CA Montpellier, 1re ch. D, 28 juin 1990, n° 87-2451
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Mutuelle Agricole du Rouergue et du Gévaudan, Albespy
Défendeur :
Nobel PRB (SA), Debregeas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bezombes (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Divol, Berger
Avoués :
SCP Touzery, SCP Argellies, SCP Capdevila-Auche-Gabolde
Avocats :
SCP David, Scheuer, Trias, Verine, Vernhet, Mes Monceaux, Allio.
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Le 26 novembre 1979, Charles Albespy qui chassait en compagnie d'un membre de sa famille, était blessé par l'explosion de son fusil occasionnée par une cartouche qu'il utilisait ;
Cette munition de marque "Europ" avait été achetée par le frère de la victime, Jean Albespy à la manufacture Rhodanienne de munitions sise à Beaucaire dont le directeur est Alain Debregeas par l'intermédiaire du comité d'établissement de l'usine Bosh de Rodez ;
Une information ouverte, peu après les faits, permettait de préciser que les cartouches étaient fournies à Debregas par la société Nobel PRB dont le directeur est Robert Brunet ;
Cette information devait être clôturée par un non lieu ;
Par acte du 30 avril 1982, la victime a fait assigner ceux qu'il qualifiait de fabricant de la cartouche Robert Brunet, directeur de la société Nobel PRB et Alain Debregeas, en référé en vue d'expertise et au fond en vue de les entendre déclarer responsables des conséquences de l'accident sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil ;
Par ordonnance du 28 mai 1982, le juge des référés a prescrit une expertise confiée au Docteur Bonnefous ;
Cet expert a déposé le 10 septembre 1982 son rapport ;
Par voie de conclusions déposées le 22 novembre 1982, Charles Albespy et les Mutuelles Agricoles du Rouergue et du Gévaudan ont demandé l'homologation du rapport d'expertise et réclamé les sommes suivantes :
- ITT : 6 6 38,32 F
- IPP : -25 % : 100 000 F
- Indemnisation de la souffrance : 12 000 F
Invoquant l'ordonnance de non lieu rendue dans le cadre de l'information ouverte pour blessures involontaire à la suite de l'accident, la SA Nobel concluait au principal au rejet de la demande, faute pour les demandeurs de pouvoir lui imputer la garde la structure de la cartouche litigieuse ou un vice propre de cette munition, et subsidiairement à une sensible modération des sommes réclamées ;
Par jugement réputé contradictoire du 12 octobre 1984, le Tribunal de grande instance de Rodez, après avoir estimé que la présomption de responsabilité de l'article 1384, alinéa 1° du Code civil devait s'appliquer en l'occurrence au gardien de la structure de la chose, c'est-à-dire à son fabricant, a ordonné une expertise aux fins notamment de vérifier l'origine des cartouches vendues par Alain Debregeas au comité d'établissement de l'usine Bosh où la victime les avait lui même acquises ;
Au vu du rapport d'expertise du 12 juin 1985 le Tribunal de grande instance de Rodez a estimé que les experts n'avaient pas établi de façon précise si la charge défectueuse, à l'origine de l'explosion de la cartouche, constitutive d'un défaut de structure ou d'un vice de fabrication incombait à Debregeas ou à la société Nobel au motif que pendant la période précédant les faits et pendant laquelle furent livrées au comité et établissement des cartouches correspondant à celle en cause, Debregeas avait pu commercialiser à la fois des cartouches fabriquées par lui et provenant de ses stocks et d'autres chargées par la société Nobel ;
Par jugement du 13 mars 1987, le Tribunal de grande instance de Rodez a rejeté les demandes de Charles Albespy et des Mutuelles Agricoles du Rouergue et du Gévaudar ;
Ces derniers, à l'appui de leur appel, soutiennent que sur le principe, tant de la garde que de la garantie du vendeur, ce dernier, en l'espèce Debregas, doit être déclaré responsable de l'accident en cause ; ils font valoir que Debregeas n'a pas joué le rôle d'un simple armurier mais d'un fabricant de munitions et qu'il est sans intérêt de savoir s'il a sous traité ou non à la société Nobel,tout ou partie des cartouches vendues par lui ils exposent que la société Nobel a vendu à Debregas des cartouches chargées de plomb n° 8 et que Debregas, de son côté a vendu des cartouches de ce type au comité d'entreprise de l'usine Bosh qui lui même les a revendues à Jean Albespy, frère de Charles Albespy ;
Les appelants concluent à la responsabilité de Debregas en sa qualité de fabriquant, vendeur et gardien de la cartouche en cause et ils exposent qu'en toute hypothèse, la société Nobel devra le relever et garantir des condamnations dont il pourrait faire l'objet à leur profit ; ils soutiennent ensuite qu'en tous cas la société Nobel devra procéder au règlement des dommages subis par Charles Albespy et, en définitive, ils demandent la condamnation de Debregas et de la société Nobel au paiement des sommes de 8 000 F au titre de l'ITT, 200 000 F pour l'IPP et 25 000 F concernant le pretium dolons à Albespy et de 8 193,09 F à la Caisse Régionale Mutuelle Agricole du Rouergue et du Gévaudan ;
Alain Debregeas conclut quant à lui à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation des appelants au paiement de 10 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La société Nobel conclut elle-même à la confirmation du jugement déféré et, à titre subsidiaire, demande la réduction des sommes demandées par Charles Albespy ;
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que la présomption de responsabilité que fait peser l'article 1384 alinéa 1er du Code civil sur le gardien de la chose doit s'appliquer en l'espèce au gardien de la structure de la chose, c'est-à-dire son fabricant ;
Qu'en effet, s'agissant d'une munition présentant une potentialité de dynamisme et une dangerosité qui lui est propre, c'est à bon droit que les premiers juges ont dit que le vendeur non fabricant ou l'intermédiaire qui n'a nullement agi sur la structure de la chose ne saurait, en l'absence de toute preuve d'un comportement fautif de sa part, être présumé responsable de l'accident litigieux, fût-ce cumulativement ;
Attendu que la cartouche incriminée était de marque "Europ" calibrée 12, chargée de plombs n° 8 ; que l'expertise diligentée le 6 juin 1985 par Messieurs Baylac et Soriono a établi que le 24 juillet 1978, Debregeas a vendu au comité d'entreprise de la société Bush un lot de cartouches dans lequel figure un bon de commande au nom de Jean Albespy concernant des cartouches " Europ" calibre 12, chargée de plomb n° 7 1/2; que Debregeas a par ailleurs fourni une facture du 29 juin 1979 concernant des achats de cartouches de la société Nobel, dans lesquelles figurent des cartouches de calibre 12 chargées de plomb n° 8, ainsi qu'une facture du 28 août 1979, établie au nom du Comité d'Etablissement de la société Bosch, sans pouvoir donner toutefois le détail des bons de commande afférents à cette dernière facture ; que par ailleurs, ni Jean Albespy, ni son frère Charles n'ont donné de justification d'achat de cartouches de marque " Europ"calibre 12 chargées de plomb de 8mm permettant de dater cette acquisition ;
Attendu que s'il est établi que la cartouche litigieuse provient d'une commande du Comité d'établissement du frère de la victime à Debregeas, les experts n'ont pu établir avec certitude si la charge défectueuse avait été installée par Debregeas ou par la société Nobel ;
Qu'en effet si jusqu'au 29 juin 1979, la société Nobel ne livrait à Debregeas que des éléments de munition que ce dernier assemblait lui-même et si, à partir de cette date, les cartouches lui furent livrées prêtes à l'emploi et fabriquées entièrement par la société Nobel, il résulte des éléments de la procédure que pendant la période précédent l'accident, Debregeas a pu commercialiser à la fois des cartouches fabriquées par lui et provenant de livraisons de la société Nobel, par exemple celle du 21 février 1979, et d'autres entièrement montées par cette dernière;
Attendu qu'aucun élément de la procédure ne permettant d'attribuer la fabrication de la cartouche et donc sa garde à l'une ou l'autre des parties qui a pu réaliser ce travail, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la Caisse Mutuelle Agricole du Rouergue et du Gévaudan et Albespy Charles de leur demande ; que l'argumentation soutenue pour la première fois en cause d'appel par les appelants et tendant à faire condamner leurs adversaires au paiement de dommages et intérêts en réparation des dégâts causés par le vice de la chose vendue ne saurait davantage prospérer faute d'avoir été engagée à bref délai en vertu de l'article 1648 du Code civil,
Attendu qu'il y a donc lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré;
Attendu que l'action des demandeurs ne revêt pas de caractère abusif pour avoir échoue faute de pouvoir déterminer le fabricant de la cartouche et qu'il y a lieu de débouter Debregeas de sa demande de dommages et intérêts ; qu'il n'apparaît pas par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de Debregeas les sommes non comprises dans les dépenses qu'il a exposées à l'occasion de la procédure et qu'il convient de le débouter de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel régulier en la forme ; Au fond, Confirme le jugement déféré en toutes ses disposition ; Déboute Debregeas Alain de sa demande de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne in solidum la Caisse Régionale d'Assurance Mutuelles Agricole du Rouergue et du Gevaudan et Albespy Charles aux dépens de l'appel, qui pourront être directement recouvrés respectivement par la SCP Capdevila et par la SCP Argellies, avoués conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.