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Décisions

Cass. crim., 5 septembre 2000, n° 99-85.437

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman (faisant fonction)

Rapporteur :

Mme Mazars

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Richard, Mandelkern.

TGI Angers, ch. corr., du 20 nov. 1998

20 novembre 1998

Rejet du pourvoi formé par G Paul, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 1er juillet 1999, qui, pour falsifications de denrées alimentaires, exposition et mise en vente de denrées alimentaires falsifiées, détention de produits propres à effectuer des falsifications et exercice illégal de la pharmacie, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 F d'amende et a ordonné une mesure de publication. LA COUR: - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 30 et 36 du Traité de Rome, 213-1, 213-3 et 213-4 du Code de la consommation, 1er et 15-2 du décret du 15 avril 1912, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Paul G coupable des délits de falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme, de vente de denrées falsifiées et de détention sans motif légitime de produits propres à effectuer des falsifications, et en ce qu'il l'a condamné à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 F d'amende ;

"aux motifs que Paul G prétend que la réglementation française viole le droit communautaire en interdisant la circulation de produits autorisés dans d'autres pays de la Communauté européenne ; que les dispositions du décret du 15 avril 1912 sont justifiées par des raisons de protection de la santé ; que constitue donc une fraude, la vente de denrées alimentaires contenant un additif non autorisé par cette réglementation, même s'il s'agit de produits fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre ; qu'il en est de même de l'article 150 du règlement sanitaire départemental, qui donne la définition de l'aliment non traditionnel, et de l'article 151 de ce texte, qui dispose que la fabrication, la détention et la mise en vente d'aliments non traditionnels destinés à l'alimentation humaine sont soumises à l'avis du Conseil supérieur d'hygiène public de France, de l'Académie de médecine et éventuellement d'autres commissions spécialisées, en application du Code de la santé publique et de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes ; que ces dispositions, applicables au moment des faits, ont été intégrées dans le règlement CEE du 27 janvier 1997 et étaient donc en parfaite harmonie avec le droit européen ; que les avis défavorables du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, prévus par les règlements, doivent donc être pris en compte, qu'ainsi Paul G se devait de respecter le principe de la liste positive, qui interdit d'incorporer à l'alimentation humaine une substance qui n'est pas autorisée ; qu'il prétend qu'il fournit non pas des additifs, mais des compléments alimentaires qui sont concernés non pas par l'article 1er du décret du 15 avril 1912, mais par les décrets du 29 août 1991 et du 10 avril 1996 ; que le décret de 1991 est étranger aux débats, car il concerne les aliments destinés à une alimentation particulière pour certaines catégories de personnes ayant des besoins nutritionnels particuliers ; que le décret de 1996 a complété le décret de 1912 par un article 15-2, qui définit le complément de l'alimentation courante, afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers ; que s'il est donné pour la première fois une définition du complément alimentaire, cela ne signifie pas que les produits qui, antérieurement au décret de 1996, répondaient à cette définition, aient pu être commercialisés sans respecter les dispositions de l'article 1er du décret de 1912 et du règlement sanitaire départemental ; que contrairement à ce que prétend Paul G, les infractions peuvent donc être retenues avant le 12 avril 1996, date de publication du décret de 1996 ; que Paul G prétend qu'il faudrait, pour appliquer l'article 1er du décret de 1912, établir qu'il y a eu addition frauduleuse de produits chimiques dans des denrées et prétend que ce qu'il fournit ne correspond pas à la définition du produit chimique ; qu'il prétend également qu'il ne se livre à aucune altération des produits qu'il fournit, bruts ou en gélules ; qu'à partir du moment où les substances destinées à être incorporées dans l'alimentation humaine, de quelque nature qu'elles soient, doivent être autorisées, le délit de tromperie et de falsification est constitué dès lors qu'une substance non autorisée est introduite dans cette alimentation ; qu'il expose qu'il n'est pas l'auteur des infractions qui lui sont reprochées car il a uniquement satisfait aux demandes de ses clients qui sont pratiquement tous des pharmaciens et ne s'est pas adressé aux particuliers ; que l'objet social de la société H que Paul G dirige et dirigeait au moment des faits, est le suivant : "la production, la transformation et la commercialisation de plantes médicinales, aromatiques et décoratives, et de tous produits et dérivés ayant rapport avec la diététique, la cosmétologie et l'agro-alimentaire" ; que cet objet social ne permet pas de considérer que l'activité de la société devait être limitée à ce qu'en dit Paul G ; que de toutes façons, quel que soit l'auteur de la commercialisation du produit, Paul G, professionnel, a fabriqué et détenu des produits qu'il savait destinés à être incorporés à l'alimentation humaine, alors que cela était interdit ; qu'il a donc ainsi participé à la falsification de cette alimentation ; que le tribunal a justement fait remarquer qu'il lui appartenait d'inviter ses donneurs d'ordre à respecter la réglementation en vigueur ; que la circonstance que le produit Lyovigor serait uniquement destiné à l'exportation, ce qui n'est d'ailleurs pas démontré, ne le dispensait pas de respecter la réglementation du lieu de fabrication ; qu'il déclare avoir cessé tout traitement et commercialisation d'oligo-éléments le 31 mars 1996 ; qu'il reconnaît donc en avoir commercialisé jusqu'à cette date ; qu'il affirme n'avoir fait procéder qu'une seule fois à une débactérisation et fourni une seule fois des os débactérisés à Phytocenter et destinés à l'exportation ; qu'il reconnaît néanmoins ainsi l'infraction qui lui est reprochée en ce qui concerne le non-respect des dispositions réglementant la pratique de la débactérisation, et en particulier celles du décret du 8 mai 1970 dont il ne conteste pas l'application ; que le tribunal a fait une exacte analyse des pièces du dossier et du procès-verbal de la DGCCRF du 18 avril 1997 en ce qui concerne la liste des produits interdits et a prononcé des relaxes justifiées ;

"1° alors que les atteintes portées au principe de la libre circulation des marchandises ne peuvent être justifiées pour des raisons de protection de la santé, que si les mesures prises à ce titre n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé ; que la cour d'appel s'est bornée, pour décider que Paul G ne pouvait se prévaloir de ce que les produits litigieux étaient vendus librement dans d'autres pays de l'Union européenne, de sorte que les mesures d'interdiction du droit interne français constituaient une entrave à la libre circulation des marchandises, à énoncer que ces mesures étaient justifiées par des raisons de protection de la santé ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si ces mesures excédaient ce qui était nécessaire à la protection de la santé, la cour d'appel, qui n'a pas effectué le contrôle de proportionnalité qui s'imposait à elle, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2° alors qu'il est uniquement interdit de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre toutes marchandises et denrées destinées à l'alimentation humaine, lorsqu'elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par des arrêtés pris sur l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et de l'Académie nationale de médecine, ou lorsqu'elles comprennent des produits expressément prohibés par un texte légal ou réglementaire ; qu'en décidant néanmoins que les compléments alimentaires ne peuvent légalement comprendre des substances autres que chimiques qui n'ont pas été expressément autorisées, la cour d'appel a exposé sa décision à la cassation " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un contrôle des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a révélé que la société H, entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente en gros de compléments alimentaires et de produits d'herboristerie, fabriquait et vendait en gros des compléments alimentaires et des produits d'herboristerie contenant des substances non autorisées dans l'alimentation humaine, notamment poudre de bambou, soufre, cuivre, chrome, cobalt, silicium, nickel, argile, dolomite, corne de cerf, protéines d'origine embryonnaire, cartilage de requin et os " débactérisé " ; que Paul G, dirigeant de cette société, est poursuivi des chefs de falsification de denrées alimentaires, vente de denrées falsifiées et détention de produits propres à effectuer des falsifications ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ces délits, les juges d'appel retiennent, par les motifs repris au moyen, que le prévenu a incorporé dans ces produits, destinés à l'alimentation humaine, des substances non autorisées par les arrêtés pris en application de l'article 1er du décret du 15 avril 1912 ; que, pour écarter le moyen tiré de l'incompatibilité du décret du 15 avril 1912 avec les dispositions du droit communautaire, les juges énoncent que la réglementation nationale est justifiée pour des raisons de protection de la santé publique ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, d'une part, un produit commercialisé comme complément alimentaire, qui n'est ni un médicament, ni un produit diététique soumis à la réglementation des aliments destinés à une alimentation particulière, relève des règles applicables aux denrées alimentaires et ne peut, par application de l'article 1er du décret du 15 avril 1912, être additionné de substances autres que celles dont l'emploi est autorisé par arrêté ministériel ; que, d'autre part, les dispositions nationales limitatives relatives aux additifs à but nutritionnel autorisés dans l'alimentation humaine sont justifiées, au regard des articles 30 et 36, devenus 28 et 30 du Traité CE, par la protection de la santé publique et la protection des consommateurs ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 30 et 36 du Traité de Rome, 511 et 512.7°, du Code de la santé publique, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Paul G coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie et l'a condamné à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à 15 000 F d'amende ;

"aux motifs que Paul G précise que l'article 512 du Code de la santé publique autorise la vente en gros des drogues simples et substances chimiques destinées à la pharmacie, à condition qu'elles ne soient pas délivrées directement au consommateur pour l'usage pharmaceutique ; que ce même article réserve néanmoins aux seuls pharmaciens la préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine et la vente des plantes médicinales, sous réserve des dérogations établies par décret ; que le tribunal a justement considéré que ces dispositions n'étaient pas incompatibles avec les exigences de la Communauté européenne ; qu'elles sont en effet dictées par le souci susmentionné de préserver la santé publique par des restrictions proportionnées à l'objectif visé et ne violent pas l'article 30 du Traité de Rome ; que même s'il est prétendu que certaines sociétés auxquelles Paul G a fourni les produits incriminés sont dirigées par des pharmaciens, ce qui n'est nullement allégué pour l'intégralité d'entre elles, il n'en reste pas moins que l'analyse des factures et en particulier des cotes 264, 302 à 304, 322, démontre que la société de Paul G, qui ne peut se prévaloir de la qualité de pharmacien, a préparé des médicaments à l'usage de la médecine humaine, alors que cela lui était interdit par l'article 512.1°, du Code précité ; qu'il est en effet, par exemple, passé commande dans le télex du 29 mai 1996, adressé par CEPN à H, de 5 000 gélules de Sexotonic, Mémorix, Laxiform, Relaxon Sexopronto, composé de différents ingrédients ; que Paul G a donc accepté en toute connaissance de cause de préparer des médicaments alors qu'en tant que professionnel, il ne pouvait ignorer que cela lui était interdit ; que de même, ont été fabriquées des préparations sous l'appellation "Transcomplexe", dont la présentation en gélules associée au nom à visée thérapeutique qui leur a été choisi emporte à leur égard la qualité de médicament au sens du Code de la santé publique ; que ces produits comportaient des éléments chimiques sous des compositions extrêmement précises pouvant être nuisibles à la santé si les concentrations n'étaient pas respectées, ce qui justifie que cette fabrication ne puisse être réalisée que sous le contrôle direct d'un pharmacien soumis à des règles déontologiques ; que les motifs retenus par le Tribunal pour qualifier le délit d'exercice illégal de la pharmacie sont donc pertinents ;

"1° alors que les atteintes portées au principe de la libre circulation des marchandises ne peuvent être justifiées pour des raisons de protection de la santé, que si les mesures prises à ce titre n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour assurer la protection de la santé ; que la cour d'appel s'est bornée, pour décider que Paul G ne pouvait se prévaloir de ce que les produits litigieux étaient vendus librement dans d'autres pays de l'Union européenne, de sorte que les mesures d'interdiction du droit interne français constituaient une entrave à la libre circulation des marchandises, à énoncer que ces mesures étaient justifiées par des raisons de protection de la santé ; qu'en statuant ainsi, sans indiquer les éléments de fait ayant pu lui permettre d'affirmer que ces restrictions étaient proportionnées à l'objectif de protection de la santé qui était recherché, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2° alors que si la préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine est réservée aux pharmaciens, la fabrication et la vente en gros des drogues simples et des substances chimiques destinées à la pharmacie sont libres, à condition que ces produits ne soient jamais délivrés directement aux consommateurs pour l'usage pharmaceutique ; qu'en décidant que Paul G s'était rendu coupable d'avoir préparé des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine, peu important que ces produits aient été destinés à la pharmacie et n'aient pas été directement délivrés aux consommateurs, sans rechercher si ces produits étaient destinés à être consommés en l'état ou s'ils étaient destinés à entrer dans la préparation d'autres produits médicamenteux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société H fabrique et vend des gélules, réalise des mélanges de plantes médicinales, de poudres de plantes et d'oligo-éléments ; que Paul G, n'étant pas titulaire du titre de pharmacien, est encore poursuivi pour exercice illégal de la pharmacie ;

Attendu que le prévenu a prétendu, devant les juges du fond, que l'entreprise se bornait à vendre en gros, à des pharmaciens, des substances chimiques destinées à la pharmacie, activité qui, par application de l'article 512, dernier alinéa, du Code de la santé publique, n'est pas réservée aux seuls pharmaciens ; qu'il a en outre soutenu que le monopole pharmaceutique n'était pas compatible avec les dispositions des articles 36 et 30 du Traité de Rome ;

Attendu que, pour écarter ces moyens de défense et déclarer le prévenu coupable de l'infraction, les juges relèvent, par motifs propres et adoptés, qu'il est établi qu'il s'est livré à la fabrication de médicaments et de préparations conditionnées en gélules et à leur vente, qu'il accompagnait de fiches ou factures comportant des indications thérapeutiques ; qu'ils énoncent que les dispositions réservant ces activités aux seuls pharmaciens, pour des raisons de protection de la santé publique, ne sont pas incompatibles avec le droit communautaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que la réglementation instituant un monopole pharmaceutique, qui s'applique indistinctement aux produits importés des Etats membres de la Communauté européenne comme aux produits nationaux, est justifiée au regard des articles 30 et 36, devenus 28 et 30, du Traité CE, par la protection de la santé publique, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions de l'article 512. 1° et 4°, du Code de la santé publique ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.