Cass. crim., 3 février 1998, n° 96-84.522
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Milleville (conseiller doyen faisant fonctions)
Rapporteur :
Mme Chanet
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
SCP Celice, Blancpain, Soltner, SCP Jean-Jacques Gatineau.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - H Jean Louis, prévenu, - la société B, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 8e chambre, du 5 juillet 1996, qui, pour homicide involontaire, a condamné le premier à 15 000 F d'amende, ordonné l'affichage de la décision, a déclaré le second civilement responsable et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 453, 512 et 593 du Code de procédure pénale, 121-1, 121-3 et 221-6 du Code pénal, L. 236-5, L. 263-2 et L. 263-2-1 du Code du travail, 159 du décret du 8 janvier 1965, 61 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ; - "en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit que Jean Louis H était coupable du délit d'homicide involontaire et l'a condamné, en répression, à 15 000 F d'amende et à l'affichage de la décision dans les locaux de l'entreprise et, sur les intérêts civils, l'a condamné solidairement avec la société B à verser à chaque enfant de la victime la somme de 50 000 F au titre de dommages-intérêts ; - "aux motifs que, selon les dispositions du chapitre préliminaire et des chapitres I, II et III du titre III du Livre II du Code du travail, sanctionnées notamment par les dispositions de l'article L. 263-2 du même Code, il incombe au chef d'entreprise de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l'entreprise ; sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; selon l'article 159 du décret du 8 janvier 1965, dont l'applicabilité n'est pas contestée, les travailleurs occupés sur des toitures en matériaux d'une résistance insuffisante, ou vétustes, doivent travailler sur des échafaudages, plates-formes, planches ou échelles leur permettant de ne pas prendre directement appui sur ces matériaux ; il ressort de la procédure soumise à la cour que, le 29 avril 1994, Nino Ragazzi, salarié de la SA B, a, sur les instructions de Jacky Berchigny, conducteur de travaux, procédé, à l'aide d'une pompe utilisée comme aspirateur, à l'enlèvement de granulés de polyester accumulés sur le toit d'un atelier et provenant de la cheminée par suite du dysfonctionnement du système d'alimentation automatique des machines servant à la fabrication de textile artificiel ; à l'occasion de ce travail, qui était habituellement effectué par une entreprise extérieure spécialisée et qu'il avait déjà commencé quelques jours auparavant en utilisant des planches pour se déplacer sur la toiture en fibrociment, il a quitté la passerelle métallique située sur le toit et a marché sur celui-ci, sans aucun dispositif de sécurité, de sorte que le matériau fragile a cédé sous son poids ; Jean Louis H, directeur administratif et financier de la SA B depuis le 25 février 1991, a, par une délibération en date du 20 décembre 1993 du conseil d'administration, été proposé aux fonctions d'administrateur de la société et concomitamment désigné comme président- directeur général en remplacement d'Henrich Schneider, sans que cette nomination ait porté atteinte à son contrat de travail ; que sa nomination a été soumise à l'assemblée générale des actionnaires du 10 janvier 1994, qui l'a agréée ; que le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration mentionne que celui-ci a, pour la durée du mandat du nouveau président du conseil d'administration, reconduit M Cayrel dans ses fonctions de directeur général adjoint de la société qui lui avaient été confiées par une précédente décision du conseil d'administration du 17 avril 1991 ; que, selon le procès-verbal qui la relate, cette même décision a précisé qu'en sa qualité de directeur général adjoint, il disposera à l'égard des tiers des mêmes pouvoirs que le président-directeur général ; pour s'exonérer de sa responsabilité découlant de son obligation générale de sécurité, ci-dessus rappelée, Jean Louis H, se référant aux décisions du conseil d'administration, fait valoir qu'à l'époque de l'accident, ses pouvoirs et prérogatives en matière de sécurité étaient en réalité de la compétence et entraient dans les fonctions de Jean-Pierre Cayrel, ingénieur, directeur général adjoint et en même temps directeur industriel et d'établissement, par l'effet d'une délégation tacite et implicite, mais néanmoins effective, attestée par des documents, tels un organisme de la direction industrielle et une note de service, et corroborée par le fait que Jean-Pierre Cayrel présidait le comité d'hygiène et de sécurité et avait la rémunération la plus élevée dans l'entreprise ; cependant, les pouvoirs attribués à Jean-Pierre Cayrel par la décision du conseil d'administration du 17 avril 1991 qui l'a nommé directeur-général adjoint, ne concernent que la représentation de la société à l'égard des tiers, comme le précise expressément le procès-verbal de la réunion ; que la répartition des pouvoirs au sein même de l'entreprise ne s'en trouve donc aucunement affectée, d'autant qu'il est indiqué que, même pour l'exercice des pouvoirs qui lui sont reconnus pour engager la société dans le cadre de la gestion courante et quotidienne, le directeur général adjoint agissait sous les directives du président du conseil d'administration ; les pièces produites par Jean Louis H, à savoir, d'une part, la note, apparemment de 1990, intitulée "responsabilité de la direction industrielle et établissement", où est mentionnée la rubrique "problèmes de sécurité sur le site" et où est portée, au crayon, la mention "gestion et planification des opérations d'entretien", et, d'autre part, un organigramme de la direction industrielle et d'établissement, annexé à une note organisationnelle, signée par Jean-Pierre Cayrel et datée du 2 septembre 1991, et dans lequel est mentionnée la rubrique "sécurité", établissent seulement que des compétences en matière de sécurité avaient été, antérieurement au changement de président-directeur général, conférées au secteur d'activité dirigé par Jean- Pierre Cayrel ; que, si ces pièces permettent de retenir que ce dernier exerçait les attributions corrélatives pour mettre en ouvre les compétences de sa direction, en exécution de son contrat de travail, elles n'induisent pas, par elles-mêmes, l'existence et la disposition des moyens nécessaires à la mise en œuvre et au respect des prescriptions relatives à la sécurité des travailleurs tels qu'elles découleraient d'une délégation de pouvoirs consentie par le chef d'entreprise ; la nomination de Jean-Pierre Cayrel en qualité de directeur général adjoint n'a aucunement modifié les prérogatives qu'il tenait de ses fonctions de directeur industriel ; qu'en effet, la distinction est parfaitement soulignée dans le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration qui précise que "les fonctions de directeur général adjoint ne se confondent en aucune manière au contrat de travail existant entre lui et la société" ; il est constant, comme le soutient le prévenu lui-même, que la décision du 20 décembre 1993 du conseil d'administration a simplement reconduit la situation antérieure; la présidence du comité d'hygiène et de sécurité, exercée habituellement par Jean-Pierre Cayrel, entre dans les prévisions de l'article L. 263-5 du Code du travail selon lequel cet organisme est présidé par le chef d'entreprise ou son représentant, et ne permet pas d'en inférer une quelconque délégation de pouvoirs en ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions relatives à l'obligation générale de sécurité ; il faut remarquer que, lors de son audition par les services de police, Jean Louis H a indiqué qu' "en ce qui concerne l'hygiène et la sécurité au sein de la société, Jean-Pierre Cayrel en a la responsabilité, l' animation étant confiée à M Penisson, responsable de la production" (D 13), mais n'a aucunement mentionné une délégation de pouvoirs ; que l'inspecteur du travail qui a procédé à l'audition des personnes concernées, relève, dans son rapport (cf. page 8) que Jean Louis H n'a pas donné de délégation de pouvoirs ; devant la cour, Jean-Pierre Cayrel, qui a reconnu avoir des attributions en matière de sécurité, conformément à l'organigramme de la société, a, néanmoins, nié avoir eu une délégation ; il faut encore observer que Jean Louis H, qui cumulait ses fonctions de président-directeur général et celles de directeur financier, avait ainsi la maîtrise de l'engagement des dépenses de la société ; qu'à cet égard, Jean-Pierre Cayrel a précisé, devant la cour, n'avoir délégation que pour les petites dépenses ; que l'allégation d'une délégation de pouvoirs au profit de Jean- Pierre Cayrel est aussi démentie par la suppression du poste du seul agent de sécurité de sa direction, au début de 1994, dans le cadre d'une compression d'effectif inscrite dans une stratégie d'économie mise en œuvre par le chef d'entreprise ; enfin, le prévenu ne saurait tirer argument de ce que Jean-Pierre Cayrel avait la rémunération la plus élevée, dès lors que cette situation trouve son fondement dans l'ancienneté de sa présence dans l'entreprise où il avait exercé des fonctions de responsabilité lorsqu'elle appartenait au groupe Rhône-Poulenc ; dans ces conditions, Jean Louis H, dont l'argumentation tend à instaurer une confusion entre les attributions de Jean-Pierre Cayrel et la délégation de pouvoirs qu'il invoque, ne rapporte pas la preuve qu'il avait délégué à son adjoint les pouvoirs qu'il tenait de ses fonctions de président- directeur général ; il ne pouvait pas ignorer la situation créée par l'accumulation de granulés de polyester, en quantité très importante, sur le toit en fibrociment de l'atelier et la nécessité d'y remédier ; que, devant le tribunal, il a d'ailleurs reconnu en avoir été informé ; ainsi, en l'absence de délégation, il a personnellement méconnu les obligations relatives à la sécurité des travailleurs occupés sur les toitures, qu'il lui appartenait de faire respecter, en laissant Nino Ragazzi circuler sur le toit de l'atelier, sans dispositif approprié à la prévention des chutes ; ce manquement, qui lui est imputable en sa qualité de chef d'entreprise et dont, en conséquence, il ne peut s'exonérer en invoquant son absence et son ignorance de la commande d'un tel travail, est à l'origine directe de l'accident mortel survenu à Nino Ragazzi ; à cet égard, il ne saurait invoquer la négligence de la victime qui n'aurait pas accroché un harnais de sécurité à la "ligne de vie" installée sur le toit ni sa désobéissance aux ordres qu'elle aurait reçus d'utiliser des planches, comme cela avait été fait les jours précédents ; en effet, il lui incombait, dans le cadre de l'obligation ci-dessus rappelée, de veiller au respect des consignes de sécurité, soit par un affichage approprié, soit par la désignation d'un responsable présent sur les lieux, sans préjudice d'une formation convenable dispensée aux travailleurs exposés aux risques, étant précisé que, contrairement à ce que soutient le prévenu, les dimensions trop réduites de la passerelle installée sur le toit contraignaient nécessairement Nino Ragazzi à prendre appui sur les plaques de fibrociment, compte-tenu de l'importance et de la dispersion des dépôts de granulés, ainsi que cela ressort des constatations de l'inspecteur du travail ; Jean Louis H ne rapporte pas la preuve de telles dispositions ou mesures ; qu'à cet égard, il a reconnu que la consigne n° 200 relative à l'interdiction d'aller sur le toit sans précautions et sans avoir sollicité les équipements de protection appropriés, en date du 17 août 1981, n'était pas affichée; il n'est pas établi que Nino Ragazzi en avait eu personnellement connaissance, étant souligné que M Berchigny, qui lui avait prescrit d'effectuer le travail, a déclaré qu'il n' existait aucune note sur ce point ; que M Berchigny, le supérieur hiérarchique direct de Nino Ragazzi depuis quatorze ans, était parti en vacances depuis deux jours et n'était donc pas présent ; qu'il ne ressort pas de la procédure que son remplaçant, M Lenglet, ait été lui-même présent, étant, au contraire relevé que Jean Louis H a déclaré aux services de police : "Lors du départ en congés de M Berchigny, M Lenglet était au courant du travail donné à Nino Ragazzi, mais sa responsabilité n'était pas clairement définie quant à sa surveillance" ; que les deux autres supérieurs hiérarchiques de la victime, M Wietzke et M Champion, sont arrivés sur les lieux, après l'accident, le premier à 8 heures 45 et le second à 9 heures ; dès lors, Jean Louis H, qui ne justifie pas avoir accompli les diligences normales auxquelles il était tenu, compte-tenu de ses obligations professionnelles, de la nature de sa fonction, de ses compétences ainsi que de l'autonomie et des moyens dont il disposait, a, en laissant travailler Nino Ragazzi sur un toit en fibrociment sans dispositif de sécurité et dans des conditions qui ont permis sa chute mortelle, méconnu les dispositions réglementaires relatives aux travaux sur les toitures et commis le délit d'homicide involontaire qui lui est reproché ;
"alors, d'une part, que le greffier doit tenir note principalement, des déclarations des témoins et qu'en l'occurrence l'absence de tout compte-rendu de l'audition de Jean-Pierre Cayrel, ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'interprétation succincte qu'en donne l'arrêt (page 5 1) et prive ainsi le demandeur d'un moyen déterminant dans l'exercice des droits de la défense ; - "alors, d'autre part, que lorsqu'une personne autre que le prévenu est le chef d'établissement, ce qui était la fonction de Jean-Pierre Cayrel, comme le constate l'arrêt attaqué, il en résulte que celle-ci a nécessairement les pouvoirs et le devoir de faire respecter les obligations prescrites par la réglementation du travail et qu'elle entre dans les prévisions de l'article L. 263-2 du Code du travail, de sorte qu'en estimant en l'occurrence que le président-directeur général, Jean Louis H, devait être maintenu dans les liens de la prévention, bien que le directeur d'établissement ait reconnu ne pas lui avoir parlé des problèmes posés par les travaux litigieux sur le toit de l'établissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés ; - "qu'il en va d'autant plus ainsi, qu'en application de l'article L. 236-5 du Code du travail, Jean-Pierre Cayrel présidait régulièrement, en sa qualité de chef d'établissement, le comité d'hygiène et de sécurité et avait, en cette qualité, tous pouvoirs et compétence en matière de sécurité au sein de l'entreprise et qu'il avait reconnu avoir continué de s'occuper des questions afférentes à la sécurité après la nomination de Jean Louis H ; - "alors, de troisième part, et subsidiairement, que la cour d'appel, qui se détermine par la considération que si le chef d'établissement avait incontestablement des attributions en matière de sécurité, la délégation dont il bénéficiait pour les petites dépenses n'induirait pas l'existence et la disposition des moyens nécessaires à la mise en œuvre des prescriptions de sécurité, sans rechercher quel était le coût d'intervention de l'entreprise extérieure précédemment affectée au nettoyage du toit, a, une fois de plus, privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ; - "alors, enfin, qu'il n'était nullement contesté que Jean Louis H était absent lors de l'exécution des travaux et ignorait qu'ils avaient été commandés par le supérieur de la victime, lui-même sous les ordres de Jean- Pierre Cayrel ; de sorte que la cour d'appel, qui retient la culpabilité de Jean Louis H par la seule considération qu'il ne pouvait ignorer la situation créée par l'accumulation de granulés sur le toit, ne caractérise nullement la faute personnelle du prévenu et prive à nouveau sa décision de base légale au regard des terres susvisés" ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un ouvrier chargé de l'entretien à la société B, a fait une chute mortelle alors qu'il nettoyait le toit d'un atelier, constitué de plaques de fibrociment ayant cédé sous son poids ;
Attendu que pour déclarer Jean-Louis H, président de la société B, coupable d'homicide volontaire, les juges du fond retiennent qu'un ouvrier non spécialisé avait reçu l'ordre d'effectuer, sans aucune mesure particulière de sécurité, un travail à 7 mètres du sol qui exigeait la mise en œuvre d'une technique particulière habituellement confiée à une entreprise spécialisée dans le traitement des granulés de polyester composant ce type de toiture constituée de matérieux à résistance réduite; que Jean-Louis H a reconnu avoir été informé de la nécessité d'effectuer des travaux urgents sur le toit de l'atelier; qu'ils en déduisent qu'en laissant un ouvrier chargé du simple entretien effectuer ce travail sans dispositif approprié de prévention des chutes et sans avoir recours aux services d'une entreprise spécialisée, il a exposé la victime à un risque inconsidéré et personnellement méconnu les obligations relatives à la sécurité des travailleurs occupés sur les toitures; qu'en cet état, les juges, appréciant souverainement les éléments de preuve contradictoirement débattus, ont caractérisé la faute de négligence du prévenu en relation de causalité avec l'accident;
Attendu, par ailleurs, que le demandeur ne saurait alléguer le défaut de notes d'audience alors que cette formalité n'est pas édictée à peine de nullité ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi ;