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Décisions

CJCE, 11 juillet 1996, n° C-232/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MPA Pharma GmbH

Défendeur :

Rhône-Poulenc Pharma GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Puissochet, Hirsch

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Jann, Ragnemal, Gulmann

Avocats :

Mes Rehmann, Bauer

CJCE n° C-232/94

11 juillet 1996

LA COUR,

1. Par ordonnance du 29 juillet 1994, parvenue à la Cour le 11 août suivant, l'Oberlandesgericht Koeln a posé, en application de l'article 177 du traité CE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 36 du traité CE, en relation avec le droit des marques.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Rhône-Poulenc Pharma (ci-après "Rhône-Poulenc"), fabricant de produits pharmaceutiques, à la société MPA Pharma (ci-après "Pharma"), qui importe en Allemagne certains de ses produits.

3. Rhône-Poulenc est une filiale allemande de la société française Rhône-Poulenc Rover SA, titulaire de la marque Orudis en Allemagne et dans d'autres pays. Elle commercialise en Allemagne, sous licence de la société mère, le produit pharmaceutique Orudis retard comme médicament contre les rhumatismes, en emballages de 20, 50 et 100 comprimés logés dans des plaquettes alvéolaires correspondant aux normes de dimension recommandées par divers groupements professionnels et commerciaux et par les institutions d'assurance maladie allemandes.

4. En Espagne, l'Orudis retard est commercialisé, en emballages de 20 comprimés uniquement, par une société soeur de Rhône-Poulenc.

5. Pharma commercialise en Allemagne le produit Orudis retard, qu'elle importe d'Espagne par voie dite parallèle. Afin d'obtenir des emballages de 50 comprimés, elle reconditionne le produit dans de nouveaux emballages extérieurs qu'elle conçoit, dans lesquels elle introduit des plaquettes alvéolaires prélevées dans différents emballages d'origine espagnole.

6. Ces nouveaux emballages extérieurs portent sur toutes leurs faces visibles l'inscription en allemand:

"MPA Import Arzneimittel 50 comprimés-retard d'Orudis retard à avaler"

ainsi que sur l'une des faces principales les mentions:

"Fabricant: Rhône-Poulenc SAE, Espagne"

et "Importateur et entreprise pharmaceutique responsable: MPA Pharma GmbH, D-22946 Trittau".

Sur l'un des côtés, il est indiqué:

"Le contenu de la présente boite d'Orudis retard a été produit en Espagne par la société Rhône-Poulenc Farma SAE, Alcorcon (Madrid), et importé et conditionné en Allemagne par la société MPA Pharma GmbH, D-22946 Trittau, conformément aux dispositions de la loi sur les médicaments de la République fédérale d'Allemagne."

7. Pharma ajoute en outre aux emballages une notice d'utilisation qu'elle a conçue.

8. Rhône-Poulenc considère que la commercialisation du produit reconditionné constitue une violation de la marque Orudis et a donc assigné Pharma en cessation de cette pratique. Le Landgericht a fait droit à sa demande en sorte que Pharma s'est pourvue devant la juridiction de renvoi, qui a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

"1°) Suffit-il pour retenir l'existence d'une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres, au sens de l'article 36, seconde phrase, du traité CE, que l'exercice du droit national de marque, compte tenu du système de commercialisation appliqué par le titulaire de la marque, aboutisse objectivement à cloisonner les marchés entre États membres ou est-il nécessaire à cette fin de prouver que, avec le système de commercialisation qu' il applique, le titulaire de la marque utilise son droit de marque en vue de provoquer un cloisonnement artificiel des marchés?

2°) Existe-t-il une "restriction déguisée dans le commerce entre les États membres" au sens de l'article 36, seconde phrase, du traité CE, lorsque le titulaire d'un droit de marque protégé dans les États membres A et B invoque son droit de marque national pour empêcher qu'un importateur achète des produits pharmaceutiques soumis à prescription dans l'État membre A et qui sont pourvus de la marque IR et commercialisés sous celle-ci dans l'État membre B par l'entreprise liée au groupe du titulaire de la marque, et qu'il les reconditionne et les met en circulation dans l'État membre A dans un nouvel emballage de sa conception, sur lequel il appose la marque sans l'autorisation de son titulaire, alors que l'exercice de ce droit de marque aboutit à un cloisonnement des marchés entre les États membres (voir question 1), qu'il est prouvé que le reconditionnement ne peut pas affecter l'état originaire du produit, que le titulaire du droit de marque a été informé auparavant de la mise en vente du produit reconditionné et qu'en outre le nouvel emballage comporte non seulement l'indication du fabricant et de l'importateur, mais aussi de l'auteur du reconditionnement, mais que

a) l'indication relative à l'auteur du reconditionnement ne figure pas de manière suffisamment claire sur l'emballage extérieur, de sorte qu'elle peut échapper aux milieux concernés,

et/ou

b) il ne ressort ni de l'indication du processus même de reconditionnement ni du reste de l'emballage extérieur que le reconditionnement a été effectué par l'importateur sans l'accord du titulaire du droit de marque ou de l'entreprise liée à son groupe?"

9. Par ces questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande en substance à voir précisées les conditions dans lesquelles le titulaire d'un droit de marque peut, conformément à l'article 36 du traité, se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit pharmaceutique qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque. A cet égard, il est notamment demandé à la Cour d'expliquer l'importance et le contenu de la notion de "cloisonnement artificiel des marchés" et de se prononcer sur l'existence de certaines conditions supplémentaires devant être remplies par l'importateur.

10. Avant d'aborder ces questions, il y a lieu de relever qu'il a été soutenu devant la Cour que la législation nationale en cause doit être appréciée au regard non pas de l'article 36 du traité, mais de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive"). Cette directive devait être transposée en droit national au plus tard le 31 décembre 1992, délai fixé par la décision 92-10-CEE du Conseil, du 19 décembre 1991, reportant la date de mise en vigueur des dispositions nationales d'application de la directive 89-104-CEE rapprochant les législations nationales des États membres sur les marques (JO 1992, L. 6, p. 35).

11. Or, la juridiction nationale n'ayant pas posé de question sur l'interprétation de l'article 7 de la directive, il convient de se limiter à cet égard aux deux constatations suivantes.

12. D'abord, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son encontre (voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 48; du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106-89, Rec. p. I-4135, point 6, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91-92, Rec. p. I-3325, point 20). Cependant, selon cette jurisprudence, en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité CE.

13. Ensuite, comme il ressort de l'arrêt de la Cour de ce même jour, dans les affaires Bristol-Myers Squibb e.a. (C-427-93, C-429-93 et C-436-93, point 40), l'article 7 de la directive, tout comme l'article 36 du traité, vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun, en sorte que ces deux dispositions, ayant pour objet de parvenir au même résultat, doivent être interprétées de manière identique.

14. Pour ce qui est de l'interprétation de l'article 36 du traité, il convient de rappeler que les interdictions et les restrictions d'importation justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sont admises par cet article, à condition qu'elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

15. Selon une jurisprudence constante, l'article 36 n'admet de dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le marché commun que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la propriété industrielle et commerciale en cause.

16. S'agissant du droit de marque, la cour a affirmé qu'il constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir. Dans un tel système, les entreprises doivent être en mesure de s'attacher la clientèle par la qualité de leurs produits ou de leurs services, ce qui n'est possible que grâce à l'existence de signes distinctifs permettant de les identifier. Pour que la marque puisse jouer ce rôle, elle doit constituer la garantie que tous les produits qui en sont revêtus ont été fabriqués sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (arrêts du 17 octobre 1990, HAG, C-10-89, Rec. p. I-3711, point 13, ci-après l'"arrêt HAG II", et du 22 juin 1994, IHT Internationale Heiztechnik et Danziger, C-9-93, Rec. p. I-2789, points 37 et 45).

17. Par conséquent, ainsi que la cour l'a plusieurs fois reconnu, l'objet spécifique du droit de marque est notamment d'assurer au titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation d'un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque (voir, notamment, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102-77, Rec. p. 1139, point 7; du 3 décembre 1981, Pfizer, 1-81, Rec. p. 2913, point 7; HAG II, précité, point 14, et IHT Internationale Heiztechnik et Danziger, précité, point 33).

18. Il s'ensuit notamment que le titulaire d'un droit de marque protégé par la législation d'un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s'opposer à l'importation ou à la commercialisation d'un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par lui-même ou avec son consentement (voir, notamment, arrêts du 31 octobre 1974, Winthrop, 16-74, Rec. p. 1183, points 7 à 11; HAG II, précité, point 12, et IHT Internationale Heiztechnik et Danziger, précité, points 33 et 34).

19. En effet, l'objet du droit de marque n'est pas de permettre aux titulaires de cloisonner les marchés nationaux et de favoriser ainsi le maintien des différences de prix pouvant exister entre les États membres. Il est vrai que, notamment sur le marché des produits pharmaceutiques, de telles différences de prix peuvent résulter de facteurs sur lesquels les titulaires de marques n'exercent aucun contrôle, en particulier des réglementations divergentes dans les États membres relatives à la fixation des prix maximaux, des marges bénéficiaires des grossistes en produits pharmaceutiques et des pharmacies ou des montants maximaux de remboursement des frais médicaux sous les régimes d'assurance maladie. Or, il doit être remédié aux distorsions causées par une réglementation différente sur les prix dans un État membre par des mesures prises par les autorités communautaires et non par l'introduction par un autre État membre de mesures incompatibles avec les règles relatives à la libre circulation des marchandises (voir, notamment, arrêt Winthrop, précité, points 16 et 17).

20. En vue de répondre à la question de savoir si le droit exclusif reconnu au titulaire de la marque comporte le pouvoir de s'opposer à l'utilisation de la marque par un tiers après reconditionnement du produit, il convient de tenir compte de la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux qui ont une autre provenance. Cette garantie de provenance implique que le consommateur ou l'utilisateur final puisse être certain qu'un produit marqué qui lui est offert n'a pas fait l'objet, à un stade antérieur de sa commercialisation, d'une intervention opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire (arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Pfizer, point 8).

21. Il en résulte que le droit reconnu au titulaire de la marque de s'opposer à toute utilisation de cette marque susceptible de fausser la garantie de provenance ainsi comprise relève de l'objet spécifique du droit de marque, dont la protection peut justifier des dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises (arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Pfizer, point 9).

22. Dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, la Cour a dit pour droit que, en application de ces principes, l'article 36 du traité doit être interprété en ce sens que le titulaire d'un droit de marque peut s'en prévaloir pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a procédé au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été réapposée, à moins

- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit;

- que le titulaire de la marque soit averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné, et

- qu'il soit indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionné.

23. Il convient toutefois de préciser cette jurisprudence eu égard aux arguments invoqués dans la présente affaire ainsi que dans les affaires Bristol-Myers Squibb e.a, précitées, et Eurim-Pharm Arzneimittel (C-71-94, C-72-94 et C-73-94), dans lesquelles la cour a rendu ce même jour ses arrêts.

Quant au cloisonnement artificiel des marchés entre États membres

24. Il convient de constater à cet égard que l'utilisation du droit de marque par son titulaire pour s'opposer à la commercialisation sous cette marque des produits reconditionnés par un tiers contribuerait à cloisonner les marchés entre États membres, notamment lorsque le titulaire a mis en circulation, dans différents États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le produit ne peut, en l'état où il a été commercialisé par le titulaire du droit dans un État membre, être importé et mis en circulation dans un autre État membre par un importateur parallèle.

25. Il s'ensuit que le titulaire de la marque ne peut pas s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'emballage, dans la taille utilisée par le titulaire dans l'État membre où l'importateur a acheté le produit, ne peut pas être commercialisé dans l'État membre d'importation en raison, notamment, d'une réglementation n'autorisant que des emballages d'une certaine taille ou d'une pratique nationale en ce sens, de règles en matière d'assurance maladie faisant dépendre de la taille de l'emballage le remboursement des frais médicaux, ou de pratiques de prescription médicale bien établies se basant, entre autres, sur des normes de dimension recommandées par des groupements professionnels et par les institutions d'assurance maladie.

26. A cet égard, il y a lieu de préciser que, lorsque, conformément aux règles et pratiques en vigueur dans l'État membre d'importation, le titulaire y utilise plusieurs tailles d'emballage différentes, il ne suffit pas de constater qu'une de ces tailles est également commercialisée dans l'État membre d'exportation pour conclure qu'un reconditionnement du produit n'est pas nécessaire. En effet, il existerait un cloisonnement des marchés si l'importateur ne pouvait commercialiser le produit que sur une partie limitée du marché de celui-ci.

27. En revanche, le titulaire peut s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'importateur est à même de réaliser un emballage pouvant être commercialisé dans l'État membre d'importation, par exemple, en apposant sur l'emballage extérieur ou intérieur d'origine des nouvelles étiquettes rédigées dans la langue de l'État membre d'importation ou en ajoutant une nouvelle notice d'utilisation ou d'information dans la langue de l'État membre d'importation.

28. En effet, le pouvoir du titulaire d'un droit de marque protégé dans un État membre de s'opposer à la commercialisation sous la marque des produits reconditionnés ne doit être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation.

29. Enfin, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que prétend la défenderesse au principal, l'utilisation par la cour du terme "cloisonnement artificiel des marchés" n'implique pas que l'importateur doive démontrer que, en mettant en circulation dans différents États membres un produit identique dans des conditionnements divers, le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres. En effet, en précisant qu'il doit s'agir d'un cloisonnement artificiel, la Cour a entendu souligner que le titulaire peut toujours se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés lorsque ceci est justifié par la nécessité de sauvegarder la fonction essentielle de la marque, le cloisonnement en résultant ne pouvant dans ce cas être considéré comme artificiel.

Quant à l'affectation de l'état originaire du produit

30. A cet égard, il convient de préciser d'abord que la notion d'affectation de l'état originaire du produit se réfère à l'état du produit contenu dans l'emballage.

31. Le titulaire d'un droit de marque peut donc s'opposer à tout reconditionnement comportant le risque d'exposer le produit contenu dans l'emballage à des manipulations ou à des influences affectant son état originaire. Pour apprécier si tel est le cas, il y a lieu, comme l'a relevé la Cour au point 10 de l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, de tenir compte de la nature du produit et du procédé de reconditionnement.

32. S'agissant de produits pharmaceutiques, il résulte du même point de l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, que le reconditionnement est à considérer comme opéré dans des circonstances qui ne sauraient affecter l'état originaire du produit, notamment lorsque le titulaire de la marque a mis le produit en circulation dans un emballage double et que le reconditionnement ne porte que sur l'emballage extérieur, en laissant intact l'emballage intérieur, ou lorsque le reconditionnement est contrôlé par une autorité publique en vue d'assurer l'intégrité du produit.

33. Il résulte donc de cette jurisprudence que le simple fait de retirer des plaquettes alvéolaires de leur emballage extérieur d'origine et de les placer avec un ou plusieurs emballages d'origine dans un nouvel emballage extérieur ou de les insérer dans un autre emballage d'origine n'est pas de nature à affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage.

34. Il a toutefois été soutenu devant la Cour que même de telles manipulations comportent le risque d'affecter l'état originaire du produit. Ainsi, les plaquettes alvéolaires qui proviennent de différents emballages d'origine et qui sont groupées dans un emballage extérieur unique pourraient être issues de lots de production différents et avoir des dates de péremption différentes.

35. Cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, il ne peut être admis que chaque risque hypothétique d'erreur isolée soit suffisant pour reconnaître au titulaire de la marque le droit de s'opposer à tout reconditionnement des produits pharmaceutiques dans de nouveaux emballages extérieurs.

36. S'agissant d'une opération consistant à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information rédigée dans la langue de l'État d'importation, rien ne permet de présumer que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage en a été directement affecté.

37. Cependant, il y a lieu de reconnaître que, de manière indirecte, l'état originaire du produit contenu dans l'emballage peut être affecté lorsque, notamment, l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes concernant la nature du produit, sa composition, son effet, son utilisation ou sa conservation.

38. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas, en faisant notamment une comparaison avec le produit commercialisé par le titulaire de la marque dans l'État membre d'importation. Il ne doit toutefois pas être exclu que l'importateur puisse fournir certaines informations supplémentaires pourvu que ces informations ne contredisent pas celles fournies par le titulaire dans l'État membre d'importation, cette condition étant remplie lorsqu'il s'agit notamment d'informations différentes découlant du conditionnement utilisé par le titulaire dans l'État membre d'exportation.

Quant aux autres exigences devant être remplies par l'importateur parallèle

39. Dans l'hypothèse où le reconditionnement est opéré dans des conditions qui ne sauraient affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage, la fonction essentielle de la marque en tant que garantie de provenance est sauvegardée. Ainsi, le consommateur ou l'utilisateur final n'est pas induit en erreur sur la provenance des produits, mais reçoit effectivement des produits fabriqués sous le contrôle unique du titulaire de la marque.

40. Or, il convient de constater que, si, dans ces conditions, la conclusion selon laquelle le titulaire ne peut pas se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation sous sa marque des produits reconditionnés par un importateur s'impose en vue de garantir la libre circulation des marchandises, elle équivaut pourtant à reconnaître à l'importateur une certaine faculté qui, dans des circonstances normales, est réservée au titulaire lui-même.

41. Dans l'intérêt du titulaire en tant que propriétaire de la marque et pour le protéger contre tout abus, il convient par conséquent, ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, de n'admettre cette faculté que pour autant que l'importateur respecte certaines autres exigences.

42. Ainsi, eu égard à l'intérêt du titulaire de la marque à ce que le consommateur ou l'utilisateur final ne puisse être amené à croire qu'il est responsable du reconditionnement, il doit être indiqué sur l'emballage par qui le produit a été reconditionné.

43. Comme la Cour l'a déjà précisé, cette indication doit ressortir clairement de l'emballage extérieur du produit reconditionné (arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 12, et Pfizer, point 11). Cela implique, comme l'a relevé M. l'Avocat général au point 128 de ses conclusions, que la juridiction nationale doit apprécier si elle est imprimée de façon à être comprise par une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive.

44. En revanche, il n'y a pas lieu d'exiger qu'il soit, en outre, expressément mentionné sur l'emballage que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque, une telle indication pouvant être comprise comme impliquant, ainsi que l'a relevé M. l'Avocat général au point 88 de ses conclusions, que le produit reconditionné n'est pas tout à fait régulier.

45. Cependant, ainsi qu'il découle du point 11 de l'arrêt Pfizer, précité, il peut être exigé qu'il soit clairement indiqué sur l'emballage extérieur par qui le produit a été fabriqué, le fabricant pouvant, en effet, avoir un intérêt à ce que le consommateur ou l'utilisateur final ne soit pas amené à croire que l'importateur est titulaire de la marque et que le produit a été fabriqué sous son contrôle.

46. Même lorsque l'auteur du reconditionnement du produit figure sur l'emballage, il ne peut être exclu que la réputation de la marque et donc celle du titulaire de la marque puisse tout de même avoir à souffrir d'une présentation inadéquate du produit reconditionné. Dans un tel cas, le titulaire de la marque a un intérêt légitime, se rattachant à l'objet spécifique du droit de marque, à pouvoir s'opposer à la commercialisation du produit. Pour apprécier si la présentation du produit reconditionné est susceptible de nuire à la réputation de la marque, il convient de tenir compte de la nature du produit et du marché auquel il est destiné.

47. En ce qui concerne les produits pharmaceutiques, force est de constater qu'il s'agit là d'un domaine sensible où le public est particulièrement exigeant en ce qui concerne la qualité et l'intégrité du produit et que, en fait, la présentation du produit peut être susceptible d'inspirer la confiance du public à cet égard. Par conséquent, un emballage défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon pourrait nuire à la réputation de la marque.

48. Cela dit, les exigences auxquelles doit satisfaire la présentation d'un produit pharmaceutique reconditionné varient selon qu'il s'agit d'un produit vendu aux hôpitaux ou, par l'intermédiaire des pharmacies, aux consommateurs. Dans le premier cas, les produits pharmaceutiques sont administrés aux patients par des professionnels pour lesquels la présentation du produit ne revêt pas une grande importance. Dans le second cas, la présentation du produit revêt une importance plus grande pour le consommateur, même si, s'agissant de produits soumis à la prescription d'un médecin, cette circonstance est en soi susceptible d'inspirer aux consommateurs une certaine confiance en la qualité du produit.

49. Enfin, ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, le titulaire de la marque doit être averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné. En outre, le titulaire peut exiger que l'importateur lui fournisse un spécimen du produit reconditionné préalablement à la mise en vente afin de pouvoir vérifier que le reconditionnement n'est pas opéré de manière à affecter directement ou indirectement l'état originaire du produit et que la présentation après reconditionnement n'est pas de nature à nuire à la réputation de la marque. De même, une telle exigence permet au titulaire de la marque de mieux se préserver des activités des contrefacteurs.

50. Eu égard à l'ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux questions préjudicielles que l'article 36 du traité doit être interprété en ce sens que le titulaire d'un droit de marque peut se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit pharmaceutique qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, à moins

- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Tel est le cas, notamment, lorsque le titulaire a mis en circulation, dans divers États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est, d'une part, nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation et, d'autre part, opéré dans des conditions telles que l'état originaire du produit ne saurait en être affecté. En revanche, cette condition n'implique pas qu'il doive être établi que le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage. Tel est le cas, notamment, lorsque l'importateur s'est limité à des opérations ne comportant aucun risque d'affectation, à savoir, par exemple, à retirer des plaquettes alvéolaires de leur emballage extérieur d'origine et à les placer dans un nouvel emballage extérieur ou à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information. Il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'est pas indirectement affecté du fait, notamment, que l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes;

- qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant, ces indications devant être imprimées de telle façon qu'une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. En revanche, il n'est pas nécessaire d'indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque;

- que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire. Ainsi, l'emballage ne doit pas être défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et

- que l'importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionné.

Sur les dépens

51. Les frais exposés par le gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR:

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht Koeln, par ordonnance du 29 juillet 1994, dit pour droit:

L'article 36 du traité CE doit être interprété en ce sens que le titulaire d'un droit de marque peut se prévaloir de ce droit pour empêcher un importateur de commercialiser un produit pharmaceutique qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, à moins

- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Tel est le cas, notamment, lorsque le titulaire a mis en circulation, dans divers États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est, d'une part, nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation et, d'autre part, opéré dans des conditions telles que l'état originaire du produit ne saurait en être affecté. En revanche, cette condition n'implique pas qu'il doive être établi que le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres;

- qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage. Tel est le cas, notamment, lorsque l'importateur s'est limité à des opérations ne comportant aucun risque d'affectation, à savoir, par exemple, à retirer des plaquettes alvéolaires de leur emballage extérieur d'origine et à les placer dans un nouvel emballage extérieur ou à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information. Il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'est pas indirectement affecté du fait, notamment, que l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes;

- qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant, ces indications devant être imprimées de telle façon qu'une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. En revanche, il n' est pas nécessaire d'indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque;

- que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire. Ainsi, l'emballage ne doit pas être défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et

- que l'importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionné.