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Décisions

CA Paris, 16e ch. B, 30 octobre 1998, n° 1996-20122

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sauteur (Consorts)

Défendeur :

Dupuis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascal

Conseillers :

MM. Collot, Le Bail

Avoués :

SCP Narrat-Peytavi, Me Huyghe

Avocats :

Mes Luscie, Remond.

T. com. Paris, du 3 juill. 1996

3 juillet 1996

Par acte sous seing privé du 5 janvier 1994, Monsieur Noël Sauteur et Madame Hélène Sauteur née Ercole ont vendu à Monsieur Dupuis le fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie qu'ils exploitaient 309, rue du Faubourg Saint-Antoine à Paris pour le prix de 1 075 000 F dont 902 000 F faisant l'objet d'un prêt consenti par le Crédit Lyonnais.

Aux termes de cet acte, les vendeurs ont garanti le matériel en bon état de fonctionnement et les installations en conformité à la législation en vigueur sur la sécurité et les services d'hygiène.

Cependant, au cours d'une visite effectuée le 16 mars 1994 dans la boulangerie, l'inspecteur de salubrité de la Préfecture de Police a constaté que certains aménagements n'étaient pas en conformité avec les dispositions du règlement sanitaire et a accordé à Monsieur Dupuis un délai de trois mois pour procéder à la remise en état des locaux.

Ces travaux de rénovation ont entraîné une dépense supplémentaire de 150 000 F HT que Monsieur Dupuis a couvert avec un nouvel emprunt de 90 000 F.

Par acte du 15 décembre 1994, Monsieur Dupuis a assigné Monsieur et Madame Sauteur en paiement de la somme de 150 000 F correspondant aux travaux réalisés et de celle de 50 000 F à titre de dommages-intérêts. Les époux Sauteur ont sollicité reconventionnellement la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts.

Madame Hélène Sauteur est décédée le 17 avril 1995. La procédure a été régularisée à l'égard de ses trois enfants héritiers.

Estimant que les époux Sauteur n'avaient pas satisfait à l'engagement de garantir le bon état d'entretien des installations et à l'obligation de livrer le fonds de commerce conformément à l'usage auquel il était destiné, le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 3 juillet 1996, a :

- joint les causes,

- condamné solidairement Monsieur Noël Sauteur, Mademoiselle Christine Sauteur, Mademoiselle Annie Sauteur et Monsieur Dominique Sauteur au paiement à Monsieur Pierre Dupuis de la somme en principal de 150 000 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 1994, outre celle de 7 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné les consorts Sauteur aux dépens.

Les consorts Sauteur sollicitent par infirmation du jugement le rejet des demandes de Monsieur Dupuis et sa condamnation à la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.

Ils soutiennent :

- que la clause imposant de prendre les lieux en l'état s'oppose à celle garantissant le bon état des installations,

- que la levée de l'opposition sur la somme de 220 908,86 F que Monsieur Dupuis avait formée entre les mains de l'Agence TCE, rédacteur de l'acte et séquestre, constitue une renonciation au paiement des sommes relatives aux travaux,

- que la lettre de la Préfecture de Police ne permet pas d'apprécier la nature et l'étendue des travaux,

- que les dépenses engagées n'ont aucun caractère contradictoire.

Monsieur Dupuis demande la confirmation du jugement à l'exception des dispositions ayant rejeté sa demande de dommages-intérêts. En conséquence, il sollicite la condamnation des consorts Sauteur au paiement de la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de celle de 20 000 F pour frais irrépétibles ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

Il fait valoir :

- que les consorts Sauteur n'ont pas satisfait à l'obligation de délivrance du fonds conforme à l'usage contractuel,

- que la mainlevée de l'opposition ne vaut pas renonciation à remboursement des travaux,

- que les contraintes de mise en conformité assorties de sanctions imposées par la Préfecture de Police l'ont obligé à effectuer rapidement des travaux parfaitement justifiés,

- que la mauvaise volonté et la mauvaise foi caractérisée des consorts Sauteur l'ont conduit à souscrire un emprunt.

Celà étant exposé, LA COUR

Sur l'obligation de délivrance :

Considérant que les époux Sauteur font grief aux juges consulaires d'avoir ignoré les dispositions de l'article I du titre "charges et conditions" de l'acte de cession du 5 janvier 1994 au seul profit de l'article 6 du même acte;

Mais considérant que l'article I du titre "charges et conditions de la vente" à la charge de l'acquéreur, page 5 de l'acte, qui prévoit que l'acheteur "prendra le fonds de commerce avec le matériel et les ustensiles le garnissant dans l'état où tout se trouve actuellement sans pouvoir prétendre à aucune indemnité ou diminution du prix ci-après fixé pour quelque cause que ce soit" n'exonère pas les vendeurs des dispositions de l'article 6 stipulant qu'"ils s'engagent à ce que le matériel cédé et les installations soient en état de bon fonctionnement et entretien et en conformité avec la législation en vigueur concernant la sécurité et les services de l'hygiène" ;

Que la clause spéciale de l'article 6 visant expressément la conformité aux règles d'hygiène et de sécurité déroge à la clause générale de non garantie obligeant l'acheteur à prendre la chose vendue dans l'état où elle se trouve ;

Que les juges consulaires ont sans se contredire interprété cette clause comme l'application contractuelle de l'obligation légale de délivrance de la chose cédée pour l'usage auquel elle est destinée ;

Que s'agissant d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, ils ont apprécié avec raison que l'absence de conformité à la législation sur l'hygiène et la sécurité relevée par les services administratifs pour des installations aussi importantes que le fournil et le laboratoire diminuait le potentiel technique du fonds au point de le rendre impropre à sa destination contractuelle ;

Considérant en outre que la levée de l'opposition formée par Monsieur Dupuis entre les mains de l'agence Transactions Commerciales et d'Entreprises (TCE), séquestre du prix de cession, ne constitue pas l'abandon du paiement des sommes engagées pour les travaux imposés par la Préfecture de Police le 30 juin 1994 ;

Qu'en effet la renonciation au droit de se prévaloir d'une disposition contractuelle protectrice ne se présume pas pour l'acquéreur ;

Qu'au surplus ce dernier espérait une solution amiable au litige après intervention du Syndicat de la boulangerie ;

Considérant en conséquence que le jugement doit être confirmé sur le principe du droit à remboursement de Monsieur Dupuis ;

Sur le montant des travaux:

Considérant que les contraintes de mise en conformité imposées par la Préfecture dans un bref délai de 3 mois assorti de sanction ont amené Monsieur Dupuis à faire établir rapidement un devis détaillé par l'Entreprise ELEC le 26 mai 1994 suivi d'une facture le 9 octobre 1994 ;

Que compte tenu de ces circonstances, l'opposition formée par Monsieur Dupuis auprès de l'agence rédactrice de l'acte aurait dû conduire les époux Sauteur à se rapprocher de l'acquéreur pour vérifier la nature et le montant des travaux s'ils l'estimaient utile ;

Que de toute façon, les consorts Sauteur ne démontrent pas que Monsieur Dupuis ait profité des travaux relevant de l'hygiène et de la sécurité pour rénover et moderniser les locaux du fonds de commerce ;

Qu'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qui concerne le montant des travaux ;

Sur les dommages-intérêts complémentaires, les frais irrépétibles et les dépens:

Considérant que dès la levée de l'opposition de Monsieur Dupuis, les époux Sauteur n'ont plus participé aux pourparlers transactionnels tentés par le syndicat de la boulangerie qui précise, dans une lettre du 19 avril 1996, que Monsieur Sauteur ne s'est pas présenté aux rendez-vous tandis que Monsieur Dupuis s'y est toujours rendu ;

Que la résistance abusive des consorts Sauteur a obligé Monsieur Dupuis à ester en justice ;

Qu'en conséquence, par réformation du jugement de ce chef, il doit être alloué à Monsieur Dupuis une somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires en réparation du préjudice distinct causé de mauvaise foi par les consorts Sauteur ;

Considérant que l'équité commande également de condamner les consorts Sauteur à payer à Monsieur Dupuis la somme de 10 000 F pour frais irrépétibles d'appel ;

Que les consorts Sauteur, qui succombent en leurs prétentions, doivent supporter les dépens d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement à l'exception de ses dispositions ayant rejeté la demande de dommages-intérêts complémentaires de Monsieur Dupuis ; Le réformant de ce chef ; Condamne les consorts Sauteur à payer à Monsieur Dupuis la somme de 20 000 F (vingt mille francs) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Y ajoutant, Condamne les mêmes à payer à Monsieur Dupuis la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre des frais irrépétibles d'appel ; Condamne les consorts Sauteur aux dépens d'appel ; Admet Maître Huyghe au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.