CA Paris, 1re ch. A, 3 mai 2000, n° 1999-09034
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cap Multimédia (SA)
Défendeur :
Publiprint (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Conseillers :
Mme Bregeon, M. Garban
Avoués :
Me Bodin-Casalis, SCP Lagourgue
Avocats :
Mes Amsellem, Mathieu.
Le 28 janvier 1998, la société Com & Tel a assigné la société Publiprint en paiement de la somme de 438 000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au motif qu'en refusant ses commandes de parution d'encarts publicitaires dans le journal TV Magazine pour l'année 1997, celle-ci a commis à son égard un refus de vente abusif et un abus de position dominante.
Par jugement en date du 2 mars 1999, le Tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de toutes ses prétentions et l'a condamnée à verser à la défenderesse la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'appel formé à l'encontre de cette décision par la société Cap Multimédia venant aux droits de la société Com & Tel,
Vu les conclusions en date du 22 juillet 1999, par lesquelles l'appelante, poursuivant la réformation du jugement déféré, demande à la cour de:
* dire que le refus de vente constitue un abus de position dominante fautif et un abus de droit au sens de l'article 1382 du Code civil,
* condamner la société Publiprint à lui payer la somme de 438 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi, avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 17 février 1997, ainsi que celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions en date du 6 décembre 1999, par lesquelles la société Publiprint demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et de condamner l'appelante à lui régler la somme de 20 000 F en vertu de l'article 700 précité,
Sur ce,
Considérant qu'aux termes de ses offres et conditions de vente des annonces publicitaires à paraître dans la revue TV Magazine distribuée avec le journal Le Figaro, la société intimée proposait en 1996. "pour un achat minimum de 10 insertions", des "éclats" de format 24 mm X 24 mm, 20 mm X 60 mm ou 25 mm X 60 mm (ce dernier assorti de la mention obligatoire "vu à la télé") dans les pages des programmes de TF1 et France 2, avec la précision que "tous les 3668 ont une obligation de passage en "Day Time" avec un constat BVP approuvé", ainsi que des "éclats" de format 20 mm X 45 mm dans les programmes de France 3, Arte, M 6 et Canal +;
Considérant que l'appelante expose avoir commandé en octobre 1996 la parution d'un encart publicitaire de format 20 X 60 mm sous la forme "d'éclat";
Qu'en l'état de l'offre sus-rappelée et de la nécessité, invoquée par elle, pour la société Com & Tel de recourir massivement à la publicité pour exercer son activité, la société Cap Multimédia n'est pas fondée à faire grief à la société Publiprint d'être revenue sur son premier refus du 7 octobre 1996 en exigeant, le 19 novembre suivant, la commande d'un minimum de 10 insertions;
Considérant que l'appelante indique avoir passé celle-ci le 26 décembre 1996, s'être heurtée le 31 décembre suivant à un refus motivé par des reservations à l'année émanant d'autres annonceurs et n'avoir pu obtenir satisfaction en dépit de sa mise en demeure du 17 février 1997;
Qu'elle soutient que les pratiques mises en œuvre par l'intimée, du fait de sa position dominante sur le marché des insertions "d'éclats" dans la presse consacrée aux programmes télévisés, ont eu pour objet d'empêcher ou fausser la concurrence sur ce marché "et qu'une telle attitude sur un secteur aussi sensible que la publicité pour Com & Tel a eu des conséquences financières et commerciales considérables";
Que la société Cap Multimédia fait valoir que TV Magazine est le seul hebdomadaire disposant d'une audience significative (4 millions d'exemplaires publiés) proposant de telles insertions publicitaires et bénéficiant d'un "quasi-monopole" ; qu'elle ajoute qu'une concurrence se manifeste pour avoir accès à cette offre et qu'il n'existe aucune autre alternative, aucun autre produit ne leur étant substituable
Qu'elle invite ainsi la cour à rechercher si la société Publiprint détient une position de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur un marché pertinent et lui fournit la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents et de ses clients, au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant que, pour sa part, la société intimée se prévaut du principe constitutionnel de la liberté de la presse en observant que celui-ci, consacré par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, doit être combiné avec les dispositions de l'ordonnance précitée et implique le droit absolu pour l'organe de presse de contrôler le contenu des messages publicitaires ;
Qu'elle souligne la concomitance de son refus avec une condamnation judiciaire, prononcée à l'encontre du journal et de la société Com & Tel, interdisant la parution d'une insertion publicitaire, commandée par cette dernière, incitant les enfants à téléphoner au "Père Noël" et se prévaut de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de contrôler le contenu exact des messages, objet du nouveau service proposé par sa cliente, pour s'assurer de leur conformité avec la ligne éditoriale du Figaro et de TV Magazine;
Considérant que les parties s'accordent sur le fait que les publicités insérées dans les pages des programmes de télévision ont un impact particulier, en sorte que l'argument de l'appelante sur la parution d'annonces publicitaires au contenu identique "en dernière page du magazine" s'avère inopérant;
Considérant qu'en l'espèce, la société Com & Tel a souhaité faire paraître une publicité relative à un service téléphonique, avec notamment cinq insertions pour des "services jeunes, club des ados" ; que le responsable de la publicité du magazine lui a rappelé, dès le 7 octobre 1996, l'exigence de "contrat BVP approuvé" figurant dans les conditions de vente, c'est-à-dire de contrôle par le bureau de vérification de la publicité dudit service, et a exprimé, le 26 novembre 1996, le désir de la rédaction de "connaître avant insertion le contenu (des) de la messagerie vocale ... afin ... de s'assurer d'une conformité avec (la) ligne éditoriale" ;
Qu'en cet état, l'appelante n'est pas fondée à prétendre que le souci de conformité avec l'esprit du magazine et sa ligne rédactionnelle n'existait pas à l'époque du refus litigieux;que, dans la mesure où elle ne produit aucun élément de nature à établir que ne peut être admise à contester les avoir transmis tardivement; qu'elle ne peut en conséquence faire utilement grief à l'intimée d'avoir, entre-temps, accepté d'autres commandes d'insertions;
Que, dans la mesure où il est constant que le mode publicitaire en cause implique un nombre de parutions limité dans chacune des pages concernées, la société Cap Multimédia ne peut tirer argument de réservations acceptées "à l'année" pour invoquer l'existence de pratiques discriminatoires ;qu'il s'ensuit que l'appelante doit être déboutée de l'intégralité de ses prétentionsainsi qu'en ont décidé les premiers juges;
Considérant que l'équité commande de ne pas attribuer de somme au titre des frais non compris dans les dépens d'appel ; que le tribunal a exactement apprécié le montant de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Constate que la société Cap Multimédia se présente aux droits de la société Com & Tel, Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris et, y ajoutant, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties, Condamne la société Cap Multimédia aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.