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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 27 janvier 1993, n° 597-97

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Bastet

Défendeur :

Volvo Véhicules industriels (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac

Conseillers :

Mmes Briottet, Vigneron

Avoués :

Me Pamart, SCP Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Govindame, Gillet, de Richemont

T. com. Melun, du 28 juill. 1988

28 juillet 1988

Par jugement du 28 juillet 1988, le Tribunal de commerce de Melun, aux résultats d'une mesure d'expertise :

- a condamné la SA Volvo France à payer à Paul Bastet, transporteur, 40 000 F de dommages et intérêts pour défectuosité d'un véhicule tracteur, outre 5 000 F de frais de justice ;

Paul Bastet a interjeté appel, ainsi que la SA Volvo France ;

Cette dernière soutient que rien ne permet de dire que le véhicule était atteint d'un vice caché et qu'elle-même ait fait montre d'un comportement négligent dans ces interventions de maintenance, alors qu'en réalité, Paul Bastet avait refusé de reprendre le véhicule en état de marche ; - Elle estime la procédure abusive et réclame 12 000 F de dommages et intérêts et 8 000 F de frais irrépétibles.

Paul Bastet expose, pour sa part, que l'expert a constaté la situation en ces termes : " Il est impossible de circuler et de procéder à des essais normaux, la sécurité étant en cause " ; Il sollicite la résolution de la vente et 300 000 F de dommages et intérêts correspondant au prix, à majorer des intérêts légaux à compter du 28 novembre 1983, jour de l'assignation, ainsi que 70 000 F de dommages et intérêts pour résistance abusive et 15 000 F de frais irrépétibles.

Par écritures additionnelles du 18 septembre 1990, la SA Volvo France réclame à Paul Bastet le coût d'entreposage du véhicule à raison de 1 000 F par mois depuis le 1er janvier 1990 ;

Le 28 novembre 1990, l'affaire a été radiée, puis qu'à défaut de mise en cause du vendeur, l'affaire n'était pas en état ;

Le 5 juin 1991, Maître Cognet concluait le 28 août 1991, il excipait de l'irrecevabilité de l'action introduite contre la société pour la première fois en appel, sans évolution du litige établie et objectait le défaut de production au passif ; - Subsidiairement, au fond, il arguait de sa forclusion, qu'en effet, fondée sur le vice caché, l'action aurait du être intentée à bref délai ; Enfin, il estimait que la SA Volvo France, de par son comportement caractérisé, assumait une certaine responsabilité ;

- Très subsidiairement, il l'appelait en garantie, et, en toute hypothèse, sollicite de la partie succombante 5 000 F de frais irrépétibles.

Par écritures d'intervention, la SA Volvo Véhicules industriels a déclaré intervenir aux lieu et place de la SA Volvo France et réitère l'argumentation exposée antérieurement ; - Elle dénie formellement que son comportement puisse s'analyser en une reconnaissance de responsabilité ;

De son côté, Paul Bastet dénonce en préalable l'absence de recherche technique de l'expert ; Il soutient que les divers contrôles réalisés sur le véhicule faisaient présumer que celui-ci était effectué de vice caché ;

Et il insiste sur les importantes interventions de la SA Volvo ; changement du nez du pont en juillet 1983, et de la boîte de vitesse notamment, en octobre 1983 ; Il ajoute, par ailleurs, que l'attitude procédurale de la SA Volvo s'était avérée des plus suspectes ; que celle-ci avait, en effet, pris l'initiative d'interjeter appel du jugement qui ordonnait l'expertise, entravant la manifestation de la vérité et bloquant tout usage du véhicule puisqu'ainsi, les opérations d'expertise n'avaient commencé qu'en novembre 1986 ; Il ajoute que la SA Volvo avait refusé de prendre en charge les frais de remise en marche du véhicule immobilisé, ce qui avait encore amené l'expert à une instruction limitée à l'examen de document ;

Sur quoi :

Considérant qu'il est de principe que celui qui acquiert d'un concessionnaire un produit défectueux, a la possibilité d'exercer une action directe contre le fabricant; que cette action est d'ordre délictuel; qu'il lui appartient alors d'établir une faute au sens de l'article 1382 et 1383 du Code civil, spécialement au niveau de la conception ou de la réalisation ayant donné lieu à un vice caché, étant observé que le fabricant, qui est un professionnel, est tenu de connaître les vices de ses produits, et qu'il commet une faute en diffusant de tel produit que le marché;

Qu'en l'espèce, il apparaît, d'une part :

- que Paul Bastet a saisi la juridiction du fond dès le 28 novembre 1983, et requis subsidiairement la désignation d'un expert aux fins de constater le vice de fabrication affectant le véhicule : qu'un jugement désignant expert a été rendu avant dire droit le 14 octobre 1984 ;

- que la SA Volvo qui en avait interjeté appel a été déclarée irrecevable par décision du 29 octobre 1985, et l'instruction a été reprise, confiée à un nouvel expert, en mars 1986 ;

d'autre part, que l'expert indique (page 8/9 et suivantes du rapport) :

" Depuis le 18 octobre 1983, le véhicule se trouve stationné dans une cour, à l'extérieur, non protégé, la cabine, les ailes, la carrosserie présentent des traces de corrosion importante. Les parties ne s'étant pas mises d'accord pour régler le montant de la remise en marché du véhicule, soit une somme approximative de 40 000 F à 50 000 F HT, il est impossible de circuler et de procéder à des essais normaux, la sécurité étant en cause, les freins sont à revoir, les joints à changer, tous les organes de sécurité sont à vérifier. Je ne puis préciser si ce véhicule était atteint de vice caché. Il semblerait qu'antérieurement aux interventions de la SA Volvo sur le véhicule, il y avait un bruit anormal. J'ai relevé dans le courrier de la SA Volvo daté du 16 octobre 1983 ce qui suit après les essais effectués par différents techniciens, il a été constaté que ce véhicule a maintenant un bruit normal et analogue à ceux du même type ", à cette date le véhicule était sous garantie avec un kilométrage de 12 943 kms, pratiquement à l'état neuf, d'une valeur de 300 000 F ;

Il y a eu blocage certain de Monsieur Paul Bastet qui a refusé les essais avec le technicien Volvo le 26 septembre 1983, puis a refusé de reprendre son véhicule le 18 octobre 1983 ;

Les documents attestent que le nez de pont a bien été changé par VSVI Bagneux (concessionnaire) ; Monsieur Fantin pour la SA Volvo déclare avoir procédé à l'échange de la boîte de vitesse. "

Que de l'ensemble de cette situation, il résulte divers éléments désignant la responsabilité de la SA Volvo; qu'en effet, celle-ci a changé le nez de pont et la boîte de vitesse ce qui constitue une anomalie, s'agissant d'un véhicule neuf ; qu'elle l'a fait à la suite d'un bruit anormal émis par le véhicule en charge, sur deux réclamations successives de Paul Bastet, circonstance qui caractérise une imputabilité reconnue et un défaut révélé seulement après utilisation ;

- qu'elle a ultérieurement adopté une attitude peu compatible avec la bonne foi, en laissant le véhicule stationné à l'extérieur sans protection, alors que le dit véhicule était sous sa garantie et qu'une action en recherche de responsabilité était introduite à son encontre ; que sa correspondance mettant en demeure Paul Bastet de reprendre le véhicule estimé par elle suffisamment réparé et le refus opposé par ce dernier ne sauraient l'exonérer ; que l'appel dilatoire de la décision d'expertise ne peut que renforcer cette déduction ; qu'en l'état d'un échange par elle effectué de deux organes importants du véhicule sa responsabilité se trouvait présumée, que c'est à elle qu'il revenait de la lever ; que la prise en charge, au demeurant coûteuse de la remise en fonctionnement, lui incombait ; qu'en ne l'assurant pas, elle commettait une obstruction fautive ;

qu'il reste que Paul Bastet n'a pas veillé rigoureusement à la préservation de ses droits; qu'il aurait dû intenter une procédure rapide de référé et faire en sorte que le véhicule dont il réglait le prix soit mis en sûreté durant les deux années de déroulement du procès;

Que sa responsabilité est aussi engagée, sauf à être tenue pour bien moindre de celle de la SA Volvo, le partage s'opérant entre parties à proportion des 2/3 pour cette dernière et du tiers servant de référence à l'évaluation du préjudice;

Que la SA Volvo sera donc redevable à Paul Bastet de 200 000 F de dommages et intérêts, lesquels seront majorés des intérêts légaux à compter de l'assignation du 28 novembre 1983 à titre de dommages et intérêts compensatoires ;

Considérant que Paul Bastet n'a pas actionné le concessionnaire vendeur, à savoir à société PLS, en liquidation des biens ; que celle-ci, seule, pouvait en tant que contractant, répondre de la résolution de la vente ; que pareille demande est irrecevable à l'encontre de la SA Volvo ;

Qu'il doit être, en outre, observé que la nature de la responsabilité de la SA Volvo exclut tout appel en garantie de sa part à l'endroit de la société PLS et de son syndic, la SA Volvo, par ailleurs, ne justifiant pas d'une production de créance ;

Considérant que la résistance abusive alléguée à l'encontre de la SA Volvo n'est pas caractérisée ; qu'il ne saurait donc y avoir lieu à allocation indemnitaire de ce chef ;

Qu'en revanche, l'équité autorise la prise en charge par cette dernière d'une partie des frais exposés en appel, évalués à 10 000 F pour Paul Bastet, et 5 000 F pour Maître Cognet, ès qualités ;

Qu'en outre succombant pour l'essentiel la SA Volvo supportera les dépens ;

Par ces motifs : par décision contradictoire, Confirme le jugement entrepris sur le principe de la responsabilité retenue contre la SA Volvo, le montant des frais irrépétibles de première instance et les dépens, L'infirme pour le surplus : Condamne la SA Volvo Véhicules industriels à payer à Paul Bastet 200 000 F de dommages et intérêts ; Dit que cette somme sera majorée des intérêts légaux à compter du 28 novembre 1983, Dit l'appel en garantie formé contre Maître Cognet ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la société PLS, irrecevable et sans objet ; Condamne la SA Volvo véhicules industriels à payer au titre des frais irrépétibles d'appel : - 10 000 F à Paul Bastet, - 5 000 F à Maître Cognet ès qualités. Condamne la même aux entiers dépens ; - Admet les avoués Pamart et SCP Fisselier-Chiloux- Boulay au bénéfice de l'article 699 du NCPC.