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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 21 décembre 2000, n° 1998-21892

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Contrinex France (SA)

Défendeur :

Elitec (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

Me Huyghe, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Masson, Morin.

T. com. Créteil, 1re ch., du 15 sept. 19…

15 septembre 1998

La Cour est saisie de l'appel interjeté par la SA Contrinex France du jugement contradictoirement rendu le 15 septembre 1998 par le Tribunal de commerce de Créteil qui, dans le litige l'opposant à la SA Elitec, l'a condamnée à verser à celle-ci, outre une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil, la somme de 600 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Après avoir rappelé qu'elle avait été créée pour exploiter depuis le 1er janvier 1997 une activité de négoce de produits fabriqués par sa maison mère, la société Contrinex Suisse, et que la société Elitec, qui les distribuait jusqu'alors et s'était vue accorder au mois de novembre 1996 un tarif préférentiel pour les commercialiser, ne payait plus ses factures dès le mois de mars 1997 et lui reprochait à tort des actes de concurrence déloyale, la société Contrinex France fait valoir dans ses ultimes écritures du 30 octobre 2000:

- Sur l'absence de manœuvres constitutives d'une concurrence déloyale :

- qu'elle n'a en aucun cas débauché Eric Moro et Yves Colone qui, n'étant pas liés à leur précédent employeur par une clause de non-concurrence, ont quitté la société Elitec en raison des changements de politique commerciale et de direction l'affectant (rachat par le groupe américain Daniel Woodhead Company),

- que des motifs logiques, à savoir la connaissance par les tiers de la création d'une filiale française de Contrinex et non leur débauchage, ont présidé au transfert de la clientèle entre les parties,

- que l'intimée ne rapporte pas la preuve de manœuvres destinées à détourner la clientèle,

- que l'embauche de deux salariés n'a pu perturber la vente, par la société Elitec, de produits Contrinex puisqu'elle aurait perdu le marché de ces produits, tant du fait de son propre comportement que de la création de la société Contrinex France,

- que la rupture des relations commerciales avait été acceptée par la société Elitec qui, au demeurant, a été condamnée par le Tribunal de commerce de Meaux à lui payer le 22 décembre 1998 une somme de 517 228 F;

- Sur l'estimation du préjudice :

- que c'est à tort que, contrairement en particulier aux usages commerciaux, les Juges consulaires ont pris en compte une "période transitoire" de six mois,

- que la marge bénéficiaire, arbitrairement retenue par le jugement pour 20 %, ne peut être que de 6 %,

- que le chiffre d'affaires approximatif est de 560 943 F.

En conséquence l'appelante prie la cour d'infirmer la décision du tribunal, de débouter la société Elitec de ses demandes et de la condamner à lui payer 100 000 F de dommages-intérêts pour "manœuvres mensongères" et 30 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Dans ses dernières conclusions du 17 mai 2000 l'intimée soutient:

- qu'il y a concurrence déloyale dans la mesure où il y a simultanéité entre la création de la société Contrinex France, la rupture des contrats entre les parties et le débauchage du personnel de la société Elitec,

- que la société Contrinex France "ne pouvait ignorer que le débauchage de personnel aurait pour effet la désorganisation d'Elitec", ce d'autant que les produits Contrinex étaient complémentaires de ceux également distribués par sa cocontractante,

- que l'appelante a utilisé ses fichiers clients,

- que l'offre de "tarif préférentiel" qui lui avait été faite constituait en réalité "une augmentation du prix des produits Contrinex de près de 30 %, les clients d'Elitec n'ayant ainsi plus aucun intérêt à s'approvisionner en produits Contrinex par son intermédiaire...",

- que le litige l'ayant opposée à la société Contrinex Suisse est sans rapport avec les agissements de la société Contrinex France,

- que les pratiques déloyales de l'appelante ne peuvent être justifiées par la pratique de la liberté du travail,

- que, en ce qui concerne sa nouvelle orientation, il y a lieu de constater que la gamme de produits Brad Harisson qu'elle commercialise est complémentaire de celle des produits Contrinex et que l'accord des parties sur la rupture de leurs relations commerciales n'est pas justifié,

- que, pour la réparation de son entier préjudice, elle est en droit de réclamer le paiement de la somme de 2 100 000 F pour concurrence déloyale et de celle de 1 000 000 F pour sa désorganisation.

L'intimée sollicite dès lors la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Contrinex France s'était livrée à des actes de concurrence déloyale, sa réformation pour le surplus et la condamnation de l'appelante à lui payer 2 100 000 F et 1 000 000 F de dommages-intérêts ainsi que 50 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

SUR CE:

Considérant qu'il est constant que, depuis une dizaine d'années, la société Elitec distribuait sur le territoire national des produits fabriqués par la société Contrinex Suisse lorsque celle-ci l'a informée le 19 août 1996 de la création, en France, d'une filiale, la société Contrinex France, pour y commercialiser "en direct" ses produits et de ce que, à compter du 1er janvier 1997, elle devait s'approvisionner auprès de cette nouvelle société;

Que, suite à cette annonce, les parties se sont rapprochées pour prévoir une phase transitoire de collaboration de six mois avec, d'une part une remise de 47 % du 2 janvier au 30 juin 1997 et de 42 % par la suite sur les tarifs pratiqués, d'autre part une reprise du stock du matériel détenu par l'intimée;

Que celle-ci dénonçait le 10 mars 1997 "l'attitude résolument agressive" de Contrinex dont les collaborateurs cherchaient, selon elle, à "capter le chiffre d'affaires généré par Elitec" et assignait le 23 juillet 1997 la société Contrinex France en concurrence déloyale;

Considérant que la société Elitec reproche à l'appelante d'avoir désorganisé son entreprise en débauchant son personnel;

Considérant qu'il est établi qu'Yves Colone et Eric Moro, respectivement "technico-commercial" et "ingénieur technico-commercial" au sein de la société Elitec ont démissionné de leur emploi le 23 septembre 1996 et, après un préavis de trois mois, sont devenus salariés de la société Contrinex France où Yves Colone exerce les fonctions de directeur général et d'administrateur;

Considérant toutefois que ces éléments sont à eux seuls insuffisants pour caractériser l'existence d'une concurrence déloyale de la part de l'appelante;

Considérant en effet que la preuve du débauchage de ces salariés, qui n'étaient pas liés à la société Elitec par une clause de non-concurrence, n'est pas rapportée par les circonstances de fait précédemment rappelées ou par un quelconque document ou élément, alors que, tout au contraire, Yves Colone et Eric Moro expliquent, dans des attestations circonstanciées, que leur départ de la société Elitec est la conséquence de son rachat et des changements qui s'en sont suivis, en particulier dans la façon de travailler;

Considérant par ailleurs que si des clients de l'intimée ont contracté directement avec la société Contrinex France, il n'est en aucun cas justifié que leur attitude soit la conséquence d'une faute de sa part, en particulier au niveau des tarifs, alors que, répondant à une lettre de l'appelante du 26 mai 1998, Monsieur Delclos, ancien dirigeant de la société Elitec, affirme avoir, avec l'accord de son repreneur, appelé ses principaux distributeurs pour leur faire part, dans le courant du mois de septembre 1996, "de la décision de Contrinex", ce qui ne pouvait qu'inciter la clientèle à se rapprocher de l'appelante, filiale du fabricant, ce d'autant que, comme en atteste le dirigeant d'une société Souplet : "Nous avions un service irréprochable avec mon ami René Delclos, mais son départ vers une retraite méritée laissait une situation ambigüe, que Brad Harisson ne semblait pas vouloir combler rapidement";

Considérant dès lors que la cour ne peut qu'infirmer la décision du tribunal et débouter l'intimée de ses demandes;

Considérant que les "manœuvres mensongères" invoquées par la société Contrinex France à l'encontre de son ancien distributeur n'étant pas prouvées, il y a lieu de la déclarer mal fondée en sa demande de dommages-intérêts;

Considérant qu'il est en revanche équitable de lui allouer une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que la société Elitec, partie perdante, ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs: Infirme le jugement déféré et déboute la société Elitec de ses demandes ; Condamne la société Elitec à payer à la société Contrinex France une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Contrinex France de sa demande de dommages-intérêts, et de celle fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Elitec aux dépens de première instance et d'appel; admet Maître Louis-Charles Huyghe, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.