CA Paris, 4e ch. B, 10 novembre 2000, n° 1997-01762
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Résolution Informatique (SA)
Défendeur :
Compaq Computer (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier
Avocats :
Mes Dehors, Kouznetsov
Faits et Procédure
La société Résolution Informatique créée en 1985 a conçu et développé un produit constitué par un ensemble de progiciels intégrés de gestion lequel fut commercialisé sous la dénomination "Serte M". Le 5 juillet 1990 elle a déposé le signe ci-dessous reproduit à titre de marque laquelle a été enregistrée sous le n° 1 679 300 pour désigner divers produits en classes 9, 16, 35, 38, 40, 41 et 42 dont la programmation pour ordinateur et les logiciels et le 19 septembre 1990 elle a concédé une licence de commercialisation des logiciels Serte M à la société IBM.
Ayant appris à la fin de l'année 1991 que les sociétés Compaq Computer et Victor Téchnologie commercialiseraient des produits informatiques sous la dénomination Serte M, la société Résolution Informatique a assigné ces deux sociétés en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale respectivement devant le Tribunal de grande instance d'Evry et de Nanterre.
Par arrêt en date du 15 décembre 1994 la Cour d'appel de Versailles a, statuant sur l'appel interjeté contre le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre :
- dit que la marque " Série M" est constitutive d'une marque protégeable au sens de la loi du 31 décembre 1964,
- dit que Victor Technologies a contrefait cette marque,
- prononcé des mesures d'interdiction à son encontre,
- autorisé des mesures de publication,
- condamné Victor Technologies à payer à Résolution Informatique une indemnité provisionnelle de 500 000 F et ordonné une expertise aux fins d'évaluation de son préjudice,
- débouté Résolution Informatique de son action en concurrence déloyale.
En ce qui concerne l'action engagée à l'encontre de Compaq Computer, le Tribunal de grande instance d'Evry a retenu que la marque "Serte M M" était valable mais qu'en revanche la seule expression Serte M n'était pas distinctive. Par ailleurs il a estimé que la marque Serte M M n'était devenue opposable à la société Compaq Computer qu'à compter du 13 décembre 1991 et qu'après cette date cette société ayant uniquement utilisé la lettre M en association avec d'autres éléments distinctifs, aucun acte de contrefaçon ne pouvait lui être imputé. En conséquence il a débouté Résolution Informatique de sa demande en contrefaçon ainsi que de celle en concurrence déloyale, faute de faits distincts et l'a condamnée à payer à Compaq Computer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Par ailleurs il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la défenderesse.
Résolution Informatique a interjeté appel de cette décision le 17 janvier 1997. L'affaire initialement fixée pour être plaidée devant le conseiller rapporteur le 6 octobre 1999 a été renvoyée au 12 octobre 2000, Résolution Informatique ayant demandé qu'elle soit prise en collégialité.
Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 30 août 2000, l'appelante prie la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la marque "Serte M M". Pour le surplus elle demande qu'il soit dit que l'arrêt rendu le 15 décembre 1994 par la Cour d'appel de Versailles a autorité de la chose jugée et qu'en conséquence la dénomination"Série M" constitue une marque protégeable. Elle sollicite des mesures d'interdiction, la condamnation de Compaq Computer pour contrefaçon tant de la marque Serte M M que de la marque Série M ainsi que pour actes de concurrence déloyale et réclame le versement d'une part, d'une somme provisionnelle de 2 000 000 F en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, d'autre part d'une somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale. Par ailleurs elle demande, outre le paiement d'une somme de 50 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC, qu'une expertise soit ordonnée aux fins d'évaluation de son préjudice et que l'arrêt à intervenir soit publié.
Compaq Computer aux termes de ses dernières écritures signifiées le 21 septembre 2000 poursuit la confirmation du jugement et sollicite le versement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR:
I. Sur l'autorité de la chose jugée
Considérant que Résolution Informatique sans développer la moindre argumentation sur ce point demande à la cour de juger que l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles le 15 décembre 1994 dans l'affaire l'opposant à Victor Technologies a autorité de chose jugée entre les parties à la présente procédure;
Mais considérant que les premiers juges ont justement retenu que faute d'identité de parties et d'objet entre la présente procédure et celle engagée devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, la décision rendue par la Cour d'appel de Versailles n'a pas autorité de chose jugée à l'égard de Compaq Computer ;
Qu'au surplus il sera rappelé qu'en vertu de l'article L. 715-3 du Code de la propriété intellectuelle seule une décision d'annulation d'une marque a un effet absolu;
II. Sur la contrefaçon de marque
Considérant que l'appelante fait valoir qu'au sein de la marque complexe qu'elle a déposée, l'expression Série M est en elle même protégeable dès lors qu'elle est séparable du contretype M, présente un caractère essentiel et distinctif pour désigner les produits visés au dépôt ; qu'elle en conclut qu'en utilisant cette expression pour vendre des logiciels, Compaq Computer a commis des actes de contrefaçon et cherché à créer une confusion avec une dénomination qu'elle connaissait parfaitement et qui était devenue notoire dans le monde de l'informatique; qu'elle ajoute que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges la mise en demeure notifiée le 24 septembre 1991 à Compaq Computer était régulière et que l'intimée n'a nullement cessé d'utiliser la dénomination Serte M après le 13 décembre 1991, date de publication de la marque ;
Considérant que devant la cour, Compaq Computer ne conteste plus la validité de la marque Serte M M; que cependant elle expose que :
- la marque Serte M M ne lui est opposable qu'à compter du 13 décembre 1991, date de sa publication dès lors que la notification qui lui a été faite le 27 septembre 1991 n'est pas régulière et que les publicités effectuées antérieurement par Résolution Informatique sont sur ce point inopérantes,
- la seule expression Série M n'est pas protégeable en tant que marque dès lors que dans le domaine de l'informatique le mot Serte est couramment utilisé et la lettre M désigne des concepts variés (modularité, méga, million, micro) et que l'association de ces deux termes banaux doit être laissée libre,
- l'élément essentiel de la marque est constitué par le logo M et non par l'expression Serte M,
- aucun acte de contrefaçon de la marque n'a été commis après le 13 décembre 1991,
Considérant ceci exposé, qu'il est constant qu'au sein de la marque Serte M M telle que déposée, l'expression Serte M écrite dans un graphisme différent du M et placée au dessus en est séparable; que ces deux termes étant les seuls susceptibles d'identifier verbalement les produits et services visés au dépôt, ils constituent un élément de la marque ;
Considérant par ailleurs que cette expression prise isolément présente contrairement à ce que soutient Compaq Computer un caractère distinctif au regard des produits ou services visés au dépôt et notamment pour désigner des programmations pour ordinateur et des logiciels; que s'il est exact que le mot Serte désigne de manière courante une suite de choses analogues constituant un ensemble, associé à la lettre M, il forme une expression arbitraire; que l'intimée ne produit aux débats aucune pièce démontrant qu'en 1990, date du dépôt de la marque, la lettre M était couramment utilisée dans le langage informatique;
Considérant en conséquence que l'appelante peut à bon droit opposer cette seule expression à la société intimée ;
Qu'il convient dès lors de rechercher si Compaq Computer a reproduit illicitement cette expression ;
Considérant que Résolution Informatique ne conteste pas que sa marque n'a été publiée que le 13 décembre 1991, mais soutient qu'elle l'a régulièrement notifiée à l'intimée le 24 septembre 1991 et que de plus depuis 1986 cette dénomination était notoire; qu'elle en conclut qu'en faisant usage de la dénomination Serte M fin 1991 et jusqu'en mars 1992, Compaq Computer a commis des actes de contrefaçon ;
Considérant qu'en vertu de l'article L. 716- 2 du Code de la propriété intellectuelle "les faits antérieurs à la publication de la demande d'enregistrement de la marque ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés. Cependant, pourront être constatés et poursuivis les faits postérieurs à la notification faite au présumé contrefacteur d'une copie de la demande d'enregistrement" ;
Considérant qu'en l'espèce Résolution Informatique s'étant contentée le 27 septembre 1991 d'adresser à Compaq Computer une lettre recommandée avec avis de réception mentionnant que la marque "Serte M" avait été déposée sans joindre une copie de l'enregistrement, qui au surplus ne porte pas sur cette seule expression, ne peut prétendre que sa notification était régulière que par ailleurs dès lors qu'elle se prévaut d'une marque déposée le 5 juillet 1990 et enregistrée, la notoriété (au demeurant non démontrée) qu'aurait acquis ce signe dès 1986 est sans incidence ;
Considérant en conséquence que Résolution Informatique ne peut incriminer les faits de contrefaçon qui auraient été commis à compter du 27 septembre 1991 et doit rapporter la preuve que postérieurement au 13 décembre 1991, Compaq Computer a reproduit l'expression Serte M;
Or, considérant que les seules pièces produites qui soient postérieures au 13 décembre 1991 montrent que Compaq Computer a, comme elle l'avait proposé dès octobre 1991, cessé l'emploi de l'expression Compaq Deskpro Série M et utilisé pour désigner ses ordinateurs notamment la dénomination Compaq Deskpro en gros caractères suivie de nombres variables en fonction du type d'appareil et d'une lettre dont M, L, N ou E; que la seule reproduction de la lettre M combinée avec les mots Compaq Deskpro et une série de chiffres n'est pas constitutive de contrefaçon;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Résolution Informatique de sa demande en contrefaçon de marque ;
III. Sur la concurrence déloyale
Considérant que Résolution Informatique fait valoir que Compaq Computer lui a causé un préjudice considérable en entretenant une confusion dans l'esprit du public par l'emploi de la dénomination Serte M et en utilisant les actions commerciales qu'elle avait menées depuis de nombreuses années;
Mais considérant que ces faits ne constituent pas des faits distincts de ceux invoqués à l'appui de la demande en contrefaçon et qu'il n'est pas prouvé que Compaq Computer a engagé des actions commerciales identiques à celles de Résolution Informatique, observation étant faite au surplus que l'appelante commercialise des progiciels tandis que l'intimée vend des ordinateurs;
Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Résolution Informatique de sa demande de ce chef;
IV. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande d'allouer à Compaq Computer pour les frais hors dépens par elle engagés devant la cour une somme supplémentaire de 10 000 F ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société Résolution Informatique à payer à la société Compaq Computer une somme supplémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel ; Admet la SCP Duboscq et Pellerin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.