Cass. crim., 6 juin 1991, n° 90-82.970
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat général :
M Perfetti
Avocats :
SCP Le Bret, Laugier, SCP Le Prado.
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par S Ludger, la C, partie intervenante, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle en date du 25 avril 1990 qui, pour blessures involontaires, a condamné le premier à 3 000 F d'amende, et a prononcé sur les réparations civiles ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 320 du Code pénal, 1382 du Code civil, ensemble 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Ludger S coupable du chef de blessures involontaires, prononcé sa condamnation à la peine de 3 000 F d'amende et donnant acte à Bonnefoy et à l'Etat de leurs constitutions de partie civile, a confirmé le jugement entrepris sur l'expertise médicale de Bonnefoy, sursis à statuer sur l'entier préjudice subi par celui-ci et l'Etat, et condamné S au paiement d'une somme de 2 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"aux motifs que les experts retenaient, parmi les huit possibles, deux causes de l'ouverture du doigt de mousqueton, à savoir le mauvais positionnement de la sangle empêchant la fermeture et les vibrations résultant du défilement de la corde au moment de la chute du grimpeur ; que la première hypothèse était à écarter en raison du professionnalisme de Bonnefoy ; qu'au surplus en présence d'une telle erreur de manipulation, il n'était pas admissible que les mousquetons puissent se rompre et qu'il fallait ajouter que la sangle coincée aurait pu se déchirer partiellement ; que la deuxième hypothèse apparaît la seule possible, les experts soulignant la sensibilité des mousquetons aux tensions et relâchements brutaux de charge ; que les experts avaient également souligné que le cliquet commençait à se déplacer sous une force de 4,5 newtons, alors que le label de l'UIAA impose une force de 5 à 15 newtons ; que même s'ils précisaient que le risque d'ouverture du cliquet était faible et que le même risque d'ouverture de deux cliquets était très faible, il était évident que l'accident de Bonnefoy n'avait pas d'autre cause puisque les experts eux-mêmes avaient éliminé les sept autres causes possibles ; qu'une fois le cliquet de chaque mousqueton ouvert, l'accident était irrémédiable, dès lors que lesdits mousquetons n'avaient qu'une résistance de 550 kg/force ; que S était sans doute pas obligé de se conformer aux normes UIAA, mais prenait en s'en écartant un risque, du moment que celles-ci étaient basées sur une pratique normale de l'escalade ; que S ne pouvait valablement soutenir que ses mousquetons étaient destinés à la pratique de l'alpinisme de haute altitude, vu la fragilité accrue par l'effet du froid ;
"alors, d'une part, que la cour d'appel, en se bornant à constater que S aurait commis l'imprudence de vendre des mousquetons plus légers et de moindre résistance en position doigt ouvert que d'autres existant sur le marché, n'a pas caractérisé la faute du prévenu qui n'était pas tenu au respect d'une norme particulière ; qu'en écartant la spécificité de ce matériel au seul motif que l'utilisation de celui-ci en haute altitude l'exposerait à un risque de fragilité accrue et sans rechercher si les conditions d'emploi en haute altitude étaient différentes de celles de l'escalade, l'arrêt attaqué, qui a corrélativement et implicitement exclu l'erreur de la victime, professionnel averti, quant au choix d'un matériel adapté à l'usage envisagé, n'a pas donné de base légale à sa décision ; qu'au surplus, l'arrêt attaqué est insuffisamment motivé ; "alors, d'autre part, que le délit de blessures involontaires suppose l'existence d'une relation de causalité certaine entre la faute du prévenu et les blessures de la victime ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que la circonstance d'un mauvais positionnement de la sangle était à écarter en raison du professionnalisme de Bonnefoy, ni retenir sans explications et en dépit des observations des experts situant le risque comme très faible dans le cas de deux mousquetons à la fois, que la chute de celui-ci était imputable à une ouverture du cliquet du fait de tensions ou de relâchements brutaux de la charge ; qu'en statuant ainsi au prix de motifs hypothétiques, et entachés d'insuffisance, l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé le lien certain devant exister entre la faute de négligence prêtée à S et la chute de Bonnefoy, ni valablement motivé le rejet de la faute de la victime résultant d'un mésusage des mousquetons" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Bertrand Bonnefoy, alpiniste confirmé, a fait une chute alors qu'il escaladait, dans les Bouches-du-Rhône, une falaise équipée de pitons ancrés dans la paroi et qu'il se trouvait à environ 13 mètres du sol ; que deux mousquetons fixés au niveau des 3e et 4e pitons d s'étant rompus, il a été grièvement blessé ; que Ludger S, responsable des établissements S, qui avaient fabriqué et distribué les mousquetons dans lesquels passait la corde destinée à assurer l'alpiniste, a été poursuivi pour blessures involontaires ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité du prévenu, la cour d'appel énonce qu'il résulte du rapport des experts que la seule cause possible de l'accident est la sensibilité particulière des mousquetons aux tensions et relâchements brutaux de la charge qui a entraîné l'ouverture des cliquets, un effort modéré exercé latéralement sur le cliquet ouvert empêchant alors celui- ci de revenir en place; que, lorsque le cliquet est ouvert, la force de résistance du mousqueton est inférieure aux normes de résistance recommandées par l'Union internationale des associations d'alpinisme (UIAA); que les juges ajoutent qu'en commercialisant de tels mousquetons, ne présentant pas une résistance suffisante dans toutes leurs conditions prévisibles d'utilisation et sans en prévenir l'usager, alors que la fonction essentielle de ce matériel est précisément d'assurer la sécurité de l'alpiniste qui doit pouvoir compter sur une résistance normale en cas de chute, Ludger S a commis une négligence qui est à l'origine des blessures subies par la victime;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent la faute du prévenu et le lien de causalité entre celle-ci et le dommage subi par la victime, la cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision ; Qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.