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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 juin 2000, n° 1995-70488

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Segui (ès qual.), Pavalma Service (Sté)

Défendeur :

Daimler Chrysler France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

Mme Riffault, M. Faucher

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Monin

Avocats :

Mes Jacquier, Henry.

CA Paris n° 1995-70488

29 juin 2000

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Monsieur Segui agissant en qualité de représentant des créanciers et liquidateur judiciaire de la société Pavalma Service, contre le jugement rendu le 23 avril 1997 par le Tribunal de commerce de Paris, qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné, ès qualité aux dépens.

La société Pavalma Service avait pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de véhicules. Par acte sous seing privé en date du 7 février 1986, la société Mercedes Benz France lui a consenti un contrat de concession pour la vente de véhicules utilitaires légers et de camions dans certains arrondissements de Paris et certaines communes du Val-de-Marne. Il s'agissait d'une convention à durée indéterminée qui pouvait cependant être résiliée du fait de l'insolvabilité ou du défaut de paiement répété de dettes envers la société Mercedes Benz France à leur échéance normale. Or lors de ses exercices de 1991, 1992 et 1993, la société Pavalma Service a subi des pertes et ses capitaux propres ont été négatifs à partir du 31 décembre 1992. La société Mercedes Benz France, par une lettre du 1er avril 1994, a résilié pour motif grave le contrat de concession. Le Tribunal de commerce de Créteil a prononcé la liquidation judiciaire de la société Pavalma Service par jugement du 19 mai 1994, fixant la cessation des paiements au 19 novembre 1992 et désignant Monsieur Segui en qualité de liquidateur.

Monsieur Segui, appelant ès qualité pour la société Pavalma Service, expose pour l'essentiel :

- que la société Mercedes Benz France, unique fournisseur de Pavalma Service, a toléré pendant près de trois ans que son concessionnaire exclusif n'honore plus ses factures, les premiers impayés remontant à 1991 et s'étalant jusqu'en 1994,

- que celle-ci avait connaissance de l'état de cessation des paiements de sa cliente puisque le rapport général du commissaire aux comptes de la société Pavalma Service indique, sur la clôture de l'exercice au 31 décembre 1992, qu'une "négociation (a été) entreprise pour la majorité de contrôle sous l'égide du concédant" ; qu'en outre une lettre de ce commissaire aux comptes vient préciser que "les travaux censoriaux réalisés au titre de l'exercice 1993... ont été effectués à la demande conjointe de la société Mercedes Benz France et d'un repreneur éventuel...",

- que par conséquent au vu de ce qui précède, la société Mercedes Benz France a commis une faute en ne résiliant pas la concession dès les premiers impayés de 1991, voire à la cessation des paiements qui est intervenue en novembre 1992, permettant à son concessionnaire de continuer une exploitation déficitaire et causant aux créanciers, abusés par une apparence trompeuse, un préjudice qui peut être apprécié comme le passif de la société Pavalma Service née postérieurement au 19 novembre 1992, date de cessation des paiements,

- que la date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal de commerce au mois de novembre 1992 et que ceci suffit à prouver la situation désespérée dans laquelle la société Pavalma se trouvait et qu'en toute hypothèse l'action de monsieur Segui n'est pas subordonnée à cette démonstration alors que la Cour de cassation fait la distinction entre la notion de cessation des paiements et celle d'exploitation déficitaire,

- que la société Pavalma Service se trouvait bien dans cette dernière situation puisqu'elle n'a cessé d'enregistrer des pertes depuis l'exercice de 1991, que d'innombrables inscriptions de privilèges se sont succédées depuis le 23 juin 1992,

- que l'ensemble des dettes n'a pas diminué, comme l'affirme le jugement, mais que cette impression résulte simplement de la division par deux du chiffre d'affaires de la société Pavalma Service,

- que la société Mercedes Benz France confond compte d'exploitation et compte de bilan et que les bilans 1991,1992 et 1993, retracent une dégradation caractérisée de la situation patrimoniale de la société Pavalma Service,

- qu'enfin, s'agissant de la détermination du préjudice subi par les créanciers dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, c'est l'évolution des pertes d'exploitation (Pavalma Service est passée d'une situation positive de 3 900 000 F en 1991 à une situation négative de 4 900 000 F en 1993),

- que le fait que la société Mercedes Benz France ait réduit ses encours à partir de 1991 n'a eu pour effet que de réduire le montant de sa propre créance et non celle des autres créanciers,

- que sans les livraisons de la société Mercedes Benz France il n'y aurait pu y avoir constitution d'un passif tiers et notamment d'un passif super privilégié ; que c'est par rapport à ce dernier qu'il convient d'apprécier la faute de cette société.

L'appelant prie par conséquent la cour de juger que la société Mercedes Benz France en poursuivant abusivement ses relations commerciales avec la société Pavalma Service, a causé aux créanciers de celle-ci un préjudice d'un montant de 11 314 944 F, somme qu'elle devra payer au liquidateur à titre de dommages-intérêts. Toutefois si la créance de la société Mercedes Benz était déclarée née postérieurement au 19 novembre 1992 (date de la cessation des paiements), la somme due ne s'élèverait qu'à 6 669 126 F. L'appelant demande en outre la condamnation de celle-ci à la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Daimler Chrysler, anciennement dénommée Mercedes Benz France, intimée, répond dans ses conclusions en date du 27 mars 2000 :

- que la société Pavalma Service ne se trouvait pas dans une situation désespérée ou irrémédiablement compromise bien qu'elle fut déficitaire, les difficultés rencontrées par elle pouvant être résorbées, comme le démontrent les bilans, et que la cessation des paiements n'est pas plus assimilable à une telle situation sans issue,

- qu'en effet les pertes de la société Pavalma Service ont été réduites de près de moitié entre 1991 et 1993 et ce, malgré une baisse importante du chiffre d'affaires,

- que les impayés, compte tenu du fort volume d'activité notamment en 1991 sont apparus accidentels, ceux-ci diminuant d'ailleurs lors de l'année 1992 pour disparaître en avril 1993,

- qu'en réduisant ses encours dès les premiers impayés, la société Mercedes Benz a réagi de manière proportionnée à la situation de son concessionnaire,

- que le maintien du contrat de concession se justifiait par le projet de cession de l'entreprise, les négociations échouant à la fin de l'année 1993, les impayés reprenant en février 1994, la résiliation pouvant dès lors intervenir le 1er avril 1994, après une suspension des livraisons dès mars 1994,

- que la succession d'inscriptions de privilèges qu'invoque la partie adverse conforte la thèse selon laquelle les créanciers n'ont nullement été trompés sur la situation de la société Pavalma Service, puisqu'ils ont pris des garanties et que cette société a par ailleurs négocié avec certains de ces organismes,

- que les créanciers concernés (URSSAF, GARP...) dans de telles circonstances, ont eu une capacité de discernement suffisante pour apprécier la réalité de la situation économique de leur débiteur, auquel ils avaient consenti par ailleurs des délais de paiement,

- que la société Pavalma Service n'avait pas pour unique fournisseur la société Mercedes Benz et travaillait notamment avec la société Shell et des sociétés informatiques,

- qu'aucune date certaine, à laquelle la société Mercedes Benz aurait du selon la partie adverse rompre ses relations contractuelles avec la société Pavalma Service, le maintien de celles-ci devenant abusif, n'est précisée,

- que la date de cessation des paiements ne peut être retenue de ce point de vue, la société Mercedes Benz ne déplorant alors pas d'impayé justifiant la résiliation,

- que l'insuffisance d'actif de la société Pavalma Service aurait été encore plus importante si la société Mercedes Benz avait résilié le contrat avant 1994,

- qu'aucun état vérifié définitif des créances n'a jamais été communiqué,

- que la société Mercedes Benz ne saurait être condamnée au montant des créances postérieures au 1er avril 1994, la résiliation du contrat de concession marquant la fin du prétendu soutien abusif d'activité,

- qu'en considérant qu'un soutien abusif a commencé à la date de cessation des paiements, toutes les créances qui sont antérieures à ladite date doivent être exclues,

- qu'il y a lieu enfin de diminuer le passif du montant de l'actif réalisé par Monsieur Segui, la société Mercedes Benz ne pouvant être condamnée qu'à l'insuffisance d'actif.

En conséquence l'intimée prie la cour de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, de condamner Monsieur Segui, ès qualité à payer 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. A titre infiniment subsidiaire, au cas où la cour entrerait en voie de condamnation à l'égard de la société Daimler Chrysler, cette dernière lui demande de déduire du passif allégué l'actif réalisé, les créances antérieures et postérieures à la date de cessation des paiements, et sa propre créance d'un montant de 4 645 318,10 F à laquelle elle renoncerait dans ce cas.

Cela étant exposé,

Considérant qu'il ne peut être fait grief à la société Mercedes Benz de n'avoir pas résilié la concession en 1991, alors qu'une seule facture était impayée, à la date du 14 octobre 1991, et que la société Pavalma, qui a connu pour la première fois un résultat déficitaire, de 730 710 F au regard d'un chiffre d'affaires de 101 882 552 F, ne pouvait être regardée comme insolvable ; que le contrat de concession ne mentionnait pas l'existence d'un résultat négatif, connu en toute hypothèse après la clôture de l'exercice, parmi les motifs justifiant la résiliation du contrat de concession par le concédant, visant seulement, s'agissant de la situation financière du concessionnaire, l'insolvabilité ou le défaut répété de paiement à leur échéance de sommes dues au concédant ;

Considérant que l'attitude du concédant doit être appréciée compte tenu des éléments dont celui-ci avait connaissance au moment où, selon le liquidateur de la société Pavalma, il aurait dû rompre la concession, c'est-à-dire le 19 novembre 1992, date à laquelle la cessation des paiements a été judiciairement fixée,et à plus forte raison dans la période située entre cette date et celle où la résiliation a effectivement été notifiée, soit le 1er avril 1994 ;

Considérant que la date de cessation des paiements a été fixée rétroactivement, après l'ouverture de la procédure collective, sur la base d'éléments qui n'étaient pas nécessairement connus du concédant à l'époque considérée ;que les pertes de l'exercice 1992, certes en forte progression et par là inquiétantes, n'ont été précisément connues qu'en 1993 ;que, même en présence d'impayés la concernant, la société Mercedes Benz pouvait considérer de bonne foi que la société Pavalma, dont elle a prudemment réduit progressivement l'encours, traversait une situation certes difficile, surtout du point de vue de se trésorerie, mais non irrémédiable ou sans issue ;

Que cette opinion pouvait être raisonnablement confortée par la constatation d'une réduction substantielle de l'endettement global du concessionnaire par rapport à l'exercice 1991, de 33 209 896 F à 19 328 766 F, diminution qui s'est au demeurant poursuivie, encore que plus modestement, en 1993, alors que, dans le même temps, le chiffre d'affaires régressait dans d'importantes proportions ;

Qu'en 1993, lorsqu'il est en effet apparu que la situation de la société Pavalma, connaissance prise des résultats de l'exercice 1992 et compte tenu de l'importance des impayés concernant le concédant pouvait difficilement être adressée, il résulte des pièces du dossier et il n'est pas contesté que la société Mercedes Benz a cherché activement un repreneur ;qu'en ne résiliant pas le contrat de concession dans l'attente d'une solution de cession de l'entreprise qui n'a pu finalement se dégager - mais on ne saurait reprocher au concédant de n'avoir pas prévu l'échec des négociations lorsqu'il les a entreprises avec une volonté d'aboutir non contestée - la société Mercedes a préservé les chances d'une telle reprise en maintenant la valeur de la concession et, du fonds de commerce exploité par la société Pavalma, que la résiliation eut vidé de l'essentiel de sa substance ;

Qu'il ne s'est pas écoulé un délai excessif - environ 2 à 3 mois - entre l'échec des négociations en janvier 1994, rendant impossible la reprise de la concession, solution qui eût été la meilleure pour les deux cocontractants mais aussi pour les autres créanciers, et la notification de la résiliation ;

Considérant que c'est donc avec raison que le Tribunal a constaté que n'était pas rapportée la preuve d'une faute de la société Mercedes Benz, qui aurait consisté à soutenir abusivement son concessionnaire dans une situation irrémédiablement compromise ou sans issue ;

Considérant, de surcroît, que le liquidateur de la société Pavalma n'établit pas que les créanciers de cette société, autres que la société Mercedes Benz, auraient subi un quelconque préjudice du fait de la tardiveté prétendue de la résiliation ;

Qu'en effet les principaux créanciers n'ont pas été trompés sur la situation financière et de trésorerie de la société Pavalma du fait de la poursuite du contrat de concession, dès lors que, du propre aveu du liquidateur, qui en tire argument pour démontrer les difficultés du concessionnaire, ces créanciers - Trésor Public, URSSAF, GARP, Caisses de retraite, Banque Nationale de Paris, Crédit Lyonnais, Shell - dont les créances représentent la quasi-totalité du passif, ont procédé à des inscriptions de privilèges, l'administration fiscale accordant même des délais de paiement ;

Que, d'autre part, il n'est nullement démontré que la situation des créanciers, c'est-à-dire leurs chances de recouvrer leurs créances, eût été meilleure en 1992 et 1993 qu'elle ne l'a été finalement, à la suite de l'ouverture de la procédure collective en mai 1994 (jugement du 19 mai 1994) ; qu'en effet, ainsi que l'ont justement relevé les premiers Juges, les dettes de la société Pavalma, s'élevant à 33 209 896 F en 1991, ont été ramenées à 17 938 379 F en 1993, - l'encours moyen accordé par le concédant lui-même a été ramené de plus de 10 000 000 F à 5 500 000 F environ -, de sorte que l'insuffisance d'actif, représentant le véritable préjudice qui aurait pu être causé aux créanciers, même si Monsieur Segui ès qualité demande à titre de dommages-intérêts, le montant du passif né postérieurement à la date de cessation des paiements, eût probablement été plus importante si le contrat de concession avait été résilié en 1992, comme il aurait dû l'être selon lui, voire en 1993, la réduction de l'endettement existant ayant été supérieure au montant des dettes postérieures au 19 novembre 1992, visées par le liquidateur ; qu'en toute hypothèse, aucun élément objectif versé aux débats par Monsieur Segui, auquel incombe la charge de la preuve, ne permet d'affirmer que la situation des créanciers s'est aggravée du fait de la poursuite du contrat de concession entre novembre 1992 et avril 1994 ;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que Maître Segui, qui succombe ès qualité, doit supporter le dépens d'appel, et ne peut qu'être débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il est équitable de le condamner à payer à la société Daimler Chrysler France, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs, Donne acte à la société Mercedes Benz France de ce qu'elle a pris la nouvelle dénomination de Daimler Chrysler France ; Confirme le jugement attaqué ; Condamne Monsieur Pierre Segui ès qualité à payer à la société Daimler Chrysler France, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 20 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel ; Le déboute de sa demande ayant même fondement ; Le condamne aux dépens d'appel et admet la SCP Monin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.