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Décisions

CE, sect. du contentieux, 30 novembre 2001, n° 239445

CONSEIL D'ÉTAT

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

LP Diffusion (SARL), Philippe, Bleriot, De Francet De Serigny, Loisirs Pro (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robineau.

CE n° 239445

30 novembre 2001

LE CONSEIL : - Vu, 1°) sous le n° 239445, l'ordonnance en date du 25 octobre 2001, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 octobre 2001, par laquelle le président du tribunal administratif de Nice a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par la SARL LP Diffusion, M. Yahn Philippe et Mme Laurence Bleriot, la SARL Loisirs Pro et M. Emeric De Francet De Serigny ; - Vu la demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nice le 23 octobre 2001, présentée par la SARL LP Diffusion, dont le siège social est Parc des Oliviers à Bormes-Les- Mimosas (83230), M. Yahn Philippe et Mme Laurence Bleriot, en leur qualité d'associés, la SARL Loisirs Pro et M. Emeric De Francet De Serigny, en sa qualité d'associé, demeurant 9, square Michelet à Marseille (13008), et tendant à ce que le juge des référés : 1°) suspende l'exécution de l'arrêté en date du 20 août 2001 par lequel le secrétaire d'Etat au budget, le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation et le secrétaire d'Etat à l'industrie ont suspendu pour une durée d'un an la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, l'importation, la mise à disposition à titre gratuit ou à titre onéreux de l'embarcation nautique de la marque " Surfbike ", dès lors qu'elle se compose d'une planche de surf appelée "Surfseat ", munie d'une selle, d'un pédalier entraînant une hélice et d'un guidon, et ont ordonné le retrait de cet équipement en tous lieux où il se trouve ; 2°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article L. 76l-1 du Code de justice administrative ; - Vu, 2°) sous le n° 239627, l'ordonnance en date du 29 octobre 2001 par laquelle le président du Tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat une demande identique enregistrée au greffe de ce tribunal le 19 octobre 2001 ; - Vu, 3°) sous le n° 239811, l'ordonnance en date du 24 octobre 2001 par laquelle le président du Tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat une demande identique enregistrée au greffe de ce tribunal le 22 octobre 2001 ;

Les requérants soutiennent que la commercialisation du surfbike représente l'essentiel de leur activité; que leurs clients sollicitent le remboursement des engins non amortis ; que la survie des deux sociétés est donc menacée ; que les auteurs de l'arrêté contesté n'étaient pas compétents, compte tenu de la règle du parallélisme des compétences, dès lors que le surfbike avait obtenu une autorisation de la direction des affaires maritimes ; que la signification de l'arrêté aux deux sociétés requérantes laisse entendre, à tort, qu'elles seraient responsables de la première mise sur le marché français de cet engin de plage ; qu'il ressort des attestations des utilisateurs que le surfbike est sans danger si les prescriptions du guide et de la notice sont respectées; que l'engin ne peut se retourner s'il est correctement utilisé; que l'accident du 30 juillet 2001 est dû à une imprudence ou à un défaut de surveillance ; que la suspension est dès lors entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'elle révèle une rupture d'égalité avec d'autres engins dont les utilisateurs sont victimes d'accident sans que des mesures de même nature soient prises à leur égard ; - Vu la décision dont la suspension est demandée; - Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2001, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui conclut au rejet des requêtes ; il soutient que la mesure est prise en application des dispositions de l'article L. 22l-5 du Code de la consommation ; que le surfbike n'a fait l'objet d'aucune autorisation fonnelle de mise sur le marché par l'administration de l'équipement, dont l'arrêté attaqué serait l'acte contraire ; qu'en tout état de cause l'arrêté attaqué a été compétemment pris par le ministre chargé de la consommation et les ministres intéressés, chargés d'une part des douanes et droits indirects et, d'autre part, de veiller au respect des règles relatives aux produits de loisirs ; que le moyen tiré de la rupture d'égalité est inopérant ; qu'il convient en tout cas de traiter différemment les activités dont les adeptes sont en principe conscients des risques et le surfbike qui est présenté comme permettant d'évoluer sur l'eau en toute sécurité; que l'accident du 30juillet 2001 a trouvé son origine dans la conception même du guidon de l'engin, les conditions de sécurité ayant été respectées ; que d'ailleurs un accident identique s'est produit le 26 août 2001 ; que les risques liés à la forme du guidon sont difficilement prévisibles et que même des adultes peuvent en être victimes ; que la surveillance d'un adulte ne suffit pas à en éviter les conséquences ; que l'arrêté attaqué, qui a un caractère réglementaire, vise l'ensemble des personnes responsables de la première mise sur le marché et non certaines d'entre elles en particulier ; que l'urgence n'est pas établie, eu égard d'une part au fait que la saisine du juge n'a pas été immédiate, et d'autre part au fait que l'achèvement de la saison estivale permet aux requérants d'apporter au guidon de l'engin les modifications permettant d'assurer un niveau de sécurité adéquat; qu'en outre le surfbike n'est pas le seul produit commercialisé par la SARL LP Diffusion ; qu'en invoquant les conséquences pour la clientèle, les requérants font état d'un intérêt qui n'est pas le leur ; qu'en tout état de cause, à supposer réunies les deux conditions de la suspension, l'intérêt général de la sécurité des utilisateurs ferait obstacle à cette suspension; - Vu le mémoire en réplique, enregistré le 22 novembre 2001, présenté par la SARL LP Diffusion, M. Philippe, Mme Bleriot, la société Loisirs Pro et M. De Francet De Serigny qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens et en outre aux motifs que les professionnels concernés n'ont pas été entendus dans les quinze jours de la suspension en violation de l'article L. 221-5 du Code de la consommation ; que le surfbike est traité différemment du canoë ou du vélo ; que l'accident de juillet 2001 est dû à un défaut de surveillance ; qu'aucun accident du même type ne s'est produit depuis l'introduction de ce produit distribué dans 72 autres pays ; que la suspension s'étend à tous les engins de la marque " surfbike ", alors même que certains ont un guidon droit qui ne présente pas les mêmes caractéristiques que celui dont la dangerosité est mise en cause ; que le délai d'introduction du recours s'explique par la recherche d'un retrait amiable et la nécessité de réunir les pièces nécessaires; que le coût de la modification des engins est très élevé, alors que la nouvelle génération à guidon incurvé a été mise sur le marché en 2000; que les deux sociétés ne commercialisent que des surfbikes; - Vu le mémoire en duplique, enregistré le 27 novembre 2001, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui tend au rejet des requêtes par les mêmes moyens et en outre aux motifs que les intéressés ont été entendus le 6 septembre 2001, soit dans le délai de quinze jours à compter de la date de publication de l'arrêté ; qu'en tout état de cause, eu égard à son objet, cette formalité n'est pas prescrite à peine de nullité de l'arrêté; qu'à la différence d'autres activités, c'est l'équipement de sécurité lui-même qui a provoqué l'accident du fait de la mauvaise conception du guidon ; qu'au regard du Code de la consommation, le responsable de la mise sur le marché français est soit le fabricant soit l'importateur installés en France; - Vu les autres pièces des dossiers; - Vu le Code de la consommation, notamment ses articles L. 221-l, L. 22l-5 et L. 221-9; - Vu le Code de justice administrative;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SARL LP Diffusion, M. Yahn Philippe et Mme Laurence Bleriot, la SARL Loisirs Pro et M. Emeric De Francet De Serigny, d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie; - Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 29 novembre 2001 à 10 heures à laquelle ont été entendus : - M. Emeric De Francet De Serigny, - les représentants du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 521-l du Code de justice administrative le juge des référés peut ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 221-5 du Code de la consommation relatives aux pouvoirs conférés au ministre chargé de la consommation et aux ministres intéressés, pour faire cesser un danger grave ou immédiat, l'arrêté contesté en date du 20 août 2001 a suspendu pour une durée d'un an la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, l'importation, la mise à disposition à titre gratuit ou à titre onéreux de l'embarcation nautique de la marque " Surfbike ", dès lors qu'elle se compose d'une planche de surf appelée " Surfseat ", munie d'une selle, d'un pédalier entraînant une hélice et d'un guidon, et a ordonné le retrait de cet équipement en tous lieux où il se trouve;

Considérant que cette décision est motivée par le danger grave résultant de la forme semi- circulaire des poignées du guidon dont la conception " est de nature à occasionner l'accrochage du gilet de sauvetage, une fois le surfbike renversé, et à rendre impossible, compte tenu du phénomène de la poussée d'Archimède, le dégagement de la personne"; que les auteurs de la décision soulignent qu'un tel accident avait causé la noyade d'un enfant de douze ans le 30 juillet 2001;

Considérant qu'en l'état de l'instruction écrite complétée par les précisions apportées lors de l'audience publique, et compte tenu notamment du caractère reproductible du danger créé par cette forme de guidon, même dans des conditions normales d'utilisation de l'engin, aucun de ceux des moyens invoqués qui seraient de nature à entraîner l'annulation totale de la décision contestée, ne paraît propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision et, par suite, à en justifier la suspension totale;

Considérant en revanche que l'administration, qui a caractérisé avec précision l'origine du danger grave auquel sa décision doit mettre fin, ne soutient pas que le même danger est susceptible d'être encouru par les utilisateurs des embarcations nautiques de la même marque dont le guidon est droit ; que pourtant, eu égard aux termes de son article 1er ce type d'embarcations fait lui aussi l'objet de la mesure de suspension et de retrait, mesure qui est effectivement appliquée par les services de contrôle ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la mesure prise n'est pas justifiéee, entant qu'elle s'applique d'autres embarcations nautiques de la marque " Surfbike " que celles dont les poignées de guidon ont une forme semi-circulaire, est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision en tant qu'elle définit son champ d'application;

Considérant qu'eu égard aux caractéristiques de l'activité commerciale exercée par les sociétés requérantes et aux incidences immédiates de la décision contestée sur cette activité, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du Code de justice administrative est remplie;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 20 août 2000 qu'en tant que son champ d'application excède les embarcations nautiques de la marque " Surfbike " dont les poignées de guidon ont une forme semi-circulaire;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative : - Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser aux requérants, en application desdites dispositions, la somme de 15 000 F;

ORDONNE:

Article 1er: L'exécution de l'arrêté du 20 août 2000 est suspendue en tant qu'il s'applique à d'autres embarcations nautiques de la marque " Surfbike " que celles dont les poignées de guidon ont une forme semi-circulaire.

Article 2: L'Etat versera à la SARL LP Diffusion, à M.Yabn Philippe, à Mme Laurence Bleriot, à la SARL Loisirs Pro et à M. Emeric De Francet De Serigny la somme globale de 15 000 F.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL LP Diffusion, à M. Yahn Philippe, à Mme Laurence Bleriot, à la SARL Loisirs Pro, à M. Emeric De Francet De Serigny et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.