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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 9 septembre 1999, n° 98-00295

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Merck Biomaterial France (SA)

Défendeur :

Aupic, Mutuelle Générale de l'Education Nationale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner

Conseillers :

M. Jacquin, Mme Arnaud

Avoués :

SCP Bourgeon & Kawala, SCP Avril & Hanssen

Avocats :

Mes Durade-Replat, SCP Curtil-Curtil-Faivre.

TGI Dijon, du 1er déc. 1997

1 décembre 1997

Faits, procédure et prétentions des parties:

Le 27 février 1992 Monsieur Aupic a été opéré à la Clinique Bénigne Joly à Dijon par le Docteur Ginefri qui a mis en place sur ce patient une prothèse de la hanche gauche fabriquée par le laboratoire Impact-Est, aux droits duquel se trouve aujourd'hui la société Merck Biomaterial France (société Merck).

Le 8 janvier 1995 Monsieur Aupic a été victime du bris spontané de la tête de cette prothèse.

Suivant actes d'huissier des 1er et 19 décembre 1995 il a assigné la société Merck en responsabilité de cet accident, et il a mis en cause la MGEN en qualité d'organisme social.

Par ordonnance du 2 mai 1996, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Dijon a désigné le Docteur Bailly en qualité d'expert, lequel a conclu à une défectuosité de la tête céramique de la prothèse particulièrement fragile.

En outre, il a apprécié les différents postes du préjudice corporel subi par Monsieur Aupic à la suite de ce bris de prothèse.

Par jugement 1er décembre 1997 assorti du bénéfice de l'exécution provisoire le Tribunal de grande instance de Dijon a déclaré la société Merck entièrement responsable de ce préjudice et elle l'a condamnée à payer à Monsieur Aupic les sommes suivantes:

- 40 000 F au titre du préjudice non soumis au recours de l'organisme social,

- 18 357 F au titre du préjudice soumis audit recours,

- 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il a retenu que le bris de la tête de prothèse résultait exclusivement du caractère défectueux de cette tête, et que le fournisseur était tenu de délivrer un appareil exempt de vice.

La société Merck a interjeté appel de ce jugement en concluant à titre principal au rejet des prétentions de Monsieur Aupic aux motifs que la preuve formelle de l'existence d'un vice caché antérieur à la livraison n'était pas rapportée, et que sa responsabilité sur le fondement de l'obligation de sécurité ne pouvait pas davantage être engagée, dès lors qu'il n'était pas possible d'écarter toute causalité extérieure génératrice du sinistre.

A titre subsidiaire, l'appelante n'offre de régler que le tiers des condamnations prononcées par le tribunal dans la mesure où, selon elle, trois causes possibles pourraient expliquer le bris de prothèse, à savoir le fait du patient, le fait du praticien et le fait du produit.

En toute hypothèse elle sollicite l'allocation d'une indemnité de 12 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient que la possibilité d'une maladresse chirurgicale au moment de l'opération aurait été écartée sans preuve certaine par le médecin expert, alors que deux patients du même Docteur Ginefri, à savoir Madame Kerlo et Monsieur Aupic, ont été victimes du bris de leur prothèse en l'espace des sept mois, ce qui mériterait "une légitime interrogation sur la pertinence du rejet de l'hypothèse d'une responsabilité médicale" dans le cas d'espèce;

L'appelante souligne également que l'hypothèse d'un choc subi par Monsieur Aupic antérieurement au bris de la prothèse ne pourrait être totalement exclue.

Monsieur Aupic conclut à la confirmation du jugement entrepris, sauf à y ajouter la condamnation de l'appelante à lui verser une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir que le rapport de l'expert Mansat désigné dans le cadre de la procédure opposant Madame Kerlo à la même société Merck lui est inopposable, en ce qu'il fait notamment état du caractère exceptionnel des bris de prothèse. II invoque également les dispositions de l'article 221-1 du Code de la consommation qui met à la charge du fabricant une obligation de sécurité.

Discussion:

Attendu qu'aux termes de l'article L. 221-1 du Code de la consommation "les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la sécurité des personnes" ;

Attendu plus précisément qu'en application de l'article 1147 du Code civil et en sa qualité de fabricante de la prothèse litigieuse, la société Merck était tenue d'une obligation contractuelle de sécurité l'obligeant à livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour le patient sur lequel serait implantée cette prothèse (cass. civ. 15.10.96 JCP 971. 4025 ; 3 mars 1998 - JCP 98-1110.049);

Attendu en l'espèce que le rapport d'expertise n'a mis en évidence ni faute du chirurgien lors de la mise en place de la prothèse, ni facteur traumatique qui pourrait expliquer la survenance de la fracture de cette prothèse qui n'avait pas présenté de problème jusqu'au 8 janvier 1995 ;

Attendu que devant la cour la société appelante émet à nouveau deux hypothèses de mise en place non conforme de la prothèse qui pourraient être à l'origine du sinistre, mais le tribunal lui a répondu pertinemment que ces affirmations n'étaient étayées d'aucun commencement de preuve et notamment d'aucun avis médical contraire à celui de l'expert judiciaire;

Attendu que sur ce dernier point, le rapport du Docteur Mansat déposé dans la procédure parallèle intéressant Madame Kerlo fait effectivement état de deux erreurs possibles de "technique chirurgicale" lors de "l'impaction" d'une prothèse, mais à l'instar des conclusions de la présente expertise, il exclut a priori toute faute du chirurgien Ginefri au vu du compte-rendu opératoire concernant Madame Kerlo, de même que le Docteur Bailly a écarté "une responsabilité fautive du chirurgien" au vu du compte-rendu opératoire relatif à l'intervention subie par Monsieur Aupic;

Attendu en réalité que les deux experts judiciaires s'accordent à dire que les têtes de prothèse en céramique sont par nature plus fragiles que celles en acier et que le risque de rupture d'origine non traumatique, donc "sans cause apparente", serait de un pour 1 000 ou de un pour 3 000 selon des sources statistiques apparemment différentes;

Attendu que dans le cas de Monsieur Aupic, l'appelante fait encore valoir que rien ne permettrait objectivement d'exclure l'hypothèse d'un traumatisme subi par ce patient quelques mois avant le 8 janvier 1995, et sans que cela ne conduise à une cassure immédiate de la tête de la prothèse;

Mais attendu que ce fait hypothétique du patient n'est pas davantage démontré que le fait hypothétique du praticien;

Attendu en conséquence que la société Merck ne se libère pas de son obligation de sécurité en rapportant la preuve que la défectuosité de sa prothèse proviendrait d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ; que c'est donc à bon droit que le tribunal l'a déclarée tenue à indemnisation du préjudice corporel subi par Monsieur Aupic du fait du remplacement de la prothèse brisée le 8 janvier 1995 ;

Attendu que la liquidation de ce préjudice ne faisant pas l'objet de critiques, le jugement entrepris mérite entière confirmation, sans toutefois que l'équité commande de majorer l'indemnité allouée en première instance pour frais irrépétibles.

Décision:

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Dit n'y avoir lieu à majoration de l'indemnité allouée à Monsieur Aupic sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Merck-Biomaterial France aux dépens d'appel avec faculté pour la SCP Avril-Hanssen de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.