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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 15 mai 1996, n° 93-4893

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Neuchâteloise (Sté)

Défendeur :

Sorhofroid (SARL), Savic (SA), UFB Locabail (SA), Thermo King Corporation (Sté), Etablissements Jean Chereau (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Béraudo

Conseillers :

M. Baumet, Mme Comte

Avoués :

SCP Calas, Balayn, Me Ramillon, SCP Perret, Pougnand, SCP Dauphin, Neyret, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Brosse, Leveque, Brizard, Le Gloan, Callies, Le Nezet.

T. com. Grenoble, du 12 oct. 1993

12 octobre 1993

Attendu que, pour les faits de la cause, la cour se reporte au jugement déféré ;

Que, les résumant, elle indique qu'en mars 1991, un chargement de produits surgelés transporté dans un camion équipé d'un groupe frigorifique Thermo King a été avarié par suite d'une panne de réfrigération ;

Que, dans la cause,

- la société La Neuchâteloise est l'assureur du transporteur, la société Descours, subrogée dans ses droits ;

- La société Chéreau est le carrossier qui a construit la remorque thermostatique et a mis en place le groupe frigorifique ;

- que la société Thermo King est le fabricant du groupe frigorifique ;

- que la société Sorhofroid est le réparateur de la panne, à l'origine de l'avarie, après que les dommages se sont produits ;

Attendu que le jugement déféré a statué ainsi qu'il suit :

"Le tribunal statuant publiquement contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré :

Joint les causes et statue sur le tout par un seul et même jugement ;

Rejette l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Jean Chéreau ;

Se déclare territorialement compétent en application des dispositions des articles 42 alinéa 2 et 48 du nouveau Code de procédure civile et retient les causes ;

Constate que la compagnie La Neuchâteloise justifie de la subrogation dont elle se prévaut à l'égard de la société Transports Descours ;

En conséquence, déclare recevable, en la forme, la demande de la compagnie La Neuchâteloise.

Dit et juge que ladite société sera subrogée dans tous les droits et actions de la société UFB Locabail ;

Homologue le rapport d'expertise de Monsieur Blanchard ;

Constate que ledit rapport met en évidence la responsabilité de la société Thermo King, fabricant ;

Constate que cette société n'a pas été attraite en la présente instance ;

Dit et juge que les sociétés Jean Chéreau, Savic et Sorhofroid ne sont pas responsables du sinistre ;

En conséquence, déboute la compagnie la Neuchâteloise de l'ensemble de ses prétentions dirigées à leur encontre ;

Constate le défaut de surveillance de la part du chauffeur de la société Transports Descours ;

En conséquence, fixe la part des responsabilités de cette société dans le sinistre à 20 % ;

Condamne la compagnie La Neuchâteloise à payer à chacune des sociétés Jean Chéreau, Savic et Sorhofroid la somme de 2 500 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette tous autres moyens, fins et conclusions ;

Condamne la compagnie la Neuchâteloise aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de trois cent soixante huit francs trente et un centimes (368,31 F) TTC pour le présent jugement et à la somme de deux cent onze francs soixante seize centimes (211,76 F) TTC pour le jugement de jonction rendu ce même jour. "

Attendu que, devant la cour, la société La Neuchâteloise conclut à la responsabilité de la société Savic, importateur du Groupe frigorifique, et de la société Chéreau, installateur du groupe frigorifique ;

Qu'elle demande leur condamnation, in solidum, à lui payer 139 273,38 F à titre de dommages et intérêts, pour procédure abusive, et 10 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la société Chéreau conclut, à titre principal, à sa mise hors de cause et, subsidiairement, à ce que la société Savic la garantisse de toute condamnation à intervenir ;

Qu'elle demande la condamnation de la société la Neuchâteloise à lui payer 10 000 F, à titre de dommages et intérêts, et 20 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle fait valoir, en substance, que la panne est due à un mauvais fonctionnement électrique, à l'intérieur du groupe frigorifique, et que, simple poseur du groupe, elle n'est pas intervenue à l'intérieur de celui-ci ;

Attendu que la société Sorhofroid conclut à sa mise hors de cause et demande que la société La Neuchâteloise lui paie 5 000 F, à titre de dommages et intérêts, et 5 000 F, au titre de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que la société Savic a appelé, en cause d'appel, en intervention forcée la société Thermo King et conclut ainsi qu'il suit :

Vu la directive du Conseil des Communautés européennes du 25 juillet 1994 ;

Vu l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 14 juillet 1994 ;

Dire et juger que la société Thermo King est présumée responsable des dommages consécutifs au défaut de son produit, le groupe réfrigérant ;

Dire et juger que la société Thermo King devra relever et garantir la société Savic des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

La condamner aux entiers dépens, distraits au profit de Me Dauphin, Avoué, sur son affirmation de droit.

Attendu que la société Thermo King conclut ainsi qu'il suit :

"Il est demandé à la cour de :

- se déclarer incompétente sur les demandes en garantie formées par Savic et par la société Jean Chéreau à l'encontre de Thermo King Corporation, au profit du tribunal arbitral CCI prévu par l'article 14 du contrat de concession liant Thermo King à Savic, devant se réunir à New-York ou à tout autre endroit des Etats-Unis choisi par Thermo King Corporation et composé de trois arbitres nommés conformément au règlement de la chambre de commerce internationale ;

Subsidiairement,

- déclarer irrecevable en application de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile, l'action en intervention forcée et en garantie formée par Savic SA et la demande de garantie formée par la société Jean Chéreau à l'encontre de Thermo King Corporation, en l'absence d'évolution du litige ;

- condamner la société Savic SA à la somme de 10 000 F, au titre de l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamner solidairement la société Savic SA et la société Jean Chéreau à la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et autoriser la SCP JC Grimaud à les recouvrer directement contre eux. "

Attendu que la société UFB Locabail, régulièrement assignée le 7 juillet 1994, en la personne de Madame Détienne, chef de service courrier, ne comparaît pas ;

Sur ce,

Attendu, sur l'exception d'incompétence du juge étatique soulevée par la société Thermo King, que l'action dirigée contre cette société émane de la seule société Savic, concessionnaire ;

Que, dans le contrat de concessionnaire (Dealer agreement), en date du 1er janvier 1990, les parties ont stipulé la clause suivante :

"Loi Applicable, Arbitrage :

Le présent contrat sera à tous égards régi par les lois de l'Etat du Minnesota (USA) qui gouverneront également son interprétation. Tous les différends découlant du présent contrat seront tranchés par la voie de l'arbitrage à New York, ou en tout autre lieu des Etats-Unis que Thermo King pourra désigner, suivant le règlement de conciliation et d'arbitrage de la chambre de commerce internationale, par trois arbitres nommés conformément à ce règlement. Les débats de la procédure arbitrale se dérouleront en anglais. La sentence prononcée par tous les arbitres ou la majorité d'entre eux pourra recevoir l'exequatur auprès de tout tribunal compétent."

Qu'il est de jurisprudence que l'appelé en garantie, lié par une convention d'arbitrage à la partie qui l'appelle en garantie, peut revendiquer la compétence arbitrale ;

Que la cour est donc incompétente pour statuer sur l'action dirigée par la société Savic contre la société Thermo King ;

Attendu, sur l'origine de l'avarie des marchandises, que l'expertise de Monsieur Blanchard qui a donné lieu au rapport déposé le 27 août 1991 s'est déroulée en présence de toutes les parties à la procédure d'appel, également présentes en première instance, à l'exception de la société Thermo King ;

Que l'expert a adressé à toutes les parties, le 27 août 1991, son rapport provisoire indiquant que l'arrêt de la réfrigération était dû au fait qu'un fil dénudé s'était mis à la masse contre le boulon de la culasse du moteur thermique et que le groupe frigorifique n'étant pas pourvu d'une alarme, le chauffeur n'avait pas pu se rendre compte de son arrêt ;

Que, dans un dire émanant de Monsieur Hudault, expert de sa compagnie d'Assurances, la société Savic a mentionné ceci : "le faisceau de fils électriques d'où sort celui incriminé peut avoir été bougé au cours du montage du groupe ou après" ; que cette éventualité présentée en termes hypothétiques n'a pas été retenue par l'expert, ni par le tribunal ; que, faute de précision, la cour ne la retient pas non plus et juge que le vice à l'origine du dommage est un vice de fabrication ;

Attendu, sur le droit applicable, que la cour, par lettre du 15 mai 1995, a invité les parties à conclure sur la prise en considération en la cause des principes énoncés par la directive communautaire n° 85-374 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, bien que non transposée en droit français, alors qu'elle aurait dû l'être depuis août 1988, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, énoncée dans son arrêt C 91-92 du 14 juillet, invitant les juridictions des Etats membres, en cas d'absence de transposition d'un texte communautaire dans le délai prévu, à appliquer leur droit national " dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultant visé par celle-ci ;

Que, dans ses conclusions précitées, la société Savic a conclu à l'application de ce texte à l'encontre de la société Thermo King, sans émettre de restriction quant au fait que la victime du dommage n'utilisait pas la chose endommagée pour un usage ou une consommation privés (article 9 de la directive) ;

Que, s'agissant de droits dont elle a la libre disposition, elle peut valablement renoncer à cette condition d'application de la directive ;

Qu'en conséquence, étant l'importateur du groupe frigorifique Thermo King à l'origine du dommage, la société Savic "est considérée comme producteur (au sens de la directive) et est responsable au même titre que le producteur" (article 1er - 2 de la directive) ;

Attendu, en outre, que vendeur spécialisé du groupe frigorifique Thermo King, la société Savic est responsable des dommages causés par le vice de ce qu'elle vend sans que la société La Neuchâteloise, qui ne se trouve pas dans un lien contractuel avec elle, ait à se soumettre au régime particulier de la responsabilité pour vices cachés ;

Que l'établissement du dommage et du lien de causalité par l'expert suffit à engager la responsabilité de la société Savic sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que le quantum des dommages n'est pas contesté par la société Savic ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de 139 273,38 F, avec intérêts de droit, à compter du 7 février 1994, présentée par la société La Neuchâteloise ;

Attendu, sur la demande de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, présentée par la société La Neuchâteloise, qu'elle n'indique pas en quoi l'exercice d'une voie de recours ordinaire a pu dégénérer en abus de droit ; que la demande doit être rejetée ;

Attendu, sur la demande de 10 000 F, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, présentée par la société La Neuchâteloise, qu'il a lieu d'y faire droit ;

Attendu, sur les demandes à titre de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dirigées par les sociétés Chéreau et Sorhofroid contre la seule société La Neuchâteloise, que le succès de cette dernière en appel conduit la cour à les rejeter ;

Attendu, sur les demandes au titre des articles 32-1 et 700 du nouveau Code de procédure civile formées par la société Thermo King contre la société Savic, que la cour y fait droit dans la limite de 5 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Joint la procédure n° 95-4604 à celle n° 93-4893 ; Réforme le jugement déféré ; Juge que la cour est incompétente, pour cause de convention d'arbitrage, pour statuer sur l'appel en garantie de la société Thermo King par la société Savic ; Juge que les dommages sont causés exclusivement par la mauvaise fabrication du groupe frigorifique Thermo King, importé et vendu par la société Savic ; Condamne la société Savic à payer à la société La Neuchâteloise : 139 273,38 F (cent trente neuf mille deux cent soixante treize francs trente huit centimes), avec intérêts de droit, à compter du 7 février 1994, et 10 000 F (dix mille francs), au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Savic à payer à la société Thermo King 5 000 F (cinq mille francs), au titre des articles 32-1 et 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Savic aux dépens.