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Décisions

CA Douai, 2e ch., 27 octobre 1994, n° 91-01897

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Iridium (SA)

Défendeur :

Ralston Energy Systems France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Courdent

Conseillers :

Mme Chaillet, M. Dequidt

Avoués :

Mes Le Marc'Hadour Pouille-Groulez, Cocheme-Kraut, Quignon

Avocats :

Mes Doutriaux, Derely Coulon.

CA Douai n° 91-01897

27 octobre 1994

Le 9 mars 1989, un salarié de la société Iridium, M. Michel Bourre, était victime sur son lieu de travail d'un accident lui causant de sérieuses blessures aux mains, au visage et à l'abdomen.

Considérant que cet accident provenait de l'explosion de la pile que manipulait ce jour-là Monsieur Bourre, pile de marque Wonder vendue, selon elle, quelques semaines auparavant par la société Oldis, la société Iridium appelait en responsabilité ces deux sociétés.

Par déclaration du 14 mars 1991, elle interjetait appel du jugement rendu le 15 février 1991 par le Tribunal d'Arras qui l'avait déboutée de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de ces sociétés et l'avait condamnée à verser à chacune d'elles la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 2 octobre 1991, le conseiller de la mise en état, sur demande contestée de l'appelant, ordonnait une mesure d'expertise qui était finalement confiée à Monsieur Albert Leclercq qui déposait son rapport le 28 mai 1993 concluant à l'inexplicabilité des causes de l'accident survenu.

A partir de ce rapport, la société Iridium conclut à la réformation du jugement critiqué, à la responsabilité solidaire des sociétés Oldis (vendeur des piles) et Wonder (fabricant) dans l'accident, à leur condamnation solidaire à lui verser :

- 19 486,82 F à titre de dommage-intérêts,

- 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

et à leur garantie dans les sommes qu'elle-même devrait verser à la Caisse primaire d'assurance maladie de Boulogne-sur-Mer.

Elle fait valoir que, tant sur le fondement de l'article 1er de la loi du 21 juillet 1983 que sur le fondement de l'article 1648 du Code civil, les sociétés sont responsables de l'accident. Que, subsidiairement, elles sont tenues sur le fondement de la responsabilité délictuelle dans la mesure où elles ont conservé la garde de la structure de la pile.

Par conclusions signifiées le 9 mars 1994, la société Oldis conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré ; subsidiairement, au débouté de l'appelante en ses prétentions pour absence de preuve d'un quelconque préjudice ; plus subsidiairement encore, elle sollicite la garantie de la société Wonder en cas de condamnation.

Elle réclame à la société Iridium 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'il n'est pas établi que la pile, objet du litige, fasse partie du lot par elle livré le 16 février 1989 ; que sur le fondement de la loi du 21 juillet 1993, elle ne saurait être tenue à une obligation de résultat à défaut de preuve préalable d'un vice caché.

Que sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, l'action n'a pas été intentée dans le bref délai exigé par la loi.

Que sa responsabilité éventuelle ne peut en aucun cas être recherchée en dehors du cadre contractuel.

La société Ralston Energy Systems France venant aux droits de la société Wonder conclut également à la confirmation du jugement déféré et réclame 30 000 F sur le fondement de l'article 7100 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'action sur le fondement de l'article 1641 du Code civil est prescrite. Que la société appelante n'établit ni le vice caché, ni le fait que celui-ci existait antérieurement à la date du 16 février 1989, date de livraison, ni que ce vice prétendu ait rendu la pile impropre à son usage et que cette dernière soit la cause du dommage.

Que l'action engagée subsidiairement sur le terrain délictuel, est irrecevable et mal fondée, la société Iridium exerçant seule les pouvoirs d'usage de direction et de contrôle sur la pile, en conservant donc la garde.

Par conclusion additionnelle, la société Iridium précise que le montant de son préjudice résultant des réclamations de la Caisse d'assurance maladie est de 444 698 F dont elle réclame remboursement.

Sur ce

A - Sur les responsabilités des sociétés Oldis et Ralston Energy Systems France

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats et surtout de l'aveu textuel qu'en a fait la société Oldis qui, dans ses conclusions de première instance, l'a tenu pour acquis, le fait que cette société a bien livré le 16 février 1989 à la société Iridium un lot de quarante-huit piles de 4,5 volts et qu'une des piles provenant de ce lot est bien celle incriminée dans l'accident survenu.

Que la responsabilité de ces deux sociétés, par l'effet de la transmission de garantie, ne peut être recherchée que sur le terrain contractuel. Qu'il convient de les examiner au regard de la loi du 21 juillet 1983 invoquée en premier moyen par la société Iridium.

Attendu que cette loi pose en son article premier le principe de l'obligation contractuelle de sécurité pesant sur le fabricant d'un produit en ces termes : " les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ".

Attendu qu'il s'agit en l'espèce d'une obligation contractuelle de résultat au regard de ces deux dernières qualités, dégageant une présomption de responsabilité du fabricant si le sous- acquéreur établit la réalité du préjudice, l'existence du fait dommageable et le lien de causalité entre ces deux éléments sauf du fabricant, de démontrer une cause exonératoire de sa responsabilité.

Attendu que l'exercice de cette obligation de résultat de sécurité que doit assurer le fabricant du produit en vertu de la loi du 21 juillet 1983 est autonome de la garantie en vices cachés et n'est pas enfermé dans les délais prévus par l'article 1648 du Code civil;

Que l'accord sur ce fondement apparaît donc de ce fait recevable.

Que sur le fond, il résulte des documents produits (déclaration d'accident du travail-enquête du Comité d'hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail - témoignage du collègue de travail de Monsieur Bourre - expertise de Monsieur Leclercq) le fait que l'accident s'est produit alors que la victime désirait tester le fonctionnement de la pile de sa lampe de poche, a sorti ladite pile de son boîtier et a placé l'ampoule sur les deux lamelles de contact provoquant l'explosion de la pile, le culot de l'ampoule étant retrouvé six mètres plus loin.

Qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir une éventuelle mauvaise manipulation ou une tentative d'expérience malheureuse de la part de Monsieur Bourre, le rapport du laboratoire de police scientifique de Lille concluant notamment à l'absence de trace de substances explosives dans les débris de pile analysés et la visite sur les lieux par l'expert démontrant qu'il s'agissait d'une papeterie où aucun produit explosif n'était à disposition.

Qu'ainsi, à défaut par les sociétés d'établir des circonstances anormales d'utilisation du produit susceptibles de les exonérer de leur responsabilité de sécurité posée par la loi, il apparaît que les conditions de mise en jeu de cette responsabilité sont bien en l'espèce réunies, soit l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'explosion de la pile et les blessures subies par M. Bourre.

Qu'il y a lieu en cette mesure, réformant en cela la décision déférée, de déclarer la société fabricante et la société venderesse responsables de l'accident subi par Monsieur Bourre et en conséquence tenues de réparer le préjudice subi par son employeur qui peut être fixé de la façon suivante :

- 3 486,82 F correspondant aux prestations versées à Monsieur Bourre pendant son arrêt de travail, charges sociales incluses ;

- 5 000 F à titre de préjudice moral compte tenu des démarches rendues nécessaires et de l'émoi éprouvé par le personnel ;

- 444 698 F représentant l'augmentation du taux de cotisation accidents du travail subi par la société Iridium suite à l'accident survenu pour les années 1991 à 1994, calcul produit par l'organisme même de sécurité sociale.

C - Sur les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu que, sur ce fondement, seule la demande présentée par la société Iridium doit aboutir à concurrence de la somme de 7 000 F.

Par ces motifs : Réforme le jugement déféré, Déclare les sociétés Oldis et Ralston Energy Systems France venant aux droits de la SA Piles Wonder responsables de l'accident survenu le 9 mars 1989 dont à été victime Monsieur Bourre ; Les condamne solidairement à verser à la société Iridium : - 3 486,82 F à titre de dommages-intérêts - 5 000 F à titre de préjudice moral - 444 698 F au titre de l'augmentation des cotisations de sécurité sociale - 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes contractuelles ou supplémentaires, Condamne les deux sociétés aux dépens dont distraction au profit de la SCP Le Marc'Hadour-Pouille-Groulez, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.