Livv
Décisions

Cass. 1re civ., 9 juillet 1996, n° 93-20.411

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Centre de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes

Défendeur :

X (Consorts), GAN

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lemontey

Rapporteur :

M. Fouret

Avocat général :

M. Roehrich

Avocats :

SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, SCP Defrenois, Levis, SCP de Chaisemartin, Courjon.

Aix-en-Provence, du 13 oct. 1993

13 octobre 1993

LA COUR : - Met hors de cause, sur leur demande, les époux X, sur le pourvoi principal; - Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mlle Sylvie X, alors âgée de 14 ans, a, le 28 mai 1983, subi une transfusion sanguine avec des produits fournis par le Centre de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes; qu'un test a révélé qu'elle avait été contaminée par le virus d'immuno-déficience humaine (VIH) et qu'elle était atteinte du syndrome d'immuno- déficience acquise (SIDA) ; que M. et Mme X, ses père et mère, le premier agissant en son nom personnel et comme administrateur légal de sa fille, incapable majeure, ont assigné en indemnisation le Centre et son assureur de responsabilité, le Groupe des assurances nationales (GAN) ; que l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 octobre 1993), a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'action, a complété cette décision en déclarant le Centre responsable de la contamination de Sylvie X, mais, le réformant pour le surplus, a condamné in solidum le Centre et le GAN à payer des indemnités aux demandeurs et dit que la garantie due par l'assureur ne pouvait excéder la somme de cinq millions de francs pour la totalité des sinistres survenus pendant l'année 1983 ;

I - Sur le pourvoi incident du GAN qui est préalable : - Sur le premier moyen : - Attendu que cet assureur reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action des consorts X alors que l'institution du Fonds d'indemnisation exclut toute action en réparation des victimes devant les juridictions du droit commun ; que la cour d'appel, en estimant le contraire, a violé l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt attaqué a retenu qu'il résultait de la loi du 31 décembre 1991 et de l'obligation faite aux victimes d'informer, soit le Fonds d'indemnisation, soit le juge, en cas de saisine de l'un ou de l'autre, que ni ce texte, ni son décret d'application du 26 juin 1992 ne conféraient au régime qu'il instituait un caractère impératif interdisant aux victimes d'agir devant la juridiction de droit commun, que la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas allégué que le préjudice des victimes avait été intégralement réparé par l'indemnité qui aurait été offerte par le Fonds, en a exactement déduit que leur action était recevable; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche : - Attendu que le GAN reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le Centre responsable de la contamination de Sylvie X par le VIH alors que, selon le deuxième moyen, d'une part, la responsabilité du Centre ne pouvait être engagée que sur faute prouvée et que, d'autre part, le dit Centre était tenu d'une simple obligation de moyens, et alors que, selon le troisième moyen, après avoir constaté la nature indécelable du VIH à l'époque des faits, la cour d'appel ne pouvait exclure la force majeure sans violer l'article 1148 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le contrat de fourniture du sang ou de ses dérivés par le Centre de transfusion mettait à la charge de celui-ci une obligation de livrer des produits exempts de vices, sans faculté d'exonération autre que la cause étrangère et que le vice interne du produit, même indécelable, ne constituait pas, pour l'organisme fournisseur, une cause étrangère; que l'arrêt est ainsi légalement justifié et qu'aucun des griefs n'est fondé ;

Et sur la seconde branche du troisième moyen : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir refusé de prendre en compte la directive du 25 juillet 1985, alors que, selon le moyen, le juge national, saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application de la directive, est tenu d'interpréter son droit à la lumière du texte et de sa finalité; qu'en se refusant à procéder ainsi la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1148 du Code civil ;

Mais attendu que si le juge national, saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application d'une directive, est tenu d'interpréter son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, c'est à la condition que celle-ci soit contraignante pour l'Etat membre et ne lui laisse pas une faculté d'option pour l'adaptation de son droit national au droit communautaire; que l'article 15-1 C de la directive CEE 85-374 du 25 juillet 1985, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, laisse aux Etats membres la faculté d'introduire ou non dans leur législation interne l'éxonération pour risque de développement; qu'il s'ensuit que le moyen, qui se réfère à des dispositions de la directive qui renvoient au droit interne, ne peut être accueilli ;

II - Sur le moyen unique du pourvoi principal du Centre, pris en ses quatre branches : - Attendu qu'il est reproché également à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la garantie due par le GAN ne pouvait excéder la somme de 5 millions de francs pour la totalité des sinistres survenus pendant l'année 1984 alors que, d'une part, en déclarant que les stipulations des conditions particulières complétaient celles des conditions générales tout en appliquant exclusivement les secondes sans tenir compte des premières, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations; alors que, d'autre part, elle aurait encore entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil en ne précisant pas pourquoi les conditions générales devaient s'appliquer comme si rien ne les complétaient; alors que, de troisième part, il n'aurait pas été répondu aux conclusions invoquant deux précédents arrêts de la Cour de cassation; alors, enfin, qu'il résulte de l'arrêté du 27 juin 1980 pris pour l'application de l'article L. 667 du Code de la santé publique, imposant aux centres de transfusions sanguine "au titre de l'assurance obligatoire, une limitation de garantie jouant par année d'assurance, et par sinistre et qu'il en résulte que le plafond de cette garantie joue deux fois, par année et par sinistre"; qu'en décidant que la limitation de garantie devait jouer exclusivement par année d'assurance, quel que soit le nombre des sinistres, la cour d'appel aurait violé ces textes ;

Mais attendu qu'en répondant aux conclusions invoquées, la cour d'appel a retenu qu'il convenait d'appliquer les conditions particulières qui ne faisaient que compléter les conditions générales et qui étaient conformes, au demeurant, à la clause-type annexée à l'arrêté du 27 juin 1980, laquelle stipule un plafond de garantie "par sinistre et par année d'assurance" ; qu'elle en a déduit, en faisant une exacte application de ce texte et sans considérer que la limitation de garantie devait jouer exclusivement par année d'assurance, que l'assureur ne devait plus sa garantie lorsque l'un des deux plafonds était atteint; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette les pourvois principal et incident.