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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 21 juin 1994, n° 93-001879

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Savie Promofi (SA)

Défendeur :

15e Avenue MPC (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoués :

SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Piazzesi, Manigne.

T. com. Paris, du 5 oct. 1990; CA Paris,…

5 octobre 1990

FAITS ET PROCEDURE

Aux termes d'un "contrat de coopération" sous seing privé en date à Paris du 11 décembre 1987, la SA Savie, qui a notamment pour objet la production et la vente de jouets, a confié à la SA Sun Partner, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société 15e Avenue MPC (ci-après MPC) l'organisation d'actions publicitaires pour une durée indéterminée avec, toutefois un "premier exercice" de dix mois, du 1er juin 1987 au 30 mars 1988.

La campagne publicitaire organisée, eu égard à la nature des produits à promouvoir, dans la période précédant les fêtes de Noël 1988 n'ayant donné, selon elle, que des résultats particulièrement décevants, la société Savie a laissé impayée une somme de 4 202 881,70 F correspondant à diverses factures visées dans un relevé établi à la date du 6 mars 1989, une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 8 décembre 1989 étant, demeurée sans effet.

Une instance en référé introduite par MPC pour obtenir paiement, à titre provisionnel, de ce solde augmenté des intérêts de retard a été abandonnée après règlement par Savie d'une somme de 3 855 038,72 F, au mois de mars 1989 semble-t-il.

C'est dans ces circonstances que, le 18 mai 1989, la société MPC a assigné la société Savie devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement du solde de ses factures, soit 347 842,98 F outre les intérêts, ainsi que d'une indemnité pour frais irrépétibles d'instance.

La défenderesse, alléguant le préjudice que lui aurait causé la mauvaise qualité des prestations de Sun Partner, a conclu au débouté, à la désignation d'un expert et à la condamnation de MPC à lui verser une provision de 4 000 000 F.

Par un premier jugement du 5 octobre 1990, le tribunal a :

- condamné Savie à payer à KPC une provision de 300 000 F sur le montant des factures "impayées et non contestées",

- avant dire droit sur le surplus des demandes, désigné en qualité d'expert M. Jean de Gravelle de Roany avec mission notamment :

a) examiner les trois factures contestées et donner son avis sur les sommes à retenir en faveur de la société 15e Avenue MPC,

b) examiner les contrats et donner son avis sur les manquements allégués par la société Savie notamment sur le problème concernant la campagne avec TF1 Publicité et les responsabilités encourues et sur celui relatif aux obligations de conseil d'une firme qui s'est en particulier spécialisée dans le domaine du jouet,

c) dans la mesure où des manquements non véniels seraient relevés, donner au tribunal les éléments pour chiffrer le préjudice allégué par la société Savie dans la mesure où cette dernière en définit le domaine et en précise la relation de cause à effet, la justification de cette relation restant de l'appréciation du tribunal.

Au vu du rapport de l'expert, clos le 7 février 1992, un second jugement du 30 septembre 1992 a :

- "homologué" ledit rapport,

- condamné la société Savie à payer à la société MPC la somme de 33 121,75 F avec intérêts légaux à compter du 8 février 1989 outre ceux de 300 000 F, montant de la provision, pour la période du 8 février 1989 au 15 janvier 1991,

- débouté Savie de ses demandes reconventionnelles, tant en paiement de dommages-intérêts qu'en désignation d'un autre expert,

- alloué à MPC une indemnité de 10 000 F pour ses frais non taxables d'instance.

Savie a interjeté appel des deux jugements le 1er décembre 1992 et conclu le 31 mars 1993 au débouté de MPC, à sa condamnation à lui payer une indemnité provisionnelle de 4 000 000 F et à la désignation d'un expert avec mission de chiffrer le préjudice qu'elle aurait subi "par suite de la campagne publicitaire conçue et réalisée par MPC" ou, subsidiairement, avec une mission identique à celle de M. de Roany, dont elle critique le rapport sans toutefois en demander l'annulation.

L'intimée, après des conclusions banales du 23 février 1993 par lesquelles elle sollicitait, outre la confirmation du jugement du 30 septembre 1992, l'allocation de deux sommes de 10 000 F chacune pour procédure abusive et frais non compris dans les dépens, a pris, le 22 avril 1994, des conclusions motivées dans le même sens, ajoutant que l'appel du jugement du 5 octobre 1990 était irrecevable, ce jugement étant avant dire droit et ayant, au surplus, été signifié et exécuté.

L'appelante a conclu en réplique le 9 mai 1994.

Cela exposé, LA COUR,

SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL DU JUGEMENT DU 5 OCTOBRE 1990

Considérant que ce jugement a ordonné une expertise limitée, en ce qui concerne la demande de MPC, à l'examen des trois factures, d'un montant global de 35 272,55 F, qui donnaient seules lieu à discussion, sursis à statuer sur la demande reconventionnelle de Savie et condamné celle-ci à payer à MPC une provision de 300 000 F alors qu'il en était demandé 347 842,98 F outre les intérêts ;

Considérant qu'en statuant ainsi, le tribunal n'a, en réalité, tranché aucune partie du principal, la provision accordée n'excédant pas le montant de la partie non contestée de la demande principale ;

Que le jugement ne pouvait donc, aux termes de l'article 544 du nouveau Code de procédure civile, être frappé d'un appel immédiat, si ce n'est avec l'autorisation du premier Président de la cour ;

Considérant d'autre part que, la condamnation étant assortie de l'exécution provisoire, le seul fait que la somme allouée à MPC lui ait été versée ne saurait faire présumer l'acquiescement de la partie condamnée ;

Qu'il s'ensuit que l'appel est recevable.

SUR L'IRREGULARITE ALLEGUEE DE L'EXPERTISE

Considérant que Savie fait grief à l'expert d'avoir déposé son rapport sans avoir, au préalable, soumis aux parties un pré-rapport de manière à leur permettre de formuler leurs observations sur ses premières conclusions ;

Mais considérant que, pour utile qu'elle soit en général, la pratique consistant à établir un pré-rapport n'est imposée par aucune disposition légale ;

Qu'il suffit, pour satisfaire aux prescriptions de l'article 276 du nouveau Code de procédure civile, que les parties aient été mises en mesure de faire valoir leurs arguments auprès de l'expert ;

Or considérant qu'il résulte de l'examen du rapport et de ses annexes qu'après avoir tenu une première réunion contradictoire le 12 février 1991, M. de Roany en a adressé le 15 du même mois le compte rendu aux parties auxquelles il demandait par une note, de répondre "rapidement" à neuf questions précises ;

Considérant qu'une seconde note a été adressée aux parties le 29 mars 1991, et que Savie, par l'intermédiaire de son conseil, a formulé un dire par une lettre de quatre pages en date du 14 mai 1991, MPC ayant répondu par la même voie le 11 juillet 1991 ;

Considérant que le principe de la contradiction n'a donc pas été méconnu par M. de Roany et qu'il n'y a lieu en conséquence, ni d'annuler l'expertise, ce que l'appelante ne demande d'ailleurs pas expressément, ni d'en ordonner une nouvelle.

SUR LA CREANCE DE MPC

Considérant que l'appelante conteste devoir le montant de trois factures de 1 679,10 F, 6 374,75 F et 27 218,70 F ;

Considérant qu'en ce qui concerne la première, relative aux frais de duplication d'une cassette vidéo, opération demandée, selon MPC, par Savie à titre de mesure de sauvegarde d'un document unique, M. de Roany indique que le travail correspondant a bien été effectué ;

Qu'ainsi et abstraction faite d'un commentaire critiquable mais superflu de l'expert, il y a lieu de rejeter la réclamation relative à cette somme ;

Considérant que sur la seconde facture, afférente aux frais de constitution d'un contrat de "merchandising" entre Savie et une société AR Production l'expert indique également qu'elle correspond à des prestations d'usage en pareille matière et que l'intervention d'un juriste, intégré à l'agence ou extérieur à celle-ci (en l'occurrence, un avocat) est imposée par les instances professionnelles ;

Que c'est donc à juste titre que son montant a été imputé à l'appelante ;

Considérant que la somme de 27 218,70 F correspond à la partie contestée d'une facture de 225 725,45 F relative :

- pour 9 800 F hors taxes à "2 doubles pages radio-commande regravées pour augmentation de format de 3 voitures",

- pour le surplus, à la moitié d'un honoraire d'agence calculé au taux de 15 au lieu de 7,5 % comme soutenu par Savie ;

Considérant que l'expert a, par une analyse des faits exempte de critique, retenu que Savie, avait demandé que deux doubles pages de photogravure soient refaites en raison d'une erreur d'échelle alors qu'elle avait pu examiner les épreuves correspondantes et les avait acceptées ;

Qu'il conclut donc avec raison que la somme de 9 800 F est à mettre à la charge de Savie ;

Considérant, sur le second point, au contraire, que M. de Roany déclare fondées les observations de l'appelante et propose de déduire une somme de 14 721,23 F TTC ce que MPC accepte ;

Considérant que le jugement, qui a suivi sur ces différents points les conclusions de l'expert, doit donc être confirmé quant au montant des factures dues à l'intimée.

SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE SAVIE

Considérant que l'appelante soutient que Sun Partner a doublement manqué à ses obligations en ne lui fournissant pas les conseils judicieux qu'elle était en droit d'en attendre pour le succès de sa campagne publicitaire et, en ne faisant pas le nécessaire pour obtenir, comme elle le lui demandait, la modification du "plan média" établi pour sa publicité sur la chaîne de télévision TF1 ;

Considérant que, sur le premier point, elle lui fait grief, en particulier, de s'être contentée de lui "vendre de l'espace télé" sans aucune action d'accompagnement, sans avoir effectué un test préalable des produits à promouvoir et en organisant une publicité beaucoup trop dispersée puisque portant sur huit types différents d'articles, alors que, de l'avis des spécialistes de la publicité télévisée, une telle campagne aurait dû être concentrée sur un seul produit ou, au maximum deux ou trois ;

Considérant, en fait, qu'il est constant que la campagne publicitaire qui s'est déroulée entre le début novembre et la mi-décembre 1988 et dans laquelle Savie avait investi la somme considérable de 3 100 000 F environ s'est soldée par un cuisant échec, puisque les ventes ne se sont élevées qu'à 12 917 891 F alors qu'il était prévu un chiffre d'affaires de plus de 53 000 000 F et que les ventes réalisées pendant et après la diffusion des messages publicitaires ont été très inférieures à celles de la période qui avait précédé ;

Mais considérant tout d'abord, que ces résultats incontestablement mauvais, ne sauraient suffire à établir la faute de l'agence de publicité, les résultats commerciaux, surtout dans un secteur tel que le jouet, fortement soumis aux fluctuations des goûts et à la conjoncture économique, ne pouvant en aucune manière être assurés d'avance ;

Considérant ensuite que l'expert, en pages 14 à 17 de son rapport, s'explique avec précision sur les griefs de l'appelante, qu'il écarte successivement pour fournir une explication plausible de l'échec commercial qui a suivi la campagne ;

Qu'il relève en particulier :

- que Sun Partner a mis en garde sa cliente contre le nombre excessif des produits à promouvoir, que Savie aurait voulu porter à 10,

- que le nombre retenu se situait dans la "moyenne supérieure" de ceux qui faisaient l'objet de la publicité de ses principaux concurrents (6 ou 7 le plus souvent),

- que l'investissement publicitaire moyen par produit était du même ordre que celui des mêmes concurrents (Tomy, Smoby, Meng).

Qu'il souligne également que les mécomptes de Savie s'expliquent par des erreurs de celle-ci (insuffisance du nombre de points de vente, mauvais choix des articles, mauvaise fixation des prix) sur lesquelles l'agence de publicité n'a eu aucune influence ;

Qu'il observe enfin, ce qui est particulièrement caractéristique, qu'avant même le début de la campagne, Savie avait envisagé de l'annuler ou de la modifier ;

Considérant qu'en l'état de ces explications d'un spécialiste de la publicité, auxquelles l'appelante n'oppose aucun argument réellement pertinent, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que l'intimée n'avait pas manqué à ses obligations dans l'organisation de la campagne publicitaire qui lui incombait ;

Considérant, sur la question de l'annulation ou de la modification de la campagne sur TF1, que l'expert, après avoir examiné les conditions générales de vente de cette société, lesquelles ont varié entre 1988 et 1989 sur le point particulier du délai minimum de préavis pour de telles modifications de prévisions, estime qu'en toute hypothèse, Savie n'a pas donné d'ordre d'annulation ou de report, mais a seulement demandé si une telle mesure était possible ;

Considérant, en fait, que la lecture des conditions générales de TF1 n'exclut pas, contrairement à ce que parait conclure l'expert, l'annulation d'une campagne en dehors des délais de préavis de 3 ou 4 semaines qui ont successivement été fixés, mais que, dans ce cas, l'annonceur reste tenu de verser le prix, qu'il y ait annulation pure et simple ou seulement report ;

Mais considérant que la discussion sur ce point est de peu d'intérêt dés lors que, comme l'a noté M. de Roany, Savie ne produit aucune pièce établissant qu'elle a formellement donné instruction d'arrêter la campagne ;

Que, pour ce seul motif, elle n'est pas fondée à reprocher à l'agence d'avoir laissé entreprendre la diffusion de sa publicité;

Considérant que le jugement doit, en conséquence, être également confirmé sur ce second point et l'appelante déboutée de l'ensemble de ses demandes.

SUR LES DEMANDES ADDITIONNELLES DE MPC

Considérant que, par ses conclusions du 23 février 1993, MPC sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Mais considérant, outre que sa demande n'est pas motivée bien qu'elle tende à la réformation du jugement, que rien ne permet d'affirmer que Savie, défenderesse au principal, ait introduit sa demande reconventionnelle de mauvaise foi ou à la suite d'une erreur d'appréciation fautive de l'étendue de ses droits ;

Que MPC sera donc déboutée de sa demande en dommages et intérêts.

SUR LES FRAIS DE L'INSTANCE

Considérant que Savie, qui succombe en son appel, doit en supporter les dépens et indemniser l'intimée des frais supplémentaires non taxables exposés devant la cour, la somme de 10 000 F réclamée de ce chef n'apparaissant pas excessive ;

Que les premiers juges ont exactement apprécié le montant de la somme qu'il convenait d'allouer pour les frais hors dépens de première instance.

Par ces motifs, Reçoit la SA Savie Promofi en ses appels des jugements des 5 octobre 1990 et 30 septembre 1992, Confirme lesdits jugements en toutes leurs dispositions, Rejette comme infondées toutes autres demandes des parties, Condamne la société Savie Promofi aux dépens d'appel et admet la SCP Bommart Forster, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, La condamne, en outre, à payer à la SA 15e Avenue MPC une indemnité supplémentaire de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.