CA Pau, 2e ch. sect. 1, 8 novembre 2001, n° 00-03844
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bucci (Epoux)
Défendeur :
Pons
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Larque
Conseillers :
M. Granger, Mme Forcade
Avoués :
SCP Longin, Me Vergez
Avocats :
Mes Duvignac, Puybaraud
Faits et procédure
Par acte d'huissier en date du 3 août 1999, les époux Bucci ont assigné Monsieur Pons devant le Tribunal de grande instance de Mont de Marsan pour entendre prononcer, par application des dispositions du décret du 30 septembre 1953 la nullité du congé délivré le 17 mai 1999.
Ils ont sollicité la somme de 20 000 F (3 048,98 euro) de dommages et intérêts et celle de 10 000 F (1 524,49 euro) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du Tribunal de grande instance de Mont de Marsan en date du 30 novembre 2000, le tribunal a débouté les époux Bucci de l'ensemble de leurs demandes, déclaré valide le congé signifié par Monsieur Pons aux époux Bucci le 17 mai 1999, écarté la mise enjeu de l'indemnité d'éviction au bénéfice des époux Bucci du fait de motifs graves et légitimes, dit que le congé prendra effet le mois suivant la notification de la décision aux époux Bucci, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné les époux Bucci aux entiers dépens.
Le 20 décembre 2000, les époux Bucci ont interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions des époux Bucci déposées le 20 mars 2001 ;
Vu les conclusions déposées par Monsieur Pons le 26 avril 2001 ;
Prétentions et moyens des parties
Attendu que les époux Bucci soutiennent que la nullité du congé signifié le 17 mai 1999 s'impose d'une part, au motif que celui-ci n'a été délivré que par le seul Monsieur Pons alors que le bail à loyer à titre commercial a été consenti aux époux Bucci par Monsieur Pons et Madame Gaston, son épouse et d'autre part en raison du non-respect, par le bailleur, des obligations mises à sa charge conformément aux dispositions de l'article 9.1 du décret du 30 septembre 1953 ;
Attendu qu'ils contestent au bailleur le droit de revenir sur l'acceptation du renouvellement du bail qu'il a expressément consenti et pour lequel une procédure en fixation de loyer est en cours ;
Attendu qu'ils prétendent qu'ils n'avaient nullement à recueillir l'assentiment de Monsieur Pons lorsqu'ils ont donné le fonds en location gérance et que c'est à tort que le tribunal, par une appréciation totalement inexacte des faits, du droit et de la jurisprudence, aurait admis les éléments nouveaux invoqués par Monsieur Pons qui leur reproche de ne pas avoir respecté l'article 12 du contrat de bail signé en 1988 faisant obligation au locataire de rechercher l'assentiment exprès de leur bailleur en cas de sous location ou de location gérance ;
Attendu que les époux Bucci affirment que le bailleur connaissait le véritable exploitant du fonds de commerce par le paiement des loyers; que le contrat de location gérance intervenu entre les époux Bucci et la société Bucci SARL, exclusivement exploitée par eux-mêmes, date du 15 décembre 1993, soit bien avant la notification du premier congé en date du 23 août 1996 ;
Attendu que les époux Bucci soutiennent qu'ils continuent à exploiter le fonds de commerce de boulangerie personnellement et qu'il importe peu que le mode d'exploitation soit direct ou mis en gérance libre dès lors que le locataire en conserve la propriété ;
Attendu que les concluants demandent sur le fondement de ces observations, de réformer le jugement rendu par le juge des loyers du Tribunal de grande instance de Mont de Marsan en date du 30 novembre 2000, de prononcer la nullité du congé signifié par Monsieur Jean-Pierre Pons le 17 mai 1999, de le condamner à payer la somme de 50 000 F (7 622,45 euro) à titre de dommages et intérêts, à celle de 20 000 F (3 048,98 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de le condamner aux entiers dépens ;
Attendu que Monsieur Pons ne conteste pas avoir donné aux époux Bucci un premier congé le 23 août 1996 en offrant le renouvellement du bail venant à expiration le 1er mars 1997, moyennant toutefois une équitable majoration du loyer ;
Attendu qu'il rappelle cependant n'avoir découvert que son locataire n'exploitait plus personnellement le fonds de commerce qu'au cours de l'expertise ordonnée par le juge délégué aux loyers commerciaux saisi d'une demande en révision du loyer tenant compte de la variation de la valeur locative et des modifications intervenues dans les locaux ;
Attendu que Monsieur Pons relève que Monsieur Bucci s'est fait radier du registre du commerce et des sociétés le 20 janvier 1994 après avoir constitué avec son épouse une SARL dénommée Bucci par acte sous seing privé en date du 15 décembre 1993, ladite société ayant pris en gérance libre le fonds de commerce et l'appartement également par acte sous seing privé moyennant une redevance mensuelle de 20 000 F (3 048,98 euro) tandis que les époux Bucci, l'un et l'autre salariés de la SARL, continuaient à lui payer un loyer mensuel de 3 470 F (528,99 euro).
Attendu qu'il fait valoir que c'est sur ces éléments nouveaux, découverts au cours des opérations d'expertise, qu'il revenait sur l'offre de renouvellement du bail, la cession n'ayant pas été autorisée par le bailleur conformément à l'article 12 du bail et à l'article 21 du décret du 30 septembre 1953 et qu'il donnait ainsi un deuxième congé aux époux Bucci par acte déclaratif du 17 mai 1999 ;
Attendu que sur le fondement de ses conclusions, Monsieur Pons demande de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Mont de Marsan le 30 novembre 2000, de condamner les époux Bucci au paiement de la somme de 10 000 F (1 524,49 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à celui des entiers dépens de première instance et d'appel.
Discussion
Attendu que le 26 février 1988, Monsieur Jean-Pierre Pons donnait à bail, à compter du 1er mars 1988, aux époux Bucci, un local à usage commercial situé à Sanguinet en contrepartie d'un loyer de 36 000 F (5 488,16 euro) par an ;
Attendu que par exploit du 23 août 1996, Monsieur Pons donnait congé aux preneurs, le bail expirant le 1er mars 1997 en leur offrant cependant la possibilité de renouveler le contrat moyennant une majoration des loyers ;
Attendu que les époux Bucci saisissaient la commission départementale de conciliation le 23 juillet 1997 ;
Attendu que Monsieur Pons assignait le 30 juillet 1997 ses locataires devant le juge des loyers pour voir fixer à 84 000 F (12 805,71 euro) le montant annuel du loyer renouvelé ;
Attendu que par décision du 27 avril 2000, le Tribunal de grande instance de Mont de Marsan jugeait que les travaux réalisés par les preneurs, tels que décrits par l'expert, ne constituaient pas une amélioration au sens de l'article 23-3 du décret du 30 septembre 1953 et déboutait Monsieur Pons de sa demande de déplafonnement ;
Attendu que le 17 mai 1999, Monsieur Pons délivrait pour la deuxième fois, mais en invoquant des éléments nouveaux, le congé aux époux Bucci ;
Attendu que les époux Bucci contestent la validité de ce congé ;
Attendu que par jugement du 30 novembre 2000, le juge des loyers du Tribunal de grande instance de Mont de Marsan déclarait valide le congé signifié par Monsieur Pons aux époux Bucci le 17 mai 1999 ;
Attendu qu'il ne saurait être fait grief à Monsieur Pons d'avoir délivré un deuxième congé le 17 mai 1999, sans offre d'indemnité d'éviction, après celui du 23 août 1996 par lequel il leur offrait de renouveler leur bail venant à expiration le 1er mars 1997, moyennant toutefois une majoration du loyer ;
Qu'en effet, la dérogation au statut peut être alléguée à tout moment par le bailleur, même après délivrance d'un premier congé, dès lors que le bailleur prend connaissance de la faute grave commise par le preneur ;
Attendu qu'il est constant que les époux Bucci n'ont pas respecté les dispositions de l'article 21 du décret du 30 septembre 1953 devenu l'article L. 145-3 1 du Code de commerce et de l'article 12 du contrat de bail signé en 1988 faisant obligation aux locataires de rechercher l'assentiment exprès du bailleur en cas de sous location ce qui n'a pas été fait en l'espèce;
Que le contrat de bail reçu par maître Yves Coutaint, notaire à Lesparre (Gironde) mentionne en son article 12: "le preneur ne pourra dans aucun cas et sous aucun prétexte, céder son droit de bail, ni sous louer le local loué, sans le consentement exprès du bailleur (...)";
Attendu que par acte du 15 décembre 1993, les époux Bucci ont donné en location-gérance à la société "Bucci" le fonds de commerce de "boulangerie-viennoiserie-pâtisserie-confiserie-glaces" leur appartenant, ledit fonds comprenant notamment la jouissance pour la durée de la gérance des locaux où le fonds est exploité ;
Que le contrat de location-gérance précise d'une part, que "la jouissance des locaux sis avenue de la côte d'argent à Sanguinet du droit au bail, est concédée pour la durée de la location-gérance (..,)" et d'autre part qu'il "est conclu pour une durée de cinq années à compter du 2 janvier 1996 ;
Attendu que Monsieur Pons n'a eu connaissance de cette situation qu'au cours des opérations de l'expertise de 1998, soit après le premier congé assorti de l'offre de renouvellement du bail moyennant une majoration du loyer; que plusieurs chèques émis par les époux Bucci au profit de Monsieur Pons, en paiement des loyers, postérieurs à la création de la SARL, produits en première instance, attestent par la mention du titulaire du compte, "Monsieur ou Madame Bucci Alain", que le bailleur n'était pas en mesure de connaître la sous-location de l'immeuble à usage commercial ;
Qu'il résulte de deux courriers figurant en procédure, datés des 5 et 8 juillet 1998, soit bien après la constitution de la SARL "Bucci", que les époux Bucci continuaient à correspondre avec Monsieur Pons sur un papier à en-tête portant les mentions "boulangerie-pâtisserie Alain Bucci" ainsi que le numéro d'immatriculation au registre du commerce A 315 035 766 alors que la radiation de Monsieur Bucci était intervenue le 20 janvier 1994 et que la SARL "Bucci" était immatriculée sous le numéro B 393 606 611 ;
Attendu que ces éléments mettent en exergue la dissimulation par les époux Bucci de leur véritable situation à l'égard de Monsieur Pons ;
Attendu que ces faits constituent une faute grave commise par le preneur qui justifie la délivrance par Monsieur Pons du deuxième congé le 17 mai 1999 pour motifs graves et légitimes ;
Qu'en effet, la jouissance des locaux loués est concédée par les preneurs à la SARL "Bucci" pour une durée de 5 ans sans que l'assentiment du bailleur ait été recueilli, en violation des dispositions de l'article 12 du bail et de l'article 145-31 du Code de commerce ;
Attendu qu'il importe peu que ce deuxième congé n'ait été délivré que par le seul Monsieur Pons, à l'exclusion de son épouse, la faute ainsi révélée exigeant de sa part une réaction rapide face aux faits qui étaient portés à sa connaissance ;
Attendu que cet acte n'a pas été désavoué par Madame Pons et qu'au surplus, il ne saurait être fait grief à l'un des bailleurs d'agir dans l'intérêt de l'autre dès lors que l'une des conditions essentielles du bail est en péril et que l'économie du contrat s'en trouve modifiée ; que force est de constater que Monsieur Pons n'a délivré le deuxième congé qu'en apprenant la radiation du registre du commerce et des sociétés, le 20janvier 1994, de Monsieur Bucci et la substitution, dans les droits du preneur, de la SARL "Bucci", le 15 décembre 1993 ;
Attendu que le contrat de bail en date du 26 février 1988 bénéficiait aux époux Bucci, alors même que Monsieur Bucci était personnellement inscrit au registre du commerce pour l'exploitation de son fonds de commerce ; qu'il appartenait aux époux Bucci de recueillir l'assentiment de Monsieur Pons, pour leur substitution dans leur droit au bail de la SARL "Bucci" ;
Attendu que c'est à tort que les époux Bucci prétendent que le mode d'exploitation du fonds de commerce est indifférent au bailleur dès lors que le locataire en conserve la propriété; que la constitution de la SARL "Bucci" a engendré la création d'une entité différente, une modification juridique du statut des preneurs et de l'économie générale du contrat de bail inconnues du bailleur jusqu'aux opérations d'expertise, le tout en infraction des dispositions des articles 12 du dit contrat et L. 145-31 du Code de commerce ;
Attendu que Monsieur Pons n'a pas eu, dans ces circonstances, la possibilité de se prononcer en connaissance de cause pour la sous-location du fait de la dissimulation par les époux Bucci de leur situation réelle ;
Attendu que Monsieur Bucci, radié du registre du commerce et des sociétés depuis le 20 janvier 1994, avait perdu sa qualité de commerçant et ne pouvait donc plus bénéficier des dispositions du décret du 30 septembre 1953 reprises dans le livre 1er, titre IV, chapitre V du Code de commerce ;
Attendu en conséquence que les époux Bucci seront purement et simplement déboutés de leurs demandes ;
Attendu que la demande de dommages et intérêts est dénuée de tout fondement;
Attendu qu'il ne paraît pas contraire à l'équité de laisser à la charge de Monsieur Pons les frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Par ces motifs et ceux non contraires du premier juge, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare les appels, tant principal qu'incident, recevables en la forme, Vu les dispositions du livre 1er, titre IV, chapitre V du Code de commerce reprenant les anciennes dispositions du décret du 30 septembre 1953, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Mont de Marsan en date du 30 novembre 2000, en ce qu'il a: - déclaré valide le congé signifié par Monsieur Pons aux époux Bucci le 17 mai 1999 ; - dit qu'il y a lieu d'écarter la mise en jeu de l'indemnité d'éviction au bénéfice des époux Bucci du fait de motifs graves et légitimes ; - dit que le congé prendra effet le mois suivant la signification de la présente décision aux époux Bucci ; - dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - déboute les époux Bucci de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre Monsieur Pons ; - déboute Monsieur Pons de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre les époux Bucci ; - rejette comme inutiles ou mal fondées toutes demandes contraires ou plus amples des parties ; - condamne les époux Bucci aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise Maître Vergez, avoué, à recouvrer directement ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.