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Décisions

CJCE, 27 octobre 1992, n° C-191/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Generics (UK) Ltd, Harris Pharmaceuticals Ltd

Défendeur :

Smith Kline & French Laboratories Ltd

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Rodríguez Iglesias, Zuleeg, Murray

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Grévisse, Edward

Avocats :

Mes Parker, Carr, Jacob, Burkill, Sharpston, Farr, Kon, Radford.

CJCE n° C-191/90

27 octobre 1992

LA COUR

1. Par ordonnance du 13 février 1990, parvenue à la Cour le 19 juin suivant, la Court of Appeal of England and Wales a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité et de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités, en vue d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de certaines pratiques des autorités nationales compétentes pour fixer, en matière de brevets, les conditions des licences de droit.

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige qui oppose Smith Kline and French Laboratories Ltd (ci-après "SKF"), titulaire de deux brevets britanniques pour le produit pharmaceutique "Cimétidine", aux sociétés Generics (UK) Ltd (ci-après "Generics") et Harris Pharmaceuticals Ltd (ci-après "Harris"). Ce litige a pour objet l'importation au Royaume-Uni de ce produit à partir de pays tiers et de l'Espagne et du Portugal.

3. En vertu des dispositions du Patents Act de 1977 (ci-après "Patents Act"), les brevets dont SKF est titulaire ont été revêtus de la mention "licence de droit" à compter du 9 mars 1988.

4. Il résulte de la législation nationale applicable aux brevets revêtus d'une telle mention et, plus particulièrement, de l'article 46 du Patents Act que toute personne est, de plein droit, habilitée à prendre une licence sur le brevet aux conditions qui peuvent être fixées soit par un accord avec le titulaire du brevet, soit, faute d'accord, par le Comptroller General of Patents (ci-après "Comptroller").

5. Conformément à la jurisprudence de la House of Lords, le Comptroller peut, pour fixer les conditions d'octroi de ces licences, se fonder sur les dispositions des articles 48, paragraphe 3, et 50, paragraphe 1, du Patents Act relatives aux licences obligatoires. Ces dispositions permettent au Comptroller de prendre en compte, dans l'exercice de ses pouvoirs, la circonstance que le brevet n'est pas exploité sous la forme d'une fabrication du produit sur le territoire du Royaume-Uni.

6. Il est constant que la pratique des autorités nationales compétentes est d'autoriser, sur le fondement de ces dernières dispositions, le preneur d'une licence de droit à importer de pays tiers le produit couvert par le brevet dans les cas où le titulaire du brevet exploite le brevet en important le produit au Royaume-Uni à partir d'autres États membres et, au contraire, de refuser au preneur de licence le droit de procéder à ces importations en provenance de pays tiers lorsque le titulaire du brevet fabrique le produit sur le territoire national.

7. Conformément au droit national en vigueur, Harris et Generics ont demandé à SKF une licence de droit leur permettant notamment d'importer de la Cimétidine. Faute d'accord entre les parties, le Comptroller puis la Patents Court ont été saisis.

8. Prenant en compte la circonstance que SKF fabriquait la Cimétidine en Irlande, sous la forme de produit semi-fini, et en achevait la fabrication sur le territoire du Royaume-Uni, la Patents Court a inséré dans les conditions des licences de droit demandées par Harris et Generics une clause interdisant à ces dernières d'importer de la Cimétidine, sous la forme de produit fini, à partir des pays tiers ainsi que de l'Espagne et du Portugal. L'assimilation, dans le cas d'espèce, de ces deux États membres aux pays tiers était fondée sur les dispositions transitoires des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion relatives à certains brevets. La Patents Court a, en revanche, refusé d'insérer une clause identique pour l'importation de la Cimétidine sous la forme de produit semi-fini.

9. Un recours ayant été formé par SKF, d'une part, et par Harris et Generics, d'autre part, contre cette décision devant la Court of Appeal, cette juridiction a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Est-il compatible avec les articles 30 et 36 du traité instituant la Communauté économique européenne qu'une autorité compétente chargée de fixer les conditions d'octroi d'une licence sur un brevet obligatoirement revêtu de la mention "licence de droit" se fonde sur les dispositions des articles 48, paragraphe 3, sous a), et 50, paragraphe 1, sous c), du Patents Act de 1977 pour décider s'il y a lieu d'insérer ou non, comme condition d'octroi d'une telle licence, le droit d'importer des produits brevetés de l'extérieur de la Communauté? Les articles 30 et 36 s'opposent-ils à ce qu'elle applique normalement les dispositions des articles 48, paragraphe 3, sous a), et 50, paragraphe 1, sous c), en ce sens qu'elle est obligée de refuser l'octroi d'une licence en vue de l'importation en provenance d'un autre État lorsque le titulaire d'un brevet exploite ce brevet en procédant à la fabrication au Royaume-Uni, alors qu'elle est tenue de délivrer une licence en vue de l'importation en provenance d'un pays tiers lorsque le titulaire d'un brevet exploite ce brevet en important des produits fabriqués dans d'autres États membres de la Communauté économique européenne?

2 a) La réponse à la question qui précède est-elle affectée par le fait que les articles 48, paragraphe 3, sous a), et 50, paragraphe 1, sous c), du Patents Act de 1977 sont applicables en matière de délivrance de licences obligatoires et prévoient qu'une licence obligatoire peut être délivrée sur un brevet si celui-ci n'est pas exploité au Royaume-Uni?

b) La réponse à la question qui précède est-elle affectée si, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire quant au point de savoir s'il y a lieu d'autoriser ou non l'importation en provenance d'un pays tiers, l'autorité compétente se fonde sur les dispositions des articles 48, paragraphe 3, sous a), et 50, paragraphe 1, sous c), du Patents Act de 1977 pour déterminer les éléments pertinents qu'il importe de prendre en considération?

3) Eu égard aux dispositions des traités d'adhésion de l'Espagne et du Portugal à la Communauté économique européenne ainsi qu'à l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire 434-85 [Allen and Hanburys Ltd/Generics (UK) Ltd, Rec. 1988, p. 1245], le fait pour l'autorité compétente d'insérer, lors de la fixation des conditions d'octroi d'une licence de droit sur un brevet pour un produit pharmaceutique, une condition constituant une restriction à l'importation de ce produit en provenance de l'Espagne ou du Portugal est-il contraire aux articles 30 et 36 du traité CEE?"

10. Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les première et deuxième questions

11. Les deux premières questions visent, en substance, à savoir si les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit peuvent, sans méconnaître les articles 30 et 36 du traité, se fonder sur les dispositions d'une législation nationale, comme celles des articles 48, paragraphe 3, et 50, paragraphe 1, du Patents Act, pour refuser au preneur d'une licence de droit l'autorisation d'importer le produit couvert par le brevet à partir de pays tiers lorsque le titulaire du brevet fabrique le produit sur le territoire national et pour accorder cette autorisation lorsque le titulaire du brevet exploite son brevet en important le produit à partir d'autres États membres de la Communauté.

12. Il convient de relever, à titre liminaire, que la Cour, dans un arrêt du 18 février 1992, Commission/Royaume-Uni (C-30-90, Rec. p. I-829), a constaté que les dispositions précitées des articles 48 et 50 du Patents Act sont contraires à l'article 30 du traité en tant qu'elles assimilent aux cas où une licence obligatoire peut être concédée pour insuffisance d'exploitation du brevet celui où la demande est satisfaite, sur le marché national, par des importations en provenance d'États membres autres que le Royaume-Uni.

13. Dans cet arrêt, la Cour n'a cependant pas abordé la question, qui est ici soulevée, de savoir si les autorités compétentes peuvent, sans méconnaître le droit communautaire, prendre en compte, sur le fondement de ces mêmes dispositions nationales, l'État membre où le titulaire du brevet fabrique le produit pour refuser ou accorder au preneur d'une licence de droit l'autorisation d'importer le produit à partir de pays tiers.

14. La Commission et SKF soutiennent qu'une pratique des autorités nationales qui consiste à déterminer le contenu des clauses des licences de droit relatives aux importations en provenance des pays tiers en fonction du lieu de fabrication du produit par le titulaire du brevet affecte, par son caractère discriminatoire, les échanges entre les États membres et méconnaît, dans ces conditions, les dispositions des articles 30 et 36 du traité.

15. Le gouvernement du Royaume-Uni a soutenu, dans ses observations écrites, que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises ne pouvaient pas être opposées à une pratique des autorités nationales qui ne concerne que les seules importations en provenance de pays tiers. En revanche, lors de l'audience de plaidoirie, le représentant de ce gouvernement s'est fondé sur l'arrêt du 18 février 1992, Commission/Royaume-Uni, précité, postérieur au dépôt des observations écrites, pour admettre le caractère discriminatoire de la pratique visée et son incompatibilité avec le droit communautaire.

16. Harris et Generics font, quant à elles, valoir qu'une autorisation accordée au preneur de licence d'importer le produit couvert par le brevet à partir de pays tiers n'affecte pas les échanges intracommunautaires et ne peut donc pas être contraire aux articles 30 et 36 du traité.

17. Comme l'a déjà souligné la Cour dans un arrêt du 15 juin 1976, EMI Records (51-75, Rec. p. 811), les articles 30 et 36 du traité ne visent que les seules restrictions à l'importation concernant les échanges entre les États membres. Les autorités compétentes pour fixer les conditions des licences de droit peuvent, dès lors, accorder ou refuser au preneur de licence l'autorisation d'importer le produit couvert par le brevet à partir d'un pays extérieur à la Communauté sans méconnaître les dispositions susmentionnées du traité.

18. Dans la mise en œuvre des pouvoirs qui leur sont ainsi reconnus, pour ce qui concerne les importations en provenance de pays tiers, ces autorités ne doivent pas, en revanche, se fonder sur des critères qui, par leur caractère discriminatoire, auraient pour effet d'affecter les échanges entre les États membres en méconnaissance des articles 30 et 36 du traité.

19. Il résulte de la pratique des autorités nationales visée par le juge national que le preneur de licence peut être autorisé à importer, à partir de pays tiers, le produit couvert par le brevet lorsque le titulaire du brevet ne fabrique pas le produit sur le territoire de l'État membre où a été délivré le brevet mais l'importe à partir d'autres États membres. Le titulaire du brevet peut, dans ce cas, être exposé à une concurrence résultant des importations en provenance des pays tiers à laquelle il n'est pas exposé lorsqu'il exploite le brevet sous la forme d'une fabrication sur le territoire national.

20. Une telle pratique est discriminatoire car elle incite les titulaires de brevets à fabriquer les produits sur le territoire national plutôt qu'à les importer à partir du territoire d'autres États membres. Elle est, dès lors, susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire et constitue, à ce titre, une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation au sens de l'article 30 du traité (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, point 5, 8-74, Rec. p. 837).

21. Il convient de rappeler que, pour ce qui concerne l'application des dispositions de l'article 36 du traité, les interdictions et les restrictions d'importation justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sont admises par cet article, sous la réserve expresse qu'elles ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

22. Selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu'il est invoqué pour protéger la propriété industrielle et commerciale, l'article 36 n'admet des dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun que dans la mesure où ces dérogations sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété(voir, notamment, arrêt du 17 octobre 1990, HAG, point 12, C- 10-89, Rec. p. I-3711).

23. En matière de brevets, l'objet spécifique de la propriété industrielle est, notamment, d'assurer à son titulaire le droit exclusif d'utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels soit directement, soit par l'octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s'opposer à toute contrefaçon (voir, notamment, arrêt du 18 février 1992, Commission/Royaume-Uni, précité, point 21).

24. Dans le cas visé par le juge national, il n'existe aucune raison, tenant à l'objet spécifique du brevet, qui puisse justifier la différence de traitement faite par les autorités nationales. Cette différenciation est, en fait, motivée non par les exigences spécifiques de la propriété industrielle et commerciale, mais par le souci de favoriser, conformément aux prescriptions de la législation nationale, la production sur le territoire de l'État membre en cause.

25. Or, une telle considération, qui a pour effet de mettre en échec les finalités de la Communauté telles qu'elles sont notamment énoncées à l'article 2 et élaborées par l'article 3 du traité, ne peut pas être retenue pour justifier une restriction au commerce entre les États membres (arrêt du 18 février 1992, Commission/Royaume-Uni, précité, point 30).

26. Harris et Generics soutiennent que cette pratique discriminatoire est nécessaire pour éviter les conséquences fâcheuses pour la concurrence et pour le consommateur résultant de l'absence de règles communes applicables en matière de brevets. Pour illustrer leur argumentation, elles font valoir que, dans la situation qui fait l'objet du litige au principal, elles ne pourraient pas prétendre à la délivrance de licences de droit dans les États membres, autres que le Royaume-Uni, dans lesquels SKF est titulaire de brevets. Faute d'être autorisées par les autorités britanniques à importer de la Cimétidine à partir de pays tiers, elles seraient contraintes de fabriquer ce produit sur le seul territoire du Royaume-Uni dans des conditions qui ne leur permettraient pas de présenter sur le marché un produit concurrentiel par rapport au produit fabriqué en Irlande, à un moindre coût, par SKF.

27. Cet argument doit être rejeté au motif que les effets négatifs pour l'économie et les consommateurs imputables à la disparité des législations des États membres et à l'absence de règles communes en matière de brevets ne sauraient, en tout état de cause, justifier des pratiques nationales discriminatoires contraires aux articles 30 et 36 du traité.

28. Il convient, pour ces motifs, de répondre aux deux premières questions que les dispositions des articles 30 et 36 du traité doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à ce que les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit se fondent sur les dispositions de leur législation nationale pour refuser au preneur d'une licence de droit l'autorisation d'importer le produit couvert par le brevet à partir de pays tiers lorsque le titulaire du brevet fabrique le produit sur le territoire national et pour accorder cette autorisation lorsque le titulaire du brevet exploite son brevet en important le produit à partir d'autres États membres de la Communauté.

Sur la troisième question

29. La question posée par le juge national vise, en substance, à savoir si les articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal doivent être interprétés en ce sens que les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit peuvent, sur le fondement de ces dispositions et, en dérogeant, le cas échéant, aux articles 30 et 36 du traité, interdire au preneur de licence d'importer à partir de l'Espagne et du Portugal un produit pharmaceutique couvert par un brevet.

30. Les articles 42 et 202 de l'acte d'adhésion suppriment, à compter du 1er janvier 1986, par référence implicite aux articles 30 et 36 du traité, les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation ainsi que toute mesure d'effet équivalent existant entre la Communauté et les deux nouveaux États membres.

31. Il en résulte que les principes dégagés par la Cour, sur le fondement des articles 30 et 36 du traité, sont applicables aux échanges entre la Communauté et les deux nouveaux États membres. C'est ainsi que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le titulaire d'un droit de propriété industrielle et commerciale protégé par la législation d'un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s'opposer à l'importation d'un produit qui a été écoulé licitement sur le marché d'un autre État membre par le titulaire de ce droit lui-même ou avec son consentement. La Cour a notamment déduit de ce principe que l'inventeur ou ses ayants droit ne pouvaient pas se prévaloir du brevet qu'ils détenaient dans un premier État membre pour s'opposer à l'importation du produit commercialisé librement par eux dans un autre État membre où ce produit n'était pas brevetable (arrêt du 14 juillet 1981, Merck, points 12 et 13, 187-80, Rec. p. 2063).

32. Toutefois, les articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion dérogent expressément, dans les limites qu'ils définissent, aux dispositions précitées des articles 42 et 202 de ce même acte et aux principes qui en découlent.

33. Selon ces dispositions dérogatoires, le titulaire, ou son ayant droit, d'un brevet pour un produit pharmaceutique déposé dans un État membre à une époque où un brevet de produit ne pouvait pas être obtenu en Espagne ou au Portugal pour ce même produit peut invoquer le droit que confère ce brevet en vue d'empêcher l'importation et la commercialisation de ce produit dans le ou les dix autres États membres où ce produit est protégé par un brevet, même si ce produit a été mis pour la première fois dans le commerce en Espagne ou au Portugal par lui-même ou avec son consentement. Ce droit peut être invoqué jusqu'à la fin de la troisième année après l'introduction par l'Espagne ou le Portugal de la brevetabilité du produit en cause.

34. SKF soutient que les articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion sont, en l'absence de dispositions expresses contraires, applicables aux importations de produits pharmaceutiques couverts par un brevet ayant fait l'objet d'une licence de droit et peuvent, dès lors, justifier, par dérogation aux articles 30 et 36 du traité, le refus d'autoriser le preneur de licence à importer les produits en cause à partir de l'Espagne et du Portugal.

35. La Commission, le gouvernement espagnol, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que Harris et Generics soutiennent que les brevets revêtus de la mention "licence de droit" sont des brevets "affaiblis" qui sont nécessairement exclus du champ d'application des dispositions dérogatoires des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion.

36. Ils fondent, notamment, leur thèse sur l'arrêt de la Cour du 3 mars 1988, Allen and Hanburys (434-85, Rec. p. 1245), selon lequel le titulaire de ce brevet aurait seulement le droit de percevoir une rémunération équitable de la part du preneur de licence et donnent ainsi à cet arrêt une portée qu'il n'a pas.

37. Dans cet arrêt, la Cour recherche, en effet, si l'interdiction d'importer au Royaume-Uni un produit protégé par un brevet revêtu de la mention "licence de droit" est nécessaire pour assurer au titulaire du brevet, à l'égard des importateurs, les mêmes droits que ceux qui lui sont reconnus à l'égard des producteurs qui fabriquent sur le territoire national et peut être ainsi justifiée au sens de l'article 36 du traité. C'est seulement pour définir ces droits que la Cour a constaté que, selon la législation du Royaume-Uni telle qu'elle était interprétée par la juridiction nationale, le titulaire d'un brevet revêtu de la mention "licence de droit" conservait uniquement le droit d'obtenir du bénéficiaire de la licence le paiement d'une rémunération équitable (point 13). La Cour s'est ainsi bornée à prendre acte de la législation du Royaume-Uni et n'a pas donné du "brevet affaibli" une définition communautaire de laquelle il résulterait qu'un brevet revêtu de la mention "licence de droit" est nécessairement exclu du champ d'application des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion.

38. Pour interpréter ces articles, il convient de s'attacher aux termes mêmes de leurs dispositions selon lesquelles le titulaire du brevet "peut invoquer le droit que confère ce brevet en vue d'empêcher l'importation et la commercialisation" du produit.

39. La première condition à laquelle est subordonnée l'application de ces dispositions est que le brevet confère à son titulaire la possibilité de s'opposer aux importations. Si, lorsqu'elle existe, le droit communautaire interdit d'utiliser cette possibilité dans des conditions qui affecteraient le commerce intracommunautaire en méconnaissance des articles 30 et 36 du traité, c'est le droit national qui, en l'état du droit communautaire et en l'absence d'un rapprochement des législations nationales, définit l'étendue de la protection conférée par un brevet ou pour chaque type de brevet.

40. Pour vérifier si cette condition est remplie, il appartient, en conséquence, au juge national de rechercher si la protection conférée par le droit national au brevet inclut le droit pour le titulaire de s'opposer aux importations.

41. Une telle interprétation est conforme à la finalité des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion qui est de déroger, dans un domaine limité, aux règles communautaires régissant la libre circulation des marchandises et non d'instituer des droits nouveaux qui iraient au-delà de la protection conférée au brevet par le droit national.

42. La seconde condition, à laquelle est subordonnée l'interdiction d'importer le produit couvert par le brevet à partir de l'Espagne et du Portugal, tient au fait que les dispositions des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion instituent au bénéfice du titulaire du brevet une simple faculté d'invoquer le droit de s'opposer aux importations. Ces dispositions dérogatoires ne sont, en conséquence, applicables que lorsque le titulaire du brevet manifeste sa volonté d'utiliser cette faculté. Contrairement à ce qu'a soutenu le royaume d'Espagne dans ses observations écrites, cette condition n'a pas pour effet d'interdire aux autorités des États membres compétentes de faire elles-mêmes application de ces dispositions. Mais cette application est subordonnée, dans un tel cas, à la circonstance que le titulaire du brevet ait exprimé sa volonté d'utiliser la faculté que lui reconnaissent les articles 47 et 209.

43. Il convient, en conséquence, de répondre à la troisième question que les dispositions des articles 47 et 209 de l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal doivent être interprétées en ce sens que les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit peuvent, sur le fondement de ces dispositions, et en dérogeant aux principes des articles 30 et 36 du traité, interdire au preneur de licence d'importer à partir de l'Espagne et du Portugal un produit pharmaceutique couvert par un brevet si le droit national confère au titulaire du brevet le droit de s'opposer aux importations et si le titulaire du brevet utilise la faculté que lui reconnaissent les articles 47 et 209 susmentionnés.

Sur les dépens

44. Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement espagnol et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal of England and Wales, par ordonnance du 13 février 1990, dit pour droit:

1°) Les dispositions des articles 30 et 36 du traité doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à ce que les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit se fondent sur les dispositions de leur législation nationale pour refuser au preneur d'une licence de droit l'autorisation d'importer le produit couvert par le brevet à partir de pays tiers lorsque le titulaire du brevet fabrique le produit sur le territoire national et pour accorder cette autorisation lorsque le titulaire du brevet exploite son brevet en important le produit à partir d'autres États membres de la Communauté.

2°) Les dispositions des articles 47 et 209 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités doivent être interprétées en ce sens que les autorités des États membres compétentes pour fixer, à défaut d'accord, les conditions des licences de droit peuvent, sur le fondement de ces dispositions, et en dérogeant aux principes des articles 30 et 36 du traité, interdire au preneur de licence d'importer à partir de l'Espagne et du Portugal un produit pharmaceutique couvert par un brevet si le droit national confère au titulaire du brevet le droit de s'opposer aux importations et si le titulaire du brevet utilise la faculté que lui reconnaissent les articles 47 et 209 susmentionnés.