Cass. crim., 28 mars 2000, n° 99-81.867
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
M. Mistral
Avocat général :
Mme Commaret
Avocats :
SCP Nicolay, de Lanouvelle.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par V Bruno, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 21 janvier 1999, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 40 000 F d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 à 8 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1er et L. 213-1 du Code de la consommation, 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, ensemble la présomption d'innocence, 2, 3, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bruno V coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et, en répression, l'a condamné à 40 000 F d'amende;
"aux motifs que le catalogue publicitaire imprimé et diffusé à l'occasion de l'opération promotionnelle présentait un choix d'articles sélectionnés parmi l'ensemble des produits faisant l'objet des promotions "Y"; qu'outre une présentation photographique de l'article considéré, il indiquait un bref descriptif ainsi que le prix, sous la forme d'un double marquage (prix barré et prix net) à l'exception d'un article; que Jacqueline L, directeur juridique, a précisé que l'ensemble des produits "Y" avait été mis en vente dans le magasin 2 à 3 jours après la date de leur livraison et que 20 488 000 F d'achats spécifiques avaient été investis pour cette opération; que X a produit comme justificatifs des prix de référence, d'une part, des documents intitulés "justificatifs de démarque" se présentant sous la forme de tableaux remplis de façon manuscrite au moyen d'indications sur la désignation du produit, son prix initial, son prix démarqué, la quantité et le montant de la démarque et, d'autre part, d'indications manuscrites portées sur les factures ou les bons de livraison; qu'à l'examen des documents fournis par X, les agents de la DGCCRF ont constaté que la majorité des articles, objet de la promotion, a été réceptionnée en magasin à la fin du mois de janvier et au cours du mois de février 1997; que certains articles ont été réceptionnés moins d'un mois avant le début de l'offre promotionnelle; que les articles ont fait l'objet de commandes spécifiques à cette opération; qu'aucun document de nature à attester de façon irréfutable la mise en vente ou la vente des articles au prix de référence dans les trente jours précédant le début de la période promotionnelle n'a été présenté; que les prix de référence ont été établis par application de coefficients multiplicateurs supérieurs à 3 pour 24 articles (à 4 pour 8 de ces articles), supérieurs aux coefficients moyens de la profession pour ce type d'articles ainsi que l'atteste la monographie régionale d'Ile-de-France qui retient un coefficient situé entre 1,95 et 2,50 pour les hommes et entre 2,10 et 2,90 pour les femmes et enfants; que Bruno V n'a pu justifier la validité des prix de référence pratiqués par X puisqu'il n'a pu démontrer que ces prix avaient été effectivement pratiqués dans les trente jours précédant le début des publicités incriminées; qu'au contraire, les mentions portées sur les différents documents commerciaux établissent que la plupart de ces marchandises ont été spécialement commandées pour cette opération et n'ont été mises en rayon qu'à cette occasion; que par ailleurs, les prix de référence ont été établis, dans de nombreux cas, par application de coefficients supérieurs aux coefficients moyens de la profession; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur la culpabilité de Bruno V (arrêt, pages 15 et 16);
"1°) alors que l'impossibilité dans laquelle se trouve l'annonceur de démontrer que les prix de référence ont bien été pratiqués dans les trente jours précédant le début de la publicité (absence de justification des prix de référence) caractérise la méconnaissance des dispositions de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, pris en application de l'article L. 113-3 du Code de la consommation et des textes qui l'ont précédé, et constitue une contravention de la cinquième classe qui, prévue et réprimée par l'article 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, constitue une infraction distincte du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et ne saurait, à elle seule, dispenser la partie poursuivante de rapporter la preuve de tous les éléments constitutifs dudit délit; qu'ainsi, en se déterminant par la circonstance que Bruno V n'a pu justifier la validité des prix de référence pratiqués par X, puisqu'il n'a pu démontrer que ces prix avaient été effectivement pratiqués dans les trente jours précédant le début des publicités incriminées, pour en déduire que le prévenu devait être retenu dans les liens de la prévention du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, la cour d'appel, qui méconnaît la présomption d'innocence, n'a pas légalement justifié sa décision;
"2°) alors que dans ses conclusions d'appel, le prévenu a expressément fait valoir que faute de disposer d'un système de gestion unitaire permettant d'individualiser les articles incriminés, il lui était techniquement impossible de produire les tickets de caisse de nature à démontrer que les prix de référence avaient été pratiqués dans les trente jours précédant le début des publicités, et que compte tenu de cette impossibilité, envisagée par la circulaire du 20 août 1986, il appartenait aux juges du fond de prendre en considération les justificatifs de démarque régulièrement communiqués à l'Administration; qu'ainsi, en se bornant à énoncer lapidairement que le demandeur n'avait pu justifier la validité des prix de référence, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale;
"3°) alors que dans ses conclusions d'appel, le demandeur a fait valoir que loin de démontrer le caractère fictif des prix de référence qui, sur le catalogue diffusé dans la presse, étaient barrés pour faire apparaître l'importance de la réduction de prix consentie, l'application de coefficients multiplicateurs parfois supérieurs à 4, entre le prix de vente habituellement pratiqué et le prix d'achat des marchandises, n'était que le résultat d'une négociation commerciale entre X et ses fournisseurs, aux termes de laquelle ces derniers avaient consenti, eu égard aux quantités spécialement commandées pour l'opération "Y", des remises importantes dont X entendait faire profiter sa clientèle; qu'ainsi, en se bornant à énoncer que les prix de référence avaient été établis par application de coefficients multiplicateurs supérieurs aux coefficients moyens de la profession, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel du prévenu, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale;
"4°) alors que ni les dispositions de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, ni celles de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ne privent l'annonceur, ayant satisfait aux obligations de ces textes pendant les trente jours précédant le début de la publicité, d'opérer postérieurement un réapprovisionnement des mêmes marchandises; que, dès lors, en relevant, pour condamner le demandeur, que la plupart des marchandises concernées par l'opération promotionnelle "Y" ont été spécialement commandées pour cette opération, pour en déduire que le prévenu n'aurait pas démontré avoir vendu ces marchandises au cours de la période de trente jours prévue par l'arrêté susvisé, la cour d'appel qui s'est déterminée par une motivation inopérante, a privé sa décision de toute base légale;
"5°) alors que les prix des produits et des services étant librement déterminés par le jeu de la concurrence, conformément à l'article de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, le fait de pratiquer des coefficients multiplicateurs supérieurs aux coefficients moyens de la profession ne saurait à lui seul remettre en cause la réalité des prix de référence invoqués par l'annonceur pour justifier de la réduction de prix consentie dans le cadre d'une opération promotionnelle; qu'ainsi en relevant au contraire le caractère élevé des coefficients multiplicateurs ayant permis de fixer le prix de référence affiché sur les produits litigieux pour en déduire que l'annonceur ne démontrait pas avoir pratiqué ces prix pendant la période de trente jours précédant le début de la publicité, la cour d'appel qui se détermine par une motivation inopérante a privé sa décision de toute base légale";
Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué que Bruno V, directeur du magasin "X", a organisé, lors d'une opération de vente promotionnelle intitulée "Y", une campagne publicitaire annonçant des réductions de prix sous forme d'un double marquage d'un prix de référence barré et d'un prix net; qu'à la suite d'un contrôle de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, il est poursuivi pour publicité de nature à induire en erreur;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce délit, les juges d'appel énoncent que le prévenu n'a pu justifier de la mise en vente ou de la vente des mêmes articles au prix de référence dans les 30 jours précédant le début de la période promotionnelle dans les conditions fixées par les articles 2 et 3 de l'arrêté du 2 septembre 1977 relatif à la publicité des prix à l'égard du consommateur;qu'ils retiennent que l'enquête établit que la majorité des articles a été achetée spécifiquement pour l'opération promotionnelle et livrée à cette occasion, sans avoir été préalablement proposée à la vente;que les juges relèvent enfin que les prix de référence indiqués ont été fixés par l'application d'un coefficient multiplicateur nettement supérieur au coefficient habituellement pratiqué par la profession;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments le délit de publicité trompeuse dont elle a déclaré le prévenu coupable;d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 à 8 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al ter et L. 213-1 du Code de la consommation, 131-10 et 131-35 du Code pénal, 2, 3, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné, aux frais du condamné, la publication du présent arrêt, par extraits, dans les journaux Le Figaro, édition du samedi, Elle et Le Détaillant; sans motifs;
"1°) alors qu'en ordonnant la diffusion de sa décision dans plusieurs publications de presse sans préciser le nombre de parutions concernées ni la durée de la diffusion, la cour d'appel qui prononce une peine indéterminée a violé l'article 131-35 du Code pénal;
"2°) alors que la diffusion de la décision constituant une peine complémentaire et non un mode de réparation du préjudice, elle ne saurait être ordonnée sur la demande de la seule partie civile; que, dès lors, en ordonnant - à la demande des seules parties civiles - la diffusion de sa décision dans le journal Le Détaillant, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";
Attendu qu'en ordonnant la publication de sa décision selon des modalités qu'elle a définies, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation; que, dès lors, le moyen ne saurait être admis;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 à 8 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. ter et L. 213-1 du Code de la consommation, 2, 3, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, qui déclare Bruno V coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, a - sur l'action civile - fixé à la somme de 30 000 F le montant des dommages-intérêts dus à la chambre syndicale des commerces de l'habillement, nouveautés et accessoires, de la région parisienne, d'une part, et à la Fédération nationale de l'habillement, nouveautés et accessoires, d'autre part, parties civiles;
"aux motifs que la Fédération nationale de l'habillement, nouveautés et accessoires, et la Chambre syndicale des commerces de l'habillement, nouveautés et accessoires de la région parisienne se sont constituées parties civiles et sollicitent la condamnation de Bruno V à leur payer à chacune la somme de 250 000 F en réparation du préjudice subi, d'ordonner la publication du présent arrêt par extraits, aux frais du condamné dans trois journaux nationaux, dans le journal Le Détaillant, de condamner en outre Bruno V à payer à chacune des parties civiles la somme de 15 000 F selon les dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; qu'aux termes de leurs statuts, ces deux organismes ont en charge de défendre et de veiller aux intérêts généraux de la profession et éventuellement de réclamer par tout moyen de leur choix le dédommagement de tout préjudice causé aux commerçants et à la profession, notamment dans les cas de pratiques commerciales déloyales; que la publicité incriminée a causé un préjudice à l'intérêt collectif des commerçants de l'habillement qui sera réparé par les dommages-intérêts fixés au dispositif (soit 30 000 F pour chacune des parties civiles) (arrêt, pages 16 et 17);
"alors que, sauf lorsque l'augmentation des dommages-intérêts est sollicitée en appel pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance, les juges du second degré saisis des seuls appels du Ministère public et du prévenu ne peuvent réformer le jugement au profit de la partie civile non appelante et intimée; qu'en l'espèce, les parties civiles n'ont nullement interjeté appel du jugement leur ayant alloué, à chacune, une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, ni réclamé, en appel, la réparation d'un préjudice postérieur audit jugement; que, dès lors, en allouant à chacune des parties civiles intimées une somme de 30 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à l'infraction dont le demandeur a été déclaré coupable, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 515, al. 2, du Code de procédure pénale, ensemble l'article 515, al. 3, du même Code par fausse application";
Vu l'article 515 du Code de procédure pénale; - Attendu que les juges du second degré, saisis des seuls appels du Ministère public et du prévenu, ne peuvent aggraver le sort du prévenu en ce qui concerne les intérêts civils;
Attendu qu'en première instance, Bruno V, déclaré coupable de l'infraction reprochée, a été condamné à payer tant à la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires, qu'à la chambre syndicale des commerces de l'habillement, nouveauté et accessoires, constituées parties civiles, une somme 10 000 F à titre de dommages-intérêts;
Attendu que, statuant sur les seuls appels du prévenu et du Ministère public, les juges d'appel ont alloué à chacune des parties civiles une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte et le principe susvisés; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef;qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige;
Par ces motifs, casse et annule, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 21 janvier 1999, en ses seules dispositions réformant le jugement entrepris sur le montant des dommages-intérêts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues; Dit que le montant des dommages et intérêts alloués à chacune des parties civiles est ramenée à 10 000 F; Dit n'y avoir lieu à renvoi.