CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 2 juillet 1996, n° 2397-93
DIJON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires SPAD (SA), Prothétic Concept (SARL)
Défendeur :
Termoz (M), Compagnie Abeille Assurances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ruyssen
Conseillers :
M. Kerraudren, Mlle Clerc
Avoués :
Me Gerbay, SCP Avril-Hanssen, SCP Bourgean-Kawala
Avocats :
Mes Berthat, Fessler, Boeuf
Exposé de l'affaire :
Monsieur Termoz, chirurgien-dentiste, a créé une société Prothétic Concept pour acquérir de la société Hennson International une machine à fabriquer des prothèses dentaires avec un matériau dénommé Aristée produit par la société Laboratoires Spad.
Au motif que les prothèses réalisées s'avéraient défectueuses, Monsieur Termoz et la société Prothétic Concept ont saisi le Tribunal de commerce de Dijon. Un jugement du 9 septembre 1993 a alloué des dommages et intérêts au premier mais débouté la seconde.
Le 22 novembre 1994, un arrêt de cette cour a réformé en partie la décision des premiers juges. Il a réparé le préjudice de Monsieur Termoz lié à la défectuosité des prothèses, ainsi que son préjudice moral et matériel. Pour le surplus, il a sursis à statuer en enjoignant à la société Prothétic Concept de préciser le fondement juridique et l'étendue de sa réclamation contre le laboratoire Spad.
D'après les dernières conclusions, la société Prothétic Concept demande 1 962 000 F avec intérêts de droit à compter du jugement du 9 septembre 1993 ayant consacré la responsabilité de Spad, outre 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle fonde son action au principal sur les articles 1641 et suivants du Code civil, subsidiairement réalisant un produit défectueux, l'Aristée. Elle insiste sur l'osmose existant entre ce matériau et la machine Hennson International destinée à le mettre en ouvre et sur les liens unissant étroitement les sociétés Spad et Hennson International.
Les Laboratoires Spad conclut au débouté. Il fait valoir pour l'essentiel :
- qu'il a vendu l'Aristée à Monsieur Termoz mais n'a aucun lien de droit avec Prothétic Concept qui a acheté directement le matériel Hennson International,
- qu'il n'y avait aucun rapport direct entre son action et la vente par Hennson International de ses machines, lesquelles ne dépendaient pas exclusivement, et de loin, de la qualité d'Aristée,
- qu'il n'existe donc pas de lien entre l'impropriété d'Aristée et le préjudice allégué par Prothétic Concept.
La Compagnie Abeille, assureur des Laboratoires Spad, n'a signifié aucune conclusion, après l'arrêt du 22 novembre 1994, dans la présente procédure.
Discussion :
Attendu que la société Prothétic Concept reconnaît n'avoir eu aucun lien de droit avec les Laboratoires Spad ; qu'elle ne peut donc fonder sa réclamation sur les textes qui régissent la vente, quels qu'aient été les liens de collaboration technique et commerciale entre les Laboratoires Spad et Hennson International ;
Attendu que le précédent arrêt, adoptant les conclusions d'un expert, a relevé que le matériau Aristée était apparu impropre à l'usage auquel on le destinait; que la faute des Laboratoires Spad étant ainsi caractérisée, reste à rechercher le lien de cause à effet avec le préjudice allégué par Prothétic Concept, qui consisterait à avoir acheté une machine Hennson inutilisable;
Attendu que le matériel Hennson International applique un procédé, dit CFAO dentaire, valable théoriquement pour tous types de matériaux ; qu'il résulte cependant sans ambiguïté de l'expertise que la machine acquise par Prothétic Concept ne peut fonctionner en pratique qu'avec l'Aristée pour lequel elle a été conçue ; que l'expert l'indique expressément en page 34 de son rapport, in fine, en signalant même à la page suivante le caractère " intime " de la relation matériau-machine-outil ; qu'il est d'ailleurs avéré que, de fait, les différents praticiens qui avaient acquis des appareils Hennson ont cessé de les utiliser les uns après les autres ; qu'il ne pouvait en être différemment dès lors que les prothèses réalisées à partir de l'" Aristée " se révélaient défectueuses à cause de l'impropriété du matériau et qu'aucun autre produit de remplacement ne pouvait être utilisé ; qu'il est bien spécifié par l'expert (complément de rapport p. 3) que d'autres types de produits, métal ou céramique par exemple, auraient nécessité des caractéristiques d'usinage différentes, notamment quant à la rigidité et à la résistance à l'usure des outils de broche ;
Attendu que machine Hennson et produit " Aristée " étant ainsi liés de façon indissociable, c'est à juste titre que la société Prothétic Concept réclame au Laboratoire Spad, la réparation du préjudice qu'elle a subi en achetant un matériel inutile; que ce dommage est bien la conséquence de la faute commise par Spad en commercialisant pour être usiné par la machine Hennson, un produit inadapté ou insuffisamment testé;
Attendu que Prothétic Concept a emprunté au Crédit Commercial de France pour acquérir le matériel Hennson ; que le tableau d'amortissement versé aux débats fait apparaître des remboursements pour un total de 1 957 688 F ; que cette somme est due par Spad, avec intérêts à compter du 9 septembre 1993, comme le demande le créancier, puisque cette date est postérieure à l'acte introductif d'instance ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu, en équité, à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Décision :
Par ces motifs, La Cour, vu son arrêt du 22 novembre 1994, - condamne la SA Spad à payer à la société Prothétic Concept la somme de 1 957 688 F qui produira intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 1993, - déboute la société Prothétic Concept de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile., - condamne la SA Laboratoire Spad aux dépens postérieurs à l'arrêt précité.