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Décisions

Cass. crim., 4 octobre 2000, n° 99-85.439

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher (faisant fonctions)

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, de la société civile professionnelle Boré, Xavier, Boré.

Montpellier, ch. corr., du 24 juin 1999

24 juin 1999

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par M Marcel, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 24 juin 1999, qui, pour tromperie sur l'origine de vins mis en vente, falsification de boissons destinées à la vente, fausse désignation sur les titres de mouvement de vins d'origine française et infraction douanière d'obtention frauduleuse d'une aide à l'enrichissement des moûts de raisin, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement dont 6 mois avec sursis, 200 000 F d'amende et à une amende douanière de 20 000 F et a statué sur l'action civile ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 213-1, 213-3, 217-6 et R. 215-4 du Code de la consommation, 1er de la loi du 26 mars 1930, 18, 19 et 23 du règlement CEE n° 822-87 du 16 mars 1987, 2-1 du règlement CEE n° 2392-89 du 24 juillet 1989, 65A et 410 du Code des douanes, des règlements CEE n° 822-87 du 16 mars 1987 et n° 2640-88 du 25 août 1988, des articles 26, 28 et R. 26-2 du Livre des procédures fiscales, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe du contradictoire et du principe de la présomption d'innocence ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Marcel M coupable des délits de tromperie sur l'origine de la marchandise, de falsification de boissons destinées à la vente, et de fausse indication de provenance française d'une part, et d'obtention frauduleuse d'une aide à l'enrichissement des moûts de raisin portant sur 138 184 hectolitres de vin de table blanc d'autre part, et l'a condamné de ces chefs ;

"aux motifs que les enquêteurs ont mis en évidence que dans les chais de Sète sont entrés, entre le 25 septembre et le 29 octobre 1991, 145 935 hectolitres de moûts de raisin frais issus de blancs espagnols, et 150 570 hectolitres de moûts français dont 84 % issus de cépages rouges ; que les enquêteurs de la DGCCRF ont pris des échantillons de vin blanc élaboré, qui ont réagi de manière satisfaisante au test "blanc de blanc", ce qui est impossible si le vin est élaboré avec des moûts blancs issus de raisins rouges ; que les prélèvements effectués par la DGCCRF n'ont été faits qu'à titre de saisie de pièces à conviction et non à des fins d'expertise ; que Marcel M ne saurait contester la validité des analyses effectuées par l'administration des Douanes au motif qu'un seul échantillon a été pris dans chaque cuve, dès lors que la prise de trois échantillons n'est pas imposée dans le cadre du contrôle prévu par le Livre des procédures fiscales ; que, selon ces analyses, les teneurs isotopiques obtenues étaient incompatibles avec des vins du Gard, de l'Hérault ou de l'Aude ; que l'ensemble de ces éléments permet de conclure que Marcel M a substitué des moûts blancs issus de raisins blancs en provenance d'Espagne à des moûts de raisins français dont 84 % étaient issus de cépages rouges ; qu'ainsi Marcel M a élaboré, à partir de moûts espagnols, un vin blanc de blanc qui ne pouvait, eu égard à son origine, prétendre, à l'appellation "vin de table français" ; qu'en outre, Marcel M a bénéficié de façon indue pour ce vin d'une aide à l'enrichissement de 4 454 329 F, en procédant à des manipulations contraires au texte permettant ces aides ;

"et aux motifs adoptés que, s'il est vrai que le compte rendu des analyses des échantillons prélevés par les Douanes peut être critiquable car incomplet et donné sous une forme quasiment anonyme, il peut être reproché à la contre-preuve avancée par Marcel M d'être aussi imprécise, car les analyses présentées portent sur des échantillons dont on ne connaît pas de façon incontestable la provenance ;

"alors, d'une part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué (page 8, 5) que les enquêteurs ont pris des échantillons du vin blanc élaboré par la Socovi et analysé ces prélèvements ; qu'il ne s'est donc pas agi de simples saisies de pièces à conviction, mais de prélèvements aux fins d'analyse, soumis aux dispositions de l'article R. 215-4 du Code de la consommation, exigeant le prélèvement de trois échantillon, dont deux aux fins d'éventuelle expertise et contre-expertise ; qu'en excluant l'application de ce texte, et en se fondant sur cette analyse obtenue sans possibilité de vérification ni contrôle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

"alors, d'autre part, que, si l'article 28 du Livre des procédures fiscales n'exige pas expressément la prise de trois échantillons, une telle précaution permettant le recours à une procédure d'expertise contradictoire est néanmoins imposée par l'article 6-1 de la Convention européenne garantissant au prévenu un procès équitable ; qu'en validant les analyses effectuées à partir d'un seul échantillon par l'administration des Douanes, et en se fondant sur le résultat de ces analyses, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire ainsi que le droit à un procès équitable et les droits de la défense ;

"alors, de troisième part, que ne sauraient avoir la moindre valeur probante les résultats d'analyse émanant, selon la cour d'appel, du laboratoire central des Douanes à Paris, et dont le caractère critiquable a été affirmé par le tribunal (cf. jugement page 12, 2), dès lors que les quatre documents numéros 7412, 1351, 1405 et 1406, anonymes, non datés, sans signature identifiable, ne comprenaient ni la référence du laboratoire exécutant, ni les valeurs analytiques déterminées pour les échantillons prélevés, et ne permettaient ni vérification ni contrôle ; qu'en se fondant, néanmoins, sur ces analyses pour retenir la culpabilité du prévenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés et les droits de la défense ;

"alors, enfin, qu'en admettant le caractère critiquable du compte rendu d'analyses de l'administration des Douanes, tout en validant ces analyses et en se fondant sur elles, au motif de la prétendue carence de Marcel M quant à la contre-preuve, la cour d'appel a méconnu le principe de la présomption d'innocence, ainsi que les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marcel M, dirigeant de la société Socovi, est poursuivi pour tromperie sur l'origine des vins, ayant mis en vente des vins sous la fausse indication de provenance française alors qu'il s'agissait de moûts espagnols vinifiés, pour avoir volontairement falsifié des boissons destinées à être vendues en ayant enrichi des moûts contrairement aux prescriptions du règlement CEE n° 822-87 du 16 mars 1987, pour avoir désigné, sur les titres de mouvement, un vin de table sous la dénomination de "vin de table français" à laquelle il ne pouvait prétendre, ayant été élaboré à partir de moûts originaires d'Espagne et, enfin, pour avoir, en sa qualité de dirigeant de la société Socovi, commis des actes frauduleux ayant eu pour effet d'obtenir un avantage alloué par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, soit une aide à l'enrichissement des moûts de raisin portant sur 138 784 hectolitres de vin de table blanc ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable des faits reprochés, les juges retiennent qu'il a vendu comme vin de table français "blanc de blanc" du vin obtenu par vinification de moûts espagnols, et non, selon sa déclaration, de moûts de raisins français, que l'enquête a montré que les fournisseurs de la société Socovi ne lui avaient vendu, à hauteur de 84 %, que des moûts français issus de cépage rouge, que le vin vendu a réagi correctement au test blanc de blanc, ce qui est impossible avec des moûts colorés, que l'analyse isotopique des prélèvements effectués par les agents des douanes a établi que le vin ne pouvait être originaire du Languedoc-Roussillon, que les critères exigés lors de l'achat des moûts de raisins blancs espagnols étaient inutiles s'ils étaient destinés à faire des moûts concentrés rectifiés (MCR), qu'il en est de même en ce qui concerne leur mode de transport et leur changement de chais et qu'ainsi, il y a bien eu substitution de moûts espagnols aux moûts colorés français qui ont été expédiés pour la concentration ;

Attendu que, pour écarter la nullité des prélèvements effectués alléguée par le prévenu, l'arrêt attaqué énonce que les constatations de couleur faites, par les agents des fraudes, sur des prélèvements, concernant des moûts déclarés comme de provenance espagnole, ont été approuvées par les représentants de la Socovi présents, que ces prélèvements ont donc été saisis à titre de pièces à conviction et non à des fins d'expertise, et que la procédure suivie par l'administration des Douanes, qui n'a pris qu'un seul échantillon par cuve pour effectuer ses analyses isotopiques, relève du contrôle prévu par le Livre des procédures fiscales, qui n'exige pas le formalisme des trois échantillons prévu par le Code de la consommation pour la procédure d'expertise ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite du motif erroné concernant l'application du Livre des procédures fiscales, le contrôle des agents des douanes ayant été, en l'espèce, effectué dans le cadre des dispositions de l'article 65 A bis 5 du Code des douanes, la cour d'appel, qui a motivé la déclaration de culpabilité sur un ensemble d'éléments de preuve dont elle a apprécié souverainement la valeur, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Marcel M à la peine d'un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis ;

"aux motifs qu'eu égard à l'importance des objets de fraude et à la gravité du trouble porté à l'ordre public particulièrement sensible aux fraudes vinicoles, il convient de prononcer à l'égard de Marcel M, pour les délits de tromperie, de falsification et de désignation mensongère, une peine d'un an d'emprisonnement dont six mois assortis du sursis eu égard aux renseignements de personnalité figurant au dossier ;

"alors que, aux termes de l'article 132-19 du Code pénal, toute peine d'emprisonnement prononcée sans sursis par une juridiction correctionnelle doit être spécialement motivée, notamment en fonction des circonstances de l'infraction ; que ne répond pas à cette exigence l'arrêt qui se borne à relever l'importance de la fraude et la gravité du trouble porté à l'ordre public, cette énonciation ne précisant pas les circonstances de l'infraction expliquant le choix d'une peine d'emprisonnement ferme, de sorte que la décision n'est pas légalement justifiée" ;

Attendu que, pour condamner Marcel M, déclaré coupable d'infractions au Code de la consommation, à une peine d'emprisonnement partiellement sans sursis, les juges du second degré se prononcent par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations répondant aux exigences de l'article 132-19 du Code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision ; que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.