CA Agen, ch. soc., 7 janvier 2003, n° 01-1561
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Industrie et Nature de Navarre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roger
Conseillers :
Mme Latrabe, M. Combes
Avocats :
Mes Kherfallah, Malterre, Dubuisson.
FAITS ET PROCEDURE
Le 5 janvier 2000, la SA Industrie et Nature de Navarre a embauché Marc Brugère, né en septembre 1952, par contrat à durée indéterminée, en qualité de VRP exclusif moyennant un salaire de 12 774,93 F par mois, auquel s'ajoutait une indemnité de 10 % pour le paiement des congés payés et des commissions en cas de réalisation d'un chiffre d'affaires supérieur à 600 000 F mensuels.
A cette rémunération, s'ajoutait également une prime d'objectif définie à l'article 4 du contrat de travail.
Le 8 juin 2000, la SA Industrie et Nature de Navarre a adressé un courrier à Marc Brugère, lui proposant une modification de son contrat de travail, portant sur une baisse de sa rémunération.
Cette proposition était valable huit jours, et le courrier stipulait que la non-acceptation pouvait conduire à envisager une rupture de contrat de travail.
Le jour même, une annexe de la correspondance intitulée "Annexe 1" sur la modification du contrat de travail a été adressée à l'intéressé. Cette pièce n'a pas été signée par Marc Brugère;
Le 14 septembre 2000, la société SA Industrie et Nature de Navarre a convoqué le salarié à un entretien préalable au licenciement fixé au 25 septembre 2000.
La lettre de convocation à l'entretien préalable, prononçait en sus de la convocation, une mise à pied conservatoire.
Le 26 septembre 2000, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Industrie et Nature de Navarre a licencié Marc Brugère pour faute grave aux motifs suivants:
"Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave. En effet, lors de plusieurs réunions avec le personnel cadre de l'entreprise dont vous faites partie et notamment celle du 7 août 2000, vous aviez totalement adhéré au fait que personne et d'autant plus le service commercial ne devait pas partir en congé durant la période août-septembre. En effet, cette période est stratégique pour écouler les stocks.
Suite à cela nous avons mis toute une stratégie commerciale en place afin de faciliter le travail des commerciaux:
- maintien de l'ancien tarif;
- participation de l'entreprise sur les frais financiers permettant aux clients de payer les machines dans 12 mois sans frais;
- investissement publicitaire.
Malgré cela vous êtes parti en congés durant la semaine 35 sans les avoir posés au préalable et donc sans l'accord du Président Directeur Général tout en sachant que vous étiez loin d'avoir atteint votre chiffre pour le mois considéré ainsi que lors des mois précédents. Pour le mois de mai vous avez vendu 2 machines soit 189 840 F, pour le mois de juin vous n'avez rien vendu, pour le mois de juillet vous avez vendu 3 machines avec votre collègue commercial soit 354 000/2 = 177 000 F, pour le mois d'août vous avez vendu 3 machines pour un total de 239 900 F. En résumé vous avez fait en 4 mois le chiffre que vous deviez faire en 1 mois soit 600 000 F. Du mois de janvier à la semaine 34 le montant total de vos frais s'élève à 105 645,75 F auquel vient se rajouter votre rémunération nette mensuelle de 10 000 F.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible; le licenciement prend donc effet immédiatement. Votre solde de tout compte sera arrêté à la date de présentation de cette lettre soit le jeudi 28 septembre 2000. Durant la période nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, votre mise à pied à titre conservatoire est maintenue et ne sera pas rémunérée soit du 15 au 28 septembre 2000."
Marc Brugère a saisi le Conseil de Prud'Hommes d'Agen le 3 novembre 2000 en contestation du licenciement pour faute grave dont il a été l'objet.
Par décision du 26 octobre 2001, le Conseil de Prud'Hommes d'Agen a:
- dit que le licenciement de Marc Brugère reposait sur une cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Industrie et Nature de Navarre à verser à Marc Brugère les sommes suivantes:
* 6 033 F pour le paiement de ses jours de mise à pied;
* 6 930 F brut sur le rappel des commissions;
* 13 071 F brut au titre de l'indemnité de préavis;
* 2 610,10 F au titre de l'indemnité de congés payés;
* 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- dit que les condamnations ci-dessus prononcées au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R. 516-37 du Code du travail sont de plein droit exécutoires par provision, dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la base moyenne des trois derniers mois de salaire que le Conseil a fixé à 13 071 F brut,
- débouté Marc Brugère du surplus de ses demandes,
- débouté la société Industrie et Nature de Navarre de l'ensemble de ses demandes,
- condamné les parties aux dépens par moitié.
La SA Industrie et Nature de Navarre a relevé appel de cette décision.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SA Industrie et Nature de Navarre fait valoir au soutien de son appel que la dernière semaine du mois d'août 2000 la saison battait son plein et que Marc Brugère est parti en congé sans sa permission.
Elle estime que le comportement du salarié est un acte d'insubordination incontestable et délibéré justifiant la rupture immédiate de la collaboration.
Elle déclare que malgré la mise en garde de L.T, PDG de la société, Marc Brugère ne faisait pas davantage preuve d'une amélioration quant à son insuffisance de résultat.
Elle explique que le salarié a fait preuve d'une performance extrêmement médiocre malgré son soutien régulier et que la Cour de cassation a régulièrement qualifié de cause réelle et sérieuse l'insuffisance de résultats.
Elle estime qu'un non respect des consignes démontre la volonté de Marc Brugère de ne pas atteindre les objectifs fixés.
En conséquence, la SA Industrie et Nature de Navarre demande à la cour de:
- dire et juger que le contrat de travail de Marc Brugère a été justement rompu pour faute grave,
- condamner le salarié à lui verser 2 286,74 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que 1 524,49 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Marc Brugère réplique que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ne peut être justifié par une faute grave.
Il fait observer qu'il a sollicité de son employeur une semaine de congés payés fin août 2000, qui lui a été accordée verbalement. Il rappelle que C.D, salarié de l'entreprise a attesté de la réalité de ces faits.
Il déclare que la fin du mois d'août et le début du mois de septembre constituent bien des mois de morte saison.
Il réplique qu'une insuffisance de résultats ne peut jamais être qualifiée de faute grave, et qu'elle était en l'espèce invoquée pour justifier de la gravité de son départ en congés, et non comme un motif de licenciement autonome. Il ajoute qu'ayant été embauché le 5 janvier 2000, et licencié le 26 septembre 2000, il n'est pas possible de juger de l'insuffisance de résultats au regard de l'objectif annuel défini au contrat de travail.
Il déclare que les résultats insuffisants ne lui sont pas imputables car ils résultent d'une décision de gestion de la société, et que la véritable raison de son licenciement est l'impossibilité de cette dernière à surmonter une phase économique difficile.
Marc Brugère demande à la cour de:
- dire et juger que le licenciement prononcé ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
- condamner la SA Industrie et Nature de Navarre à lui verser la somme de 22 867,35 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
- confirmer le jugement du Conseil de Prud'Hommes d'Agen en ce qu'il a fait droit à ses demandes relatives à l'indemnité compensatrice de préavis, au paiement de la période de mise à pied conservatoire, au rappel de commissions et à l'indemnité de congés payés.
- condamner la société Industrie et Nature de Navarre aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien des relations contractuelles même pendant la durée limitée du préavis et rend donc indispensable la cessation immédiate du contrat de travail;
Attendu que l'employeur qui invoque la faute grave et demande par là même à être dispensé des indemnités de rupture doit rapporter la preuve de la réalité des faits allégués ainsi que de leur gravité;
Qu'en licenciant pour faute grave, il se place sur le terrain disciplinaire;
Attendu que la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige et limite le pouvoir de qualification du juge qui ne peut retenir à l'appui de sa décision que les seuls motifs qui y sont contenus;
Or, attendu que l'employeur ne fournit aucune preuve permettant à la cour de retenir que Marc Brugère serait parti en congé contre l'avis de son employeur ou même sans lui avoir demandé son accord; attendu, dès lors, que ce premier motif doit être écarté comme n'étant établi par aucun document émanant de l'employeur;
Attendu qu'il est reproché, en second lieu, au salarié de n'avoir pas atteint son chiffre d'affaires pour le mois considéré, pas plus que pour le mois de mai ou pour le mois de juin, ce qui s'apparente à une insuffisance professionnelle; maisattendu que cette insuffisance ne présente pas un caractère fautif dès lors que la lettre de licenciement ne caractérise aucune faute à la charge du salarié, comme par exemple une insuffisance de travail lui rendant imputable la non-atteinte de ses objectifs;
Attendu que cette insuffisance professionnelle ne répond pas à la qualification juridique de faute; qu'il ne peut donc être retenu une cause non fautive de licenciementet qu'en l'absence de faute le licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Attendu, dès lors, qu'il convient de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a admis le caractère réel et sérieux du motif du licenciement; qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Marc Brugère le salaire pendant la mise à pied soit 900,72 euros, le préavis d'un mois de 1 992,66 euros; qu'il convient d'y ajouter des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Attendu qu'en application de l'article L. 122-14-5 du Code du travail, il appartient au salarié qui a moins de deux ans d'ancienneté de donner à la cour des éléments lui permettant d'apprécier le préjudice subi à la suite du licenciement; que Marc Brugère n'indique pas quelle est sa situation à l'heure actuelle, ni s'il a retrouvé un emploi; que sa demande est disproportionnée avec les articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5, qu'il convient de lui allouer 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Attendu que la SA Industrie et Nature de Navarre ne conteste pas le rappel de commissions alloué par le premier juge; qu'il convient, en conséquence, de confirmer ce point du jugement entrepris en indiquant que ce rappel de commissions s'élève à la somme de 1 056, 47 euros;
Attendu que la SA Industrie et Nature de Navarre qui succombe devra supporter la charge des dépens; qu'il n'est pas demandé de somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par le salarié;
Par ces motifs: Réformant partiellement le jugement entrepris, Dit et juge que le licenciement prononcé à l'encontre de Marc Brugère repose sur aucune cause réelle et sérieuse, Condamne, en conséquence la société Industrie et Nature de Navarre à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Agen en ce qu'il a fait droit aux demandes de Marc Brugère relatives à l'indemnité compensatrice de préavis, au paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire, au rappel de commissions et à l'indemnité de congés payés ainsi qu'à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA Industrie et Nature de Navarre en tous les dépens.