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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 11 mai 1994, n° 91-01153

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ETAE (Sté)

Défendeur :

American Gilsonite CY (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Crédeville

Conseillers :

Mmes Masselin, M. Dragne

Avoués :

SCP Gallière-Lejeune, SCP Colin-Voinchet-Radiguet

Avocats :

Mes Damerval, Kury.

T. com. Rouen, du 21 janv. 1991

21 janvier 1991

La société OPHLM de Rouen a confié aux entreprises GEM et Porraz l'installation du chauffage central dans le cadre d'une opération de construction de plusieurs immeubles d'habitation au Houlme.

Les entreprises GEM et Porraz ont sous-traité à la société Isotec la pose d'un isolant Gilsotherm 70, fabriqué par la société American Gilsonite CY (AGC) et distribué en France par la société ETAE.

Des fuites étant apparues dans le réseau de tuyaux, l'OPHLM de Rouen a assigné les sociétés Porraz et GEM devant la juridiction administrative, tandis que ces dernières assignaient la société Isotec devant le Président du Tribunal de commerce de Rouen aux fins de désignation d'un expert.

Monsieur Quere ainsi désigné a déposé son rapport le 12 mai 1982.

Les sociétés Porraz et GEM avaient assigné au fond la société Isotec sans attendre la fin des opérations d'expertise. Celle-ci avait appelé la société ETAE en garantie le 8 août 1979.

Le 7 mars 1980 la société ETAE avait à son tour assigné en garantie la société AGC, mais, à la suite d'une erreur, l'assignation n'avait pas été placée au greffe. Cette procédure a abouti à un jugement rendu le 24 juin 1988 condamnant la société Isotec à payer à la société GEM la somme de 102 295,94 F et à la société Porraz la somme de 537 139,63 F avec intérêts de droit et condamnant la société ETAE à garantir la société Isotec.

La société AGC n'était pas partie à cette instance ainsi que l'a d'ailleurs relevé le tribunal de commerce.

Ce n'est que le 1er décembre 1990 que la société ETAE a assigné la société AGC devant le Tribunal de commerce de Rouen pour la voir condamnée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 24 juin 1988 ou à la suite de l'appel qu'elle déclarait avoir interjeté de ce jugement.

C'est cette nouvelle procédure, concernant uniquement les sociétés ETAE et AGC qui a donné lieu au jugement entrepris du 21 janvier 1991.

Le tribunal a retenu sa compétence en dépit de l'exception d'incompétence soulevée par la société AGC et, pour débouter la société ETAE de toutes ses demandes, a retenu que l'action de cette dernière n'avait pas été introduite dans le "bref délai" prévu à l'article 1648 du Code civil.

Dans ses premières conclusions devant la cour la société ETAE s'est efforcée de démontrer que son action contre la société AGC avait été introduite dans le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil. Aux termes de ses dernières écritures elle invoque la non-conformité du Gilsotherm 70 et soutient que sur ce fondement son action ne serait pas soumise au bref délai.

Elle demande à la cour de déclarer son action en garantie recevable et bien fondée et de condamner la société AGC à lui payer l'intégralité des sommes réglées par elle en exécution du jugement du 24 juin 1988.

En réponse, la société AGC soulève de nouveau l'incompétence du Tribunal de commerce de Rouen au profit de celui de Paris.

A titre subsidiaire, elle soutient que l'action de l'ETAE est irrecevable à défaut d'avoir été introduite dans le "bref délai" prévu à l'article 1648 du Code civil et qu'elle est en outre mal fondée en raison de la clause d'exclusion de garantie figurant dans le contrat de distribution la liant à la société ETAE.

Elle forme en outre à l'encontre de cette dernière une demande en paiement de la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que l'article 46 du NCPC dispose qu'en matière contractuelle le demandeur peut saisir à son choix : soit la juridiction du lieu où demeure le défendeur, soit la juridiction du lieu de la livraison;

Attendu qu'en l'espèce la société AGC a son siège à Salt Lake City et que le Gilsotherin 70 a été vendu à la société ETAE ayant son siège à Paris, la livraison du produit ayant été faite à son adresse ;

Attendu en conséquence que la société demanderesse pouvait assigner la société AGC, soit devant les tribunaux de Salt Lake City, soit devant le Tribunal de commerce de Paris, mais que le Tribunal de commerce de Rouen était incompétent ;

Attendu que pour justifier le choix de cette dernière juridiction la société ETAE se prévaut des dispositions de l'article 333 du NCPC aux termes duquel "Le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction même en invoquant une clause attributive de compétence" ;

Mais attendu que ce texte, qui figure au chapitre concernant l'intervention forcée est inapplicable en l'espèce dès lors qu'il a été mis fin à l'instance originaire par un jugement du 24 juin 1988, plus de deux ans avant l'assignation de la société AGC par la société ETAE ;

Attendu que le fait que ce jugement n'ait pas été définitif à la date du 1er juin 1988 à laquelle l'assignation a été délivrée - la cour de céans ayant statué sur l'appel le 7 novembre 1990 - est sans incidence puisque, pas plus devant la cour que devant le tribunal de commerce, la société AGC n'a été appelée en intervention forcée et que cette dernière n'a pas été partie à l'instance qui opposait les sociétés GEM et Porraz aux sociétés Isotec et ETAE;

Attendu en conséquence qu'il doit être fait droit à l'exception d'incompétence qui a été soulevée in limine litis par la société AGC et que le litige doit être renvoyé devant la Cour d'appel de Paris ;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare la société ETAE recevable en son appel du jugement rendu le 21 janvier 1991 par le Tribunal de commerce de Rouen ; Dit la société American Gilsonite CY bien fondée en son exception d'incompétence ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris seule compétente pour connaître du litige ; Condamne la société ETAE aux dépens d'appel qui seront recouvrés directement contre elle au profit des avoués de la cause selon l'article 699 du NCPC.