Ministre de l’Économie, 4 février 2003, n° ECOC0300265Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Midipar
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 31 décembre 2002, vous avez notifié l'acquisition de la société Oblé les Moulins par Midipar, société appartenant à la Coopérative Céréalière Dijon Céréales (ci-après "Dijon Céréales").
I. Les parties à l'opération
La société Midipar, active dans le secteur de la meunerie, est une société française détenue en quasi-totalité par Dijon Céréales. Dijon Céréales est une coopérative agricole qui réunit 4 200 agriculteurs. Dijon Céréales exerce son activité dans deux grands secteurs : la collecte de céréales et d'oléagineux et l'approvisionnement aux agriculteurs d'agrofournitures, engrais, produits de traitement (phytosanitaires), semences, aliments du bétail et équipements agricoles. Dijon Céréales est aussi présente dans le secteur de la meunerie (1) essentiellement dans l'Est de la France à travers sa filiale Midipar et ses sous-filiales Grandes Minoteries Dijonnaises, Minoterie Armand et Moulin Humbert. Dijon Céréales est membre de trois unions de coopératives agricoles : UCA Bourgogne Céréales dont l'activité est la commercialisation de céréales, UCA BFC Semences dont l'activité est la production de semences et UCA Est Agro dont l'activité est la centralisation des achats d'approvisionnements de plusieurs coopératives du Grand Est de la France. Dijon Céréales a réalisé lors du dernier exercice clos (2) un chiffre d'affaires consolidé de 286,9 millions d'euros dont 284,6 en France.
La société Oblé les Moulins, anciennement dénommée "Minoterie Pont", résulte de la fusion intervenue en 2000 entre les sociétés Minoterie Pont et Les Moulins de Saint-Maurice. L'activité principale de la société est la meunerie traditionnelle. Elle développe par ailleurs une activité marginale de production de mixes de farines (i.e. des mélanges de farines) destinées aux industries alimentaires. Son activité s'exerce dans trois sites de production qui sont Vincelles (39), Saint-Maurice (55) et Pontarme (60). Cette dernière unité de production est actuellement fermée et utilisée comme plateforme de distribution. Elle a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 27 millions d'euros dont 26,4 en France.
II. Description de l'opération
L'opération consiste en l'acquisition par Midipar de la totalité des actions composant le capital de Oblé les Moulins. Elle constitue une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, dans la mesure où il s'agit d'une prise de contrôle exclusif de Oblé les Moulins par Midipar. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.
III. Les marchés concernés par l'opération
Compte tenu des activités respectives des parties, les marchés concernés par l'opération sont :
- le marché amont de la commercialisation de blé tendre sur lequel seule Dijon Céréales est présente en tant qu'offreur,
- le marché aval de la production et de la commercialisation de farine à partir de blé tendre sur lequel tant Dijon Céréales, au travers de ses filiales, que Oblé les Moulins sont présentes.
i) Le marché de la commercialisation de blé tendre
Il existe deux types de blé : le blé tendre et le blé dur (3). Cette distinction se fonde sur des caractéristiques physiques et des utilisations différentes. On peut en effet noter que le blé tendre est en particulier utilisé pour la production de farine par l'industrie de la minoterie ou, notamment lorsqu'il est de qualité inférieure, pour la fabrication d'aliments pour animaux. Le blé dur est en revanche transformé par des semouleries en semoule, qui sert ensuite à la fabrication de pâtes et de couscous.
Compte tenu du fait que Oblé les Moulins est uniquement présente dans le secteur de la transformation de blé tendre en farine, on peut considérer, pour les besoins de la présente analyse, et sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si ces deux catégories de blé constituent ou non des marchés différents, que le marché en cause ne concerne, en l'espèce, que la commercialisation du blé tendre, à l'exclusion de celle du blé dur. En tout état de cause, si l'on considérait un marché du blé, sans distinguer entre blé tendre et blé dur, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureraient inchangées.
S'agissant de la délimitation géographique du marché, les parties considèrent qu'elle est supra nationale car une grande partie de la production de blé en France est dédiée à l'exportation. On peut cependant s'interroger sur une délimitation plus fine, en considérant notamment les coûts de transport dans ce secteur. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la délimitation exacte du marché géographique car, étant donné que Oblé les Moulins n'est pas présente sur ce marché, les conclusions de l'analyse demeureraient inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
On peut en outre s'interroger sur la possibilité de délimiter un marché amont de la collecte de blé tendre auprès des agriculteurs sur lequel les parties seraient présentes : Dijon Céréales, d'une part, en tant qu'intermédiaire grossiste, Oblé les Moulins et Midipar, d'autre part, en tant que transformateurs de blé tendre, et donc utilisateurs finaux. Cette question ne se pose que si l'on considère que les agriculteurs membres d'une coopérative et la coopérative elle-même constituent deux entités juridiquement et économiquement distinctes (4).
En l'espèce, l'adhésion à la coopérative entraîne pour l'associé coopérateur, entre autres, les engagements suivants, sous peine de sanctions : livrer la totalité des produits agricoles de son exploitation, se procurer dans la mesure du possible auprès de la coopérative la totalité des produits ou objets nécessaires à son exploitation et utiliser, en ce qui concerne son exploitation et dans la mesure de ses besoins, les services que la coopérative est en mesure de lui procurer. En outre, les prix sont fixés par l'intermédiaire d'un courtier, ce qui se traduit par une absence totale de négociation entre la coopérative et les agriculteurs. Même si on estimait que les agriculteurs membres de la coopérative et la coopérative constituent des entités juridiques distinctes, les liens économiques entre eux apparaissent suffisamment étroits pour considérer que les règles habituelles de l'offre et de la demande n'existent pas en l'espèce.
De plus, tant Midipar et ses filiales que Oblé les Moulins ne s'approvisionnent que de façon très marginale directement auprès des agriculteurs.
En définitive, compte tenu du faible impact concurrentiel de la présente opération pour ce qui est de l'approvisionnement en blé tendre auprès des agriculteurs, quelle que soit la dimension géographique retenue, il n'est pas nécessaire de trancher, à ce stade, la question de savoir si les agriculteurs et les coopératives constituent ou non des entités juridiques et économiques distinctes, et dans l'affirmative, la question de l'existence d'un marché amont de la collecte de blé tendre.
ii) Le marché de la production et de la commercialisation de farine à base de blé tendre
Tant Dijon Céréales (au travers de ses filiales) que Oblé les Moulins sont présentes sur ce marché. En effet, les activités meunières du groupe Dijon Céréales s'exercent dans deux secteurs, à savoir, la meunerie traditionnelle exercée par les filiales de Midipar (Grandes Minoteries Dijonnaises, Minoterie Armand et Moulins Humbert) et la production de farines biologiques exercée par SNC Décolloge Lecoq et SARL Moulins de la Marne, également filiales de Midipar.
Etant donné que l'activité de production de farines biologiques est marginale pour Dijon Céréales et que Oblé les Moulins ne produit pas de telles farines, l'opération ne donne lieu à aucun chevauchement d'activité entre les parties pour ce qui est de la production et la commercialisation de farines biologiques. Cette activité sera donc exclue de la présente analyse. Par conséquent, seule l'activité de meunerie traditionnelle sera analysée.
L'industrie de la minoterie consiste à transformer, par diverses opérations (sassage, nettoiement, humidification et écrasement) le blé tendre en farine. Le volume de production de farine issue des minoteries destiné au marché national est réglementé et limité, pour chaque exploitation, au travers des contingents d'écrasement et des droits de mouture. En revanche, il n'existe aucun contingentement pour les exportations.
Les sociétés concernées ont pour principale activité la transformation de blé tendre :
1. En farine utilisée pour l'alimentation humaine destinée :
- à la boulangerie artisanale qui fabrique des pains frais de types baguettes, couronnes, miches et pains spéciaux ;
- aux grandes et moyennes surfaces, qui élaborent des produits similaires avec les mêmes méthodes de production en volume plus important ;
- aux industries utilisatrices qui élaborent des produits de grande consommation, semi-finis ou finis, commercialisés par la restauration hors foyer, la grande distribution et les discounters.
2. En sous-produits de blé destinés à l'alimentation animale. Il s'agit de la valorisation des sous-produits de l'activité meunière.
L'instruction n'a cependant pas permis d'opérer une segmentation de l'activité de meunerie traditionnelle selon les débouchés de la farine. Pour les besoins de la présente analyse et conformément à la pratique du Ministre (5), on retiendra un marché global de la production et commercialisation de farine à base de blé tendre.
S'agissant de la dimension géographique du marché de la fabrication et de la commercialisation de farine produite à partir de blé tendre, les parties considèrent que le marché est de dimension nationale car les usages et les habitudes en matière de consommation de farines sont les mêmes sur l'ensemble du territoire français. Les farines sont des produits non périssables susceptibles d'être soumis à des conditions de stockage et de transport peu contraignantes. En outre, les modes de distribution et de fabrication sont identiques sur l'ensemble du territoire. D'après les parties, les prix et les conditions générales de vente sont déterminés par une concurrence de dimension nationale. La production de farine issue d'un site de minoterie est presque toujours commercialisée par celui-ci dans un rayon de 300 à 500 km. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de trancher la question de la délimitation géographique précise du(des) marché(s) en l'espèce. En effet, une délimitation géographique plus précise du marché de la production et de la commercialisation de farine est sans incidence sur l'analyse concurrentielle de l'opération, et peut donc, à ce stade, rester ouverte.
IV. Analyse concurrentielle
Si l'on devait considérer que la collecte de blé tendre est un marché pertinent, on constate que l'impact de l'opération est minime car, comme cela a déjà été souligné, tant Midipar et ses filiales que Oblé les Moulins ne s'approvisionnent que de façon très marginale directement auprès des agriculteurs.
Si l'on se place sur le marché de la commercialisation de blé tendre, seule Dijon Céréales est présente en tant qu'offreur et de ce fait l'opération ne comporte pas de chevauchement d'activité. On peut noter en outre qu'il existe un nombre important d'acteurs présents dans la commercialisation de blé tendre en France. L'Office National des Industries Céréalières (ONIC) dénombre ainsi plus de 300 entreprises en France actives dans ce secteur. La nouvelle entité sera confrontée à la concurrence d'entités importantes, dont les principales sont des coopératives agricoles.
Analysée d'un point de vue horizontal, compte tenu du faible impact sur la concurrence de la présente opération, en raison notamment du chevauchement faible ou nul d'activité en termes de collecte ou de commercialisation de blé tendre, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ce marché.
Concernant le marché de la production et de la commercialisation de la farine, les deux parties à l'opération y sont présentes. Les entreprises de meunerie ont commercialisé en 2001, au niveau national, 4 784 000 tonnes de farines (6). S'agissant de Dijon Céréales, ses filiales Les Grandes Minoteries Dijonnaises, Minoterie Armand et Moulin Humbert ont commercialisé 120 000 tonnes de farines en France, soit 3,05 % du volume national total. Oblé les Moulins a commercialisé pendant la même période 71 587 tonnes de farines, soit 1,81% du volume national total. En conséquence, la part de la nouvelle entité représenterait 4,86% des tonnages totaux de farine vendus en France. De plus, la nouvelle entité sera confrontée à de nombreux concurrents (il existe plus de 500 entreprises de meunerie), notamment le Groupe Nutrixo (qui a commercialisé 11,15% du volume national total de farine), le Groupe Soufflet (7,48%), le Grand Moulin de Strasbourg (3,77%), Celber (3,27%) et Cabal (2,21%).
Si l'on se place à un niveau géographique infra national et que l'on considère la zone Est de la France où sont implantés les moulins (Bourgogne, Vosges, Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes), le Groupe Dijon Céréales commercialise 102 986 tonnes de farines, ce qui représente 12,66% du marché. La société Oblé les Moulins représente 5,54% du marché avec 45 062 tonnes de farines commercialisées. Ainsi, après l'opération, la nouvelle entité détiendra 18,2% de parts de marché face à des concurrents tels que le Groupe Nutrixo (15,44%), le Groupe Nicot (7,36%) et la Minoterie Forest (3,89%).
Par conséquent, d'un point de vue horizontal, que l'on se place au niveau national ou infra national, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence.
D'un point de vue vertical, Dijon Céréales est présente sur le marché de la commercialisation de blé tendre en tant qu'offreur mais aussi en tant que demandeur, via son activité de meunerie. Oblé les Moulins est présente sur ce marché en tant que demandeur. L'activité de commercialisation de blé tendre par Dijon Céréales s'opère au travers de l'Union de Coopératives Bourgogne Céréales qui a commercialisé environ 1 600 000 tonnes de céréales (7) en 2001 dont 62% proviennent de Dijon Céréales. L'Union de Coopératives Bourgogne Céréales a commercialisé environ 3% du volume total de céréales commercialisées en France en 2001. Midipar et ses filiales d'une part et Oblé les Moulins d'autre part s'approvisionnent en blé auprès de l'Union de Coopératives Bourgogne Céréales à hauteur respectivement de 80% et 50%, le reste de leurs fournisseurs étant des négociants et d'autres coopératives du centre de la France. L'opération n'est donc pas de nature à octroyer un avantage concurrentiel décisif à la nouvelle entité au détriment de ses concurrents, que ce soit en amont ou en aval. En effet, seulement 15% du volume total de blé commercialisé par l'Union de Coopératives Bourgogne Céréales l'est auprès de filiales de la nouvelle entité. En outre, l'opération ne changera pas de façon significative la situation préexistante puisque l'Union de Coopératives Bourgogne Céréales était avant l'opération le principal fournisseur en blé de Oblé les Moulins. En définitive, l'intégration verticale résultant de la présente opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence compte tenu notamment du nombre important aussi bien de fournisseurs de blé que de meuneries et du fait que les parties ne détiennent pas de fortes parts de marché.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Pour le Ministre et par délégation :
Le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
Benoît Parlos
NOTES
(1) L'activité de meunerie ou de minoterie consiste en la transformation des grains de céréales en farine.
(2) Juin 2001 - Juin 2002.
(3) Cf. Décision du Ministre Epis-Centre/Minoteries Cantin du 17-09-2002 en instance de publication.
(4) Cf. Décisions du Ministre Epis-Centre/Minoteries Cantin précitée, Union SDA et Union BS/Beghin Say du 05-12-2002 et Cristal Union/Beghin Say et SDHF/Beghin Say du 09-12-2002 en instance de publication.
(5) Cf. Décision du Ministre Epis-Centre/Minoteries Cantin précitée.
(6) D'après les statistiques de l'ONIC.
(7) Ce tonnage se répartit comme suit : 50% de blés, 25% d'orges et 25% d'oléagineux.