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Décisions

CA Paris, 15e ch. A, 8 octobre 1996, n° 94-025329

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Socadip (SA), Crédit Lyonnais (SA), Me Chriqui (ès qual.)

Défendeur :

Amora (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chagny

Conseillers :

M. Le Fèvre, Mme Giroub

Avocats :

Mes SCP Teytaud, Maintrieu-Frantz, SCP Parmentier-Haroudin-Le Bousse, SCP Vogel, Vogel, SCP Duboscq & Pellerin, Me Lion.

T. com. Paris, 4e ch., du 22 sept. 1994

22 septembre 1994

Maître Chriqui, liquidateur amiable de la société Socadip, et le Crédit Lyonnais sont appelants d'un jugement du 22 septembre 1994 du Tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société Socadip en application de son contrat de garantie à payer à la société Amora la somme de 493 362 F représentant les créances impayées par la société Codec en redressement judiciaire, et a condamné le Crédit Lyonnais à contre-garantir la société Socadip, allouant 20 000 F à la société Amora en remboursement de ses frais de procédure.

Maître Chriqui soutient que le contrat de garantie de paiement signé entre les sociétés Socadip et Amora ne garantit le paiement que des seules factures propres à la société Codec correspondant à des marchandises commandées par elle et livrées dans ses entrepôts et non celles des adhérents de Codec même lorsqu'elles devaient être payées par Codec selon le procédé dit de "circuit direct" utilisé par Amora pour les factures en litige relatives aux produits Aussage ; que les clauses du contrat et ses annexes ainsi que celles du contrat de contre-garantie du Crédit Lyonnais qui le reproduit, sont claires ; que la société Socadip ignorait les quelques 850 adhérents de la société Codec qui sont des tiers, expressément exclus de la liste des personnes garanties ; que l'engagement de caution doit s'interpréter limitativement et ne saurait s'étendre aux factures des adhérents payées par Codec, simple mandataire au paiement, ce qui ne déchargeait pas les adhérents de leur propre obligation de payer ; il prétend que Socadip n'a jamais entendu étendre sa garantie aux adhérents de Codec. Il sollicite à titre subsidiaire la garantie du Crédit Lyonnais et demande 30 000 F pour frais de procédure.

Le Crédit Lyonnais soutient qu'il est sous-caution de la société Socadip dans les limites précises de la caution Socadip ; que tant la lettre que l'esprit du contrat de garantie passé entre Socadip et les fournisseurs de Codec, dont la société Amora, excluent les factures des adhérents de la société Codec seulement payées par Codec suivant le "circuit direct", la garantie étant exclusivement réservée aux factures de la société Codec établies à la suite des commandes passées par Codec livrées aux entrepôts de Codec agissant comme centrale d'achat et non comme centrale de référencement, c'est-à-dire simple mandataire au paiement, voire caution. Il invoque aussi l'article 2015 du Code civil qui impose une interprétation restrictive de l'étendue du cautionnement et l'ignorance où lui-même et Socadip étaient laissés de l'existence du circuit direct ; il estime que Socadip a donné une caution limitée aux dettes de Codec excluant celles qu'elle a simplement garanties et celles de nature cambiaire ; il soutient encore que son contrat mentionne expressément que ne sont garantis que les achats effectués par les actionnaires de Socadip inscrits sur la liste et estime en conséquence ne pas avoir à contre-garantir les achats du circuit direct ; à titre subsidiaire, il reproche à la société Amora de n'avoir pas exercé d'action en revendication et invoque l'article 2037 du Code civil. Il sollicite la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire et 25 000 F pour frais de procédure.

La société Amora précise qu'elle a conclu en 1988 trois contrats de coopération commerciale avec la société Socadip qui ont été renouvelés pour l'année 1990 ; qu'elle a aussi souscrit trois contrats de garantie de paiement contre-garantis par le Crédit Lyonnais étroitement liés aux contrats de coopération ; qu'après la dénonciation le 2 août 1990 de la garantie, elle a adressé ses factures à la société Socadip qui a refusé d'honorer ses engagements pour les factures Aussage (épices, desserts et pâtisseries) établies dans le cadre du "circuit direct". Elle soutient que tant la lettre du contrat de garantie que la nature juridique des relations contractuelles nouées entre Amora et Codec et l'exécution du contrat par les parties imposent la prise en charge des factures du circuit direct par la garantie Socadip ; que le contrat ne fait aucune distinction entre les factures du circuit entrepôt et celles du circuit direct ; que Codec payait les factures du circuit direct en qualité de délégataire et s'était engagée à les régler elle-même ; qu'elle-même a réglé une commission à Socadip pour la garantie de ces factures. Elle précise qu'elle a exercé l'action en revendication et obtenu satisfaction. Elle estime que la somme reçue au titre de l'exécution provisoire ne pourrait porter intérêt, en cas de restitution, qu'à compter de l'arrêt à intervenir. Elle sollicite 20 000 F pour frais de procédure.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Socadip, créée en 1966, avait notamment pour objet, en tant que centrale de référencement, de négocier avec des fournisseurs des conditions d'achat préférentielles au profit de ses adhérents ou sociétaires; qu'elle offrait aux fournisseurs qui acceptaient cette coopération commerciale un contrat de garantie de paiement contre-garanti par le Crédit Lyonnais ; que si les deux contrats sont liés, celui de garantie est autonome et son champ d'application doit s'apprécier au regard de ses propres clauses et de l'intention commune des parties ;

Considérant que la société Codec, société anonyme ayant son siège social à Longjumeau, lieu d'importants entrepôts, était sociétaire de la société Socadip; que la société Codec avait elle-même des sociétaires, personnes physiques ou morales distinctes, qui exploitaient les magasins de détail Codec ;

Considérant que la société Codec tenait à l'égard de ses propres sociétaires un rôle essentiel de centrale d'achat (dit "circuit entrepôt"), commandant des marchandises aux fournisseurs qui les lui livraient dans ses entrepôts et dont elle payait les factures; qu'elle tenait aussi un rôle de centrale de référencement, (dit "circuit direct"), à l'instar de Socadip, négociant avec ses fournisseurs des conditions préférentielles d'achat au bénéfice de ses propres sociétaires et donnant aux fournisseurs sa garantie de paiement; que, contrairement à Socadip, elle exécutait par avance sa garantie de paiement en réglant directement les fournisseurs avec lesquels elle avait le plus souvent conclu un accord écrit dit fiche d'accord circuit direct ; que dans le cadre de ce circuit direct, les sociétaires de Codec commandaient directement leurs marchandises aux fournisseurs et se les faisaient livrer dans leurs magasins, les fournisseurs adressant les factures correspondantes à la société Codec qui les leur payaient directement, les factures mentionnant le nom du magasin livré ;

Considérant que la société Codec a été mise en redressement judiciaire le 9 août 1990 ; que dès le 1er août, son administrateur a mis fin au "circuit direct" invitant les fournisseurs à solliciter le paiement des factures directement aux magasins Codec ; que dès le 31 juillet, le Crédit Lyonnais avait dénoncé sa garantie à Socadip laquelle a dénoncé la sienne aux fournisseurs début août ; qu'elle a invité ceux-ci à lui adresser les factures impayées par Codec ; qu'en accord avec le Crédit Lyonnais, elle a réglé les factures du circuit entrepôt et refusé de régler celles du circuit direct comme n'entrant pas dans le champ d'application de sa garantie ;

Considérant que la société Amora avait pour l'année 1990 réitéré avec la société Socadip trois contrats de coopération commerciale et trois contrats de garantie de paiement ; qu'elle avait effectué au cours des premiers mois de l'année 1990 diverses livraisons de marchandises, celles des produits Aussage dans le cadre du circuit direct, les autres dans celui du circuit entrepôt ; que du fait du redressement judiciaire, certaines factures sont restées impayées à hauteur de 493 362 F pour les produits Aussage ;

Considérant que le contrat de garantie de paiement ne fait aucune référence expresse au circuit direct ; qu'il précise dans son préambule et son article 1 l'étendue de la garantie qu'il définit comme comprenant le paiement "des factures dues" par les actionnaires de Socadip et leurs adhérents nommément désignés dans la liste jointe, à l'exclusion de tout autre ; que l'article 2 fixe un plafond à la garantie calculé sur la base du chiffre des achats de l'année précédente ; que l'article 7-1 fixe le montant de la commission due à Socadip sur la base d'un pourcentage du chiffre d'affaires du fournisseur ; que la liste comporte seulement "Codec actionnaire rue du Chemin Blanc à Longjumeau" à l'exclusion de tout détaillant Codec, contrairement à d'autres actionnaires dont le nom d'adhérents figure (telle la société des Nouvelles Galeries) ; que l'intitulé de la liste est ainsi libellé "liste des actionnaires et adhérents d'actionnaires cautionnés par Socadip pour les factures établies à leur nom" ; que le contrat de contre-garantie du Crédit Lyonnais, qui a le même champ d'application, précise que la garantie porte sur les engagements des actionnaires à raison de leurs propres achats ainsi que sur leurs engagements de payer les factures de ceux de leurs adhérents inscrits sur la liste ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties ont entendu définir très limitativement quant aux personnes garanties l'étendue de la caution donnée par Socadip ; que la référence à une liste qui est exhaustive et fait partie intégrante du contrat est particulièrement manifeste de cette intention conforme à la nature de l'engagement ; qu'elle dénote la volonté de la caution de connaître nominativement les personnes garanties ;

Considérant que la seule référence faite dans le préambule du contrat ou l'intitulé de la liste aux "factures dues par l'adhérent" ou aux "factures établies au nom de l'adhérent" ne saurait à elle seule établir que les parties ont entendu faire couvrir par la garantie les factures du circuit direct payées par Codec et établies pour certaines au nom de Codec, mais mentionnant toutes le nom du magasin livré; qu'en effet, ces factures ne répondent pas à la définition usuelle du terme selon laquelle la facture est un document établi par le vendeur à l'adresse de l'acquéreur pour lui demander paiement des marchandises qu'il lui a livrées, impliquant un rapport direct et exclusif entre vendeur et acquéreur à tous les stades de l'opération de vente, que ce soit à la commande, à la livraison ou au paiement ; qu'à la différence des factures du circuit entrepôt qui répondent précisément à cette définition, les factures du circuit direct, qui comportent les deux premiers éléments, divergent sur le troisième puisque la société Codec, qui n'est pas l'acquéreur, intervient pour le paiement ; que la spécificité de ces factures impose que l'on ne s'en tienne pas à la lettre de certains termes du contrat pour rechercher l'intention des parties ;

Considérant qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que Socadip a eu connaissance de l'existence et du fonctionnement du circuit direct lorsqu'elle a souscrit son engagement de caution; qu'il n'apparaît pas que Codec lui ait communiqué les documents relatifs au circuit direct ni qu'en choisissant les termes de son contrat Socadip ait entendu viser les factures du circuit direct, et donner à des termes usuels un sens plus spécifique ;

Considérant qu'il résulte bien au contraire d'autres termes du contrat que Socadip a entendu donner un sens courant aux termes retenus ; qu'en effet, le préambule contient le terme "livraison" et l'article 2 celui "d'achats" créant un lien entre l'achat, la livraison et la facture ; que le contrat de contre-garantie du Crédit Lyonnais, signé par Socadip, qui reprend le terme d'achats, conforte cette interprétation de l'intention de Socadip qui était restée étrangère au circuit direct, de donner au mot facture son sens courant ;

Considérant qu'il n'est plus contesté, ni contestable depuis l'intervention de décisions judiciaires statuant sur la nature des rapports entre les fournisseurs et les adhérents de Codec, que ceux-ci qui ont chacun une personnalité juridique distincte de celle de Codec, sont restés débiteurs des factures du circuit direct; qu'il en résulte que l'intervention de la société Codec au seul stade du paiement n'a pas modifié les rapports entre vendeurs et acquéreurs; que les factures du circuit direct sont les factures des adhérents de Codec qui ne figurent pas sur la liste et sont dues par eux; que la société Codec, qui acceptait de les payer, ne s'en est jamais reconnue débitrice; qu'elle a, au contraire, précisé, dans des circulaires, notamment celle du 18 mars 1990, comme dans la fiche d'accord circuit direct, qu'elle n'intervenait que comme mandataire au paiement et demandé que les factures soient établies au nom de son adhérent avec seulement la mention "paiement par Codec Longjumeau" ; qu'en agissant ainsi, elle s'est mise hors du champ d'application de la garantie Socadip limitativement réservée aux factures propres à ses adhérents, excluant celles qu'ils réglaient à un autre titre, quel qu'il soit ;

Considérant que la nature spécifique du circuit direct, qui permettait à Codec de donner et de retirer aux fournisseurs sa garantie de paiement selon ses propres critères, permet de plus fort de les exclure de la garantie Socadip dont l'esprit du contrat, sans que la lettre n'en soit contraire, laissait à la caution la maîtrise de l'étendue de ses obligations au regard des garantis, excluant toute intervention d'un tiers qu'elle ne connaissait pas, interdisant à ses adhérents d'accroître unilatéralement ses obligations ;

Considérant qu'aucune pièce n'établit que Socadip a étendu le champ d'application de sa garantie au cours de l'exécution du contrat ; que les lettres produites à cet effet sont clairement relatives à des entrepôts ou à des filiales de Codec, à l'exclusion de ses adhérents ;

Considérant que pas plus l'admission de la créance au redressement judiciaire de Codec que son acceptation de lettres de change ne permettent d'inclure les factures du circuit direct dans la garantie Socadip qui est limitée aux dettes de la société Codec et exclut ses engagements cambiaires ou de garant ;

Considérant que l'apposition de la mention de la garantie de Socadip dans la fiche d'accord circuit direct, insérée par Codec sans l'assentiment de Socadip, ne saurait l'engager valablement ; qu'une telle mention est en outre contraire à l'attitude de Codec qui a entendu faire du circuit direct un procédé dont elle avait seule la maîtrise ;

Considérant que le paiement par le fournisseur à Socadip d'une commission sur les factures du circuit direct ne saurait pas plus faire garantir ces factures par Socadip ; qu'en effet, le versement, même indu, d'une commission ne saurait justifier l'extension du champ d'application d'une garantie ; qu'au demeurant, seul le fournisseur a eu l'initiative de ces versements, l'absence de contrôle ou de réaction de Socadip ne pouvant s'interpréter comme un accord tacite pour modifier les conventions écrites initiales ou laisser à la discrétion de son co-contractant l'étendue de sa propre garantie ; que Socadip a d'ailleurs offert de rembourser le trop-perçu lorsqu'elle a examiné les demandes de remboursement des fournisseurs ; que le libellé des fiches adressées par Socadip aux fournisseurs pour demander le paiement de la commission et qui comporte la mention des sociétaires de Codec ne peut pas s'interpréter comme constituant une extension de la garantie consentie puisqu'elle n'a trait qu'au calcul de la commission, non à la définition de son étendue et ne constitue qu'un document préparatoire qui devait être complété par le fournisseur en fonction de la nature des ventes qu'il effectuait ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Socadip et au Crédit Lyonnais la charge de leurs frais irrépétibles ;

Considérant que la société Amora, déboutée de ses demandes, devra restituer les sommes reçues en exécution du jugement réformé avec intérêts légaux à compter du présent arrêt qui ordonne la restitution ;

Par ces motifs, Réforme le jugement déféré ; Déboute la société Amora de ses demandes ; Condamne la société Amora à restituer à la société Socadip et celle-ci à restituer au Crédit Lyonnais les sommes versées en exécution du jugement avec intérêts légaux à compter de la notification du présent arrêt ; Déboute la société Socadip et le Crédit Lyonnais de leurs demandes en remboursement de frais de procédure ; Condamne la société Amora aux dépens de première instance et d'appel qui seront remboursés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.