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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 4 mars 1997, n° 95-15.622

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bruet

Défendeur :

Stardust Marine (SA), Scorpio Maritime Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

M. Faucher, Mme Deurbergue

Avoués :

SCP Fanet, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Cantin, Thibault, Mamelle.

T. com. Paris, 8e ch., du 29 mars 1995

29 mars 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Jean Bruet d'un jugement du Tribunal de commerce de Paris, prononcé le 29 mars 1995, qui l'a débouté de ses prétentions et condamné à payer aux sociétés Stardust Marine et Scorpio Maritime une indemnité de 4 000 F chacune et a rejeté toutes autres demandes.

La société de droit anglais Scorpio Maritime, qui a pour activité la construction et la vente de navires, et la société Stardust Marine, qui organise des croisières de luxe et exploite des bateaux en copropriété dans les Antilles françaises, ont l'une et l'autre conclu, le 15 juillet 1991, avec Jean Bruet, exerçant à titre libéral l'activité de créateur en publicité, un contrat aux termes duquel elles lui confiaient l'ensemble de leur communication publicitaire, à savoir la création, la conception stratégique et la réalisation de campagnes de publicité, pour une durée de trois ans à compter du 1er avril 1991, moyennant une rémunération forfaitaire de 25 000 F par trimestre, payable d'avance.

Cet accord pouvait être rompu à tout moment par l'une ou l'autre des parties, avec un préavis de trois mois et en cas de rupture du fait de la société contractante, celle-ci s'engageait à verser à Jean Bruet, une indemnité équivalente à six mois d'honoraires calculée sur la base de la dernière année échue laquelle couvrait les droits d'exploitation des créations pour une période de douze mois suivant la rupture.

Reprochant à Jean Bruet de ne pas avoir exécuté ses obligations, par lettres du 30 mars 1992, les deux sociétés lui ont signifié la rupture immédiate de leurs relations contractuelles.

En désaccord avec les motifs de rupture invoqués, Jean Bruet a assigné séparément ces deux sociétés devant le Tribunal de commerce de Paris qui a joint les deux instances et l'a débouté de ses demandes de paiement d'indemnités de rupture et de préavis.

Appelant de ce jugement, Jean Bruet soutient en substance que les contrats conclus avec les sociétés intimées ne comportent aucun objectif quantitatif et qu'il avait toute latitude pour agir. Il prétend que la preuve n'est pas apportée qu'il n'a pas exécuté ses obligations, et il fait valoir qu'il n'a pas reçu de mise en demeure avant la lettre de rupture, qu'il a été mis fin au contrat de manière abusive.

Il prie en conséquence la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que les sociétés intimées sont responsables de la rupture, de les condamner à lui payer chacune :

- une somme de 109 112 F TTC au titre de la facture du 1er juin 1992, avec les intérêts de "droit" à compter du 16 novembre 1992 pour la société Stardust Marine et à compter du 2 mars 1993 pour la société Scorpio Maritime, avec capitalisation desdits intérêts,

- la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en raison de leur mauvaise foi,

- une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Scorpio Maritime réplique que l'appelant n'a réalisé qu'une page annonce intitulée "I had a dream", pour laquelle il a reçu, à titre d'honoraires, la somme de 98 500 F HT, qu'il n'a donc pas exécuté ses obligations, que la rupture du contrat était justifiée, que dès lors il n'est pas fondé à obtenir le paiement d'indemnités de rupture et de dédit.

L'intimée conclut à la confirmation du jugement déféré et, à titre incident, elle demande de statuer à nouveau sur sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, d'y faire droit et de condamner l'appelant à lui payer la somme de 60 000 F, de lui allouer enfin une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La société Stardust Marine soutient aussi que l'appelant n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et que la rupture était justifiée, qu'il n'a réalisé en effet que trois pages annonces pour des honoraires s'élevant à la somme totale de 155 500 F.

Elle prie la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelant à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR

Considérant que les sociétés intimées qui ont mis fin chacune au contrat qui les liait à Jean Bruet, soutiennent que la cause de la rupture est imputable en réalité à ce dernier qui n'a pas exécuté ses obligations

Considérant que l'appelant prétend que sa mission consistait en une création intellectuelle mise au service d'une communication publicitaire, ne comportant aucun objectif quantitatif, lui laissant toute latitude pour agir sur une durée de trois ans, et qu'il résulte de l'ensemble des éléments versés aux débats, qu'il a effectué un travail important de maquettes finalisant un message utilisant les termes "Terre" "Lune" "Soleil" ; qu'il fait valoir que les Présidents directeurs généraux des sociétés intimées ont été séduits par les campagnes qu'il a réalisées et que les témoignages de messieurs Maurel et Drouet confirment ses compétences et ses qualités professionnelles ; qu'enfin les intimées avaient accepté par lettre du 22 avril 1992, de solder les comptes conformément au contrat ;

Considérant toutefois que l'objet du contrat n'était pas limité à la création, mais concernait aussi des prestations d'assistance, de conseil et de suivi ;que l'appelant devait sur instruction et en accord avec la direction des sociétés, proposer les stratégies et les politiques de communication, assurer la conception, la définition et la rédaction des créations publicitaires, la direction artistique proprement dite ainsi que le suivi technique de leur réalisation, jusqu'au bon à tirer du chromalin définitif, donner son avis sur la conception des plaquettes et autres documents publicitaires édités par les sociétés;

Considérant que pour la société Scorpio Maritime, la seule prestation exécutée par l'appelant est une page annonce intitulée "I had a dream" ;que l'inexécution de ses obligations par le publicitaire est flagrante que les honoraires perçus sont sans rapport avec le travail fourni;que la convention n'ayant pas été exécutée de bonne foi par l'appelant, l'intimée était dès lors fondée à rompre le contrat avec effet immédiat et sans indemnités ;que le jugement sera confirmé ;

Considérant que pour la société Stardust Marine, il y a eu trois pages annonces "croisière privée", " Stardust gère votre navire", et "Ailleurs et autrement" ;que toutefois il s'agit là d'un travail qui avait déjà été remis en présentation à l'intimée avant la signature du contrat ;qu'en l'espèce la violation de ses obligations par l'appelant est également flagrante et sa mauvaise foi établie ;que les témoignages de ses clients louant ses qualités professionnelles, sont sans pertinence dès lors qu'ils ne se rapportent pas aux contrats litigieux ; que l'attestation établie par Jean Gonzalez, qui avait proposé la candidature de l'appelant aux intimées et qui prétend que celui-ci a réalisé un "énorme travail", ne peut être prise en considération en raison de sa partialité ; qu'il s'en suit que la rupture du contrat est imputable à l'appelant qui n'est pas fondé à obtenir le paiement d'indemnités de rupture et de préavis ;qu'il doit être aussi débouté de ses demandes de dommages et intérêts et de capitalisation des intérêts ;

Considérant qu'en maintenant en appel des demandes de paiement d'indemnités pour rupture du contrat qui le liait à chaque société, alors qu'il s'est montré d'une particulière mauvaise foi dans l'exécution de ses obligations, l'appelant a fait preuve d'une intention de nuire qui a causé un préjudice aux intimées ; qu'il sera condamné à leur payer à chacune la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts qui les indemnisera des divers tracas et soucis par elles subis ;

Considérant qu'il est équitable de leur allouer en outre une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; qu'en revanche, l'appelant sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré et, y ajoutant, Condamne Jean Bruet à payer aux sociétés Stardust Marine et Scorpio Maritime la somme de 20 000 F chacune à titre de dommages et intérêts et une indemnité de 10 000 F chacune en application de l'article 700 du NCPC, Le déboute de ses demandes, Le condamne aux dépens d'appel, admet la SCF Varin & Petit, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.