ont pas non plus signalé ce libre choix et je n'ai pas vu lors de ces deux décès aucun document affiché dans le bureau de réception des clients des PF faisant état de cette mention (...)".
De son côté, la représentante de la société Pompes funèbres rurales des 3B a fourni, à la suite de son audition par le rapporteur, un certain nombre de documents parmi lesquels :
une documentation générale consultable, présentée à la vue de la clientèle, dans les locaux d'accueil de sa société, sous la forme d'un catalogue faisant apparaître la distinction entre prestations obligatoires et prestations facultatives et d'une plaquette intitulée "Guide pratique des obsèques", qui est mise à disposition des familles lors de leur visite ;
le devis type (vierge) et le bon de commande rempli, conformes à la réglementation applicable en matière d'information des familles.
Par ailleurs, était jointe à la saisine une copie du texte affiché dans les locaux de la société en cause : "l'organisation des obsèques exige l'intervention de tiers : journaux, marbriers, fleuristes, prêtres. etc... ; la famille désigne à sa convenance le tiers dont elle souhaite l'intervention ou peut mandater la société de Pompes funèbres des 3B pour faire ce choix. Les frais afférents à ces interventions de tiers, seront répercutés au centime d'euro près".
Enfin, un contrôle administratif effectué, le 3 février 2000, auprès de la société Pompes funèbres rurales des 3B, par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées-Atlantiques a conclu que : "la documentation générale prévue à l'article 2 de l'arrêté (arrêté ministériel du 11 janvier 1999) existait. Les devis étaient rédigés conformément à l'article 4 dudit l'arrêté et joints aux bons de commande après acceptation de ceux-ci par les familles".
Le choix des fleuristes
La saisine dénonce, par ailleurs, le fait que la société de pompes funèbres en cause ne désigne que deux de ses concurrents pour exécuter les commandes de fleurs de "dessus de cercueils", un tel comportement résultant, selon elle, d'une entente anticoncurrentielle avec ces fleuristes et constituant également un abus de la position dominante de la société Pompes funèbres rurales des 3B.
Lors de son audition par le rapporteur le 25 avril 2003, Mme A, représentant la société Pompes funèbres rurales des 3B, a déclaré : "(...) On sous-traite avec tous les fleuristes que nous mandatent les familles. Si il y a si peu de familles qui souhaitent travailler avec Mme X, c'est d'une part que Sarrouilhe est plus connu et plus ancien (...) et aussi, et surtout, parce qu'il y a un problème de qualité de prestation : pour un même prix de gerbes (...) les dessus de cercueils de la société Sarrouilhe sont beaucoup plus fournis, tout simplement parce qu'ils ont une activité incomparable avec Mme X et donc des prix de fleurs plus bas. Elle a encore précisé que lorsque la famille indique qu'elle n'a pas de fleuriste de préférence, il lui arrive de s'adresser à la société Manuflor, au motif que celle-ci propose des prestations moins onéreuses. Elle a ajouté : "(...) Soit les familles imposent leur fleuriste. Soit ils nous donnent mandat et c'est à ce moment-là que nous sous-traitons avec Sarrouilhe ou Manuflor ou avec d'autres fleuristes comme par exemple Amandine Fleur à Artix (...)"
Par ailleurs, la représentante de la société a produit un document manuscrit émanant du commerce de fleurs Sarhouilhe et comportant, ainsi qu'elle l'a précisé dans une lettre au rapporteur reçue le 30 avril 2003, une liste des prestations de "dessus de cercueils" effectuées en 2002 et 2003 directement à la demande des familles. Cette liste mentionne 80 prestations de fournitures de cette nature réalisées en 2003 et 30 prestations au 14 avril 2003.
Mme A a encore indiqué qu'elle ne percevait aucune commission de la part des fleuristes, lorsqu'elle était mandatée par les familles pour la fourniture des fleurs. Lors de la séance, elle a précisé que les fleuristes lui facturaient les commandes et qu'elle réglait, en fin de mois, à chaque fleuriste l'ensemble des factures émises.
S'agissant des compositions florales livrées et des prix pratiqués, la saisissante, Mme X, a déclaré au rapporteur, le 24 avril 2003 "Je fais exactement les mêmes prestations florales que la fleuristerie Sarrouilhe, mais c'est vrai que je suis désavantagée par rapport à la population d'Orthez, car [un de leurs ouvrier] a été le meilleur ouvrier de France et les gens le savent (...). On ne peut pas comparer nos prix (...) comme le fleuriste Sarrouilhe a des prix d'achat bien inférieurs aux miens, parce qu'il achète en grande quantité du fait qu'il a deux magasins, pour une même fourchette de prix ils peuvent mettre plus de fleurs (...)". Dans une lettre du 28 avril 2003, adressée au rapporteur, Mme X a, néanmoins, précisé : "(...) Certaines fleurs sont volumineuses, donc il en faudra moins (...). La quantité de fleurs utilisées pour le même prix d'un dessus de cercueil ne veut absolument rien dire. Elle est fonction en grande partie de la grosseur et du type de fleurs demandées (...)".
En ce qui concerne l'orientation des clients, la saisissante a indiqué, lors de son audition par le rapporteur, que l'une de ses clientes lui avait relaté que dans le cadre d'obsèques pour lesquelles elle s'était adressée à la société Pompes funèbres des 3B, il lui avait été indiqué par cette société qu'il y avait deux fleuristes à Orthez, dont le commerce de la saisissante, et qu'ils étaient "(...) aussi bien l'un que l'autre".
Le paiement de commissions et la prise en charge des impayés par les fleuristes désignés.
La plaignante expose encore que la discrimination dont elle se dit victime procéderait d'une entente anti-concurrentielle entre la société Pompes funèbres rurales des 3B et les deux fleuristes Sarrouilhe et Manuflor. Elle explique que ces fleuristes accepteraient de payer de façon occulte à la société Pompes funèbres des 3B une commission représentant 20 % des commandes de fleurs réalisées par son intermédiaire et d'assumer, en outre, les impayés des familles. Elle soutient que de telles propositions lui auraient été faites lorsqu'elle s'est installée en 1988, mais qu'elle les a déclinées et que, fin décembre 2002, la société en cause lui aurait, à nouveau, demandé par téléphone si elle accepterait de prendre en charge les impayés.
A l'appui de ses affirmations Mme X produit une attestation émanant d'un ancien fleuriste d'Orthez, selon lequel, ayant, lors de son installation dans cette ville, en août 1999, effectué une démarche auprès de la société Pompes funèbres rurales des 3B, afin de proposer ses services, ce fleuriste se serait vu demander d'accorder à ladite société "(...) une remise de 20 % payable en espèces de la main à la main (...)". A la suite de son refus, il n'aurait plus obtenu de commande de la part de la société en cause, à l'exception de trois dessus de cercueil, en décembre 1999 "(...) pour essayer de m'appâter (...)", et aurait dû, finalement, fermer son magasin en février 2000.
Lors de la séance, la représentante de la société Pompes funèbres rurales des 3B a indiqué que sa société faisait l'avance du paiement des commandes de dessus de cercueil que lui facturaient les fleuristes et qu'en cas de rares impayés de la part des familles (deux ou trois par an), c'est sa société qui se chargeait de recouvrer les sommes dues par voie d'huissier. Au cours de son audition, la saisissante avait, pour sa part, indiqué : "(...) C'est la société Pompes funèbres des 3B qui me paye directement la prestation sur la base de ma facture, sans qu'ils me demandent une commission de 20 %. Une telle demande n'a été faite oralement qu'en 1988".
II- Discussion
L'article L. 464-1 du décret du 30 avril 2002 énonce que "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce selon lequel le Conseil de la concurrence, "(...) peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".
Sur le marché à prendre en considération
Il résulte d'une jurisprudence constante qu'eu égard aux comportements des familles comme aux pratiques des entreprises, l'ensemble des fournitures et services funéraires (service intérieur, service extérieur et prestations dites libres) doit être considéré comme indissociable et formant un marché unique des prestations de pompes funèbres.
Par ailleurs, le marché des pompes funèbres présente des caractéristiques telles que l'offre de produits et de services émanant d'entreprises ou de régies municipales extérieures à une agglomération n'est, dans la plupart des cas, pas substituable à celle des entreprises locales.
En l'état des éléments figurant au dossier, il apparaît donc que la fourniture des fleurs funéraires est une des composantes du marché de prestations de pompes funèbres du secteur géographique constitué par le territoire de la commune d'Orthez et de la douzaine de communes environnantes.
Sur ce marché, il n'est pas exclu, en l'état de l'instruction, que la société Pompes funèbres rurales des 3B qui, comme cela résulte des éléments cités au paragraphe 10, assure environ 70 % des convois funéraires de personnes décédées sur le secteur géographique, qui gère le seul funérarium de la ville et qui, jusqu'à la réforme de 1993, avait le monopole du service extérieur des pompes funèbres, se trouve en position dominante.
Sur les pratiques reprochées au titre de l'abus de position dominante
Sur l'information des familles
La saisissante soutient que l'information des familles sur la possibilité d'avoir recours à l'entreprise de leur choix pour la fourniture des fleurs n'est assurée par la société Pompes funèbres rurales des 3B que depuis décembre 2002, à la suite d'une lettre qu'elle a fait adresser, par son avocat, à cette société.
Sur ce point, le Conseil relève qu'il n'est pas contesté que le texte informant les familles de leur liberté de faire appel à des entreprises tierces et cité au paragraphe 14 est affiché dans les locaux de la société Pompes funèbres rurales des 3B. Par ailleurs, il résulte des déclarations de cette société et des documents qu'elle a produits que l'information des familles est assurée en conformité avec les dispositions de la réglementation en cours, ce qui est, en outre, confirmé par les conclusions du contrôle administratif effectué, le 3 février 2000, par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées-Atlantiques, évoqué au paragraphe 15. Les termes des deux attestations produites par la plaignante, repris au paragraphe 12 ne peuvent donc utilement contredire ce constat.
Ainsi, l'absence dans les locaux de la société en cause, jusqu'en décembre 2002, d'une affiche informant les familles de la possibilité de faire appel aux entreprises de leur choix pour les prestations annexes, alors que ce mode d'information n'est pas imposé par la réglementation applicable dont le contenu est rappelé au paragraphe 5 ci-dessus, ne saurait, en l'absence d'autres éléments, constituer une pratique d'abus de position dominante relevant des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Sur le choix des fleuristes
Il résulte des dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 11 janvier 1999, rappelées au paragraphe 6, que les familles mandatent l'opérateur de pompes funèbres choisi, pour lui permettre d'entreprendre certaines opérations nécessitant de faire appel, pour le service des prestations libres, à des entreprises tierces désignées par le client lui-même.
En conséquence, lorsque les familles donnent mandat à l'opérateur de pompes funèbres sans procéder elles-mêmes à cette désignation, l'opérateur dispose, au regard du droit de la concurrence, d'une entière liberté de choix, sous réserve que ce choix ne repose sur aucune pratique prohibée. Tel serait, notamment, le cas si la désignation effectuée se fondait sur des critères discriminatoires, autres, par exemple, que la qualité ou le prix de la prestation.
Ainsi qu'il ressort des éléments relevés au paragraphe 17, lorsque la société Pompes funèbres rurales des 3B est mandatée par les familles pour l'ensemble des opérations funéraires, y compris les prestations libres, dont les commandes de fleurs, elle s'adresse aux fleuristes de son choix et, prioritairement, aux fleuristes Sarrouilhe et Manuflor, mais aussi à un fleuriste de la commune voisine d'Artix.
Selon la représentante de la société, ce choix est justifié et guidé par un critère de qualité des prestations et du service rendu par ces fleuristes, de manière à satisfaire ses mandants, ce qui apparaît, d'ailleurs, confirmé par les déclarations de la saisissante elle-même, reprises au paragraphe 20, même si, par la suite, Mme X, soucieuse de tempérer la portée de ses précédentes appréciations, a observé que la quantité de fleurs utilisées pour la confection des gerbes était indifférente à la qualité du produit.
Par ailleurs, il résulte de la liste émanant du fleuriste Sarrouilhe et mentionnée au paragraphe 18 qu'une grande partie des commandes de fleurs funéraires réalisées par ce commerçant l'a été à la suite de commandes passées directement par les familles, sans l'intervention de la société Pompes funèbres rurales des 3B, ce qui tend à confirmer l'absence de comportement discriminatoire de cette dernière dans le choix prioritaire qu'elle fait de ce fleuriste.
S'agissant de l'orientation des clients, aucun élément du dossier ne permet de considérer que la société mise en cause favoriserait l'un ou l'autre fleuriste auprès des familles ou dénigrerait le commerce de la saisissante, laquelle a, elle-même, rapporté un témoignage, cité au paragraphe 21, qui est de nature à laisser penser que l'opérateur de pompes funèbres s'en tient à une information neutre de ses clients.
Il résulte de ce qui précède qu'il n'existe au dossier aucun indice laissant présumer que la société Pompes funèbres rurales des 3B mettrait en œuvre une pratique d'abus de position dominante, soit en choisissant de façon discriminatoire les fleuristes auxquels elle confie la réalisation des prestations florales commandées par les familles soit en orientant ces dernières vers l'un ou l'autre des fleuristes concurrents de la plaignante.
Sur les pratiques reprochées au titre de l'entente
Le Conseil relève à titre liminaire qu'une demande de versement d'une commission en contrepartie d'une commande ne constitue pas, en soi et en l'absence d'autres circonstances, une pratique anti-concurrentielle. En revanche, l'exigence d'une telle commission pourrait être qualifiée de pratique anti-concurrentielle si elle intervient dans des conditions qui portent atteinte à l'exercice d'une compétition par les mérites.
En l'espèce, le témoignage d'un ancien fleuriste, produit par la saisissante et cité au paragraphe 23, relate des faits qui, abstraction faite du point de savoir s'ils n'encourent pas d'autres qualifications en application de dispositions étrangères au droit de la concurrence, n'apparaissent, pas avoir eu un objet anti-concurrentiel. En tout état de cause, les faits dénoncés n'auraient pu avoir un effet anticoncurrentiel sensible, dans la mesure où les prestations relatives aux fleurs funéraires ne représentent qu'une partie seulement de l'activité des fleuristes et où les éléments fournis par la saisissante confirment que ce type de prestations n'a jamais constitué une part représentative de son chiffre d'affaires.
Aucun élément du dossier ne permet, par ailleurs, de penser que le versement d'une commission occulte aurait été demandé par la société Pompes funèbres rurales des 3B aux fleuristes Sarrouilhe et Manuflor et accepté par ceux-ci et que la désignation prioritaire de ces deux commerçants aurait été motivée par le marché ainsi conclu.
De même, s'agissant de l'acceptation, par ces fleuristes, d'éventuels impayés, aucun élément du dossier n'accrédite la thèse selon laquelle la société de pompes funèbres mise en cause ferait de cette acceptation une des conditions de sélection des fleuristes, alors que, lors de la séance, la représentante de cette société a précisé que sa société faisait l'avance du paiement des commandes de dessus de cercueil que lui facturaient les fleuristes et qu'en cas de rares impayés de la part des familles (deux ou trois par an), c'est sa société qui se chargeait de recouvrer la créance par voie d'huissier.
Il convient, en outre, de relever que si le chiffre d'affaires de la saisissante a effectivement baissé d'environ 21 000 euros de 1997 à 2001, il ressort de ses déclarations et des éléments qu'elle a fournis que le nombre de prestations réalisées par elle à la suite de commandes passées par l'intermédiaire de l'opérateur de pompes funèbres en cause est resté constant au cours de la même période (3 en 1998, 4 en 1999, 3 en 2000 et 4 en 2001), ce qui amène à conclure que l'origine de cette baisse n'est pas imputable à l'absence ou à la diminution des commandes effectuées par la société Pompes funèbres des 3B.
Il résulte encore des déclarations des parties et des pièces produites que d'autres facteurs sont susceptibles d'expliquer la baisse de chiffre d'affaires invoquée, tels l'implantation de deux grandes surfaces faisant également le commerce de fleurs et le fait que, depuis quatre années, Mme X ferme son commerce de fleurs au mois de juin (paragraphe 9)
L'entente invoquée par la saisissante n'est donc pas étayée d'éléments suffisamment probants permettant d'envisager que la sélection de fleuristes opérée par la société Pompes funèbres rurales des 3B repose sur une concertation matérialisée par le versement d'une commission occulte et que cette pratique aurait pour objet ou pour effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres fleuristes.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits dénoncés par la saisine ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants de l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires.
DÉCISION
Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 03-0012 F est rejetée.
Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 03-0013 M est rejetée.