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Décisions

CA Paris, 3e ch. C, 3 novembre 1995, n° 93-14876

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Office d'Annonces ODA (SA)

Défendeur :

Bonnes (ès qual.), Les Déménagements Catalans (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mazars

Conseillers :

Mmes Betch, Le Jan

Avoués :

Me Huyghe, SCP Menard-Scelle-Millet

Avocats :

Mes Quenet, Bernard.

T. com. Paris, du 9 avr. 1993

9 avril 1993

La SARL Les Déménagements Catalans (la SARL), ayant son siège social à Perpignan, passait le 8 novembre 1991 avec la SA Office d'Annonces (ODA), régisseur de la publicité dans l'annuaire officiel de France Telecom, un contrat pour une insertion publicitaire dans l'annuaire 1992 de Paris et des Pyrénées orientales pour un montant de 33 889,95 F, payable par sept prélèvements bancaires mensuels de 4 240 F, du 20 décembre 1991 au 20 juin 1992 et un dernier de 4 209,95 F le 20 juillet 1992.

Les échéances de décembre 1991 et janvier 1992 étaient impayées, de même qu'un chèque de 4 269,40 F émis le 12 février 1992 suite à une lettre recommandée d'ODA du 24 janvier 1992 indiquant qu'à défaut de paiement le maintien des publicités ne pourrait être garanti.

La SARL était déclarée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Perpignan rendu le 8 avril 1992; Me Samson était désigné comme administrateur et Me Bonnes comme représentant des créanciers. La poursuite de son activité était autorisée jusqu'au 7 août 1992. Elle était mise en liquidation judiciaire le 8 avril 1993, Me Bonnes étant nommé liquidateur.

Entre-temps, la société ODA adressait le 27 avril 1992 une lettre recommandée pour l'informer de ce qu'elle avait procédé à la suppression de sa publicité dans l'annuaire des Pyrénées orientales et lui réclamait le paiement du solde dû pour la parution à Paris, soit 1 328,07 F.

Une publicité au nom de la SARL paraissait, cependant, dans l'annuaire des Pyrénées orientales de juin 1992. mais en indiquant l'adresse et le numéro de téléphone d'une entreprise concurrente, "Les Déménageurs Catalans".

Me Samson ès qualité engageait une action en référé devant le président du Tribunal de commerce de Paris contre la société ODA en conséquence de cette erreur, demandant des dommages-intérêts provisionnels. L'ordonnance rendue le 27 août 1992 disait n'y avoir lieu à référé car il existait une contestation sérieuse entre les parties et autorisait le demandeur à assigner ODA au principal à bref délai pour le 9 octobre 1992. Cette assignation était délivrée le 2 octobre 1992.

Le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 9 avril 1993, disait que la société ODA avait commis une faute par sa confusion des noms et adresses de deux sociétés concurrentes et la condamnait à payer à Me Samson, ès qualité, les sommes de 100 000 F en réparation du préjudice moral et de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et il déboutait Me Samson du surplus de ses demandes. Il estimait que la société ODA avait résilié à bon droit le contrat intervenu entre elle et la SARL mais avait commis une faute dans la publicité insérée à l'annuaire 1992 des Pyrénées orientales, et que le seul préjudice auquel pouvait prétendre Me Samson ès qualité était un préjudice moral qu'il fixait à 100 000 F.

La société ODA interjetait appel de cette décision le 19 mai 1993.

Par conclusions du 20 septembre 1993, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré quant aux condamnations prononcées contre elle et de le confirmer pour le reste, sollicitant en outre l'attribution d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir :

1°- que le jugement a accordé à Me Samson ès qualité des dommages-intérêts pour un préjudice moral qui n'était pas invoqué;

2°- que la résiliation du contrat de publicité est la conséquence de l'inexécution des obligations de la SARL et qu'elle est intervenue après avertissements et avant la mise en redressement judiciaire de la SARL;

3°- s'agissant de l'erreur dans la publicité :

- que la SARL ne peut s'en plaindre, puisque n'ayant pas rempli ses obligations, elle n'avait droit à aucune publicité ;

- que la SARL ne justifie d'aucun préjudice.

Me Bonnes, intimée en qualité de liquidateur de la SARL suite à la liquidation intervenue le 8 avril 1993, conclut le 9 février 1995 à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute d'ODA pour l'erreur de parution et, faisant appel incident, à son infirmation quant à la résiliation du contrat par ODA.

Elle demande en conséquence à la cour de condamner ODA à lui payer ès qualité la somme de 2 940 557,70 F avec intérêts de droit à compter du jour de l'arrêt et celle de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient :

1°- qu'ODA a commis deux fautes :

- en résiliant le contrat de publication après la mise en redressement judiciaire de la SARL, et ce en contravention aux dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985;

- en commettant une erreur de publication, étant observé que celle-ci aurait entraîné un détournement de clientèle;

2°- qu'elle a subi un préjudice, qui n'est pas d'ordre moral, mais consiste dans la perte d'une chance de présenter un plan de continuation et qu'elle estime égal au passif de la société, compte tenu du rapport établi par son expert comptable.

ODA réplique le 5 avril 1995 en reprenant ses arguments sur la résiliation du contrat et l'absence de conséquence fautive de l'erreur de parution. Elle conteste l'évaluation du préjudice faite par l'intimée en critiquant le rapport de l'expert-comptable et en déniant que le préjudice mentionné découle de l'erreur de parution.

Me Bonnes ès qualité répond le 15 juin 1995 en indiquant que l'erreur de parution a entraîné un détournement de clientèle et en soulignant que de ce fait elle n'a pu présenter un plan de continuation.

L'ordonnance de clôture e été rendue le 22 juin 1995.

Cela étant exposé,

1. Sur la résiliation du contrat :

Considérant que, selon Me Bonnes, la résiliation du contrat serait intervenue sans avertissement le 27 avril 1992, soit après le redressement judiciaire ouvert le 8 avril 1992, alors qu'en application de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 la résiliation du contrat était soumise à des conditions qui n'ont pas été respectées;

Considérant qu'ODA prétend avoir résilié le contrat le 20 mars 1992, du fait que la SARL n'avait pas respecté ses obligations à son égard, en application des clauses contractuelles et après avoir avisé la SARL de cette mesure, par lettres des 24 janvier et 20 février 1992, la lettre du 27 avril 1992 n'étant qu'une confirmation;

Considérant que le contrat du 8 novembre 1991 contient une clause selon laquelle tout retard ou défaut de paiement "peut entraîner la résiliation immédiate, sans mise en demeure préalable"; qu'ainsi la résiliation n'était pas automatique mais facultative;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la SARL n'a pas réglé les mensualités prévues;

Considérant que la lettre recommandée adressée à la SARL le 24 janvier 1992 fait état du défaut de paiement de la mensualité du 20 décembre 1991 qui était de 4 240 F, et poursuit : "Afin de limiter les conséquences de cet impayé, vous devez nous faire parvenir, par retour, un chèque de 4 240 F. A défaut, nous ne pourrions vous garantir le maintien de vos publicités, ce qui serait préjudiciable à votre activité, face à vos concurrents présents dans l'annuaire"; qu'un chèque de 4 269,40 F ayant été émis le 12 février 1992 par la SARL à l'ordre d'ODA, celle-ci lui envoyait le 20 février 1992 une deuxième lettre recommandée lui accusant réception du chèque (qui sera rejeté le 3 mars suivant) et précisant : "Toutefois vous restez nous devoir la somme de 4 240 F correspondant à l'impayé du 20/01/92. Nous attendons votre règlement complémentaire par retour"; qu'aucune de ces deux lettres ne contient l'indication de la volonté d'ODA de résilier le contrat ; qu'ODA adressait à la SARL le 27 avril 1992 une troisième lettre recommandée ainsi rédigée : "Malgré plusieurs rappels, vous n'avez pas réglé les échéances impayées. Nous nous sommes donc vus contraints, conformément à nos conditions générales, de procéder à la suppression de votre publicité dans les départements 066"; ce courrier qui demandait en outre le paiement d'un solde de 1 328,70 F, ne précise pas la date à laquelle est intervenue la résiliation; que par lettre du 20 juillet 1992 adressée à Me Samson, la société ODA déclare que le prélèvement bancaire du 20 février 1992 lui est revenu impayé le 25 mars 1992 et ajoute l'accumulation de ces incidents de règlement, malgré les différents contacts et rappels entrepris nous a conduits à annuler, fin mars 92, la totalité des insertions qu'il était encore techniquement possible d'annuler, c'est à dira celles du département 66"; que la date à laquelle serait intervenue la résiliation n'est pas précisée; que la société ODA produit sur listing informatique duquel il ressort que le 20 mars 1992 il serait dû 32 381,28 F, mais que ce document ne démontre pas la résiliation; qu'ODA verse aux débats aucun autre document permettant d'établir que celle-ci est intervenue à la date prétendue du 20 mars 1992; qu'en conséquence, il y a lieu de retenir comme date de cette résiliation celle de la lettre qui en fait état pour la première fois, soit le 27 avril 1992;

Considérant qu'il s'ensuit qu'à cette date la SARL était en redressement judiciaire et que la résiliation des contrats en cours ne pouvait résulter que de la procédure prévue par l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985; que celle-ci n'a pas été respectée et que la résiliation du contrat par ODA est donc fautive; que le jugement déféré sera réformé en ce sens;

2. sur la publicité erronée :

Considérant qu'il n'est pas contesté que les pages jaunes de l'annuaire des Pyrénées orientales pour 1992 contenaient la raison sociale de la SARL mais la faisaient suivre du numéro de téléphone et de l'adresse d'une entreprise de déménagement concurrente;

Considérant qu'ODA soutient que la SARL ne saurait se plaindre de cette erreur au prétexte que, n'ayant pas payé la publicité, elle n'avait aucun droit à une parution; mais que la faute commise par ODA était de nature à nuire à la SARL en détournant sa clientèle puisque son nom était donné avec l'adresse et le numéro téléphonique d'une entreprise concurrente;

Considérant qu'ODA a ainsi commis une seconde faute;que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point;

3. Sur le préjudice de la SARL :

Considérant en premier lieu que les premiers juges ont alloués à Me Samson ès qualité la somme de 100 000 F en réparation du préjudice moral de la SARL; que la société ODA leur reproche d'avoir retenu un préjudice qui n'était pas allégué;

Considérant que Me Bonnes ne conteste pas ce fait; que ses conclusions prises en première instance par Me Samson ne contiennent aucune mention d'un préjudice moral et que le jugement ne mentionne pas qu'il ait été demandé verbalement la réparation d'un tel préjudice; que dans ses conclusions du 9 février 1995, Me Bonnes demande (p. 8) la réformation du jugement sur ce point;

Considérant dans ces conditions qu'en accordant des dommages-intérêts pour préjudice moral, les premiers juges ont statué sur un préjudice qui n'était pas invoqué et dont il n'avait pas été demandé réparation; qu'ils ont ainsi violé les dispositions de l'article 5 du nouveau Code de procédure civile; que leur décision sera réformée sur ce point;

Considérant en second lieu que Me Bonnes prétend que le préjudice de la SARL est équivalent à son passif au motif que les fautes d'ODA l'auraient empêchée de présenter un plan de continuation;

Considérant qu'il appartient à celle-ci de justifier de son préjudice;

Considérant que la mesure de redressement judiciaire étant intervenue avant les deux fautes commises par ODA, le défaut de paiement de créances antérieures qui ont entraîné la cessation des paiements ne saurait être reprochée à ODA;

Considérant que la prétention de la SARL selon laquelle une publicité rectificative aurait été susceptible de lui permettre de réaliser un chiffre d'affaires supérieur et donc de faciliter son redressement est purement hypothétique;

Considérant qu'il convient de relever, ce qui n'est pas nié, que le nombre de clients n'a pas sensiblement évolué on juillet et août 1992, après la parution fautive de l'annuaire 1992, par rapport à ce qu'il était à la même période l'année précédente (30 clients en 1991, 32 en 1992); que dès lors la diminution du chiffre d'affaires en juillet et août 1992, de 63 953 F, par rapport aux mêmes mois de 1991, ne peut être directement imputable aux fautes reprochées, lesquelles auraient pu seulement avoir pour effet de détourner de la clientèle; qu'il convient encore de rappeler que le chiffre d'affaires de la SARL était en baisse constante depuis 1989 :

- 1 970 418 F au 31 décembre 1989,

- 1 248 285 F au 31 décembre 1990, avec une perte de 711 196 F,

- 1 048 416 F au 31 décembre 1991, avec une perte de 490 791 F;

qu'il convient encore de souligner que selon le rapport de M. Roger, expert-comptable, la facturation moyenne en déménagements n'a cessé de croître 5 384 F en 1989, 5 210 F en 1990, 5 795 F en 1991, 6 529 F en 1992, 7 009 F en 1993, alors que le nombre des interventions à ce titre se dégradait (274 en 1989, 223 en 1990, 168 en 1991, 113 en 1992, 23 en 1993) en raison des restrictions dans l'octroi de primes de déménagement et à la suppression de la branche transport routier en 1990; qu'ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, la situation de la SARL était largement compromise depuis 1990, bien avant la faute d'ODA;

Considérant que selon l'expert comptable la baisse de la facturation unitaire en juillet-août 1992 par rapport à juillet-août 1991 (- 2 670 F) serait due à la disparition du "potentiel client nécessaire" entraînant un manque à gagner; qu'il n'est pas prouvé que celui-ci est imputable aux fautes d'ODA alors au surplus qu'ainsi qu'il a été dit le nombre des clients est demeuré équivalent et que le chiffre d'affaires "déménagements" était en diminution constante depuis plusieurs années;

Considérant que Me Bonnes prétend que le tribunal de commerce avait autorisé la poursuite de l'activité en fonction des perspectives de redressement; que cependant au vu de l'ensemble de ce qui vient d'être analysé, elle ne prouve pas que les fautes imputables à ODA sont la cause du préjudice qu'elle allègue, à savoir l'échec de cette poursuite d'activité, la perte de la chance de présenter un plan de redressement; qu'elle sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts et le jugement réformé en ce sens;

4. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civi1et les dépens :

Considérant que Me Bonnes ès qualité qui succombe sur l'essentiel de sa demande ne peut prétendre à une allocation sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ni en première instance ni en appel et qu'elle devra tous les dépens;

Considérant que compte tenu des circonstances de l'affaire et de la situation économique des parties, il est équitable de laisser à la société ODA la charge de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 9 avril 1993 par le Tribunal de commerce de Paris dans l'instance opposant Me Samson, administrateur au redressement judiciaire de la SARL Les Déménagements Catalans, aujourd'hui substituée par Me Bonnes, mandataire judiciaire à la liquidation de cette SARL et la SA Office d'Annonces (ODA) ; Statuant à nouveau : Dit qu'ODA a rompu de manière fautive le contrat de publicité la liant à la SARL Les Déménagements Catalans; Dit que la société ODA à commis une faute dans la parution de l'annonce relative aux Déménagements Catalans dans les pages de l'annuaire 1992 de France Telecom des Pyrénées orientales; Déboute Me Bonnes ès qualité de sa demande de dommages-intérêts contre la société ODA; Déboute les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires; Met à la charge de Me Bonnes ès qualité les dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire; Admet, pour les dépens d'appel, Me Huyghe, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.