CA Paris, 5e ch. C, 20 janvier 1994, n° 92-5732
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Brother France (Sté)
Défendeur :
J. Walter Thompson (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Borra, Couderette
Conseiller :
Mme Cabat
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Bernabe Ricard
Avocats :
Mes Salez, Gaffric.
LA COUR statue sur l'appel formé par la société Brother France à l'encontre d'un jugement rendu le 10 septembre 1992 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui l'a condamnée à payer à la SA J. Walter Thompson la somme principale de 759 207,42 F majorée des intérêts au taux légal courus à compter du 12 février 1992 ainsi que les intérêts au même taux décomptés sur la somme de 3 750 922,81 F pour la période comprise entre le 12 février 1992 et le 22 avril 1992, outre la somme de 4 000 F fixée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La somme de 3 750 922,81 F correspond à des frais techniques et achats d'espaces publicitaires exposés par la société J. Walter Thompson pour le compte de sa cliente la société Brother France ; cette dernière en a accepté le paiement lors des débats du 22 avril 1992, date à laquelle le juge des référés a pris une ordonnance la condamnant à cette provision ;
Le solde de 759 207,42 F correspond à la facturation de commissions d'agence de publicité, calculée sur une base mensuelle minimum ;
La société Brother France, appelante, reproche aux premiers juges d'avoir dit qu'elle avait accepté les propositions de la société Walter Thompson alors que pour la période litigieuse comprise entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1991, les prestations de cette société ne concernaient plus le contrat du 1er juillet 1989, lequel était venu à terme le 30 juin 1991; en estimant que la commission d'agence de publicité doit être déterminée par référence aux usages en la matière, la société Brother France soutient que ceux-ci prévoient la rétrocession de la commission à l'annonceur, ce qui exclut sa condamnation ;
Aussi prie-t-elle la cour, après infirmation de la décision entreprise, de débouter la société Walter Thompson de ses demandes de la condamner sous astreinte de 1 000 F par jour à lui remettre " les visuels " conçus et réalisés pour la campagne publicitaire litigieuse, de la condamner également au paiement d'une somme de 200 000 F représentant son préjudice né de l'impossibilité de poursuivre cette campagne, ainsi que d'une somme de 25 000 F fixée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, la société appelante sollicite une expertise destinée à l'établissement des comptes ;
La société J. Walter Thompson, intimée, forme un appel incident qui tend à la modification comme suit des sommes fixées par les premiers juges :
- somme principale de 888 586,01 F
- I T L du 12.2.92 au 22.4.92 sur la somme de 4 639 508,82 F
et du 22.4.92 jusqu'à complet paiement sur celle de 888 526,01 F
- la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive
- celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
L'intimée demande en outre à la cour d'interdire à la société Brother France et ce, sous astreinte de 100 000 F par jour et par infraction constatée, d'utiliser les visuels conçus et réalisés par J. Walter Thompson pour les quatre campagnes qu'elle désigne ;
A ces fins, la société J. Walter Thompson soutient que sa partenaire a accepté les nouvelles conditions contractuelles lesquelles n'étaient que peu différentes de celles du contrat venu à expiration le 30 juin 1991 ;
En faisant valoir que le décompte qu'elle présente comprend déjà la rétrocession des commissions accordées par les supports de publicité, elle détaille comme suit sa demande :
1 - Achat d'espace
Selon relevé Brother A) 3 428 371,14
Avoir n° 15 509 du 15.03.92 Abis) (23 650,03)
2 - Frais techniques
Solde dû sur litiges anciens B) 64 880,56
Facture n° 15 197 du 7.02.92 C) 925,08
Selon relevé Brother D) 390 610,35
Facture droits de Bien
n° 15 392(04.03.92) E) 13 548,86
3 - commission sur achat d'espace
F) 604 049,48
4 - Solde de commission contractuel en application du minimum légal prévu au contrat
(113 850 HT x 6 mois) G) 160 773,38
Soit au TOTAL TTC : 4 639 508,82
Brother ayant réglé, le 22 avril 1992, 3 750 922,81 F, le principal restant dû s'élève à 888 586,01 F TTC.
Sur ce, LA COUR :
1°) Sur la demande principale de la société J. Walter Thompson :
Considérant qu'au vu de l'absence de toute contestation des parties sur ce point, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le mode de rémunération des prestations assurées par la société J. Walter Thompson pour la période comprise entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1991 n'était plus celui prévu au contrat expiré le 30 juin 1991 ;
Considérant que comme l'ont justement relevé les premiers juges, à la proposition contractuelle du 12 août 1991, la société Brother France n'a pas répondu ;
Considérant que néanmoins, tout en s'abstenant de signer le contrat qui lui était soumis par son ancienne agence de publicité, elle n'en a pas moins signé l'ensemble des devis concernant les mois d'octobre, novembre et décembre 1991 ;
Considérant que sur chacun de ces devis figuraient le nom de Brother en tant qu'annonceur, celui de ses produits objets de la publicité envisagée, celui du type de média qui devait en être le support, le montant du tarif brut appliqué par ce média, le montant brut négocié par l'Agence pour la période considérée, le montant de la commission de 15 % appliqué sur le résultat de cette négociation ;
Considérant que sur les devis signés de Madame M. J. Riley laquelle était la responsable de ce service au sein de la société Brother France, était en outre portée la mention suivante " les indications portées sur le présent devis sont soumises au client pour vérification des tarifs et acceptation ; le retour dudit devis signé vaut accord pour exécution de bonne foi " ;
Considérant que la signature de ces devis préalable à toute publicité était d'ailleurs prévue au contrat proposé en août 1991 à la société Brother France ;
Considérant que de ces faits, les premiers juges auraient dû tirer la conclusion que ce contrat exécuté volontairement par les deux parties devait recevoir app1ication intégrale quant aux tarifs qui y étaient fixés ainsi qu'aux autres clauses qu'il contenait et que la société Brother France n'avait pas critiquées ;
Considérant que dès lors que la société Brother France ne conteste pas, dans ses écritures, la conformité des factures présentées pour ces mois d'octobre, novembre et décembre 1991, aux devis qu'elle a antérieurement signés, il échet d'accueillir l'intégralité des demandes en paiement au vu des justifications précises que la société J. Walter Thompson verse aux débats ;
Considérant qu'elle a en effet appliqué la commission de 15 % sur le montant global des espaces publicitaires, sans facturer une nouvelle commission sur les frais techniques dont la facturation tenait déjà compte ;
Considérant que la société J. Walter Thompson a en outre normalement appliqué la TVA sur ces sommes ; qu'enfin, la justification non contestée de l'avance des frais techniques facturés résulte de l'apposition sur les factures qui y correspondent de la mention manuscrite " OK " suivie de la date et des initiales " NS " désignées par la société créancière comme étant celles d'une collaboratrice de la société Brother France ;
Considérant que les factures complémentaires dont le total s'élève à 64 880,56 F et 925,08 F correspondent à des impayés concernant la période contractuelle antérieure au 1er juillet 1991, pour lesquels la société Brother France n'oppose pas de contestation précise ;
Considérant qu'il y a donc lieu de réformer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu au titre de la rémunération des prestations litigieuses, le minimum mensuel facturable, alors que le calcul devait être opéré sur les données chiffrées dont la société créancière justifie ; considérant qu'il importe peu en outre que la facturation ait ou non tenu compte de la rétrocession d'honoraires évoquée par les parties qui est en usage dans la profession, puisqu'il en l'espèce un accord contractue1 précis qui ne se réfère pas à cet usage ;
Considérant qu'en raison de l'accueil en référé de la demande provisionnelle, les intérêts au taux légal doivent être décomptés en fonction des dates de la première demande et de la décision du 22 avril 1992 ;
2°) Sur les demandes concernant la reprise des " visuels " :
Considérant que cette demande réitérée devant la cour par la société Brother France n'a en l'espèce d'intérêt que si cette dernière a, aux termes de son contrat, la possibilité de réutiliser ces éléments dans le cadre d'une nouvelle campagne publicitaire ;
Or, considérant qu'au paragraphe " durée " du contrat du mois d'août 1991 une telle possibilité est prévue mais est soumise à la condition d'une nouvelle rémunération de l'agence créatrice, ce qui permet de comprendre la portée du paragraphe " droits d'auteur " qui attribue à l'agence la propriété de ce qu'elle a créé, à l'expiration du contrat l'ayant liée à l'annonceur ;
Considérant que cette propriété de droits d'auteur se distingue néanmoins de celle " des documents appartenant à - ou concernant l'annonceur " qui aux termes du paragraphe III du contrat, intitulé " secret professionnel " revient à l'annonceur à l'expiration du contrat ; qu'il y a donc lieu de d'accueillir la demande de restitution des visuels qui sont au nombre des documents ci-dessus visés au contrat, sans faire droit à la demande d'interdiction d'utilisation de ces documents, ladite utilisation étant seulement subordonnée au paiement de nouvelles commissions ;
Considérant qu'une astreinte apparaît en l'espèce justifiée, compte tenu du temps écoulé ;
Considérant que la société Brother France ne peut pour autant solliciter condamnation de la société J.Walter Thompson au paiement de dommages-intérêts ;
Qu'en effet, en refusant à sa partenaire paiement des sommes importantes avancées par celle-ci et du montant de ses honoraires, la société Brother France a provoqué la rétention de ces documents justifiée par le refus de paiement ;
3°) Sur les autres demandes :
Considérant que l'absence de toute preuve apportée par la société J.Walter Thompson, d'un dommage autre que celui qui est déjà réparé par les intérêts moratoires, interdit l'accueil de sa demande faite de ce chef ;
Considérant que la société Brother France qui succombe en la majeure partie de ses demandes et qui sera condamnée aux dépens ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non taxables qu'elle a exposés en appel et que la cour estime à la somme de 6 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme en toutes ses dispositions la décision déférées ; - Condamne la société Brother France à payer à la société J. Walter Thompson la somme principale de 888 586,01 F ainsi que les intérêts au taux légal du 12 février 1992 au 22 avril 1992 sur la somme de 4 639 508 F 82 ; et du 22 avril 1992 jusqu'à complet paiement sur la somme de 888 586,01 F ; - Condamne la société J.Walter Thompson à remettre dans le mois de la signification de la présente décision, à la société Brother France les visuels suivants : - Campagne HL-8PS/HL-4PS : Visuel 6es 3 enfants vus de clos et packshot du produit HL-BPS, - Campagne M-1324: Visuel de 2 enfants se regardant et packshot du produit M-1324 - Campagne RL-8V/HL-4V : Visuel des 2 enfants sur un escalier et packshot du produit ML-8V - Campagne HJ-100 : Visuel des 2 enfants regardant devant eux et packshot du produit HJ-100 - Campagne 3H-770 : Visuel des 2 enfants regardant devant eux et packshot du produit 3H-770, - Dit qu'à défaut de restitution intégrale dans le délai ci-dessus déterminé, il sera dû par la société J.Walter Thompson à la société Brother France une astreinte provisoire de 1 000 F par jour de retard et ce durant un délai de deux mois, au-delà duquel il sera statué en application des articles 33 et suivants de la loi 91-650 du 9 juillet 1991, par le juge de l'exécution ; - Déboute la société J.Walter Thompson de sa demande d'interdiction d'utilisation par la société Brother France des dits visuels mais - dit que cette utilisation est régie par les droits déterminés en page 10 du document du 1er août 1991 intitulé "contrat" exigeant rémunération de la société J. Walter Thompson ; Et y ajoutant : Condamne la société Brother France à régler à la société J.Walter Thompson la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue, Condamne la société Brother France aux dépens de première instance et d' appel, et admet pour ces derniers, la SCP Bernabe Ricard titulaire d'un office d'Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.