Cass. crim., 2 mai 2001, n° 00-82.863
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Beaudonnet
Avocat général :
Mme Fromont
Avocat :
Me Hémery.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Erick, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 6 avril 2000, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 10 000 F d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-4 à 6, L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré Erick X coupable du délit de publicité mensongère et l'a condamné à la peine de 10 000 F d'amende ;
"aux motifs qu'à la suite de la communication d'une publicité relative à la fabrication du fromage de roquefort par un professionnel, et compte tenu des questions portant sur la validité de cette publicité, la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes s'est présentée [au siège de la société Y] pour poser des questions à Frédéric Z, directeur commercial, le 12 juin 1997 à 8 heures 30 ; entendu Erick X, pris en sa qualité de directeur général de la société Y, a indiqué que cette publicité a été faite par l'un de ses gros clients pour faire un geste commercial, qu'il n'en a pas eu l'initiative et que la revue "le Crémier-Fromager" n'est destinée qu'à des professionnels qui ne peuvent se laisser tromper sur la fabrication du fromage de roquefort compte tenu de leurs connaissances, étant tous titulaires d'un brevet de technicien professionnel ; tout d'abord les faits reprochés portent sur la publicité parue uniquement dans la revue "Le Crémier-Fromager" n° 61 de mars-avril 1997, que cette publicité affirme que le roquefort est affiné pendant trois mois minimum en cave sous l'oeil attentionné des Maîtres Affineurs ; que parmi les textes visés à la prévention se trouve l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui dispose "est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celle-ci porte ... sur le mode et date de fabrication ... les qualités ou aptitudes du fabricant ... ainsi, il convient de rechercher si dans sa présentation matérielle, la publicité concernée correspond à l'un des éléments reprochés par le texte visé à la prévention ; dès lors, le fait que la publicité incriminée soit parue dans un journal de faible tirage ne change rien quant à la publicité elle-même ; tout d'abord, constitue une publicité tout moyen d'information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats ou les qualités qui peuvent être attendus du bien ou du service qui lui est proposé, que peu importe le mode de diffusion de la publicité ; en ce qui concerne les termes, il est certain que les allégations incriminées portent sur le mode de fabrication du fromage roquefort société ; il convient également de prendre la publicité dans son ensemble sans dissocier les éléments visuels photographiés qui l'accompagnent ; en particulier, la cour note que sur un fond de photographie d'une cave voûtée creusée dans la roche et faiblement éclairée présentant une quantité impressionnante de fromages de roquefort sur les claies de bois se trouve en encadré le texte litige ; ce texte porte des termes évoquant la tradition très ancienne, en particulier, sont notés expressément : depuis 1842 perpétue la tradition, que ces termes sont indubitablement liés à la photographie de la cave ; qu'en outre, concernant l'affinage, il est noté "le Roi des fromages, il est affiné pendant trois mois minimum en cave sous l'oeil attentionné des Maîtres Affineurs" ; incontestablement, la liaison entre trois mois en cave et la photographie demeure des plus solides au vu de cette publicité ; elle ajoute aux termes précédents faisant apparaître un produit comme naturel depuis des siècles ; que ce n'est pas de façon anodine que le texte se termine par les trois mots "nos caves naturelles", que cette mention fait référence incontestablement à la photographie présentée ainsi qu'à l'affinage de longue durée pendant trois mois minimum en cave ; qu'il est donc certain que l'ensemble de la publicité parfaitement indissociable utilise des expressions bien choisies pour laisser penser ou suggérer à l'esprit que la fabrication du fromage de roquefort société en 1997 respecte et perpétue une tradition ancienne et que l'affinage est de longue durée et que le tout se passe en cave naturelle ; d'ailleurs, pour s'en défendre, Erick X verse au débat le décret du 29 décembre 1986 qui précise bien en son article 2, le fromage de roquefort est affiné pendant une durée de trois mois au minimum dans les caves naturelles de la commune de Roquefort-sur-Soulzon, Aveyron, situées dans la zone des Eboulis de la montagne du Combalou délimitée par le jugement du Tribunal de grande instance de Millau du 12 juillet 1961 et parcourues naturellement par des courants d'air frais et humide provenant des failles calcaires (fleurines) de cette montagne... que le problème est si réel que X verse également au débat le projet de décret qui n'est pas encore en application et qui n'a pas été accepté qui lui, prévoit en son article 6 au niveau de l'affinage "le fromage de roquefort ne peut être commercialisé durant les trois mois qui suivent la date de son marquage effectué dans les conditions fixées par le règlement d'application de l'AOC ... l'affinage est réalisé dans les caves situées dans la zone des Eboulis de la montagne du Combalou délimitée etc ..." que ce projet auquel les professionnels des caves de roquefort ont participé, ne fait plus état de caves naturelles ; qu'il est donc certain que la publicité telle que parue dans le journal "Le Crémier-Fromager", n° 61 de mars-avril 1997, est de nature à induire en erreur sur le mode de fabrication du fromage, cette même publicité précise également que l'affinage qui dure trois mois minimum en cave se fait sous l'oeil attentionné des Maîtres Affineurs, que pour cultiver davantage le folklore, la société Y verse au débat un certain nombre d'articles faisant apparaître M. W, l'un de ses employés comme étant le chef de cave, qui à l'appui de la défense de son employeur présente son curriculum-vitae ainsi que la copie du diplôme qu'il a obtenu ; que nulle part, n'apparaît sa qualité de maître qui laisse penser à l'existence d'un spécialiste de référence ; que cette dernière mention peut s'apparenter à l'emphase, mais aussi contribue en l'espèce à appuyer les côtés traditionnels et naturels qui eux, ne sont pas réels ; qu'enfin, l'interdiction prévue à l'article L. 121-1 susvisé porte sans aucune restriction sur toute publicité faite directement auprès des consommateurs ou à celle ne visant que des commerçants avertis ; d'ailleurs, rien ne démontre en l'espèce que le journal "Le Crémier-Fromager" soit réservé aux seuls professionnels, même s'il est normalement distribué par abonnement ; qu'il est loisible aux professionnels de le mettre dans leurs magasins de détail à la disposition des particuliers ; qu'enfin, il est noté dans l'encart relatif aux publications elles-mêmes que ce journal est également vendu par numéro au prix de quarante francs, ce qui laisse supposer qu'il est accessible à tous ; qu'il n'est pas nécessaire au sens de l'article L. 121-1 susvisé que la publicité ait effectivement trompé un consommateur ou un professionnel pour qu'elle soit interdite ; que, dès lors, il convient de réformer le jugement entrepris de déclarer Erick X coupable des faits retenus à la prévention, puisque la prévention ne porte que sur une seule publication de lui infliger une peine d'amende de 10 000 F (arrêt p. 5 à 9);
"1°) alors que ne constitue pas une publicité de nature à induire en erreur, la publicité hyperbolique qui se traduit par la parodie ou l'emphase, dès lors qu'elle ne comporte pas d'information inexacte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait juger que "la publicité qui affirme que le roquefort est affiné pendant trois mois minimum en cave sous l'oeil attentionné des Maîtres Affineurs" et représentant une cave naturelle remplie de Roqueforts, était délictueuse, dès lors qu'elle reconnaissait le caractère hyperbolique de la publicité, qu'il était constant que la société Y, en raison de son origine ancienne, maîtrisait la recette et le procédé traditionnel de fabrication du roquefort ; que le fromage, objet de la publicité, était affiné pendant au moins 3 mois en cave, et notamment dans les caves naturelles de Roquefort-sur-Soulzon photographiées, qu'il répondait aux prescriptions réglementaires pour sa fabrication, et était contrôlé par des professionnels qualifiés, et que la publicité litigieuse ne prétendait pas décrire le processus complet de fabrication ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
"2°) alors que, au surplus, en présence d'une publicité hyperbolique, les juges doivent rechercher le degré de discernement et de sens critique du public auquel elle est destinée afin de vérifier si celui-ci est à même d'apprécier l'exagération de l'image ou du message publicitaire ; qu'en l'espèce, la publicité incriminée étant parue dans "le Crémier-Fromager", revue spécialisée, diffusée par abonnement aux professionnels des produits laitiers, la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer qu'elle "utilise des expressions bien choisies pour laisser penser ou suggérer à l'esprit que la fabrication du fromage de roquefort société en 1997 respecte et perpétue une tradition ancienne et que l'affinage est de longue durée et que le tout se passe en cave naturelle" sans rechercher si ces professionnels, à qui elle s'adressait, étaient suffisamment avertis et au fait des techniques de fabrication du Roquefort, pour être à même d'apprécier à sa juste valeur le caractère hyperbolique de cette publicité et ne pas être trompés par elle ;
"3°) alors que le délit prévu par l'article L. 121-1 du Code de la consommation est un délit instantané qui s'apprécie au jour de la diffusion de la publicité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui affirme, après avoir admis que le journal "Le Crémier-Fromager" est distribué par abonnement, que "rien ne démontre qu'il soit réservé aux seuls professionnels, qu'il est loisible aux professionnels de le mettre dans leurs magasins de détail à la disposition des particuliers et qu'un encart mentionne que ce journal est également vendu par numéro au prix de quarante francs, ce qui laisse supposer qu'il est accessible à tous", sans rechercher si le numéro de mars-avril 1997 n'avait pas été diffusé à seulement 6 310 exemplaires, auprès des grossistes et détaillants en produits laitiers, et sans caractériser qu'il était destiné ou avait touché effectivement de simples consommateurs, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants et hypothétiques, n'a pas justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que des agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté qu'une publicité émanant de la société Y mentionnait que le roquefort est affiné pendant trois mois au moins en cave, alors que ce fromage, après quinze à dix-neuf jours en cave, est entreposé dans des chambres froides ; qu'Erick X, président du conseil d'administration de la société, est poursuivi du chef de publicité de nature à induire en erreur sur le fondement de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
Attendu que le prévenu a fait valoir pour sa défense que la publicité, relevant de l'emphase, ne comportait aucun élément mensonger et que la revue dans laquelle elle a été publiée est réservée aux professionnels et non pas aux consommateurs ;
Attendu que, pour écarter ces moyens de défense et déclarer Erick X coupable du délit, les juges du second degré relèvent que la publicité litigieuse, illustrée d'une photographie représentant une cave voûtée abritant une grande quantité de fromages, laisse à penser que l'affinage de longue durée du roquefort est réalisé en cave naturelle dans le respect de la tradition ;qu'ils ajoutent que l'interdiction prévue par l'article L. 121-1 du Code de la consommation s'applique tant à la publicité destinée aux consommateurs qu'à celle visant les commerçants ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, procédant de son appréciation souveraine du caractère trompeur de la publicité portant sur le mode de fabrication du produit, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.