CA Versailles, 8e ch., 15 décembre 1989, n° 1109
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Michelet, Lemonier, Mathot, Prévoyance Mutuelle MACL, CPAM des Yvelines
Défendeur :
Aoualli(Consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sévenier
Conseillers :
MM Pons, Verdeil
Avocats :
Mes Dohet, Langlet- Thielin, Verva, Buisson, Clavier.
LA COUR, après en avoir délibéré, jugeant publiquement, a rendu l'appel suivant :
Statuant sur les appels régulièrement formés les 7 novembre, 8 novembre, 14 novembre et 17 novembre 1988 par Michelet Christian, le Ministère public, la société Ultralair, Lemonnier Pairick, la Compagnie d'assurance "Prévoyance Mutuelle MACL" et les consorts Aoualli contre un jugement du Tribunal correctionnel de Pontoise en date du 3 novembre 1988 dont le dispositif est indiqué ci-dessus ;
Michelet Christian, qui a fait valoir que le rapport des experts a conclu que sa responsabilité pouvait être dégagée, a sollicité sa relaxe et a demandé à la cour de dire qu'en acceptant de monter dans 1'ULM de son ami Aoualli Saïd, il a assumé sciemment des risques non négligeables interdisant à ses ayant-droits de venir réclamer réparation ;
Le Ministère public a requis la confirmation du jugement en ce qui concerne tous les prévenus à l'exception de Michelet Christian à l'encontre duquel il a demandé une aggravation de la peine ;
Mathot Marc et la société Ultralair ont conclu respectivement à la relaxe et à la mise hors de cause, l'accident qui a entraîné la mort d'Aoualli Saïd étant dû à la faute exclusive de Michelet Christian ;
Subsidiairement ils ont demandé la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la Compagnie d'Assurances "Prévoyance Mutuelle MACL" tenue de garantir la société Ultralair dans la limite de la part de responsabilité mise à sa charge ;
Ils ont en outre sollicité la condamnation des parties civiles à leur payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-l du Code de procédure pénale ;
La Compagnie d'Assurances "Prévoyance Mutuelle MACL", qui a conclu à l'infirmation du jugement, a demandé à titre principal de dire qu'elle est fondée à soulever l'exception de non garantie pour défaut de déclaration du sinistre dans les délais prévus par le contrat d'assurance souscrit par la société Ultralair, et à titre subsidiaire de mettre hors de cause cette société, Michelet Christian devant être déclaré seul responsable de l'accident dont Aoualli Saïd a été la victime ;
Ladite compagnie d'assurances a sollicité en outre la condamnation de la société Ultralair à lui payer la somme de 5 000 F en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale ;
Lemonnier Patrick, qui a conclu à la réformation du jugement et à sa relaxe, a fait valoir qu'aucune négligence, imprudence ou inobservation des règlements n'est etablie ài son encontre et à titre subsidiaire qu'il n'y a aucun lien de causalité entre sa faute et le décès de la victime qui en tout état de cause avait accepté le risque d'être passager d'un ULM.
Les consorts Aoualli ont demandé à la cour de :
1 ) Constater que le principe de la responsabilité de Mathot Marc est acquis et qu'à son égard les indemnisations ne pourraient être diminuées si tant est qu'une telle réformation ait été humainement envisageable ;
2) Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de Michelet Christian et Lemonnier Patrick ;
3) Reformer cependant le jugement du 3 novembre 1988 en ce qu'il n'a pas cru devoir faire application de l'article 55 du Code pénal et constater qu'en vertu de ce texte, les prévenus doivent chacun entière réparation aux concluants et sont solidairement tenus ;
4) Accorder aux parties civiles les indemnités suinvantes
- à Madame Aoualli Sadia la somme de 19 328 F pour les frais funéraires, celle de 60 000 F pour le préjudice économique et celle de 60 000 F pour le préjudice moral ;
- à Aoualli Amar, la somme de 30 000 F ;
- à Aoulli bahia et à Aoualli Malika la somme de 40 000 F chacune ;
- à Aoualli Ahmed, la somme de 100 00 F ;
- a tous les consorts Aoualli la somme de 8 000 F en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale
5) Déclarer la societe Ultralair civilement responsable de Mathot Marc et tenue à paiement les sommes mise la charge de ce dernier ;
o) Constater que la garantie de la Compagnie d'Assurances " Prévoyance Mutuelle MACL " est acquise et dire qu'elle sera tenue de garantir son assuré Ultralair de l'intégralité des sommes mises à sa charge.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Yvelincs a fait connaître qu'il ne lui était pas possible, compte tenu de l'ancienneté de l'accident dont Aoualli Saïd a été victime, de communiquer le relevé des prestations servies à ses ayant-droits.
Michelet Didier, cité au Parquet général, n'a pas comparu à l'audience, il sera statué par défaut à son égard.
Les faits résultant du dossier de la procédure et des débats sont les suivants :
Le 15 juillet 1985, Aoualli Saïd et Michelet Christian étaient victimes d'un accident sur l'aérodrome de Persan-Beaumont, alors qu'ils se trouvaient à bord d'un appareil ultra léger motorisé (ULM)
Michelet Christian était le pilote de l'appareil tandis qu'Aoualli Saïd était passager ;
Aoualli Saïd décédait deux heures après l'accident des suites dc ses blessures et Michclet Christian était grièvement blessé.
Une enquête était effectuée par la gendarmerie du Bourget qui ne pouvait conclure avec certitude aux causes de l'accident.
Les militaires de la gendarmerie relevaient cependant un défaut de certificat de navigabilité ou de laissez-passer provisoire.
Ce document permet d'attester que l'ULM est conforme à un type d'aéronef.
Une information était ouverte le 16 octobre 1985.
Michelet Christian était inculpé d'homicide involontaire, blessures involontaires et défaut dc certificat de navigabilité.
Michelet Didier, qui était président du Club Golfo au moment des faits, lui-même propriétaire de l'aérodyne était également inculpé d'homicide involontaire et défaut de certificat de navigabilité.
En ce qui concerne l'infraction de défaut de navigabilité, Michelet Didier remettait lors de sa comparution devant le Magistrat instructeur, l'original du document exigé par la législation en vigueur.
Un non-lieu de ce chef intervenait à l'égard des deux prévenus.
Pour les infractions d'homicide involontaire et blessures involontaires, le Magistrat instructeur désignait comme experts Messieurs Vauchy et Petit aux fins de déterminer les causes de l'accident et les responsabilités de chacun.
les experts estimaient que :
La chute de l'aérodyne était provoquée par une forte baisse de régime du moteur commandée par le pilote.
Celui-ci, Michelet Christian, n'était pas suffisamment compétent pour maîtriser la phase de transition entre le vol en pallier et le vol d'approche à l'atterrissage.
Ils observaient en outre que si l'accident était imputable à une faute du pilote, les conséquences tragiques de celui-ci étaient dues à l'absence de résistance des coutures des boucles de fixation des ceintures dc sécurité,
Les experts constataient en effet que la boucle de fixation n'était fermée que par une couture simple ce qui était inadapté au rôle des ceintures en cas de choc accidentel.
Lemonnier Patrick, gérant au moment des faits de la société Jokairu (société assurant la construction des ULM de type Maestro), commandait des ceintures de sécurité de ces appareils à la société Ultralair, représentée par Mathot Marc.
A l'appui de sa commande, Lemonnier Patrick expédiait un schéma de la ceinture qu' il souhaitait voir réalisée.
Mathot Marc précisant que Lemonnier Patrick traitait directement avec la couturière pour la confection des coutures des ceintures et dégageait ainsi toute responsabilité de sa société.
Le I 8 décembre 1986, le Magistrat instructeur commettait le docteur Durandeau aux fins de faire toutes observations sur l'origine des traumatismes dont avait été victime Aoualli Saïd.
Le docteur Durandeau concluait que "les lésions endocrâniennes se sont produites lorsque la victime, projetée hors de l'ULM, a pris contact avec le terrain", sur l'espace relativement large et peut-être moins dur que les tubes métalliques de la structure. Ce qui pourrait permettre de comprendre qu'il n'y a ni lésion des parties molles ni fracture du crâne.
Le décès de la victime des suites de ses blessures accidentelles était inéluctable.
Il était ainsi immédiatememt constaté que le corps ne portait pas de traces physiologiques sur l'abdomen de frottement ou de pression de la ceinture de sécurité au moment du choc.
Aussi Lemonnier Patrick était-il inculpé d'homicide involontaire. Lors de la première comparution devant le Magistrat instructeur, il donnait sa propre version de l'accident mais ne s'expliquait pas sur le fait principal qui lui était en fait reproché à savoir la fragilité de la boucle de la ceinture de sécurité.
Au cours d'un interrogatoire ultérieur, Lemonnier Patrick déclarait n'avoir aucune observation à formuler sur le rapport d'expertise et précisait qu'il indiquait à la société Ultralair l'utilisation des ceintures.
L'information n'ayant pas permis d'établir que Michelet Didier ait commis une quelconque négligence ou ait eu un comportement coupable dans la survenance de l'accident, une ordonnance de non-lieu intervenait en sa favcur tandis que Michelet Christian et Lemonnier Patrick étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel de Pontoise du chef d'homicide involontaire.
Les consorts Aoualli, parties civiles, ont d'autre part fait citer directement devant ce tribunal Michelet Didicr et Mathot Marc du chef d'homicide involontaire, la société Ultralair en qualité de civilement responsable de Mathot Marc et de fabricant des ceintures de sécurité, et son assureur la Compagnie Prévoyance Mutuelle MACL.
Le tribunal a, à bon droit, ordonné la jonction de la procédure de citation directe à celle de l'information et d'autre part, déclaré irrecevable en application de l'article 188 du Code de procédure pénale l'action engagée contre Michelet Didier qui a bénéficié d'un non-lieu devenu définitif en l'absence d'appel du Ministère public et des parties civiles.
Par des motifs pertinents et juridiquement fondés le tribunal a retenu la culpabilité de Michelet Christian et de Lemonnier Patrick du chef d'homicide involontaire.
En effet, en l'absence de toute défaillance mécanique de l'appareil exclue par les experts, Michelct Christian, qui manquait de compétence, d'expérience (20 heures seulement de vol sur ce type d'ULM) et d'entraînement (3 heures seulement au cours des deux derniers mois) a commis une faute de pilotage pour avoir trop réduit la puissance du moteur alors que l'appareil était près du sol et n'avoir pas su coordonner sa vitesse avec la pente de sa trajectoire de descente durant la phase de transition entre le vol en palier et le vol d'approche à l'atterrissage.
D'ailleurs Michelet Didier avait fait de sérieux reproches à son frère Christian qui, avant l'accident, avait fait des "piqués" pour démontrer les possibilités de l'engin et prouver ses capacités personnelles.
La peine de 13 mois d'emprisonnement avec sursis infligée à Michelet Christian assure une répression suffisante de l'infraction qu'il a commise : elle doit donc être confirmée.
Mais il n'y a pas lieu de prononcer contre Michelet Christian la suspension pendant une durée de deux ans de sa licence de pilote d'ULM, cette sanction ne pouvait être infligée par les juridictions.
En ce qui concerne Lemonnier Patrick, gérant de la société ayant vendu l'appareil sous forme d'un lot de sous ensembles, qui a dessiné lui-même les croquis des ceintures et des boucles de fixation soumis à la société Ultralair, les premiers juges ont relevé à juste titre qu'il a malgré l'absence de réglementation au sujet de la mise en place de harnais ou de ceintures de sécurité à bord des ULM, commis une négligence en équipant ses appareils de ceintures aux coutures très fragiles comportant un vice apparent et achetées à bas prix (674 F les six) par souci d'économie.
Les experts ont en effet constaté que la couture d'une des boucles casse en traction pour une force de 560 DaN alors qu'elle aurait dû résister à une force d'au moins 1 500 à 1 500 DaN. La ceinture équipant l'ULM ne remplissait donc pas son objet.
La faute commise par Lemonnier Patrick a contribué à la réalisation des blessures ayant entraîné la mort d'Aoualli Saïd.
Compte tenu de la gravité de cette faute et de la situation professionnelle de Lemonnier Patrick , l'amende qui lui a été infligée doit être aggravée.
La disposition du jugement entrepris qui a retenu la culpabilité de Mathot Marc doit être infirmée.
En effet, aucune faute ayant un lien direct avec le décès d'Aoualli Saïd ne peut lui être reprochée.
La société Ultralair,dont Mathot Marc est le gérant, n'a eu aucun rôle dans la conception de la ceinture de sécurité de l'ULM, qui a été réalisée suivant le schéma et les instructions donnés en ce qui concerne la longueur, la forme de la fixation, et l'unicité de la couture par lemonier patrick directement à la couturière de la société Ulatralair.
Mathot Marc doit donc être renvoyé des fins de la poursuite du chef d'homicide involontaire et la société Ultralair ainsi que la Compagnie d'Assurance Prévoyance Mutuelle MACL mises hors de cause.
En ce qui concerne l'action civile, il convient de dire qu'eu égard à l'importance respective des fautes ayant concouru à la réalisation de l'accident, la responsabilité de celui-ci incombe pour 3/4 à Michelet Christian et pour 1/4 à Lemonnier Patrick.
Aucune faute ne peut être reprochée à Aoualli Saïd qui, en montant dans l'ULM piloté par Michelet Christian, n'a accepté que les risques normaux inhérents à cette activité sportive, cette acceptation ne pourrait couvrir les fautes commises par ce dernier et Lemonnier Patrick qui ont été la cause génératrice du dommage et ont aggravé ces risques.
Le tribunal a à bon droit alloué à Madame Aoualli Saidia, la mère de la victime, la somme de 19 328 F en remboursement des funéraires, et rejeté sa demande de réparation du préjudice économique qui n'est pas justifiée.
La cour a les éléments suffisants d'appréciation pour évaluer le préjudice moral subi par Madame Aoualli Saidia à 20 000 F et celui par chacun des frères et sours de la victime à 5 000 F.
Michelet Christian et Lemonnier Patrick doivent être, en application de l'article 55 du Code pénal, condamnés solidairement (et non en proportion de leur part de responsabilité comme l'a indiqué par erreur le jugement) à payer aux partie civiles les sommes qui leur sont allouées outre la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Mathot Marc, la société Ultralair et la Compagnie d'Assurance Mutuelle MACL doivent être déboutés de leur demande fondée sur l'article 475-l du Code de procédure pénale.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties à l'exception de Michelet Didier à l'encontre de qui le jugement ser par défaut ; Reçoit Michelet Christian, le Ministère public, la société Ultralair, la Compagnie d'Assurance Prévoyance Mutuelle MACL, Lemonnier Marc et les consorts Aoualli en leur appel contre le jugement du Tribunal correctionnel de Pontoise en date du 3 novembre 1988 ; Confirme ce jugement en ce qu'il a : 1. déclaré irrecevable l'action engagée sur citation directe par les parties civiles contre Michelet Didier ; 2. retenu la culpabilité de Michelet Christian et Lemonnier Patrick du chef d'homicide involontaire ; 3. condamné Michelet Christian à la peine de 13 mois d'emprisonnement avec sursis ; 4. reçu les consorts Aoualli en leur constitution de parties civiles ; réforme pour le surplus ; Dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer contre Michelet Christian la suspension pendant deux ans de sa licence de pilote d'ULM ; Condamne Lemonnier Patrick à une amende de 10 000 F ; renvoie Mathot Marc des fins de la poursuite du chef d'homicide involontaire sans peine ni dépens ; Met hors de cause la société Ultralair et la Compagnie d'Assurance Prévoyance Mutuelle MACL ; Dit que la responsabilité des conséquences de l'accident du 15 juillet 1986 incombe pour 3/4à Michelet Christian et pour 1/4 à Lemonnier Patrick ; Condamne solidairement Michelet Christian et lemonnier Patrick à payer : 1. à Madame Aoualli Saidia la somme de 19 328 F en remboursement des frais funéraires et celle de 20 000 F pour le préjudice moral ; 2. à Aoualli Amar, Aoualli Bahia, Aoualli Malika et Aoualli Ahmed la somme de 5 000 F chacun pour le préjudice moral ; 3. aux consorts Aoualli la somme de 5 000 F en application de l'article L. 475-1 du Code de procédure pénale : déboute les consorts Aoualli du surplus de leur demande, notamment Madame Aoualli Saidia de sa demande en réparation du préjudice économique ; déboute Mathot Marc, la société Ultralair et la Compagnie d'Assurance Prévoyance Mutuelle MACL de leur demande fondée sur l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Constate que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines a fait connaître qu'il ne lui était pas possible compte tenu de l'ancienneté de l'accident dont Aoualli SaId a été la victime, de communiquer le relevé des prestations servies à ses ayant-droits ; Condamne Michelet Christian et Lemonnier Patrick aux dépens liquidés à la somme de 105 485, 31 F soit 52 742 F chacun.